Glenn Greenwald : de sérieux doutes entachent l’enquête du FBI sur l’anthrax

En 2010, le FBI avait refermé sa plus grande enquête de tous les temps, Amerithrax, qui avait nécessité quelques 600 000 heures de travail par ses enquêteurs, et 10 000 auditions de témoins. Les conclusions ne laissaient place à aucun doute : un homme, Bruce Ivins, un microbiologiste travaillant pour l’armée américaine, avait conçu et exécuté les fameuses "attaques à l’anthrax" peu après le 11 septembre 2001 au moyen de lettres empoisonnées au bacille du charbon, faisant 5 morts et 17 personnes infectées. Rappelons que deux des personnes visées par ces envois étaient les sénateurs Daschle et Leahy (*), ardents opposants aux Lois PATRIOT ACT qui devaient être votées par le Sénat US et qu’Obama vient tout juste de reconduire pour 4 ans depuis Deauville où il se trouve pour la réunion du G8.

Un panel de scientifiques américains s’est récemment penché sur les éléments de preuves scientifiques avancés par le FBI pour inculper Bruce Ivins, et a rendu ses conclusions dans lesquelles il apparait que ces preuves sont loin d’être concluantes. Autrement dit, il est désormais établi que la plus grande enquête de tous les temps menée par le FBI se solde par un gigantesque fiasco. Et la concomitance de ces attaques à l’anthrax avec celles du 11-Septembre fait dire à certains que les deux événements sont intimement liés. A quand une nouvelle enquête indépendante sur l’ensemble de ces deux sombres affaires ? N’oublions pas que si les enquêtes ont vraiment été aussi mal faites que le laissent penser tous les éléments disponibles à ce jour, alors dans un cas comme dans l’autre, les vrais coupables courent toujours et pourraient bien recommencer.

 

Le chercheur de Fort Detrick Bruce Ivins, accusé par le FBI des attaques à l’anthrax de 2001

 


De sérieux doutes entachent l’enquête du FBI sur l’Anthrax

par Glenn Greenwald, sur Salon, le 22 mai 2011

Traduction Vincent pour ReOpenNews

Pendant des années, le FBI pensait avoir identifié l’auteur des attaques à l’anthrax de 2001 – l’ancien chercheur de l’armée Steven Hill – mais fut forcé de reconnaître qu’il n’était pas impliqué, et dut lui verser la somme de 5,8 millions de dollars de compensation pour les préjudices subis suite à ces fausses accusations. Fin juillet 2008, le FBI a annoncé que, cette fois, il avait identifié le véritable auteur de ces lettres : le chercheur de l’armée Bruce Ivins, qui venait juste de se suicider parce qu’il était l’objet d’une enquête intensive de la part du FBI. Le décès d’Ivins signifiait que les allégations du FBI ne seraient jamais portées devant un tribunal.

Depuis le début, il était évident que le dossier du FBI contre Ivins était à peine plus convaincant que ne l’avait été celui de Hatfill. Les allégations étaient purement circonstancielles ; il n’existait aucune preuve directe liant Ivins aux envois des lettres ; et il subsistait d’importantes omissions à la fois dans les assertions scientifiques et les preuves apportées par le FBI. Le dossier du FBI était si approximatif que l’establishment des organes de presse nationale, qui d’habitude fait instinctivement confiance aux agences fédérales du maintien de la loi, avait exprimé de sérieux doutes et avait appelé à une enquête indépendante (entre autres, les éditoriaux du Washington Post, du New York Times, et du Wall Street Journal). Les milieux scientifiques restèrent également sceptiques ; le magazine Nature appela à une enquête indépendante et déclara en gros titre : ‘Affaire non classée’, pendant que le Docteur Alan Pearson, directeur du Programme de contrôle sur les armes biologiques et chimiques au Centre de contrôle et de non-prolifération des armes – représentant de nombreux experts dans le domaine – fit part de nombreux doutes scientifiques, et réclama également une enquête indépendante exhaustive.

J’ai consacré beaucoup de temps à documenter quelques-uns des manquements graves dans les allégations du FBI, ainsi que l’utilisation de fuites anonymes du FBI à d’inconditionnels journalistes pour convaincre le public de leur validité. (Voir les articles ici)

Les doutes au sujet du dossier du FBI étaient totalement bipartisans. En août 2008, le New York Times s’est intéressé au ‘scepticisme exprimé verbalement par des membres influents du Congrès’. L’un des deux membres du Sénat récipiendaires des lettres à l’anthrax, le sénateur Patrick Leahy, a déclaré lors d’une audition au Sénat en septembre 2008, qu’il ne croyait pas au dossier du FBI contre Ivins, et ne croit absolument pas qu’Ivins ait agi seul. Au cours de la même audition, le sénateur Arlen Specter a déclaré au FBI qu’il n’aurait jamais pu obtenir une condamnation d’Ivins sur la base de leur seul dossier – entaché comme il était d’autant de doutes – et il a également réclamé une évaluation indépendante des preuves du FBI. Lors d’entrevues privées, le sénateur Charles Grassley et le représentant démocrate Rush Holt (un physicien représentant le district du New Jersey d’où les lettres à l’anthrax ont été envoyées) ont exprimé des doutes importants au sujet du dossier contre Ivins et ont réclamé des enquêtes indépendantes.

Malgré tout cela, le FBI a réussi à esquiver les appels à une enquête indépendante en annonçant qu’il avait demandé à l’Académie nationale des sciences de convoquer un panel de scientifiques afin de réviser les conclusions génétiques et scientifiques (mais pas de réviser son dossier circonstanciel contre Ivins ou d’explorer la possibilité d’autres coupables). Le FBI pensait que son analyse génétique constituait l’aspect essentiel de son dossier contre Ivins – qui reliait définitivement le flacon de recherche d’Ivins aux spores de l’anthrax trouvées dans les lettres – et que dès lors que le panel aurait avalisé publiquement les affirmations scientifiques du FBI, cela justifierait son dossier et mettrait fin aux demandes d’une enquête exhaustive concernant les accusations portées contre Ivins.

Mais hier, le panel de l’Académie nationale a publié ses conclusions, et a provoqué une surprise plutôt déplaisante pour le FBI (mais en rien surprenante pour celles et ceux qui suivent le dossier). Dans un article du New York Times intitulé ‘Le panel d’experts est très critique vis-à-vis du travail effectué par le FBI lors de son enquête sur les lettres à l’anthrax’ : ‘Une révision du travail scientifique du FBI… conclut que le bureau a exagéré la solidité de l’analyse génétique reliant l’anthrax envoyé à un échantillon conservé par Bruce E. Ivins’ ; tandis que le panel faisait remarquer que les découvertes génétiques sont ‘consistantes’ avec l’affirmation qu’Ivins a envoyé les lettres et peuvent ‘soutenir’ l’existence d’un lien, les preuves sont loin d’être ‘concluantes’, comme l’avait longtemps affirmé le FBI. Le rapport, commandé par le FBI, a expressément conclu que ‘le lien scientifique entre le matériau épistolaire et le flacon [d’Ivins] portant le numéro RMR-1029 n’était pas aussi concluant que ne le suggérait le résumé de l’enquête du DOJ.’ L’article du Washington Post de ce matin – avec en titre : ‘Le rapport sur l’anthrax jette le doute sur les preuves scientifiques du FBI dans le dossier contre Bruce Ivins’ – fait remarquer que ‘Le rapport a relancé un débat qui couvait parmi certains scientifiques et autres professionnels qui ont remis en question la solidité des preuves du FBI contre Ivins’.

En plus de raviver les doutes, ce rapport a également relancé les appels à une enquête indépendante concernant tout le dossier du FBI. Hier, le Républicain Holt a réintroduit son projet de loi pour créer une Commission du type 11-Septembre, avec pouvoir d’assignation, et un mandat pour réviser la totalité du dossier. Le sénateur Grassley a déclaré au Washington Post : ‘Il n’y a plus d’excuses pour éviter une révision indépendante.’ L’avocat d’Ivins a ajouté que le rapport confirmait que le dossier à l’encontre de son client n’était ‘fait que de suppositions basées sur des conjectures basées sur des hypothèses, sans aucune preuve.’ Tout cela est établi depuis un certain temps, et le rapport d’hier a seulement souligné la faiblesse du dossier du FBI.

Il est difficile d’exagérer l’importance politique des attaques à l’anthrax. Pour des raisons que j’ai décrites en long et en large, cet événement a joué un rôle aussi prépondérant que les attaques du 11-Septembre dans l’augmentation de la psychose vis-à-vis du terrorisme, qui à ce jour, soutient des guerres sans fin, des budgets énormes pour la Défense et la Sécurité nationale, et l’érosion implacable des libertés citoyennes. Un bon résumé du rôle essentiel joué par l’affaire des attaques à l’anthrax a été fait par Atrios ici et ici ; en substance, c’est cette affaire de l’anthrax qui a convaincu un grand nombre d’Américains que le terrorisme pouvait survenir sur le seuil de leur porte et sans aucun avertissement – aussi inoffensive que soit leur boîte aux lettres – sous la forme d’attaques à la James Bond mettant en scène de la poudre mortelle et invisible. De plus, l’anthrax fut exploité à la suite du 11-Septembre pour accroitre la peur envers Saddam Hussein, tout comme Brian Ross de chez ABC News qui a passé une semaine entière à vociférer à la nation – à tort – que de la bentonite avait été retrouvée dans l’anthrax et que cet agent était le signe qui instiguait le programme d’armes chimiques de l’Irak, pendant que George Bush, tout au long de l’année 2002, présentait régulièrement l’anthrax comme l’une des armes de terreur utilisée par Saddam.

Qu’il subsiste un doute aussi persistant au sujet des responsables de cette attaque aux conséquences indescriptibles est à la fois étonnant et inacceptable. Si ce n’était la volonté d’éviter de découvrir le véritable coupable (et/ou d’éviter la révision du dossier du FBI contre Ivins), il n’existe aucune raison rationnelle pour s’opposer à une enquête indépendante et approfondie dans cette affaire. 

Glenn Greenwald

911TruthNews, le 22 mai 2011

 

(Illustration : L’ex-secrétaire d’Etat américain Colin Powell a exhibé des fioles soi-disant pleines d’anthrax lors de son discours de 2003 à l’ONU au cours duquel il a accusé l’Irak de détenir des Armes de destruction massive.

 

Traduction Vincent pour ReOpenNews


En lien avec cet article :

 

Et aussi notre dossier ReOpen911 :

 

 


Livres en lien avec cet article :

Pour en savoir plus sur l’affaire de l’anthrax, lisez le remarquable ouvrage de Francis Boyle : "Guerre Biologique et Terrorisme", paru aux Éditions Demi-Lune

Ce livre traite d’un sujet trop ignoré bien que d’une importance considérable. Liant le développement des capacités militaires US en matière de guerre biologique aux attaques à l’anthrax sur le Congrès en octobre 2001, BOYLE jette une lumière nouvelle sur les vraies raisons de ces attaques : l’instauration d’un système politique liberticide et le développement phénoménal de la recherche US sur la guerre biologique qui s’accorde avec les projets néo-conservateurs de guerre préventive biochimique.

 


 

 

5 Responses to “Glenn Greenwald : de sérieux doutes entachent l’enquête du FBI sur l’anthrax”

  • Buzz lclair

    Très bon article de Greenwald sur ce véritable fiasco…

    Il y a beaucoup de bonne lecture également en lien dont l’enquête très bien écrite du magazine Wired qui est par ailleurs très abordable et retrace tout le parcours de l’enquête.

    J’aimerais bien entendre Moorea nous donner son avis d’expert avisé en génétique et armes bactériologiques…

  • Seb

    Pour faire un peu de paranoïa, on se prépare à une attaque à l’anthrax http://larep.com/temps_forts-25288.html

  • doctorix

    Les dictatures ont besoin du terrorisme.
    Quand il n’y en a pas, il faut le créer. C’est ce qui se passe depuis 10 ans, et ça continue.
    Le renouvellement du patriot act est une infamie de plus, et Obama une pure déception (ceci en rapport avec le fait que les deux sénateurs visés par les lettres à l’anthrax étaient des opposants au patriot act).
    Je viens de lire qu’Alec Jones s’est encore mis en avant dans son combat héroïque contre la dictature :
    Le parlement du Texas a vote quasiment unanimement une loi qui empêcherait la TSA (les kapos de la sécurité de homeland security qui malmènent et tripotent les gens dans les aéroports yankees..) de sévir au Texas… les sénateurs devaient signer la loi, mais un renégat, ex-CIA-affiliated a forcé les sénateurs texans a ne pas entériner la loi, car le gouvernement fédéral avait dit que si la loi passait au Texas, il établirait une « exclusion aérienne » sur le Texas, ce qui est un acte de guerre, et anti-constitutionnel…
    Malheureusement ce n’est pas traduit:

    http://www.youtube.com/watch?v=IOjFA5-BplM&feature=player_embedded#at=851

    Il nous manque un Alec Jones en France…

  • roblin

    Ce n’est pas lié directement au 11/9 mais il semble que même michael moore, le cinéaste bien connu ai recour au même manipulations médiatiques, aux mêmes mensonges, montages et ommissions que ceux qu’il dit combattre :

    http://www.agoravox.tv/actualites/medias/article/michael-moore-un-imposteur-30396

  • kidkodak

    Ref:doctorix… »les sénateurs devaient signer la loi, mais un renégat, ex-CIA-affiliated a forcé les sénateurs texans a ne pas entériner la loi… »
    Les sénateurs avaient le choix.
    Comme les congressistes avaient préalablement eu le choix de voter unanimement (132 à 0 je crois) malgré les menaces du gouvernement.
    Mais je ne comprend pas leur système.
    Les congressistes élus ont décidé en bloc de ne plus accepter la façon dont se comporte les TSA.
    Normalement ce sont les représentants du peuple?
    Puis cou-cou ce sont les sénateurs(nommés,pas élus)qui renverse la décision des …élus.
    Juste çà,me semble que c’est anti-démocratique?

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