Megachip : Wilikeaks et les tragédies ingérables

Nombreuses ont été les réactions dans le monde suite à la publication par Wikileaks de la terrible vidéo montrant des hélicoptères américains tirant sur des civils irakiens à Bagdad – que nous avons sous-titrée et remise en ligne sur DailyMotion. Pino Cabras, éditorialiste du site italien Megachip, revient sur cette affaire et fait le point sur l’impact journalistique et politique d’un site comme Wikileaks spécialisé dans la divulgation de documents classifiés, et qui visiblement dérange l’"establishement" médiatique occidental.

 

 


 

par Pino Cabras sur Megachip le 7 avril 2010

La tragédie indiscriminée qui s’est produite depuis le ciel de Bagdad ne semble pas devoir se fondre dans l’immense et indistinct bain de sang mésopotamien. Cette fois, on remarque immédiatement que ce que nous voyons est tout à fait insolite. Nous sommes mis devant le point de vue expéditif et cruel des occupants américains, nous entendons leurs paroles moqueuses alors qu’ils détruisent toute l’hypocrisie des “règles d’engagement”. Grâce à Wikileaks, un site qui dévoile des vérités dérangeantes à une fréquence si élevée qu’elle pousse le Pentagone à tenter de le faire taire : le Web est devenu le principal front de la lutte entre guerre et vérité.

Et pendant que le journalisme « à la Washington Post » vit encore de la rente des images du Watergate, un scoop de 30 ans d’âge désormais, Wikileaks en seulement trois ans a permis une quantité impressionnante de révélations. En général il s’agit de dossiers confidentiels bien documentés et soumis à des verifications préliminaires de la part de centaines de collaborateurs. Parmi les scoops : le rolle de la banque suisse Julius Baer dans le recyclage international, le manuel de procédure à Guantanamo, les négociations secrètes sur le traité des droits d’auteur, des détails sur la Scientologie, les dessous du crac financier en Islande, etc. Et maintenant, le « snuff movie » [film avec meurtre en direct (*) – NdT] de l’invasion irakienne.

 


Irak: 2 hélicos US tirent sur des civils et des enfants
Version courte – sous-titrée en français.
envoyé par ReOpen911. – L’actualité du moment en vidéo.

 

L’origine de ces « fuites d’informations » est ceux qu’on appelle les « whistleblowers » [en français « lanceurs d’alertes » - NdT]. Le mot n’a pas vraiment d’équivalent dans notre langue. Littéralement ce sont ceux qui sifflent et lancent une alerte concernant une conduite illégale ou menaçante au sein d’une organisation dont ils font partie. Il s’agit souvent de fonctionnaires, d’avocats, d’employés ou bien de simples citoyens qui prennent connaissance d’informations sensibles et décident de les divulguer. Ce faisant, ils assument à la fois un rôle de « confident », d’objecteur de conscience et d’activiste politique, et Wikileaks leur assure de fait la garantie de l’anonymat à travers un système de cryptage des données. Une communauté de presque 800 journalistes, informaticiens, mathématiciens et de militants recoupe ces informations et finalement les publie sur le site.

Évidemment, nous sommes suffisamment éveillés pour comprendre comment un système [comme Wikileaks] peut servir à certaines luttes entre services secrets pour orienter les mécanismes de l’information à l’aide de révélations stratégiques.

Même le Watergate – qui dans l’interprétation commune représente le triomphe de la liberté de la presse anglo-saxonne vis-à-vis du pouvoir – en réalité fut piloté par des « gorges profondes » qui parlaient et agissaient au nom de la fraction de l’establishement américain désireuse d’en finir avec la présidence de Nixon et sa gestion de la Guerre du Vietnam. Les fonctionnaires qui aujourd’hui se montrent aussi généreux en « dossiers » avec Wikileaks ne sont que l’expression d’une lutte de pouvoir impitoyable, au vu des difficultés actuelles rencontres sur les fronts de guerres. Et il ne faut pas non plus sous-estimer la préoccupation des militaires vis-à-vis de l’ingérable catastrophe éthique des forces d’occupation, avec des soldats qui se croient dans un jeu vidéo, ne se contentent pas d’utiliser la « force minimale nécessaire » et tirent sur qui vient au secours des blessés. Et alors commencent à pleuvoir les dossiers, les dénonciations et les vidéos.

Le site, avec un bilan modeste de 600.000 dollars, ne parvient même pas à digérer toutes les immondices qui lui parviennent sous la forme de milliers de fichiers et d’enregistrements au point de devoir s’en excuser sur sa « home page ». Passer l’information au crible requiert du temps, de l’argent et des moyens humains. Nous sommes exactement aux antipodes de « Libero », le journalisme qui symbolise désormais et dans le monde entier l’information totalement fausse.

Au-delà des possibles instrumentalisations, ce port franc de l’information, par lequel transitent malgré tout de nombreux documents authentiques et vérifiés, préoccupe grandement ceux qui planifient les guerres. Nous pourrions appeler cela une « méta-révélation ». Le 5 avril, Wikileaks a publié un document secret provenant du Département de la Défense qui désignait le site [Wikileaks] comme une « menace pour l’armée des États-Unis ». Dans ses 32 pages, après l’analyse du risque représenté par Wikileaks, le document conseillait d’identifier et de présenter devant la justice ceux qui fournissent des informations au site, de les salir le plus possible, de façon à casser le lien de confiance basé sur le cryptage promis par Wikileaks.[1]

Julian Assange, un des responsables de ce « portail des dénonciations » est cependant assez fier de lui : « il y a tant de gens qui nous veulent du bien » au sein du Renseignement. À tel point qu’à ce jour, « aucune de nos sources n’a été révélée depuis la création du site » en décembre 2006.

Si une main de fer ne s’interpose pas, d’autres révélations et d’autres images cruelles suivront, comme celles filmées lors de l’attaque aérienne américaine en Afghanistan du 7 mai 2009 qui avait fait 97 victimes civiles.

Les frontières du nouveau journaliste passeront aussi par ces vidéos.

 

par Pino Cabras sur Megachip le 7 avril 2010

Traduction GeantVert pour ReOpenNews


 

(Vidéo non encore sous-titrée en français)

 


 

Note :

(*) « snuff movie » : il s’agit de films produits dans un but lucratif et mis en scène, dans lequel une personne est tuée en direct.

 

Références ReOpenNews :

  1. Lire notre article du 4 avril dernier : "Les Echos : l’armée U.S. veut bombarder virtuellement le site Wikileaks pour le faire taire"

 

Lire aussi :

 

 





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