Depuis le 11-Septembre, 35 000 personnes condamnées pour terrorisme dans le monde

La "Guerre au terrorisme" déclenchée par les Etats-Unis au lendemain du 11-Septembre a permis à de nombreux pays les pays du monde de violer quelques libertés civiles ou droits fondamentaux bien établis jusque-là en déclinant à leur gré le sens du mot "terrorisme". Cela leur a donné les moyens inespérés de faire taire les opposants politiques ici, de mettre fin aux velléités séparatistes là, ou encore de mettre en place une surveillance accrue des populations, le tout aboutissant à une véritable explosion du nombre de personnes arrêtées pour "terrorisme" dans le monde. C’est ce que montre cette enquête menée par l’Associated Press sur les chiffres post-11-Septembre qui fait malgré tout la part belle à des pays comme la Turquie, la Chine, le Pakistan ou la Tunisie, et rappelle un peu trop brièvement que ce sont les Etats-Unis et leurs lois PATRIOT ACT qui ont ouvert le bal.

 

Prisonniers à Guantanamo (Cuba)

 


35 000 personnes condamnées pour terrorisme dans le monde

par Martha Mendoza, The Associated Press, septembre 2011

Traduction Sven Martin pour ReOpenNews

Après les attentats du 11-Septembre, le monde a lancé une guerre contre le terrorisme. Dans le premier décompte des poursuites anti-terroriste jamais effectué, l’Associated Press examine le nombre de personnes qui ont été mises derrière les barreaux du fait des lois anti-terroristes, et qui sont ces gens. Les journalistes de l’AP, dans plus de 100 pays ont déposé des demandes sur la base des lois sur la liberté d’information, réalisé des interviews et recueilli des données pour cette enquête.

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Au moins 35.000 personnes dans le monde ont été condamnées pour terrorisme au cours des dix ans qui ont suivi les attentats du 11-Septembre aux Etats-Unis. Mais tandis que certains ont fait sauter des hôtels ou des bus, d’autres n’ont été mis derrière les barreaux que pour avoir exhibé un signe politique ou protesté sur un blog.

Dans le premier décompte jamais effectué, concernant les arrestations et accusations “anti-terroristes”, l’Associated Press a établi l’existence d’une flambée des poursuites en vertu de lois anti-terroristes nouvelles ou renforcées, souvent prises dans l’urgence et sur la base de financements occidentaux. Avant le 11 / 9, seules quelques centaines de personnes étaient condamnées pour terrorisme, chaque année.

La simple considération du volume de condamnations, avec près de 120 000 arrestations, montre comment une vive conscience globale du terrorisme s’est infiltrée dans les sociétés, et comment la guerre contre celui-ci se déplace vers les tribunaux. Mais il suggère aussi que des dizaines de pays utilisent la lutte contre le terrorisme pour limiter la dissidence politique.

AP a déposé des requêtes sur la base de la liberté d’informations concernant les données des services répressifs et des centaines d’interviews pour finalement identifier 119 044 arrestations de "terroristes" potentiels et 35 117 condamnations, le tout dans 66 pays représentant 70% de la population mondiale. Les nombres réels sont sans aucun doute plus élevés dans la mesure où certains pays ont refusé de fournir les informations demandées.

Ces chiffres incluent 2934 arrestations et 2568 condamnations aux Etats-Unis, qui a mené la guerre contre le terrorisme – soit huit fois plus qu’au cours de la décennie précédente.

L’enquête a également montré que:

  • Plus de la moitié des condamnations provenaient de deux pays accusés d’utiliser des lois anti-terroristes pour réprimer la dissidence, la Turquie et la Chine. La Turquie représente à elle seule un tiers de toutes les accusations, avec 12 897.
  • La large gamme des personnes emprisonnées reflète les dizaines de façons dont les différents pays définissent ce qu’est un "terroriste". La Chine a arrêté plus de 7 000 personnes en utilisant une définition qui compte le terrorisme comme l’un des trois grands maux, avec le séparatisme et l’extrémisme.
  • L’efficacité des poursuites anti-terroristes varie largement. Le Pakistan a enregistré la plus forte augmentation des arrestations pour terrorisme dans ces dernières années, et pourtant les attaques terroristes sont toujours en hausse. Mais en Espagne, le groupe séparatiste basque armé ETA n’a pas posé une bombe mortelle ces deux dernières années.
  • Les lois anti-terroristes peuvent produire des retours de flamme. Les gouvernements autoritaires au Moyen-Orient ont largement utilisé les lois anti-terroristes comme arme lors du "printemps arabe".

"Il y a eu une reconnaissance dans le monde entier de ce que le terrorisme représente une menace plus grande pour la société,", a déclaré John Bellinger, ancien conseiller juridique du Département d’Etat américain. "En outre, les pays les plus autoritaires utilisent la menace réelle du terrorisme comme une excuse et une couverture pour exercer une répression d’une manière qui viole les droits de l’Homme."

Depuis le 11/9, presque tous les pays du monde ont passé ou révisé des lois anti-terroristes, que ce soit le minuscule Tonga, ou le géant chinois.

La Turquie, depuis longtemps en désaccord avec sa minorité kurde, dépasse tous les autres pays dans le bilan d’AP pour les accusations anti-terroristes et leur forte hausse. Le parti des Travailleurs du Kurdistan “KWP” est considéré comme responsable de la plupart des violences dans ce pays de 75 millions d’habitants.

Naciye Tokova, une mère kurde de deux enfants, brandissait une pancarte lors d’une manifestation l’année dernière, qui disait : "Soit un gouvernement et une identité libre, soit la résistance et la vengeance jusqu’à la fin." Elle ne pouvait pas lire ce slogan parce qu’elle est illettrée.

Elle a été reconnue coupable et condamnée à sept ans de prison en vertu de lois antiterroristes.

"Evidemment que je ne suis pas une terroriste," a déclaré Tokova, qui est libre et a fait appel. Elle était rebelle, répondant sèchement aux questions et seulement après de longues pauses.

En 2006, la Turquie a adopté de nouvelles lois anti-terroristes plus strictes. Les condamnations ont grimpé de 273 en 2005 à 6345 en 2009, dernière année disponible, selon les données que l’AP a obtenues de la Turquie grâce à la loi sur le droit à l’information.

Le premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, dit que le pays est juste avec ses Kurdes.

"Nous n’avons jamais transigé sur l’équilibre entre la sécurité et la liberté," a déclaré M. Erdogan.

La Turquie reflète clairement le dicton : “un terroriste est quelqu’un qui combat pour la liberté d’autres gens”. La définition de "terroriste" dépend d’où vous êtes et à qui vous demandez. Aux États-Unis, le FBI, la CIA, le Département de la Défense et le Département d’Etat n’ont pas été capables de s’entendre sur une définition commune du terrorisme.

"Si quelque chose peut avoir révélé au monde l’essence inacceptable du terrorisme, c’est bien le 11-Septembre. Malheureusement, une décennie plus tard, nous ne semblons pas près de parvenir à un accord," a déclaré le professeur de droit à Kent Roach de l’Université de Toronto.

La Chine considère le terrorisme comme faisant partie d’une accusation vague de "mise en danger de la sûreté de l’Etat", et appelle à des lois fortes, nécessaires pour assurer la sécurité. Les personnes arrêtées en vertu des lois viennent principalement de la province du Xinjiang, connue sous le nom du Turkestan oriental, des Ouïgours qui luttent pour une patrie indépendante.

Il y a deux ans, un entrepreneur ouïghour, Dilshat Perhat (ci-contre), a prévenu les visiteurs de son site Internet en langue ouïghoure de ne pas poster de commentaires politiques. Même ainsi, quelqu’un a lancé un appel pour une manifestation dans le milieu de la nuit.

Perhat a supprimé les commentaires le lendemain et a informé la police, conformément à la loi. Mais il a été arrêté quand même, condamné dans un procès d’une journée et condamné à cinq ans de prison.

"Ils voulaient l’utiliser comme un exemple, pour menacer et montrer leur pouvoir au peuple ouïgour", a déclaré Dilmurat frère de Perhat, un étudiant diplômé aux Etats-Unis "En Chine, toute protestation pacifique par les Ouïgours est considérée comme un acte de terrorisme par le gouvernement chinois."

L’augmentation des poursuites anti-terroristes dans le monde entier reflète à quel point elles sont devenus une arme émoussée, contre le terrorisme, et dont le bilan est inégal.

Le Pakistan avait la plus forte hausse d’arrestations de terroristes de tous les pays examinés par AP; avec l’aide de plusieurs milliards de dollars américains, le Pakistan a modifié ses lois anti-terroristes, en 2004. Le nombre d’arrestations est passé de 1552 en 2006 à 12 886 en 2009, en partie en raison de quatre opérations militaires menées cette année-là.

Pourtant, le terrorisme au Pakistan est encore à la hausse, et seul l’Irak bat le Pakistan pour les décès dus au terrorisme. Une des raisons pourrait être le taux de condamnation de seulement 10% dans les affaires de terrorisme, contre 90% aux États-Unis.

Comme le Pakistan, l’Espagne connaît le terrorisme, mais elle a eu un certain succès dans son combat. L’Espagne a environ 140 condamnations par an, selon les données obtenues par d’AP grâce à la loi sur la liberté d’information.

Le groupe séparatiste basque ETA, a été responsable à une époque, de meurtres tous les mois. Aujourd’hui, il est sévèrement affaibli.

"Les attaques terroristes il ya 10 ans sur le World Trade Center et les attentats de Madrid ont contribué à forger un fort sentiment de rejet envers l’ETA," a déclaré le journaliste espagnol Gorka Landaburu qui est basque et lui-même victime d’une lettre piégée de l’ETA en mai 2001 qui lui a coupé un pouce et des phalanges. "La société a perdu un peu de sa peur."

Du fait du durcissement des nouvelles lois anti-terroristes adoptées après le 11/9, les terroristes condamnés en Espagne risquent un maximum de 40 ans, 10 de plus que pour les autres crimes.

"Tous les pays démocratiques ont recours à un moment ou un autre à des mesures exceptionnelles pour se défendre," a déclaré Roman Cotarelo, un professeur de sciences politiques à l’Université ouverte d’Espagne.

Pour Landaburu, la terreur est toujours là, sous son front préoccupé et à travers les deux gardes du corps qui le suivent. Quand il fait des gestes avec ses mains, ce qu’il fait souvent, il y a un moignon à la place du pouce.

Mais il pressent que les jours de l’ETA sont comptés.

"Les choses sont beaucoup plus calmes", a-t-il dit. "Les gens peuvent respirer plus facilement."

Les lois anti-terroristes vont encore avoir des conséquences inattendues, en particulier au Moyen-Orient, longtemps considéré comme le chaudron du terrorisme.

Après le 11/9, de nombreux pays du Moyen-Orient ont rapidement adopté des lois anti-terroristes strictes. La Tunisie laïque a utilisé ses lois en 2003 pour sévir contre la piété religieuse et se protéger contre le militantisme islamique. Elle a condamné 62 personnes en vertu des lois en 2006, 308 en 2007 et 633 en 2009, selon l’ONU

L’ancien prisonnier Saber Ragoubi (ci-contre) a rejoint un groupe anti-gouvernemental en 2006 parce qu’il dit qu’il veut la liberté religieuse. Le groupe a été formé par un groupe algérien qui plus tard a déclaré allégeance à Al-Qaïda.

Ragoubi dit qu’il n’a jamais été armé, ni avoir l’intention de s’armer, mais il a soutenu des projets visant à attaquer la police.

Lorsque la police l’a trouvé, Ragoubi a été jugé et condamné à la prison à vie. Pendant des années, dit-il, il a été roué de coups, les mains et les jambes enchaînées à une barre de fer dans ce qui était appelé la position du "poulet à la broche". Il a dit avoir été enchaîné à une chaise en métal et choqué électriquement, et on lui a dit que sa mère et ses sœurs seraient violées devant lui s’il ne signait pas ses aveux.

"Aujourd’hui, je ne sais pas comment j’ai pu supporter toutes ces tortures pendant tout ce temps," a déclaré Ragoubi. Il venait de se faire placer deux nouvelles dents de devant pour remplacer celles qu’il avait perdues sous la lourde botte d’un gardien de prison, a-t-il expliqué.

Sous l’ancien chef de Zine El Abidine Ben Ali, jusqu’à 2000 Tunisiens ont été arrêtés, accusés ou condamnés sur les accusations liées au terrorisme. L’ONU affirme que certains ont été torturés.

Mais cinq jours après que Ben Ali ait fui en janvier 2011, les nouveaux ministres ont fait relacher toute personne déclarée coupable en vertu des lois anti-terroristes, même ceux qui avaient effectivement commis des crimes violents.

Le rôle des lois anti-terroristes dans – et contre – le printemps arabe continue.

Le Bahreïn et la Syrie ont inculpé des manifestants sous prétexte des lois anti-terroristes. L’Arabie saoudite, invoquant des préoccupations au sujet d’Al-Qaïda, envisage une loi anti-terroriste avec une peine minimale d’emprisonnement de 10 ans pour manque de loyauté envers le Roi.

Dix ans après le 11/9, la pression pour une lutte globale contre le terrorisme reste forte. Mike Smith, directeur à l’ONU du Comité contre le terrorisme, considère le fait de poursuivre les terroristes comme "incroyablement important."

Mais presque tout le monde, y compris l’ONU et les Etats-Unis, reconnaît que le prix à payer est une certaine érosion des droits humains.

"Au départ, l’approche a été ‘mieux vaut en faire trop’, plus il y avait de lois contre-terroristes, mieux c’était pour assurer la sécurité du monde. Mais ce fut une grave erreur," a déclaré Martin Sheinin, rapporteur spécial sur les droits humains et la lutte contre le terrorisme. "Aujourd’hui, les gens prennent conscience des abus et même du fait que l’utilisation actuelle des lois antiterroristes est mauvaise non seulement pour les droits de l’homme, mais aussi pour lutter réellement contre le terrorisme."

 

AP, Septembre 2011

 

Traduction Sven Martin pour ReOpenNews


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3 Responses to “Depuis le 11-Septembre, 35 000 personnes condamnées pour terrorisme dans le monde”

  • Anna

    Au début, Aung san sushi et Ghandi aussi, étaient des terroristes…
    On pourrait enfin arrêter d’en inventer ou d’en générer d’autres, maintenant ?

  • Fabrice

    Mon voisin est très bruyant, mon collègue est trop bronzé, mon patron ne me paye pas assez, ma belle-mère n’est pas de mon parti, et mon épicier a les yeux trop bridés.

    « C’est quoi déjà, le N° de téléphone pour les faire tous envoyer à Guantanamo ?
    Ah comme le monde serait beau, si tout le monde était la copie de moi-même… »

    Extrait des propos névrotiques d’un homme occidental moderne, dont le discernement est atteint par la « contagion auto-hypnotique de la magnificence de soi ».
    Cette psychose « Bushienne », très répandue actuellement, a connu deux pics historiques : L’un très récemment s’appelait « la guerre contre le mal », (pour ceux qui ne savent pas ce que cela veut dire, lire la définition du « jihad »), un autre pic historique a eu lieu en Europe lorsqu’un envahisseur moustachu du 20ème siècle a fait répandu une certaine idée de la civilisation.
    Aujourd’hui, au lendemain d’un M. Guéant en France qui parle de « civilisations qui ne sont pas toutes égales », pour éviter la montée d’un parti qui l’a toujours pensé mais jamais dit, nous arrivons probablement aux prémices d’une période qui risque d’être très, très, très, très…. trouble.

  • Fabrice

    Tout ça pour ça…

    Le danger terroriste est quasiment inexistant :
    http://www.reopen911.info/News/2010/12/13/le-danger-terroriste-est-quasiment-inexistant/

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