Affaire de l’anthrax : un comité d’experts indépendants remet en cause les conclusions du FBI

L’an dernier le FBI avait refermé sa plus grande enquête de tous les temps, Amerithrax, qui avait nécessité quelque 600 000 heures de travail par ses enquêteurs, et 10 000 auditions de témoins. Les conclusions ne laissaient place à aucun doute : un homme, Bruce Ivins, un microbiologiste travaillant pour l’armée américaine, avait conçu et exécuté les fameuses "attaques à l’anthrax" peu après le 11 septembre 2001 au moyen de lettres empoisonnées au bacille du charbon, faisant 5 morts et 17 personnes infectées. Rappelons que deux des personnes visées par ces envois étaient  les sénateurs Daschle et Leahy(*), ardents opposants aux Lois PATRIOT ACT qui devaient être votées par le Sénat US.

Toujours est-il que selon le FBI, les preuves scientifiques dans cette affaire étaient accablantes pour Bruce Ivins, et se basaient sur des analyses des spores d’anthrax sur lesquelles travaillait le microbiologiste au laboratoire militaire de Fort Detrick. Ce scientifique s’est (soi-disant) suicidé en août 2008, à quelques jours de son inculpation par le FBI pour ces envois de lettres empoisonnées, ce qui avait permis au FBI de clore "honorablement" cette affaire en attribuant toute la faute au seul qui ne pouvait plus se défendre. Oui mais voilà. Une équipe d’experts américains vient de publier cette semaine un rapport de 190 pages dans lequel ils remettent en cause le bien-fondé des preuves scientifiques avancées par le FBI dans cette enquête, et notamment celles grâce auxquelles le Bureau a conclu à la culpabilité de Bruce Ivins. L’histoire fait grand bruit outre-Atlantique depuis que le Washington Post a relayé les principales conclusions de ce rapport.

La plus grande enquête de tous les temps menée par le FBI se solde donc par un gigantesque fiasco. Et la concomitance(**) de ces attaques à l’anthrax avec celles du 11-Septembre fait dire à certains que les deux événements sont intimement liés. A quand une nouvelle enquête indépendante sur l’ensemble de ces deux sombres affaires?

 


 


 

Un important rapport scientifique rappelle les questions toujours sans réponse dans l’affaire de l’Anthrax

Un comité indépendant affirme que les preuves scientifiques liant Bruce Ivins aux spores de l’anthrax ne sont pas suffisantes.

Steve Watson, pour PrisonPlanet, le 16 février 2011

Traduction GV pour ReOpenNews

Un récent rapport rédigé par un comité de scientifiques indépendants  (le Conseil pour la recherche nationale américain, un comité d’experts lié à l’Académie nationale des sciences, ndlt) affirme que les preuves scientifiques avancées par le FBI n’étaient pas suffisantes pour conclure à la culpabilité du son principal suspect dans l’affaire des attaques à l’anthrax en 2001, et donne [donc] raison à ceux qui ont toujours vu derrière cette affaire un complot bien plus vaste.

Le rapport – dont le coût est de 1,1 million de dollars – commandé par le FBI et produit par l’Académie nationale des sciences conclut que le FBI a accordé trop d’importance à la science lors de son enquête sur le microbiologiste Bruce Ivins, qui fut identifié par l’équipe du FBI Amerithrax Task Force(*) comme le seul et unique auteur de ces attaques qui tuèrent 5 personnes et en rendirent malades 17 autres quelques semaines après le 11-Septembre.

Le rapport remet en cause le lien supposé entre la flasque d’anthrax retrouvée dans le bureau d’Ivins et les lettres contenant les spores qui furent expédiées à NBS News, au New York Post et aux bureaux des sénateurs Tom Daschle et Patrick Leahy. (**)

«  Le lien scientifique entre le matériau des lettres et la flasque numéro RMR-1029 n’est pas aussi établi que ce qu’affirme le résumé de l’enquête du Departement of justice (DOJ), » indique le rapport de 190 pages.

« Bien que les indices scientifiques soutiennent l’existence d’un lien entre les lettres à l’anthrax et cette flasque, ils ne prouvent pas de façon définitive cette relation, pour un certain nombre de raisons, » a déclaré le Dr. David Relman, un expert en bioterrorisme de l’université de médecine  de Stanford, qui n’est autre que le vice-président du comité d’expert. « Pour nous, le point déterminant est qu’il n’est pas possible de conclure de manière définitive sur l’origine de l’anthrax B. utilisé dans les envois postaux, sur la seule base des preuves scientifiques disponibles. »

« Cela reflète ce que nous nous évertuons à répéter depuis longtemps : que tout cela n’était que suppositions basées sur des conjectures, elles-mêmes basées sur des devinettes, sans aucune preuve réelle, » a affirmé Paul Kemp, un des avocats d’Ivins, interrogé par le Washington Post.

« Pendant des années, le FBI a mis en avant les éléments scientifiques prouvant que les spores d’anthrax retrouvées dans les lettres étaient liées à la bactérie de l’anthrax retrouvée dans le laboratoire du Dr. Ivins, » a expliqué le sénateur républicain de l’Iowa Charles E. Grassley. Le  rapport « montre que la science n’est pas forcément aussi déterminante. Il n’y a plus aucune excuse valable pour éviter un ré-examen indépendant. »

Ivins a été retrouvé mort en 2008, il se serait apparemment suicidé à peu près au moment où le gouvernement était sur le point de l‘inculper. La mort d’Ivins a "permis" de mettre un terme "propre" à cette affaire qui a été officiellement refermée l’an dernier par le Département de la Justice, sur la conclusion qu’Ivins avait volé les spores transformées en arme dans le laboratoire gouvernemental du U.S. Army Medical Research Institute of Infectious Diseases (USAMRIID) où il travaillait, et cela, sans aucun complice.

Pourtant, aucun motif n’a été trouvé, et personne n’a jamais signalé avoir vu Ivins préparer les spores d’anthrax ou envoyer les soi-disant lettres.

Sur le site Web de l’Académie nationale des sciences, il est indiqué que « le nouveau rapport se limite à une évaluation des preuves scientifiques et n’établit aucun jugement sur la culpabilité ou l’innocence de quiconque dans cette affaire. »

Le Département de la Justice et le FBI ont diffusé une déclaration commune en réponse au rapport de l’équipe scientifique, déclaration dans laquelle on peut lire que «  le FBI a toujours affirmé que, si la science avait joué un rôle important dans l’enquête, c’était la totalité du processus d’investigation qui avait mené aux conclusions de l’affaire [des lettres à] l’anthrax, » et que « même s’il y a eu de grands progrès en science médico-légale au fil des ans, il est rare que la science à elle seule puisse résoudre une enquête, » conclut la déclaration.

Les conclusions du comité d’experts apportent un nouvel éclairage sur les déclarations faites par un ancien collègue et ami de Bruce Ivins, qui fut aussi le premier suspect dans l’enquête du FBI sur ces attaques.

Peu après la mort d’Ivins, le Dr. Ayaad Assaad, un toxicologue d’origine égyptienne travaillant pour l’Agence US de protection de l’environnement, a déclaré qu’Ivins ne s’était pas suicidé et n’avait rien à voir avec les attaques.

Assaad fit plusieurs commentaires lors d’une interview par un journal local de Fort Detrick en septembre 2008, le Frederick News Post, où l’on put lire :

« Assaad, qui a travaillé au laboratoire du U.S. Army Medical Research Institute of Infectious Disease à Fort Detrick entre 1989 et 1997 pour développer un vaccin contre la ricine, a déclaré lors d’un interview samedi qu’il ne croyait pas à la culpabilité d’Ivins. »

« C’est quelqu’un de bien. Il a le sens de l’honneur, il est sincère, honnête et, chose plus importante encore, il n’a pas tué 5 personnes et ne s’est pas suicidé, » a déclaré Assaad au journal. »

Assad connaissait bien Ivins, non seulement en tant que collègue, mais à travers leur quatre enfants qui fréquentaient la même école à Frederick. Assaad a été longuement interrogé par le FBI le 1er octobre 2001, dans la nuit qui a suivi le premier envoi de lettres à l’anthrax. Il est apparu plus tard que la piste du FBI, une lettre anonyme affirmant qu’Assaad planifiait une attaque terroriste biologique, était fausse.

La lettre mystérieuse identifiait Assaad comme un ancien microbiologiste de l’USAMRIID et soulignait aussi qu’il avait travaillé à l’U.S. Army Medical Research Institute of Chemical Defense à Aberdeen Proving Ground dans le comté d’Harford, montrant ainsi que celui qui avait expédié ce courrier avait accès aux détails des archives de l’armée.

La lettre anonyme avait été expédiée juste après le 11-Septembre, mais avant que quiconque ait connaissance des lettres empoisonnées à l’anthrax. Le 5 octobre 2001, environ 10 jours après l’envoi de cette lettre anonyme, Robert Stevens, l’éditeur photo du journal The Sun en Floride, fut la première des cinq victimes d’une infection à l’anthrax, ce qui montre que quelqu’un voulait que ces attaques soient attribuées à Assaad.

« L’affaire de l’anthrax s’inscrit dans un cadre bien plus large, » a aussi commenté Assaad. « L’étendue de la corruption est si vaste – ses racines si profondes – à l’intérieur de l’USAMRIID, et c’est cela que les gens à Frederick ne comprennent pas. »

L’ancien légiste du gouvernement pour les armes biologiques Francis Boyle partage l’opinion d’Assaad, selon laquelle Ivins a été utilisé comme bouc-émissaire dans une vaste opération de dissimulation.

« Ivins est seulement le dernier microbiologiste décédé. » Boyle avait déclaré auparavant que « dans cette affaire il faut aussi prendre en compte le nombre impressionnant de décès parmi les microbiologistes depuis l’été qui a précédé ces événements, quand le New York Times a commencé à révéler l’existence du programme secret de la CIA d’armes basées sur l’anthrax, et tout cela fait partie des données publiques. »

En septembre 2007, Ivins s’est envoyé un email à lui-même, dans lequel il disait qu’il connaissait l’identité du tueur à l’anthrax, mais sans préciser à qui il pensait. On ne sait pas pourquoi il a fait cela. Juste avant sa mort en 2008, il avait déclaré à des amis que des agents du gouvernement le harcelaient, lui et sa famille.

Steve Watson

PrisonPlanet, le 16 février 2011

Traduction GV pour ReOpenNews


 

Note ReOpenNews :

(*) L’enquête du FBI, baptisée "Amerithrax", la plus vaste menée aux Etats-Unis dans une affaire d’attentat bactériologique, a été bouclée début 2010. Quelque 600.000 heures de travail ont été effectuées par les enquêteurs, qui ont mené 10.000 auditions de témoins et examiné 26.000 courriers électroniques. Un résumé de l’enquête est disponible sur internet (http://www.justice.gov/amerithrax/) et le FBI a publié 2.700 pages d’enquête (http://foia.fbi.gov/foiaindex/amerithrax.htm). Source AFP

(**) Les deux sénateurs démocrates Tom Daschle et Patrick Leahy faisaient partie des opposants aux Lois PATRIOT ACT qui devaient être votées par le Sénat US en octobre 2001, en pleine psychose post-attentats du 11-Septembre. Voici un rappel de la chronologie du vote ce ces lois Patriot Act qui viennent tout juste d’être reconduites ce 16 février 2011 par le Sénat amricain.

  • 16 sept. 2001: un projet de loi anti-terroriste est proposé.
  • 18 sept. : les deux premières lettres piégées sont envoyées à des journalistes.
  • 2 oct. : le projet de loi antiterroriste USA Patriot Act est présenté au Congrès américain.
  • 3 oct. : le leader de la majorité démocrate au Sénat, Thomas A. Daschle, annonce qu’il doute que le Sénat puisse voter sur le projet de loi avant la semaine suivante comme le demandait le gouvernement Bush. Le ministre de la Justice, John A. Ashcroft, accuse le Sénat démocrate de traîner les pieds.
  • 4 oct. : le président du comité judiciaire du Sénat, le démocrate Patrick J. Leahy, accuse le gouvernement de revenir sur un accord concernant la loi anti-terroriste. Certains mettent en garde que « les législateurs sont en train de laisser passer des dispositions anticonstitutionnelles dans leur empressement à suivre le calendrier imposé par le gouvernement ».
  • 5 au 9 oct. : la presse fait état de difficultés dans l’examen du Patriot Act. Le 8 octobre, le Washington Post rapporte que le « Congrès a perdu une partie de l’unité induite par le choc des attaques du 11-septembre ».
  • 9 oct. : deux lettres piégées identiques sont postées, visant les sénateurs Daschle et Leahy.
  • 10 et 11 oct. : la souche originale du bacille du charbon des lettres piégées est détruite au laboratoire militaire de Fort Detrick avec l’autorisation du FBI.
  • 11 oct. : l’examen du Patriot Act commence au Sénat et à la Chambre des représentants.
  • 15 oct. : le bureau du sénateur Daschle ouvre la lettre piégée. Celle du Sénateur Leahy est déroutée par erreur vers la Virginie.
  • 16 oct. : le bâtiment hébergeant les bureaux du Sénat est évacué et fermé.
  • 17 oct. : la Chambre des représentants est évacuée et fermée. 28 employés sont testés positivement au bacille du charbon.
  • 24 oct. : la Chambre des Représentants vote la version finale du Patriot Act.
  • 25 oct. : le sénateur Daschle accepte que le Patriot Act ait une durée de vie de quatre ans renouvelables, au lieu des deux ans non renouvelables qu’il défendait précédemment.
  • 26 oct. : le Sénat vote la version finale du Patriot Act.
  • 26 oct. : le président Bush signe l’USA Patriot Act dont la constitutionnalité est douteuse.
  • 27 oct. : la Cour suprême des États-Unis est évacuée et fermée pour cause d’alerte au bacille du charbon.
  • 28 oct. et au-delà : plus aucune attaque au bacille du charbon

 


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Pour en savoir plus sur l’affaire de l’anthrax, lisez le remarquable ouvrage de Francis Boyle : "Guerre Biologique et Terrorisme", paru aux Éditions Demi-Lune

Ce livre traite d’un sujet trop ignoré bien que d’une importance considérable. Liant le développement des capacités militaires US en matière de guerre biologique aux attaques à l’anthrax sur le Congrès en octobre 2001, BOYLE jette une lumière nouvelle sur les vraies raisons de ces attaques : l’instauration d’un système politique liberticide et le développement phénoménal de la recherche US sur la guerre biologique qui s’accorde avec les projets néo-conservateurs de guerre préventive biochimique.

 


 

 





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