Pour l’ONU, Internet est trop libre

Sous couvert de lutte contre le terrorisme, les initiatives pour restreindre la liberté sur Internet se succèdent. Ainsi, le dernier et le seul endroit où le sujet du 11-Septembre est encore débattu, pour reprendre les mots de Mathieu Kassovitz, se retrouve constamment sous la menace d’être bridé par ceux-là même qui ne trouvent rien à redire aux cyber-attaques perpétrées par les USA et Israël contre l’Iran, alors qu’ils considèrent eux-mêmes ce type d’action comme relevant d’un acte de guerre. Qu’il soit cybernétique ou islamique, le terrorisme est considéré comme légitime quand il sert les intérêts occidentaux, alors qu’il est considéré comme un acte odieux lorsqu’il s’attaque à eux. Et la même hypocrisie s’invite évidemment aux débats à L’ONU où moins de liberté serait synonyme de sécurité. La belle affaire ! Il est donc primordial de toujours rester vigilant pour que l’Internet ne soit pas la prochaine victime collatérale de la guerre au terrorisme initiée après le 11-Septembre.

 

Un cybercafé en Chine. Photo Marc oh ! CC BY.

   


Pour l’ONU, Internet est trop libre

par Sophian Fanen le 25 octobre 2012 sur Ecrans, un site de Libération.fr . . Internet, cette zone de non droit où prolifèrent des échanges incontrôlés, ce lieu sans foi ni loi qu’il faut surveiller de près partout dans le monde. Dans un long rapport (.pdf) consacré à « l’utilisation d’Internet à des fins terroristes », l’agence de censure des réseaux de la république populaire de Chine l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (UNODC) estime que l’Internet tel que nous le connaissons aujourd’hui est bien trop ouvert et appelle à une collaboration poussée entre les Etats, les fournisseurs d’accès (FAI) et les lieux permettant un accès libre au réseau, afin de mieux surveiller les échanges et de faciliter la lutte contre le terrorisme. Et si les libertés individuelles prennent un coup au passage, tant pis pour elles.

Le rapport de l’UNODC débute malgré tout par un constat lucide :« L’utilisation de l’Internet à des fins terroristes ne tient pas compte des frontières nationales, amplifiant l’impact potentiel sur les victimes, comme l’explique en préambule Yury Fedotov, le directeur de l’UNODC. En mettant en évidence les meilleures pratiques répondant à ce défi unique, cette publication a deux objectifs : promouvoir une meilleure compréhension de la façon dont les technologies de communication peuvent être utilisées abusivement et, d’autre part, accroître la collaboration entre les États membres afin de développer des réponses pénales à ce défi transnational. »

Internet permet, toujours selon le rapport, de mener à moindre frais des opérations de « propagande », de « promotion de la violence », de « recrutement », de « radicalisation », et faciliterait le « financement » et « l’organisation » d’activités terroristes. L’étendue de ces pratiques sur le réseau et son impact sur les violences commises ne sont toutefois jamais chiffrés.

L’UNODC dresse ensuite une typologies des législations nationales mises en place pour lutter contre ces agissements en ligne, sans les vanter mais sans les critiquer non plus. Les lois très strictes mises en place en Chine ou en Égypte sont ainsi étudiées au même niveau que la législation française. Celle-ci s’appuie principalement sur la loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006 « relative à la lutte contre le terrorisme », qui oblige « les FAI, les cybercafés, les hébergeurs et les opérateurs de téléphonie à communiquer des données sur le trafic, les numéros appelés et les adresses IP contactées » aux agences gouvernementales assermentées « en cas d’investigation sur des activités terroristes supposées ».

Après les attaques de Toulouse et Montauban, en mars dernier, le président d’alors Nicolas Sarkozy avait souhaité aller plus loin en créant un délit de « consultation régulière de sites Internet qui font l’apologie du terrorisme ou qui appellent à la haine ». La proposition avait, à l’époque, fait bondir les juristes et les organisations de défense des libertés en ligne, qui avaient appelé à sanctionner l’incitation à commettre un acte terroriste plutôt que la notion très floue de « consultation ». Cette idée a depuis été écartée du nouveau projet de loi (socialiste) contre le terrorisme.

La carte des ennemis d’Internet, pays où la parole et les données ne sont pas libres en ligne, dressée par Reporters sans frontières en 2011. .

Le rapport de l’UNODC expose ensuite les principaux blocages à une surveillance plus « efficace » du réseau au niveau mondial, qu’il appelle toutefois à « respecter les droits de l’homme et les libertés de chacun ».

Tout d’abord, il y a Internet en soi, ce réseau où l’on échange tout et n’importe quoi. « Le contenu qui aurait anciennement été distribué à un public relativement limité, de la main à la main ou par l’intermédiaire de supports physiques comme les disques compacts ou DVD, a migré sur l’Internet. Ce contenu peut [désormais] être distribué à l’aide d’un large éventail d’outils, tels que les sites dédiés, les salons de discussion et les forums, les réseaux sociaux tels que Twitter et Facebook, la plateforme de vidéos populaire YouTube ou [le service de téléchargement direct] Rapidshare. L’utilisation des services d’indexation tels que les moteurs de recherche rend également plus facile d’identifier et de récupérer du contenu lié au terrorisme. » On en revient à l’éternelle logique répressive : on peut tout faire sur Internet, donc on peut y faire des choses interdites, donc Internet c’est mal.

L’UNODC s’attaque ensuite aux accès non-sécurisés à Internet, sur lesquels l’agence a une position plus équilibrée : « Il est prouvé que des terroristes ont, dans certains cas, utilisé des cybercafés, mais nous ne disposons pas de données qui permettent de connaître la place de ce type d’activité par rapport à l’activité Internet légitime de ces lieux. [...] Mesurer la nécessité, pour les gouvernements, de réglementer [davantage] ces lieux afin de lutter contre le terrorisme est une question complexe, étroitement liée à la question des libertés individuelles. Dans certains États, comme l’Égypte, l’Inde, la Jordanie et le Pakistan, les gouvernements appliquent des mesures qui obligent les cybercafés à conserver et si besoin fournir des photos d’identité et l’adresse de chacun de leur client, ainsi que la nature des données qu’ils ont échangées. [Mais ] l’utilité de ces mesures est soumise au débat, en particulier lorsque d’autres lieux permettent d’accéder librement à Internet, par exemple les bibliothèques publiques. »

Bientôt la fin des wi-fi publics dans les cafés ? Montage Mike Licht d’après Jean Béraud CC BY. .

En conclusion, l’UNODC appelle les États membres des Nations unies à se rencontrer sur ces sujets précis pour « mettre en place un cadre commun » contre les échanges en ligne liés au terrorisme. Il s’agit avant tout de « mettre au point une réglementation cohérente permettant d’exiger de tous les FAI une régulation et un contrôle du contenu », ce qui « serait un atout important pour les agences de renseignement » tout en assurant « les mêmes droits face à la justice » aux personnes suspectées de terrorisme. Répétons la partie importante de cette phrase : « Exiger de tous les FAI une régulation et un contrôle du contenu ». Cela ne peut se faire qu’au dépend de la neutralité du net, principe qui veut que les fournisseurs d’accès se contentent de « fournir un accès », justement, sans discrimination sur le destinataire, l’émetteur ou le contenu des données qui transitent sur le réseau. Et cette volonté de contrôle, les paquets législatifs Sopa ou Acta ont déjà tenté de l’imposer — sans succès. On tourne en rond.

Les lobbys actifs dans le domaine des libertés sur Internet ont d’ores et déjà commencé à se saisir de ce rapport qui appelle à un Internet moins largement ouvert. Jim Dempsey, vice-président du Centre pour la démocratie et la technologie, qui défend un Internet « ouvert, inventif et libre », estime ainsi chez PC Advisor que l’UNODC a une vision très « bornée ».

« Ce rapport prête peu d’attention à l’impact négatif sur la vie privée, la liberté d’expression et d’autres droits qui peut découler de l’utilisation abusive des moyens mis en place contre la cybercriminalité et le cyberterrorisme. Le rapport examine de manière sélective les lois du monde, tend à prendre le plus draconien et les dispositions intrusives provenant de n’importe quel pays, sans fournir de contexte, que ce soit sur la manière dont les pays les plus démocratiques limitent les moyens de ces lois par le regard de la justice, ou la façon dont ces lois sont détournées pour limiter la dissidence dans les pays les moins démocratiques. [...] Ce rapport ne devrait pas être utilisé comme un guide fiable » de mesures contre le terrorisme.

 


En complément : L’ONU aussi cible Internet Pour faire diversion sur son cuisant échec en Syrie, l’ONU appelle à surveiller de plus près les utilisateurs d’Internet. Mais pourquoi cherchent-ils tous à nous priver du dernier espace de liberté mondial ? Les uns après les autres, les gouvernements succombent à la tentation du stalking et surveillent de très près les échanges d’idées et d’information sur la Toile. L’un des derniers « Executive Orders » (il en a pris plus en 3 ans et demi que tous les autres présidents américains réunis depuis Franklin Roosevelt) d’Obama porte sur la prise de contrôle d’Internet par l’exécutif américain et ses agences spécialisées en coups tordus en cas de « crise majeure »… Sans doute un peu pour tenter de faire oublier la débâcle de ses observateurs de la boucherie syrienne, l’ONU s’y est collée aussi. … Lire la suite sur Bakchich.info .


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7 Responses to “Pour l’ONU, Internet est trop libre”

  • Sébastien

    Ah ben dis donc, l’ONU est pire que le bistro du coin question niveau intellectuel.
    Internet trop libre chez nous, pas assez quand la Chine ou l’Iran coupe le robinet de m… qui s’en écoule, mais formidable quand même quand faCIAbook et Tweeter vont bras-dessus bras-dessous chanter la révolution Islamique.
    EH, OH, ça suffit!
    D’abord, les terroristes n’ont pas attendu Internet pour faire leur « métier » (ben oui, qui les paient donc, hein?).
    Ensuite, il faudrait contrôler un peu mieux le téléphone (on me dit dans l’oreillette que c’est déjà fait, merci Mohammed Merah ah ah ah…) et le courrier. On n’y pense pas au courrier! Achtung! Et les pigeons kamikazes, quel fléau!
    Je ne sais pour vous, mais j’ai la désagréable sensation d’être pris pour un con. Sans doute un abus d’Internet. Je retourne donc m’affaler devant la télé, seul média éternellement innocent et jamais contrôlé. Et pour cause….

  • chb

    Bien sûr, l’internet n’est pas le seul champ pour rogner les libertés. La diffusion d’infos « partiales », objet entre autres de l’attaque sur la Libye de Kadhafi puisqu’il avait pris le satellite africain sous son aile, est aussi un élément de la guerre contre l’Iran et la Syrie. PressTV et les chaînes syriennes ne sont plus relayées.
    http://www.legrandsoir.info/l-arme-du-silence-mediatique-il-manifesto.html
    « Le réseau satellitaire mondiale Intelsat, dont le quartier général est à Washington, vient de bloquer les transmissions iraniennes en Europe, et le réseau satellitaire européen Eutelsat a fait de même. »
    et http://www.planetenonviolence.org/L-UE-Instaure-Sa-Dictature-Mediatique-De-L-Information-Sur-La-Syrie-L-Iran-Le-Liban_a2815.html
    Pour faire bonne mesure, voilà la version d’Eutelsat : Iran et Syrie brouillent leurs émissions, oh les vilains. http://www.satmag.fr/affichage_module.php?no_theme=1&no_news=16815&id_mod=50

  • Doume

    Bonjour aux rédacteurs.

    Je ne sais pas ce que vous avez voulu écrire, mais vous avez écrit ceci dans votre introduction (une fois que j’ai supprimé quelques passages qui ne modifient pas le sens, mais le laissent moins évident :

    Le terrorisme islamique est considéré comme légitime quand il sert les intérêts occidentaux.

    Il faut vraiment que vous corrigiez cette phrase !

    Merci.

  • Doume

    Aux rédacteurs – suite

    …À moins que vous ne pensiez par exemple aux « terroristes islamistes » qui se battent en Syrie, mais alors il faut vous expliquer parce que ce n’est pas évident pour tout le monde, vu qu’aucun pays n’a fait une déclaration laissant supposer qu’un quelconque terrorisme islamiste était légitime, ni rien dans le genre.

  • parousnik

    Curieux cette carte… je suis allé au Viet Nam en 2006 et 2009 et de n’importe quel cyber je me suis connecté à tous les sites que je visite habituellement de France sans aucun problème… sauf peut être un peu de lenteur parfois. Reporters sans frontière est une organisation de propagande qui ne mérite certainement pas, même une étoile de confiance. Et puis étonnant tous ces pays en « révolution » qui retournent vers des régimes religieux… comme l’Afghanistan aprés le départ des soviétiques, mais moins étonnant quand on sait grace à internet que l’OTAN est tapit derrière et tirent les ficelles…en larguant des bombes. Evidemment que la toile fait désordre dans l’ordre occidentale qui n’arrive plus a nous faire avaler les couleuvres mijotées en autres par l’AFP et amenées encore chaudes de la métamorphose des dépéches, en articles de propagande, sur les plateaux des télés autorisées dont les présentarices et autres acteurs sont gracement payés pour tenter de nous les faire avaler dans e dédal absurde des JT.

  • Phrygane

    Doume,

    Bonjour,

    Vos scrupules vous honorent mais cette attitude n’est pas vraiment le souci de la majorité des dirigeants de l’humanité, malheureusement.

    Ci-dessous un lien vers une vidéo qui me semble intéressante et courageuse.

    http://www.dailymotion.com/video/xrdheb_john-pilger-denonce-le-terrorisme-d-etat-et-la-guerre-contre-la-terreur_news

  • Phrygane

    Doume,

    Et peut-être aussi ce livre présenté par France-Culture et recommandé par le Washington Post…

    http://www.franceculture.fr/oeuvre-la-cia-et-la-fabrique-du-terrorisme-islamiste-de-mahmood-mamdani

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