Afghanistan : Les Chinois et les Indiens tirent les marrons du feu

Avec le retrait des troupes de l’OTAN prévu pour 2014, l’Afghanistan revient plus que jamais au coeur du grand jeu eurasiatique, tiraillé entre les trois grandes puissances mondiales que sont les USA, la Chine et la Russie, dont les intérêts économiques et stratégiques sont énormes comme le montre l’histoire millénaire de ce pays. Mais les voisins et les puissances locales comme l’Inde,  le Pakistan, l’Ouzbékistan ne sont pas en reste non plus, et entendent bien tirer eux-aussi les marrons du feu et profiter du chaos généré par 10 ans d’une guerre d’occupation onéreuse, meurtrière et illégale. Cela n’est pas sans rappeler un vieux dicton qui disait "Bien mal acquis ne profite jamais…"

 

 


Une enquête de l’IoS : le butin d’une guerre terrible va finalement aux Chinois et aux Indiens

par David Randall et Jonathan Owen, The Independent, le 18 mars 201

Traduction Guillaume pour ReOpenNews

Les Alliés payent de leur sang pendant que d’autres complotent pour exploiter les riches ressources naturelles d’Afghanistan.

L’Afghanistan, qui engloutit quantité de sang et d’argent – et qui a coûté aux Etats-Unis et à la Grande-Bretagne plus de 2100 vies humaines et 302 milliards de livres sterling – est sur le point de commencer à payer un dividende. Mais celui-ci n’ira pas aux pays qui ont fait ce sacrifice considérable. Les contrats qui vont porter sur les richesses en minerais et en énergies fossiles d’Afghanistan, ainsi que la construction de voies de chemin de fer pour les transporter hors du pays sont remportés par la Chine, l’Inde, l’Iran ou encore la Russie.

L’activité potentiellement lucrative que représente l’exploitation des immenses richesses minérales d’Afghanistan – estimées autour de 2000 milliards de livres sterling d’après le gouvernement de Kaboul – n’en constitue que la première étape. Cependant, la Chine et l’Inde en particulier sont en train de conclure des affaires et de commencer les travaux. Les installations déjà établies sont sous la protection de l’armée locale et de la police dont une partie du financement et l’essentiel de l’entraînement a été du ressort des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne.

L’anomalie des deux Afghanistan – l’un constitué par les massacres, bombardements, combats avec les talibans, et l’autre constitué des opérations commerciales portant sur des centaines de millions – n’échappe pas aux observateurs. Le conservateur Andrew Rosindell, membre du Comité sélectif des Affaires étrangères, a déclaré : « Les Chinois y trouvent leur intérêt. Je ne leur en veux pas. Mais cela se fait sur le dos des sacrifices consentis par les Américains, les Britanniques et d’autres, ces sacrifices que nous avons faits en espérant qu’ils conduiraient à stabiliser et à sécuriser l’Afghanistan après 2014. Le fait que les Chinois arrivent [maintenant] pour en profiter n’est pas bien accueilli. Je ne pense pas que le public britannique voit cela d’un bon œil. La Chine est un pays riche dans le monde d’aujourd’hui, et il est faux de dire qu’ils ne sont pas préparés et qu’ils n’étaient pas préparés dans le passé à contribuer à l’énormité de la tâche que nous avons dû accomplir en nous occupant de l’Afghanistan. »

Le docteur Richard Weitz, Compagnon émérite et Directeur du Centre d’analyses politico-militaires de l’Institut Hudson, commente : « De notre point de vue, la Chine aurait dû faire plus en matière de sécurité. De leur point de vue, ils n’en avaient pas besoin ; ils pouvaient profiter de la situation et étaient sur le point de le faire de toute façon. Ils ne voyaient pas où était le problème puisque tout cela leur aurait attiré beaucoup de sacrifices et les aurait confrontés aux talibans et aux mouvements du terrorisme global, et ils préféraient nous laisser nous engager là-dedans. »

Mais d’autres pensent que toute implication dans le développement de l’Afghanistan, en particulier par les pouvoirs régionaux, est tout à fait profitable. Peter Galbraith, ancien chef adjoint de la mission des Nations unies en Afghanistan, explique que « les compagnies occidentales font preuve d’une exceptionnelle timidité quand il s’agit d’aller exploiter des sites là où il existe ne serait-ce que la plus petite allusion à l’existence d’un éventuel risque. Ce n’est pas le cas des Chinois qui, eux, veulent aller sur ces sites. Il faut dire aussi que les Chinois ont des pratiques commerciales que les pays occidentaux… disons seulement que la générosité chinoise envers les autorités locales dépasse largement ce dont les compagnies occidentales sont capables. »

Les richesses minérales d’Afghanistan couvrent une large gamme de ressources de grande valeur : fer, or, cuivre, niobium (pour durcir l’acier), uranium, marbre, cobalt, mercure, césium, molybdène (métal qui peut résister à de hautes températures, utilisé dans des alliages variés) et d’autres minéraux rares. Le pays dispose de gisements de lithium de grande valeur pour la fabrication mondiale de batteries. Effectivement, sur un enregistrement d’un officiel du Pentagone, celui-ci suggère que l’Afghanistan pourrait être « l’Arabie Saoudite du lithium. »

Afghanistan : Carte géographique des "opportunités"

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Déjà en 2008, la Chine avait conclu un accord pour développer la mine de cuivre d’Aynak, dans la province du Logar. On dit que c’est le deuxième plus gros gisement de cuivre de qualité supérieure au monde. La Police nationale afghane a déployé 1500 hommes pour garder la mine, pendant que 2000 soldats américains se chargeaient de la sécurité de la province.

Un consortium indien a acquis les droits de deux secteurs de l’immense champ de minerai de fer de Hajigak, l’autre secteur allant à une société canadienne. L’Inde va également contribuer à l’établissement d’un Institut des Mines à Kaboul, et en octobre dernier, elle a signé un partenariat stratégique avec l’Afghanistan.

Les accords ne se limitent pas aux minéraux. En décembre dernier, la compagnie publique chinoise National Petroleum Corporation (CNPC) a remporté un contrat pour trois champs pétrolifères à Zamarudsay, Kashkari et Bazarkhami dans les provinces du nord, Sari Pul et Faryab, ce qui fera d’elle la première compagnie étrangère à exploiter les réserves naturelles afghanes de pétrole et de gaz. Le but est de faire construire par CNPC, dans les trois ans qui viennent, une raffinerie qui sera gardée par des unités dédiées au sein de la police et de l’armée afghanes.

Des entreprises publiques chinoises ont été impliquées dans sept autres projets d’infrastructure incluant des routes à Kondoz et Jalalabad. Elles ont aussi remporté des contrats de systèmes de télécommunication à Kandahar et à Kaboul. L’année dernière, la Banque asiatique de développement a annoncé qu’elle avait alloué plus de 200 millions de dollars pour le développement du puits de gaz de Sheberghan et de son pipeline. L’Italie, la Turquie et l’Allemagne cherchent elles aussi activement à signer des contrats.

A présent, l’implication américaine et britannique se fait discrète. Pricewaterhouse Coopers conseille actuellement le ministère des Mines de Kaboul et la banque américaine JP Morgan est assez active, ayant constitué un consortium qui a remporté les droits sur le gisement d’or de Qara Zaghan.

De nombreuses voix font remarquer que la sécurité va devenir un enjeu crucial, surtout après que les forces américaines auront cessé toute activité sur place en 2014, ce qui pourrait impacter les plus grandes exploitations. Mais l’Afghanistan vient tout juste d’ouvrir sa première grande ligne de chemin de fer, et prévoit d’en ouvrir une demi-douzaine d’autres. La Chine, l’Iran, le Pakistan et l’Inde sont tous sur des projets gouvernementaux ou privés pour des lignes de chemin de fer distinctes en Afghanistan. Le Turkménistan est en train de peaufiner ses propres plans pour une autre ligne alors que la première grande voie ferrée en Afghanistan, longue de 47 miles entre la ville frontalière de Hairatan et Mazar-i-Sharif dans le Nord du pays, a été construite par l’Ouzbékistan.

Andrew Grantham, un éditeur pour la Railway Gazette qui anime un site Internet retraçant l’histoire des échecs passés des lignes ferroviaires de l’Afghanistan, déclare : « Il ne s’agit pas seulement de personnes qui tracent des lignes sur des cartes et qui se disent que ce serait une bonne idée. »

Pour le moment, les plans des futures voies ferrées afghanes progressent lentement. En tant que partie prenante de l’accord de développement de l’énorme mine de cuivre d’Aynak, la société chinoise Metallurgical Group Corporation (MCC) est chargée de construire une ligne de chemin de fer de 575 miles partant de la mine, au sud-est de Kaboul. Une branche irait en direction de la frontière pakistanaise et une autre à l’opposé à travers la capitale pour rejoindre la nouvelle ligne de Hairatan, au nord. Le gouvernement afghan est aussi en train de négocier avec le consortium mené par l’Inde qui a remporté le contrat pour les gisements de fer tout aussi énormes de Tajigak, au centre du pays, pour que ces compagnies financent une ligne de 560 miles – vraisemblablement à travers l’Iran – afin d’exporter le minerai lourd.

Le plan consiste à construire une série de lignes courtes à travers les frontières d’Ouzbékistan, du Turkménistan, du Tadjikistan, du Pakistan et de l’Iran. Elles se connecteraient entre elles dans le nord du pays par des lignes de chemin de fer construites par l’Iran à l’ouest et par la Chine à l’est.

« Nous serions alors capables d’exporter vers la Russie, la Turquie et même les pays européens, » explique Noor Gul Mangal, adjoint du ministre des Travaux publics d’Afghanistan. L’ouverture de nouvelles voies d’entrées en Afghanistan réduirait sa dépendance vis-à-vis du Pakistan qui constitue pour l’instant son unique accès à la mer.

Sir William Patey, l’ambassadeur britannique sortant en Afghanistan, a lancé un vibrant appel pour que les pays qui investissent dans l’Afghanistan d’après-guerre « protègent leurs actifs » en octroyant de plus grosses contributions au budget de la sécurité. « Les investissements de ces pays sont les bienvenus pour leur contribution à l’amélioration de l’infrastructure et des perspectives pour les Afghans ordinaires, » dit-il. « Bienvenue aux investissements russes et chinois, nous voulons voir le Pakistan et l’Inde investir dans le cuivre, le pétrole et le gaz. Mais il serait encore plus encourageant que ces pays affectent un budget qui contribue à l’effort de sécurité ; tout particulièrement après le départ des forces de la coalition. »

« On peut dire sans trop s’avancer que l’Afghanistan, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis superviseront la sécurité, mais un effort plus collectif de la communauté internationale est nécessaire, surtout quand la facture de la sécurité dépasse à présent les 4 milliards de livres sterling par an. »

Reportage additionnel : Kunal Dutta et Brian Brady
 

Points de vue d’experts :

Les investisseurs chinois – qui sont capables d’écarter le risque, d’ignorer le fond du problème et de graisser la patte autant que nécessaire – ont capitalisé efficacement sur les sacrifices consentis depuis plus d’une dizaine d’années par les partenaires de l’ISAF [la coalition menée par les Etats-Unis]

Dr Frederick Starr
Président de l’Institut Caucase-Asie Centrale, Université Johns Hopkins, Washington

La Chine a voulu prendre certains risques économiques à ce sujet… L’industrie minière et les autres industries d’extraction ont de bonnes chances d’être profitables en Afghanistan, mais seulement à condition de maintenir une relative sécurité. En conséquence, on pourrait dire que la Chine est en train de parier sur notre succès et que nous devrions inviter d’autres investisseurs à faire de même, y compris chez nous

Ambassadeur James Dobbins
Directeur du Centre RAND de Sécurité internationale et de Politique de défense, ancien Assistant spécial du Président des Etats-Unis

 

La Russie et l’Ouzbékistan ont réalisé des gains en faisant passer leurs marchandises par l’Afghanistan. La Chine en a réalisé d’autres en mettant la main sur des richesses minières inexploitées. Pourtant, à l’exception du Pakistan, ceux-ci et les autres pays limitrophes n’ont pas payé leur tribut aux fardeaux de la guerre

Malou Innocent
Analyste au cercle de réflexion américain Cato Institute

 

A tout prendre, je vois la Chine jouer un rôle positif. Sur le plan de la sécurité, personne ne voulait voir une force militaire de la Chine émergeante intervenir en Afghanistan… Sur le plan économique, la Chine a acheté une très large part de la dette publique des Etats-Unis, ce qui en retour a financé l’intervention militaire en Afghanistan… La Chine nous inspire aussi un modèle de rôle commercial amical pour le développement des pays dans la région

Dr Leif Rosenberger
Conseiller économique, Commandement Central des Etats-Unis

 

La Chine sera nettement le gagnant économique du retrait des Etats-Unis. Et alors ?

Aziz Huq
Professeur de Droit Assistant, Université de Droit de Chicago

 

Traduction Guillaume pour ReOpenNews


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One Response to “Afghanistan : Les Chinois et les Indiens tirent les marrons du feu”

  • C’est assez comique de voir les USA accuser la Chine de corruption. On peut dire que c’est un avis de spécialistes, ou que l’hôpital se fout de la charité..
    Moi, je trouve qu’il y a une morale dans tout ça.
    Les uns bombardent, les autres construisent.
    Devinez qui le peuple afghan préférera? Oui, on l’a un peu oublié: il n’y a pas que les talibans, il n’y a pas que les dirigeants corrompus mis en place par les USA, il n’y a pas que les armées, en Afghanistan. Il y a aussi un peuple qui a assez souffert comme ça.
    Les africains par exemple sont assez contents des façons de faire des chinois, qui ont bien plus d’égards pour eux que les anglo-saxons (ce qui n’est pas une référence), et il semble que les modes de coopération soient plus du style gagnant-gagnant. Il en sera de même en Afghanistan.
    En Afrique, la présence chinoise est importante, et c’est bien sûr la raison principale de l’acharnement US sur ce continent: contrer la Chine.
    http://www.rfi.fr/afrique/20101026-chinois-afrique
    (cliquez sur les icônes à droite pour faire apparaître les lieux d’implantation industrielle).

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