Les secrets d’Obama

L’administration Obama peut-elle encore contrôler le gigantesque appareil de renseignement mis en place aux Etats-Unis, avec ses quatre millions de personnes qui y travaillent ? Et la notion de "secret" a-t-elle encore un sens quand on voit que la Maison Blanche organise elle-même des fuites à des fins politiques ? L’affaire Bradley Manning est-elle symptomatique du cul-de-sac dans lequel se trouve Barack Obama qui tente actuellement d’intimider tous ceux qui pourraient avoir envie de parler ? Voilà quelques unes des questions posées par cet article paru sur le site Megachip.

 

 La Maison Blanche

 


Les secrets d’Obama

paru sur Megachip, le 7 août 2012

Traduit de l’italien par GV pour ReOpenNews

Si l’administration Bush avait développé jusqu’à des niveaux invraisemblables la notion de "secret", celle d’Obama l’interprète de façon tout à fait originale. Avec plus de quatre millions d’Américains en possession d’autorisations variées qui leur donnent accès à tout ou partie des documents diversement classifiés, et avec plus d’un million de personnes directement impliquées dans le secteur du Renseignement, les États-Unis ont mis sur pied un gigantesque appareil qui, en théorie, est subordonné à l’autorité du Président et soumis à l’examen du Congrès, mais dont on ne sait pas bien, dans la pratique, à quoi il passe son temps, si ce n’est en récoltant et en malaxant des quantités effrayantes de données sur les Américains ou les étrangers.

Les modalités avec lesquelles cet appareil accomplit sa tâche sont très variées et l’administration Bush avait en son temps pris bien soin d’abattre toute barrière à l’activité d’espionnage, en particulier sur les citoyens américains. Suite à l’acte qui a permis de lancer la Guerre à la terreur, la présidence américaine s’est ménagé – et le Congrès a confirmé – des pouvoirs encore jamais vus à la Maison Blanche. Les exemples les plus frappants sont l’autorisation de la torture des « ennemis » et surtout l’invention du système des « renditions » (prélèvements, ou enlèvements de citoyens à l’étranger), construit pour opérer dans un flou juridique total, rendu possible du fait que toutes les institutions américaines qui avaient voix au chapitre se sont tues et n’ont pas manifesté la moindre opposition, le moindre recours pour mettre en avant son évident caractère anticonstitutionnel.(*)

Il en est de même pour l’autorisation de l’usage de la torture, dont il a suffi de changer le nom pour satisfaire le Congrès et la Cour suprême, qui n’a d’ailleurs incriminé personne lorsqu’elle a dû se prononcer sur des faits constituant pourtant des crimes au regard de la loi américaine, mais qui relèvent aussi du qualificatif de crimes de guerre, même si les États-Unis estiment que c’est inapplicable puisqu’ils n’ont pas formellement déclaré la guerre à un quelconque pays, se réservant ainsi le droit de redéfinir la guerre comme « opération de police internationale » même lorsqu’il s’agit d’une initiative lancée sans aucun mandat d’une instance internationale.

L’utilisation du secret et la manipulation sémantique ont constitué les principaux instruments avec lesquels les administrations [successives] ont cherché à contourner les limites imposées par les quelques lois américaines que les législations d’urgence n’ont pas abattues. La manipulation du consensus à travers des mensonges pourtant flagrants a souvent été utilisée par l’administration Bush, et celle d’Obama n’y a pas renoncé, ou en tout cas, en a profité pour passer des limites que Bush n’avait pas franchies.

Un bon exemple est celui des « kill-list » d’Obama, qu’il établirait chaque semaine en donnant son autorisation d’abattre des « terroristes », autorisation qui concerne aussi éventuellement des citoyens américains. Il a fallu plus de trois ans et l’approche des élections pour que le Congrès à majorité républicaine demande à Obama de revoir son « droit de tuer » des citoyens américains. Qu’un président ait le pouvoir de faire assassiner ses concitoyens avec juste un coup de crayon est une chose difficilement admissible, surtout pour le Congrès américain si patriote, mais les sénateurs et les députés ont attendu l’arrivée des présidentielles pour soulever la question qui avait depuis le début fait se lever et crier au scandale les défenseurs des droits civils et des droits de l’homme. Il est probable que la solution retenue sera d’enlever les citoyens américains de la liste, car pour les autres la motivation est moins grande, même si ces pratiques vis-à-vis d’étrangers n’en sont pas moins illégales et discutables du point de vue éthique. Cela dit, la raison pour laquelle on en parle aujourd’hui est qu’une « source anonyme » des services secrets s’est vantée du rôle du Président.

Loin de fermer Guantanamo, mais contraint de stopper les « renditions » à cause des nombreuses procédures pénales lancées un peu partout dans le monde contre des membres de gouvernements complices, le président Obama s’est refait une santé en autorisant les homicides ciblés au moyen de drones dans plusieurs pays, de la Somalie au Pakistan. Il a, en outre, autorisé les attaques informatiques visant les infrastructures iraniennes qui ressemblent pourtant à celles que son administration avait cataloguées comme actes de guerres auxquels les USA répondraient par des bombardements. Toutes ces activités se sont déroulées dans le plus grand secret, mais ont ensuite été révélées et confirmées au public par des membres du renseignement, sur une évidente volonté de la Maison Blanche intéressée par la construction d’une image de Commandant en chef résolu et décidé à mener les nombreuses guerres américaines.

Cette affaire a fait grand bruit, car l’administration Obama est la plus impitoyable de l’Histoire américaine pour ceux qui divulguent des secrets, au point d’avoir lancé 6 procédures contre des Américains infidèles qui ont révélé des choses déplaisantes pour l’administration. L’histoire de Bradley Manning et la façon dont il a été traité est un bon exemple, mais il y a d’autres personnes qui ont été accusées [de trahison] seulement du fait de l’élargissement disproportionné de la notion de « secret ».

Les membres du Congrès, et en particulier les républicains, ont déclaré y voir un danger pour les États-Unis, et en effet, il s’agit de véritables autodénonciations qui détériorent l’image des États-Unis et qui, en pratique, les exposent à d’autres ennuis. Des ennuis pour lesquels l’administration Obama a fait porter le chapeau au pays entier, tout en présentant le président d’une façon qui plait au Américains, et tout en gardant les "ennemis" dans le viseur.

Le problème est que la proposition de loi mise au monde par Washington a reçu une salve conséquente de critiques et ne pourra pas passer telle qu’elle, c’est-à-dire en incluant l’obligation pour les membres des services de renseignements de ne pas parler sans autorisation préalable, et l’interdiction des briefings « anonymes » par lesquels les services de renseignements américains informent les principales agences d’information.

Un projet de loi relativement absurde, et pas seulement parce qu’en ne posant aucune limite à l’administration, il augmenterait les chances de voir celle-ci faire ce que bon lui semble, mais aussi parce qu’il diminuerait drastiquement les possibilités de dénonciation des magouilles au sein de ces mêmes services de renseignements de la part de fonctionnaires respectueux de la Loi, et qui pourraient ainsi être accusés d’avoir divulgué des secrets alors qu’ils n’auraient fait que leur devoir en dénonçant un crime.

Et en effet, le projet de loi a échoué de façon assez misérable et devra être réécrit, mais il est significatif de ces discussions à n’en plus finir au Congrès qui, par ailleurs, reste totalement muet sur des documents (qui ne sont plus secrets du tout) apparus au sujet des guerres outre-mer, où les États-Unis sont toujours plus enlisés et à court d’idées sur la façon d’en sortir une fois que se sera évanouie l’illusion [de victoire].

Les services secrets, après que le Congrès en eut discuté pour arriver à la conclusion qu’on ne peut rien faire en Afghanistan à cause de la corruption locale, se sont vus attribuer également le dernier scandale de la mission [dans ce pays], à savoir la découverte du fait que le meilleur hôpital militaire Dawoo de Kaboul, supervisé par les Américains, est depuis longtemps, et sans que personne n’y trouve rien à redire, une sorte d’antichambre de l’enfer, au point que certains parlementaires à la Chambre établissent des parallèles avec le camp d’Auschwitz.

Cela pouvait difficilement se passer autrement étant donné que même la divulgation de la liste complète des tortures pratiquées sur les ennemis avait donné lieu à un débat qui, au temps de Bush, s’était concentré sur la question oiseuse de savoir si le Waterboarding était ou non une torture, et qui en est resté là depuis.

Des documents diffusés par cette même administration établissent clairement l’usage sur les prisonniers de pistolets, perceuses, menaces, fumées, froid extrême, positions « stressantes », secousses électriques, projections au sol, et même de simulacres d’exécution. Le tout dans l’indifférence générale, bien que cela montre l’existence de pratiques systématiques de la torture que le gouvernement Bush ne voulait pas admettre, et qui est pourtant un horrible crime contre l’humanité et qui est prohibée par ces mêmes lois américaines.

Ces derniers jours, l’administration Obama a décidé d’intimider les bavards potentiels, et le FBI s’est lancé dans les interrogatoires d’un grand nombre d’officiels. Une action qui n’a pas beaucoup de signification pratique, mais qui en a au niveau politique et, de fait, les journaux et les agences d’information se plaignent que leurs sources se sont brusquement taries. L’administration a tout intérêt à tenter de maintenir le discutable privilège selon lequel révéler les secrets qui font le jeu d’Obama est tout à fait légal, tandis que révéler ceux qui le critiquent constitue potentiellement un délit susceptible de déclencher les foudres de la Maison Blanche.

La démarche semble malgré tout difficile à mettre en œuvre et source de problèmes, avec en plus la possibilité d’un effet boomerang, car il peut être assez dangereux de se mettre à dos les membres de plusieurs agences à quelques mois des présidentielles.

L’aspect paradoxal de toute cette affaire est que c’est précisément la dilatation exponentielle de ce qui est considéré comme "secret" qui a apporté plus de problèmes que d’avantages, car il semble clair que lorsque ces quatre millions d’Américains qui ont accès à des « secrets », tombent au cours de leurs activités professionnelles sur des données parfaitement inoffensives au milieu de celles qui sont « secrètes » (sans parler des informations issues de sources publiques), et qu’en plus, ils sont des millions à y avoir accès, la notion même de ce qui est secret et de la discrétion qu’il faut lui accorder se dilue totalement, même aux yeux des agents des services secrets.

Par conséquent, les problèmes du Renseignement américain sont de nature systémique, ce sont ceux d’une organisation gigantesque dont la fonction est de servir l’exécutif avant de servir la Loi, et qui, en échange de sa fidélité et de sa complicité, se voit garantie une totale impunité. Ce n’est pas exactement le système prévu par la loi états-unienne avant le 11-Septembre, ni un système répandu dans les autres démocraties, celles qui se basent sur la division des pouvoirs et sur les contrôles croisés de légitimité entre les institutions, lesquelles institutions sont entrées en léthargie depuis plusieurs années maintenant aux États-Unis.

 

Traduit de l’italien par GV pour ReOpenNews


Note ReOpenNews :

(*) Avec la nuance de la décision de justice de la juge Katherine Forrest dont nous avons parlé dans nos pages ici : Obama tient absolument à son pouvoir de détention indéfinie de citoyens américains

 


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