Droits de l’homme aux USA : lettres de deux Américains contre les dérives du gouvernement

Une légende médiatique en France voudrait que ceux qui questionnent ou contestent la version officielle des attentats du 11-Septembre soient motivés par un profond anti-américanisme : pourtant, rien n’est plus faux ! Outre le fait qu’un très grand nombre d’Américains ne croient pas eux-mêmes à la version officielle délivrée par leur gouvernement, l’association ReOpen911 s’est également donné pour objectif la défense des libertés civiles, qui sont lourdement attaquées en Occident depuis le 11-Septembre, et tout particulièrement aux Etats-Unis. Si nous sommes évidemment critiques vis-à-vis de la politique gouvernementale étasunienne tant extérieure qu’intérieure quant à sa réponse aux attentats du 11-Septembre, c’est dans le respect des inspirations communes des peuples face aux dérives de leurs gouvernements. De l’appel à la libération de Bradley Manning aux demandes de poursuite contre George W. Bush, Dick Cheney ou Donald Rumsfeld pour les crimes que l’on connait (pour le moment), en passant par le Patriot Act et les prisons secrètes de la CIA, c’est avant tout au regain de dignité du peuple étasunien que nous en appelons, tel qu’il s’exprime en ce moment à travers les manifestations à Wall Street et partout ailleurs dans le pays.

En dehors du sujet très spécifique des méandres du 11-Septembre, c’est dans cette optique que nous relayons ces deux lettres, publiées à quelques jours d’intervalle dans le New York Times par deux personnalités très différentes mais tout aussi attachées au respect de la justice. La première lettre est l’oeuvre du directeur juridique de l’ACLU Steven R. Shapiro qui y lance une invitation au dialogue sur le bilan des USA en matière de respect des droits de l’homme. La deuxième a été rédigée par l’imam américain Yasir Qadhi, qui explique en quoi le meurtre d’Anwar Al-Awlaki est illégal et contre-productif.
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Personne n’est plus esclave que ceux qui pensent faussement être libres
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Invitation au dialogue : les droits de l’homme depuis le 11 Septembre

Lettre de Steven R. Shapiro publiée sur le New York Times le 4 octobre 2011

Traduction Martin pour ReOpen-News
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Ces dernières semaines, il y a eu beaucoup de discussions sur la façon de juger le bilan de l’Amérique sur les droits de l’homme la décennie suivant le 11-Septembre, et sur l’équilibre entre les libertés civiles et la sécurité.

Les choses pourraient-elles être pires ? Sans aucun doute. Nous n’avons pas, par exemple, observé quelque chose de comparable à l’internement des Japonais-Américains pendant la Seconde Guerre mondiale, et le gouvernement a reculé sur certains de ses plans orwelliens face à l’opposition publique, y compris sur une énorme base de données d’informations personnelles froidement dénommée : le Programme d’information préventive totale.

Néanmoins nous ne devrions pas sous-estimer les dommages qui ont été faits à nos valeurs, à notre réputation et à la primauté du droit dans la dernière décennie.

La réponse au 11-Septembre a inclus la torture, la "rendition" (transfert sans contrôle judiciaire vers des pays pratiquant la torture et le meurtre), la détention prolongée sans inculpation ni jugement et l’emprisonnement secret. Ces graves abus sont une partie indélébile de notre héritage des droits humains, même s’ils ont surtout eu lieu à Guantanamo et en d’autres lieux à l’étranger.

Comme les événements récents le montrent, le gouvernement s’arroge le droit hors du contrôle judiciaire de tuer des citoyens américains loin de tout champ de bataille s’appuyant sur des normes incertaines et des preuves tenues secrètes.

Des milliers d’Américains se retrouvent aujourd’hui sur les listes de surveillance du gouvernement sans aucun moyen de recours significatif contre cette présence ou pour faire retirer leurs noms de ces listes.

Une très forte augmentation de la surveillance du gouvernement dépasse largement le cas des personnes soupçonnées de terrorisme, en invitant le profilage ethnique et religieux.

Et, chaque année qui passe, le risque augmente que les changements juridiques adoptés après 11-Septembre qui érodent nos libertés civiles, comme le Patriot Act, deviennent des éléments permanents de notre système juridique.

Enfin, 10 ans après le 11-Septembre, nous devons encore demander des comptes à ceux qui ont violé les droits de l’homme en notre nom, ou à fournir un remède utile à ceux qui ont souffert de ces violations.
 

STEVEN R. Shapiro
Directeur national juridique
Union américaine pour les libertés civiles
New York, le 3 octobre 2011

 

Traduction Martin pour ReOpen-News


L’assassinat d’Al-Aulaqi, illégal et contre-productif

par Yasir Qadhi dans le New York Times le 1er octobre 2011 et repris sur le Courrier international

Vendredi 30 septembre, l’imam américano-yéménite Anwar Al-Aulaqi, lié à Al-Qaida, a été assassiné par la CIA. Depuis, des voix s’élèvent aux Etats-Unis pour dénoncer des méthodes contraires à la Constitution. Dont celle de l’imam américain qui signe cette tribune.
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Anwar Al-Aulaqi, l’imam américain tué vendredi 30 septembre dans une attaque de drone de la CIA au Yémen où il était réfugié depuis 2004, est apparemment le premier citoyen des Etats-Unis officiellement visé par la politique d’assassinat ciblé de notre gouvernement. Il faisait l’objet de graves accusations, mais, en tant que citoyen, il avait droit à une justice équitable et à la possibilité d’être confronté à ses accusateurs devant les tribunaux. L’exécution de ce ressortissant américain n’est pas seulement inconstitutionnelle, elle est hypocrite et contre-productive.

Cet assassinat est inconstitutionnel, car le cinquième amendement stipule que "nul ne peut être privé de sa vie, de sa liberté ou de ses biens sans procédure légale régulière". La décision unilatérale d’un groupe de responsables politiques de tuer un citoyen particulier ne correspond pas à une procédure légale régulière, loin s’en faut.

Cet assassinat est également hypocrite, car les Etats-Unis ont coutume de dénoncer (à juste titre) toute exécution illégale commise par un autre gouvernement. Par exemple, nous désapprouvons que les régimes syrien ou iranien éliminent ceux qu’ils considèrent comme des traîtres. L’autorité morale de l’Amérique est sapée dès lors que nous dénonçons chez les autres ce que nous pratiquons nous-mêmes. Cela ne fait que renforcer le stéréotype selon lequel les Etats-Unis ne respectent pas leurs propres principes.

Notons, en outre, que, paradoxalement, ceux qui ont bel et bien tenté de commettre des attentats sur le territoire américain et ont été arrêtés se sont vu lire leurs droits, et sont passés en jugement, alors que certains n’étaient pas des ressortissants américains. Al-Aulaqi, lui, qui n’a jamais été accusé de participer directement à la préparation d’un attentat, n’a pas eu cette chance. [Ce sont plutôt ses opinions et l’influence qu’il a gagné qui ont fait de lui un homme à abattre.]

Al-Aulaqi est né au Nouveau-Mexique en 1971, où son père, d’origine yéménite, était en troisième cycle universitaire. Bien que ses parents soient rentrés dans leur pays quand il avait sept ans, il est ensuite revenu aux Etats-Unis pour poursuivre des études en ingénierie et dans le domaine de l’enseignement. Il a fini par devenir imam d’une mosquée en Californie, puis en Virginie. Durant ces années, on le soupçonne d’avoir rencontré à plusieurs reprises au moins trois des terroristes ayant pris part aux attentats du 11 septembre 2001. Mais aux yeux de nombreux musulmans d’Amérique il n’était connu que pour une chose : ses prêches inspirés du Coran.

Son style et sa capacité à citer quantité de textes classiques lui ont assuré une grande popularité, surtout auprès des jeunes musulmans américains. Toutefois, après le 11 septembre 2001, il a adopté un ton plus agressif et antiaméricain, avant de finir par repartir au Yémen. Là, il a été incarcéré pendant deux ans (et aurait été torturé).

Ce n’est qu’après sa libération qu’il a commencé à soutenir ouvertement Al-Qaida et à diffuser des messages appelant à lancer des attaques contre les Etats-Unis. Il a été avancé qu’il serait entré en contact avec plusieurs personnes qui ont commis des attentats, ou qu’il aurait été pour elles une source d’inspiration : le commandant Malik Hasan, le psychiatre de l’armée de terre auteur de la fusillade de 2009 à Fort Hood (Texas), au cours de laquelle 13 personnes ont été tuées ; Umar Farouk Abdulmuttalib, accusé d’avoir voulu faire sauter une bombe dissimulée dans ses sous-vêtements sur un vol pour Detroit en 2009 ; et Faisal Shahzad, qui a essayé de faire exploser une voiture sur Times Square, à New York, l’an dernier.

Les idées d’Al-Aulaqi étaient dangereuses. Son message, qui prétend que l’on ne peut être à la fois un Américain et un bon musulman, est une insulte pour presque tous les musulmans des Etats-Unis. Il était convaincu qu’il était louable de tuer des Américains sans discrimination, une vision complètement opposée à celle de la plupart des religieux musulmans du monde. Il fallait discuter ses idées, et non l’assassiner. En le tuant, les Etats-Unis ont une fois encore dilué la frontière qui sépare ses méthodes de celles de ses ennemis.
 

(L’auteur de cette tribune, Yasir Qadhi, un imam musulman américain, prépare une thèse au département des Etudes religieuses de Yale. Il blogue sur Muslimmatters.org)
 



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