Apporter la paix ici à Kaboul ? C’est possible, il faudra juste 30 ans.

Les mauvaises recettes de l’Occident au pays de la guerre

Article de Giulietto Chiesa (député européen), paru dans La Stampa le 15 juin 2008

 

 

 

De Kaboul

L’histoire ne se répète jamais. Cela vaut aussi pour l’Afghanistan, et pourtant, avant même de rejoindre le fascinant bunker-hôtel 5 étoiles de l’Aga Khan Hôtel Serana à Kaboul, ce sont les choses elles-mêmes qui évoquent le passé. Les patrouilles d’hélicoptères de combat qui voltigent au-dessus de Kaboul sont quasiment identiques à leurs homologues soviétiques, même si le drapeau est différent. Et je me souviens de l’assurance tranquille de ce général soviétique qui me disait en 1985 que l’Afghanistan serait pacifié « dans 2 ou 3 ans » . Quatre ans plus tard, les chars soviétiques franchissaient à Termez le majestueux Amu Diarà pour rentrer à la maison. Battus. Evidemment, le parallèle ne tient pas. Les Moudjahidine s’appuyaient sur la puissance militaire des Etats-Unis, et le sort de cette guerre, qui fit 12 000 morts parmi les troupes russes, fut scellé lorsque les missiles Stinger mirent fin à la supériorité aérienne russe. Et il y avait en plus les milliards de pétrodollars que l’Arabie Saoudite wahhabite versait aux chefs de Peshawar. Et aussi l’appui actif des services de renseignement pakistanais, l’ISI.
 
Aujourd’hui, derrière les factions armées que, par paresse, nous appelons toujours « talibans », il n’y a apparemment plus que quelques factions fondamentalistes pakistanaises. Et à l’inverse, de l’autre côté, on trouve toute la puissance de feu de l’OTAN, la supériorité aérienne américaine, les photos satellites, la reconnaissance à l’aide de drones (aéronefs sans pilote), les attaques « automatiques », le renseignement, l’organisation guerrière, technologique, moderne. Un déséquilibre des forces qui, à première vue, devrait assurer la victoire. Mais alors, pourquoi cette victoire n’arrive-t-elle pas ? Que signifient ces forteresses assiégées en lesquelles les ambassades étrangères ont été transformées, les mesures drastiques de sécurité, les voitures blindées, les gilets pare-balles devenus la tenue presque obligatoire même à l’intérieur de la capitale ? Est-il possible que peu – ou même de nombreux – talibans arrivent à créer une situation apparemment aussi incontrôlable ? Il y a évidemment une autre explication : c’est que les recettes que nous avons appliquées ne sont probablement pas les bonnes ; que le peuple, dans les campagnes et les vallées reculées, ne nous perçoivent pas comme des alliés. Par exemple, de cet énorme flux de financement, quelle proportion arrive véritablement à destination, c’est-à-dire à la population ? Différentes études, forcément approximatives vu le contexte, indiquent que pour chaque dollar envoyé en Afghanistan, seulement 15 centimes arrivent vraiment sur le terrain. Le reste se perd dans les mille replis de la corruption, ou bien finit dans les poches des seigneurs de guerre, ceux-là mêmes qui ont martyrisé le pays et ont maintenant récupéré leurs lucratives positions dans les gouvernements locaux et dans ceux des provinces, d’où ils maîtrisent les trafics – y compris ceux de la drogue – et l’administration publique, en plus de leurs affaires privées. Tout ceci est l’œuvre non pas des talibans, mais de ceux qui ont été installés au pouvoir par l’Occident depuis le 11 Septembre. Et les gens le savent.
 
Un ancien journaliste afghan venu nous voir à l’hôtel Serena l’expliquait avec précision : « Ce pays est encore en grande partie analphabète mais ce n’est plus comme il y a 10 ans. Pas tant à cause des journaux indépendants qui existent mais que seule une petite partie de la population lit. Pas tant non plus à cause de l’existence d’une vingtaine de chaînes de TV privées, car ceux qui ont la télévision sont une infime partie de la population de Kaboul, et encore moins dans les provinces. C’est principalement la radio occidentale, que l’on peut recevoir dans tout l’Afghanistan, et qui transmet dans les deux langues, le Farsi et le Dari. Des millions de personnes l’écoutent, souvent avec parcimonie, car là où il n’y a pas d’électricité (80% du pays), les gens doivent acheter des piles qui coûtent très cher. Mais le résultat c’est que les gens savent beaucoup de choses qu’avant ils ignoraient. Ils peuvent se faire une opinion. Et le mécontentement est grand, et s’accroît toujours plus. » Dans ce contexte, les élections truquées et quasi incompréhensibles pour les gens valent ce qu’elles valent, c’est-à-dire presque rien, pour établir un consensus adapté. La Constitution, un arrangement institutionnel très similaire, extérieurement, à l’Etat de Droit de nos démocraties occidentales, pourrait laisser croire à un développement démocratique. Mais elle ne suffit pas à créer une inversion de tendance vers la stabilité.
 
Ce qui apparaît avec évidence, c’est le caractère « imposé par l’étranger », en plus de l’aspect « dirigé par l’étranger », d’un programme complexe de démocratisation à l’occidentale, dans lequel les Occidentaux s’évertuent depuis 6 ans à expliquer aux élites afghanes (et non à la population qui est inatteignable pour eux) qu’ils doivent se soumettre à des règles qu’ils ne reconnaissent pas, et que selon toute probabilité, la majorité d’entre eux n’aiment pas. Le président de la Cour Suprême, Azizi, résume de façon symbolique : « Nous pensions aller du mal vers le mieux et maintenant nous nous retrouvons après 6 ans à aller du mal vers le pire. » Ce qui est sûr, c’est que la chute a été longue : plus de 30 ans ne se remontent pas facilement. Mais comment faire pour réformer la justice si un juge perçoit seulement 50 dollars de salaire mensuel ? Pire encore, cela représente la moitié de ce que touche un jeune policier à peine enrôlé dans une formation qui l’amènera inexorablement à risquer sa vie dans un village perdu d’une vallée reculée, et où de surcroît il ne pourra rien faire pour se défendre et défendre sa famille quand déboulera la première bande de talibans ou de quelque seigneur de guerre. C’est pour ça que construire une vraie police afghane ne se fera pas dans un délai bref. « Il faudra au moins une génération » explique un officiel allemand, désabusé. Cela signifie rester là pour 25 ou 30 ans.

Traduit de l’italien par Geantvert  pour ReOpenNews


 

5 Responses to “Apporter la paix ici à Kaboul ? C’est possible, il faudra juste 30 ans.”

  • Christopher

    Important: je suggère que les articles signés par des autorités politiques ou médiatiques soient systématiquement accompagnés en en-tête d’une courte bio, y compris lorsqu’il s’agit de personnalités dont les articles sont postés de maniere recurrente sur Reopen911.
    Dans le cas présent, beaucoup de nouveaux venus sur Reopen911 ne savent pas qui est Chiesa et encore moins ses nombreuses contributions sur la question du 11/9.

    Une telle résolution contribue au meme titre que la pertinence du contenu du site à capter l’attention des nouveaux venus et à réduire les chances que leur premiere visite soit également la derniere.

  • GeantVert

    Excellente idée.
    Pour cet article j’ai rajouté son statut de député ainsi qu’un lien sur son nom en début d’article, qui emmène sur la page Wikipedia de Giulietto Chiesa.





*
To prove you're a person (not a spam script), type the security word shown in the picture. Click on the picture to hear an audio file of the word.
Click to hear an audio file of the anti-spam word

``