Le dispositif médiatique français, une singularité dans le monde occidental

Que les pouvoirs politiques ou économiques d’un pays soient préoccupés par le contrôle de la presse et des médias en général,  cela n’a rien de nouveau. Ce qui l’est en revanche, ce sont les proportions que ce phénomène de contrôle et de concentration du « pouvoir médiatique » a pris en France ces dernières années. D’ailleurs, de notre point de vue, si la France est autant à la traîne au sujet du 11-Septembre, comme sur bien d’autres sujets « dérangeants » pour les autorités en place, c’est sans aucun doute dû à cette incroyable concentration inégalée en Occident. On se moque facilement de l’Italie de Berlusconi, mais nous ferions mieux  de regarder dans notre propre assiette.

Le récent classement de Reporters Sans Frontières sur la liberté de la presse dans le monde qui fait encore reculer la France d’une place, la mettant en 44e position, vaut ce qu’il vaut, compte-tenu des nombreuses questions qui se posent sur l’indépendance de cette institut. Mais comme le montre René Naba dans cette analyse, la situation aurait plutôt tendance à empirer. Et pour reprendre l’exemple qui nous est cher, il est certain que les déluges diffamatoires qui se sont  abattus sur les rares personnalités ayant osé faire part de leurs doutes sur la version officielle des événements du 11/9, ou les limogeages successifs de journalistes ayant eu l’audace d’organiser un débat sur ce thème, voire les autocensures récentes exercées par certains grands journaux sur les quelques articles traitant sérieusement du sujet sur leur site Web, ne font que renforcer cette impression d’un pays replié sur une information extrêmement centralisée.

 

 

La concentration des médias, illustration

 


Le dispositif médiatique français, une singularité dans le monde occidental

René Naba (*), mondialisation.ca le 4 nov. 2010

Ancien responsable du monde arabo-musulman au service diplomatique de l’Agence France Presse, ancien conseiller du Directeur Général de RMC/Moyen-Orient, chargé de l’information, est l’auteur notamment des ouvrages suivants : —« Liban: chroniques d’un pays en sursis » (Éditions du Cygne); « Aux origines de la tragédie arabe »- Editions Bachari 2006.;  « Du bougnoule au sauvageon, voyage dans l’imaginaire français »- Harmattan 2002. « Rafic Hariri, un homme d’affaires, premier ministre » (Harmattan 2000); « Guerre des ondes, guerre de religion, la bataille hertzienne dans le ciel méditerranéen » (Harmattan 1998); « De notre envoyé spécial, un correspondant sur le théâtre du monde », Editions l’Harmattan Mai 2009.

 

La France se retrouve en 44ème position, en matière de liberté de la presse, au classement annuel de «Reporters sans frontières», publié fin octobre. La «Patrie des Droits de l’homme », ce pays qui a longtemps revendiqué une «charge d‘aînesse» à l’égard des «peuples primitifs» pour justifier ses conquêtes coloniales, est désormais dépassée par des pays tels que la Lituanie, la Jamaïque, la Namibie, la Tanzanie, la Corée du Sud et la Papouasie-Nouvelle-Guinée.

Le dispositif médiatique français présente une double singularité dans le monde occidental, celui d’être détenu pour l’essentiel par des amis d’un président en exercice, en l’occurrence Nicolas Sarkozy, et de concentrer la plus forte endogamie entre média et politique dans la sphère occidentale.

Fait sans précédent dans les annales des médias, les grands titres de la presse écrite et audiovisuelle se trouvent sous la coupe de grands conglomérats quasi exclusivement tributaires des commandes de l’Etat, dont la fortune s’est constituée sur la base des marchés publics financés par le Budget, soit en dernier ressort par le contribuable, dont ils formatent désormais l’opinion par leur rôle prescripteur, découlant de leur position hégémonique.

Voici, à titre informatif, le dispositif médiatique français, détenu pour l’essentiel par les deux principaux marchands d’armes, Arnaud Lagardère et Serge Dassault, et, le principal bétonneur du pays, Martin Bouygues.

Arnaud Lagardère, qualifié de «frère» de Nicolas Sarkozy, actionnaire de référence  pour le compte français du groupe aéronautique EADS, est le premier éditeur français et le détenteur du principal réseau de librairie de France via les relais «Relay», dans les gares françaises et les stations du métro parisien.

Dans le domaine audiovisuel, il possède trois stations de radio (radio Europe1, Europe 2, RFM), quatorze chaînes de télévision (Canal J, MCM, Mezzo, Tiji, la chaîne météo, CanalSatellite, Planète, Planète Future, Planète Thalassa, Canal Jimmy, Season, Ciné Cinéma et Euro Channel, ainsi que le site informatif Allo Ciné Info.

Dans le domaine de la presse écrite : L’hebdomadaire Paris Match, Elle magazine, le Journal du Dimanche, et deux quotidiens régionaux, La Provence et Nice Matin.

Dans l’édition, Hachette, Fayard, Grasset, les éditions juridiques Dalloz, Dunod et Armand Colin, les éditeurs scolaires Larousse Hatier, Hazan, Le Masque, Marabout, Pluriel, Stock, Le Livre de Poche.

Arnaud Lagardère possède en outre «Lagardère Team Sport», une équipe pluridisciplinaire de sportifs de haut niveau pour des compétitions professionnelles.

Martin Bouygues, parrain d’un des trois fils de Nicolas Sarkozy, Louis, est le premier groupe de bâtiment et travaux publics de France et propriétaire d’un des trois réseaux de téléphonie mobile (Bouygues Télécom).

Dans le domaine audiovisuel, il possède la chaîne généraliste de télévision TF1, la plus importante de l’espace francophone européen, et ses treize déclinaisons : la chaîne d’information continue, LCI, Odyssée, Eurosport, Histoire, UshuaïaTV, S Star, Cinétoile, Cinéstar, Télétoon, Infosport, Série Club, TF6, TV Breizh.

Bouygues dispose d’une gamme de trois sociétés de production de films: Téléma, Film Par Film, TF1 Film Production, les sociétés de distribution de films : TFM, la société d’édition vidéo (TF1 Vidéo) et pour la presse écrite de deux magazines (Tfou Mag, Star Academy), ainsi que du quotidien gratuit Métro.

Serge Dassault, avionneur, fabricant du Rafale, l’avion de supériorité technologique, également proche de Sarkozy, possède Le Figaro, L’Express, le Figaro Magazine et Valeurs Actuelles. Le sénateur de l’Essonne a eu un moment, l’été 2010, des visées sur «Le Parisien», le quotidien le plus lu du bassin parisien.

A ce trio, il convient d‘ajouter, Vincent Bolloré, le vacancier du président français, à qui il a prêté son yacht pour sa première escapade post électorale à Malte. M. Bolloré possède la chaîne de télévision Direct TV, les journaux gratuits Direct Soir et Matin Plus, en sus du groupe publicitaire Havas où figure dans son escarcelle la firme RSCG de Jacques Séguela, le marieur de Nicolas Sarkozy avec le mannequin Carla Bruni, ainsi que l’institut de sondage CSA. Deux autres instituts de sondage sont détenus par des proches du président, l’IFOP par la patronne des patrons français, Laurence Parisot, présidente du MEDEF, et Opinion Way, le plus grand bénéficiaire des contrats publicitaires de la présidence Sarkozy.

Deux grands titres quotidiens parisiens échappent à l’emprise directe du pouvoir : le journal «Le Monde», détenu majoritairement par des actionnaires ne bénéficiant pas de l’agrément présidentiel (le banquier Mathieu Pigasse (Banque Lazard), Xavier Niels (le réseau internet Free) ainsi que Pierre Bergé, le patron de la maison de couture Yves Saint-Laurent, ainsi que le quotidien «Libération» (banquier Edouard Rothschild), et deux hebdomadaires, la revue Marianne.

Indice d’un activisme fébrile à l’égard des médias, l’homme qui avait placé son conseiller durant la campagne présidentielle, Laurent Solly, à la direction de TFI, récidivera quelques mois plus tard en propulsant Harry Roselmack au siège de présentateur du 20 Heures de la Une, premier noir aux manettes du JT le plus vu d’Europe, et son ami Pierre Sled, à la tête des programmes de France télévision, alors que Jean Pierre El Kabbache, sur Europe 1, lui fait office d’amplificateur radiophonique, sollicitant son agrément pour la nomination de journalistes affectés à sa couverture.

Dans la foulée, Nicolas Sarkozy fera promulguer une loi sur l’audiovisuel public, en février 2009, conférant au Président de la République le droit de nomination des présidents de l’audiovisuel public (France Télévisions et Radio France), dessaisissant le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) de cette prérogative, qui se borne désormais à donner un simple avis. Les commissions de l’Assemblée nationale et du Sénat disposent bien d’un droit de veto, qui demeure, toutefois, assez symbolique. Le Parlement ne peut, en effet, rejeter une nomination voulue par le chef de l’Etat que si une majorité qualifiée 3/5e des députés et sénateurs des deux commissions se dégage.

Autre singularité française, l’endogamie entre média et politique atteint un record en France, où la scène politico médiatique contemporaine abonde de ces couples célèbres dont les plus visibles sont Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères, et Christine Ockrent (France 24-pôle audiovisuel extérieur), Jean Louis Borloo, ministre d’État et ministre du Développement durable et Béatrice Schoenberg (France 2), Dominique Strauss-Kahn, ancien ministre des Finances et Directeur du Fonds Monétaire International, et Anne Sinclair (RTL-TF1), Alain Juppé (à l’époque ministre des Affaires étrangères) et Isabelle Juppé (La Croix), sans oublier les deux dernières idylles, celle de Nicolas Sarkozy avec Anne Fulda (Le Figaro), du temps de l’escapade new-yorkaise de son épouse Cécilia Sarkozy et celle de François Hollande, premier secrétaire du Parti socialiste, avec Valérie Trierweiler (Paris Match, puis Direct TV) et l’intermède de François Baroin, du temps de son passage au ministère de l’Intérieur avec Marie Drucker (France 3).

La mutation professionnelle a cédé la place à l’accouplement. Dans le nouveau cas de figure, l’activité ne change pas, mais se couple tant au niveau de la vie professionnelle que conjugale avec un partenaire qui représente l’autre pôle du pouvoir, nourrissant par là même le procès d’une confusion des genres préjudiciable à la démocratie.

Dans ce contexte, Internet semble avoir pris la relève, devenant le refuge de la presse critique, particulièrement les sites électroniques Médiapart et Rue 89, ainsi que le site satirique Bakchich aux côtés de l’hebdomadaire satirique «Le Canard Enchaîné», principal pourvoyeur des révélations de la presse française sur le dysfonctionnement du pouvoir.

Indice du climat délétère qui règne dans les rapports entre médias et politique, sous la présidence Sarkozy, le chef de l’état a convoqué, en personne, dans une procédure inhabituelle, le directeur du Monde, Eric Fottorino, pour lui signifier son mécontentement du choix de ses nouveaux actionnaires, présumés proches du parti socialiste. Le journal le Monde, de son côté, a déposé une double plainte pour violation des sources professionnelles en rapport avec l’affaire Woerth Bettencourt, portant sur un possible financement occulte du parti présidentiel (UMP) et sur un possible conflit d’intérêts du ministre du Travail, ancien ministre du Budget.

Deux journalistes travaillant sur cette affaire, Gérard Davet (Le Monde) et Hervé Gattegno (Le Point), ont été cambriolés, fin octobre 2010, et leur ordinateur respectif dérobé, de même que deux ordinateurs du site Mediapart, qui joua un rôle pionnier dans cette affaire, alors que le site «Rue 89» était poursuivi par Alain de Sérigny, conseiller d’Eric Woerth, en dédommagement d’un préjudice qu’il estime à cinq millions d’euros.

« Le Canard enchaîné » va même jusqu’à soutenir que Nicolas Sarkozy, en personne, superviserait l’espionnage de journalistes. L’accusation est de taille. Dans un article signé de son rédacteur en chef, Claude Angeli, l’hebdomadaire satirique en date du 3 novembre 2010 affirme que « depuis le début de l’année, au moins, dès qu’un journaliste se livre à une enquête gênante pour lui ou pour les siens, Sarkozy demande à Bernard Squarcini, patron du renseignement français, de s’intéresser à cet effronté. En clair, de le mettre sous surveillance, de recenser ses relations et, surtout, ses informateurs ».

Citant des sources anonymes au sein de la division centrale du renseignement intérieur (DCRI), le journal précise que la DCRI a même mis en place un groupe spécial chargé de traquer les sources de certains journalistes. La méthode, explique Le Canard Enchaîné, passe d’abord par la consultation des factures téléphoniques détaillées des journalistes pour identifier leurs sources. « Les opérateurs sont d’une grande complicité avec nous », assure une source au sein de la DCRI. L’hebdomadaire évoque le cas d’ « un bon nombre de membres du Quai d’Orsay convoqués au siège de la DCRI », à la suite d’une plainte déposée par Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères.

Alain Genestar, Directeur de Paris Match, avait été, auparavant, démissionné de son poste sur injonction de Nicolas Sarkozy pour avoir autorisé la publication d’une photo de Cecilia Sarkozy, se baladant dans les rues de New York avec son amant de l’époque devenu depuis lors son époux, le publiciste Richard Attias et l’éditeur First, qui se proposait de publier un livre de Valérie Domain, journaliste à Gala et auteur d’une biographie autorisée sur Cécilia Sarkozy, y renoncera à la suite de sa convocation au ministère de l’Intérieur, fin 2005, au terme d’une conversation sans doute persuasive de Nicolas Sarkozy.

Pour la première fois depuis la création du classement annuel, en 2002, Cuba ne fait pas partie des dix derniers, mais occupe quand même la 166e place sur 178. Au “trio infernal, Erythrée, Corée du Nord, Turkménistan” s’ajoutent l’Iran, la Birmanie, la Syrie, le Soudan, la Chine, le Yémen et le Rwanda, précise l’association.

La France (44ème position) se place juste devant l’Italie (49ème place) en matière de liberté de la presse, parmi les grands pays européens. La France perd encore une place et les propos de la majorité présidentielle « très menaçants, parfois insultants envers certains médias ont eu une résonance mondiale et, dans beaucoup de pays, le gouvernement français n’est plus considéré comme respectueux de la liberté de l’information », souligne RSF dans la 9ème édition de son classement dans une allusion aux attaques des partisans du président Nicolas Sarkozy contre la presse, particulièrement la presse électronique (Mediapart et Rue 89)  dans la foulée de l’expulsion musclée des Roms, en guise de dérivatif au scandale Woerth Bettencourt.

RSF fait remarquer que « si l’Union européenne ne se ressaisit pas, elle risque de perdre son statut de leader mondial dans le domaine du respect des droits de l’homme », posant la question de son autorité morale à l’égard des régimes autoritaires. « Comment pourra-t-elle alors se montrer convaincante lorsqu’elle demandera aux régimes autoritaires de procéder à des améliorations? » écrit-il.

Il invite en conséquence les pays européens à « retrouver leur statut d’exemplarité. »  

René Naba mondialisation.ca le 4 nov. 2010

Notes de l’auteur :  Pour aller plus loin

 (illustrations rajoutées par ReOpenNews)


  En lien avec cet article :

  • 10 nov. | Blog de Sébastien Musset | « Attentat de Karachi : le combat des familles des victimes« 
  • 28 oct. | Jean-Claude Paye, Colloque à l’Assemblée nationale | « Lois anti-terroristes : discours de Jean-Claude Paye à l’Assemblée Nationale« 
  • 23 oct. | Le Canard Enchaîné | « Afghanistan: Rien ne va plus (5) selon le Canard enchaîné« 
  • 25 sept. | Philippe Merlant et Luc Chatel, Lemonde.fr | « Médias, pouvoir et lobbying« 
  • 18 sept. | Giulietto Chiesa, Megachip | « « Le Monde » n’en a pas fini avec le 11-Septembre« 
  • 15 août | Kumaran Ira, World Socialist Web Site | « MEDIAS FRANCAIS: Veulent-ils l’extension des « guerres » en cours ? »
  • 26 juin | LePost.fr | « La Concentration des médias en France »
  • 5 fév. 2009 | Jean Guisnel, LePoint.fr | « Chauprade : Viré par Hervé Morin pour avoir osé parler du débat sur le 11 Septembre« 
  • 18 sept. 2008 | Emmanuel Berretta, Le point.fr | « France24 : Organiser un débat sur le 11 Septembre est une faute professionnelle« 

5 Responses to “Le dispositif médiatique français, une singularité dans le monde occidental”

  • Lapige

    Moui, en même temps, si RSF était une référence en matière de jugement impartial de la liberté journalistique, ça se saurait.
    Point !
    L’article n’est pas faux, mais RSF, comment dire ….. y’a comme une odeur.

  • renault

    Sarkozy doit être destitué s’il est considéré légalement élu.

  • Sébastien

    Sujet intéressant mais traité ici subjectivement car l’auteur oublie totalement la moitié du problème.
    Si on n’a pas la mémoire courte, on constate peu ou prou le même phénomène bien avant l’ère Sarkozy explicitement visée dans cet article. Seule la concentration des pouvoirs a cru, mais les effets et les dérives sont les mêmes. Les archives télévisuelles regorgent de scandales de collusion médias/ pouvoir, et ça remonte à de Gaulle…

    Deuxième petit détail qui a son importance: au moins 80% des journalistes se revendiquent de gauche. Etrange statistique à la lecture de l’article….

    Analyse à approfondir donc, car en s’auto-censurant ainsi on se condamne à ne voir que la moitié de la réalité, donc au bout du compte, à ne rien voir du tout. Je préfère aucune critique à la fausse critique.

  • Lapige

    Tiens, mon commentaire d’hier a été modéré.
    Pourquoi, parce que je disais que si l’article n’est pas faux, la référence à RSF, et surtout de légers doutes quand à son impartialité avaient comme qui dirait …. une odeur ?
    Ou s’agit-il d’un dysfonctionnement du site ?
    Merci de bien vouloir m’éclairer.

  • kopernick

    rien ne passe a la tele ,Pantone,énergie libre,harrp, la vrai conquête spatiale,chaimtrails,épidemies,fusion froide ,crise économique manipulation, mensonges,voyage dans le temps etcc……………je ne sais pas comment la population va réagir a tous ça.

    ils y en a qui vont pas bien dormir.

Trackbacks

  •  





*
To prove you're a person (not a spam script), type the security word shown in the picture. Click on the picture to hear an audio file of the word.
Click to hear an audio file of the anti-spam word

``