La guerre secrète des drones US au Pakistan (2/2)

Soyons clairs, si l’opinion publique occidentale accepte aussi facilement que les USA frappent aussi durement à l’aide de leurs drones des populations villageoises entières dans les zones tribales entre le Pakistan et l’Afghanistan, malgré l’absolue illégalité de ces opérations et surtout malgré les "pertes collatérales" impossibles à chiffrer mais bien réelles, c’est sans aucun doute que nous avons tous été conditionnés par la peur des "foyers terroristes" d’où sont soi-disant partis les attentats spectaculaires du 11 septembre 2001. Sinon, comment expliquer une telle indifférence des peuples occidentaux, de la justice internationale, et des grands médias face au massacre de tant d’innocents ? Le peu d’informations et de chiffres dont nous disposons (partiellement exposés dans cet article) devraient pourtant alerter n’importe quel citoyen réellement soucieux des droits de l’homme dans le monde.

 

Photo: U.S. Army Central Command

 


Les drones de la CIA échappent-ils à tout contrôle ?

Par Daphne Eviatar, pour HumanRightsFirst, le 7 novembre 2011

Traduction GV pour ReOpenNews

Le Wall Street Journal (WSJ) rapportait la semaine dernière que le gouvernement ne savait pas exactement qui il tuait lors de ses multiples frappes de drones au Pakistan. Cela indique que les États-Unis sont potentiellement en train de violer les lois internationales. Comme l’écrit le WSJ, la plupart des frappes de drones lancées par la CIA sont des « frappes groupées » (Signature strikes) visant des « groupes d’individus considérés comme des militants collaborant avec des groupes terroristes, mais dont l’identité n’est pas toujours connue. »

Le WSJ note que le Departement d’État a émis quelques réserves au sujet de l’agressivité de CIA, laquelle exacerbait [évidemment] les populations pakistanaises locales. Mais ce que le WSJ a oublié de préciser, et n’est que rarement évoqué dans les médias couvrant cette guerre de drones, ce sont les implications légales de cette pratique consistant à viser des personnes sur le seul fait qu’ils « sont plus ou moins considérés comme des militants associés à des groupes terroristes. » Bien sûr, aucune Cour de justice n’empêchera l’Administration de continuer, comme nous l’avons vu encore récemment lorsque la Cour du district de Washington DC a débouté une plainte déposée contre la CIA pour avoir tué le citoyen américain et imam, Anwar al-Awlaki. Mais si les USA sont réellement en train de violer des lois internationales de la guerre, cela crée un dangereux précédent, non seulement pour les USA, mais aussi pour nos ennemis.

Selon les lois internationales de la guerre, une frappe ciblée, par drone ou par d’autres moyens, n’est « légale » que si la cible, au moment de la frappe, était en train soit « de prendre part à des hostilités, » soit «  de mener une fonction de combat continue. » Une autre possibilité est que le gouvernement US puisse tuer en position d’auto-défense, si la personne présente une menace pour les États-Unis. Mais lorsque la CIA élimine des groupes entiers d’individus non identifiés au prétexte que selon elle, il s’agit de personnes liées à des groupes terroristes, cela ne rentre pas dans le cadre de la loi.

Comme Spencer Ackerman le demandait sur le Blog de Wired « DangerRoom » : « La CIA peut-elle, en se fondant sur les [images des] caméras accrochées à leurs drones Predator ou Reapers, ou sur les informations fournies par leurs espions sur place, faire la différence entre les vrais terroristes de ceux qui leur rapportent leur linge propre ? » Même si cela s’avère difficile à faire dans un conflit impliquant de mystérieux groupes terroristes cachés, c’est ce qu’exige la loi, et aussi le bon sens et la morale commune.

Bien que le gouvernement US ne reconnaisse pas qu’il mène un programme de drones – et il est donc encore moins enclin à dire qui est tué dans le cadre de ces opérations -, il y a de bonnes raisons de penser qu’il extermine un nombre considérable d’innocents.

Clive Stafford Smith, un juriste américain travaillant pour l’organisation britannique Reprieve, écrivait dans le New York Times la semaine dernière à propos de ce jeune homme de 16 ans qu’il avait rencontré après avoir convaincu un groupe de villageois vivant près de la frontière afghano-pakistanaise de lui parler des conséquences de la guerre des drones. L’adolescent, Tarik Aziz, s’était porté volontaire pour collecter les preuves sur les victimes des frappes de drones dans la région. Trois jours plus tard, lui et son cousin âgé de 12 ans, Waheed Khan, furent eux-mêmes abattus lors d’une attaque de drone de la CIA, écrit Smith.

Les jeunes gens étaient-ils visés ? Étaient-ils des « militants » ? Impossible de le savoir. Non seulement les États-Unis ont classifié leur programme de drones, mais ils refusent de fournier des informations sur qui il vise et pourquoi, ou sur qui est abattu lors de ces opérations.

John Brennan, le conseiller en contre-terrorisme du Président Obama, a affirmé tout de go : « Il n’y a pas eu une seule victime collatérale» lors des frappes de drones, grâce à leur précision.

Mais cela est catégoriquement contredit par les témoignages de groupes comme le Bureau for Investigative Journalism (BIJ), qui a fait le bilan des morts occasionnées par les frappes de drones depuis 2004. Dans un rapport publié en août dernier, l’équipe de journalistes britanniques et pakistanais a documenté plus de 306 frappes opérées à distance par des drones, avec un bilan total oscillant entre 2359 et 2959 victimes. Le BIJ indique qu’au Pakistan, il a obtenu des informations crédibles sur la mort de 392 civils, dont 175 enfants.

Même la New America Foundation, qui a [publiquement] admis la définition donnée par le gouvernement US sur qui est ou n’est pas « militant », et comme le reflètent ses comptes-rendus de presse sur les frappes de drones au Pakistan, a calculé que 20% des personnes tuées par les drones étaient des civils. Le fait que le gouvernement ait refusé de dire ce qu’il entend par « militant » n’est pas anodin, et il n’est pas évident que cette définition soit en accord avec les lois internationales. John Brennan est persuadé qu’elle ne l’est pas.

Certains pourraient penser que 20% de pertes collatérales est un taux acceptable dans une guerre, si l’on part du principe que ces frappes sont réellement nécessaires pour stopper le terrorisme. (Ce taux est [évidemment] plus acceptable politiquement aux USA puisque les victimes ne sont pas des Américains.) Pourtant, les lois internationales exigent que le [nombre de] victimes civiles soit proportionné à l’importance de l’objectif militaire. Des groupes de journalistes comme le Bureau for Investigative Journalism affirment que parmi la majorité des militants abattus sont des troufions de base. Et seuls 150 d’entre eux ont été identifiés depuis 2004.

Mis à part la question de savoir si cela est légal ou pas, toutes ces frappes sont-elles vraiment nécessaires ? De nombreux experts disent que non, et insistent sur le fait qu’elles pourraient même être contre-productives. Parmi eux, on trouve de hauts gradés comme l’ex-Amiral et ancien directeur de la National Intelligence, Dennis Blair. Le Wall Street Journal fait part d’une contestation croissante au sein même de l’administration Obama :

« De nombreux officiels au Pentagone et au Département d’État expliquent en privé que la CIA prête trop peu d’attention aux conséquences diplomatiques des frappes aériennes qui tuent de larges groupes de combattants de base. Ces frappes mettent en fureur l’opinion publique pakistanaise. Les observateurs pointent du doigt le pouvoir croissant au Pakistan de personnages politiques tels que l’Imam Khan, qui a organisé de vastes manifestations pour protester dont les drones et qui pourrait [bientôt] défier le gouvernement actuel. »

L’ex-Amiral Mike Mullen a expliqué que la CIA devait se montrer plus « sélective » dans ses frappes, et l’ancien secrétaire à la Défense Robert Gates aurait fait part de ses préoccupations de voir le programme de drones pousser les Pakistanais à bloquer la route d’approvisionnement des troupes en Afghanistan.

Autrement dit, les coûts et les bénéfices – ainsi que les aspects légaux – du programme secret de drones américains restent extrêmement flous. A tout le moins, cela met en lumière la nécessité pour l’administration Obama de s’expliquer sur ce qui entre dans sa politique « secrète » de drones, sur les critères quelle utilise pour décider qui est visé, et sur ceux qui sont tués lors de ces opérations. Des législateurs, des spécialistes en politique et d’anciens officiels gouvernementaux issus de tous les bords politiques ont demandé plus de transparence sur le programme américain de drones suite à la mort d’al-Awlaki. Les informations selon lesquelles la CIA ne sait bien souvent même pas qui est visé, donne encore plus de poids à cette exigence.

Conor Friedersdorf, dans The Atlantic, nous rappelle que nous avons attendu des années avant de savoir que l’Administration Bush avait emprisonné des centaines d’innocents à Guantanamo Bay, malgré les assurances données par l’ancien secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld disant que c’étaient « les pires individus que le monde ait généré. »

De la même façon, avec cette administration Obama qui massacre à l’étranger des centaines de personnes suspectées de terrorisme, nous ne devrions pas nous satisfaire de ses affirmations invérifiables qu’il ne vise que des coupables.

Daphne Eviatar

 

Traduction GV pour ReOpenNews


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