Cinq ex-détenus de Guantanamo rejugés à Paris, révélations de WikiLeaks

Des informations de Wikileaks utilisées dans un procès par les avocats de la défense ? C’est arrivé  la semaine dernière à Paris lors du procès en appel des cinq Français emprisonnés et torturés à Guantanamo entre 2002 et 2004, et qui avaient déjà été relaxés par la justice française en 2009. Ce que révèlent ces trois câbles diplomatiques publiés par Wikileaks : que les juges chargés d’instruire cette affaire à l’époque, à savoir Jean-Louis Bruguière et Jean-François Ricard, communiquaient régulièrement leurs informations à l’ambassade américaine, au plus grand mépris du secret de l’instruction. Comme le souligne Me Bourdon, ces câbles dénotent une "coopération secrète hors de tout cadre légal avec les autorités US" alors qu’officiellement le scandaleux système "Guantanamo" fait et faisait déjà à l’époque l’unanimité contre lui dans la classe politique française et dans le monde entier.

Voici en tout cas une première utilisation juridique "positive" de documents issus des "fuites" de Wikileaks.

 

 

Photo-montage de Mourad Benchellali, Nizar Sassi, Brahim Yadel,
Khaled Ben Mustapha, et Redouane Khalid, 5 ex-détenus français de Guantanamo
 

 

Cinq ex-détenus de Guantanamo rejugés à Paris, révélations de WikiLeaks

Dorothée MOISAN© 2011 AFP

Las d’un long périple judiciaire, cinq ex-détenus de Guantanamo étaient absents jeudi pour leur nouveau procès devant la cour d’appel de Paris, une audience pimentée par des révélations du site Wikileaks selon lesquelles les juges d’instruction informaient les Etats-Unis.

Condamnés fin 2007, puis relaxés en 2009, les cinq hommes ont depuis refait leur vie. Mais coup de théâtre en 2010 : la Cour de cassation annule la relaxe, pour vice de forme, et ordonne la tenue d’un troisième procès.

Aujourd’hui âgés de 30 à 44 ans, Brahim Yadel, Mourad Benchellali, Nizar Sassi, Khaled Ben Mustapha et Redouane Khalid n’avaient déjà pas assisté à leur procès en appel en 2009.

Jeudi, seuls leurs avocats faisaient face à la cour dans une salle quasi-déserte. Seul piment de l’audience, le versement aux débats de plusieurs dépêches de l’ambassade des Etats-Unis à Paris, révélées fin 2010 par le site Wikileaks, jusque-là passées inaperçues.

Ces télégrammes diplomatiques révèlent que les juges d’instruction chargé de l’enquête sur les anciens détenus de Guantanamo, Jean-François Ricard et Jean-Louis Bruguière, informaient régulièrement l’ambassade américaine des avancées du dossier.

Pour Me William Bourdon, qui défend deux des prévenus, ces documents  »confirment l’existence d’une coopération étroite et clandestine, hors de tout cadre légal, entre les magistrats instructeurs et les autorités politiques américaines ».

"M. Bruguière avait le droit de déjeuner à l’ambassade américaine mais ce partage en temps réel des informations est contraire à tous les principes de la procédure équitable", s’est indigné l’avocat en marge du procès.
"Qu’il y ait des relations diplomatiques, ce n’est pas choquant", a renchéri son confrère Dominique Many, "mais ce qui me choque, a-t-il poursuivi, c’est que des juges d’instruction prennent ouvertement partie contre les personnes sur lesquelles ils enquêtent et se vantent de faire une instruction uniquement à charge !"

"Effectivement des liens ont été tissés entre les juges d’instruction et les autorités américaines", a reconnu l’avocat général Julien Eyraud dans son réquisitoire, mais a-t-il nuancé, ils n’ont sollicité aucune instruction des Etats-Unis.
Le représentant du ministère public a même suggéré que "cette confiance particulière" entre les juges français et le gouvernement américain ait pu accélérer le retour des cinq Français de Guantanamo.

Pour le reste, l’avocat général a demandé aux magistrats d’appel de confirmer les condamnations prononcées en 2007 contre les cinq hommes, jugés coupables d’avoir rejoint entre 2000 et 2001 l’Afghanistan avec des visées jihadistes. Ils avaient alors écopé d’un an de prison ferme, peine déjà couverte par le temps passé en détention provisoire.

En 2009, la cour d’appel avait relaxé les cinq hommes, parce que les services de renseignement français les avaient interrogés à Guantanamo hors d’un cadre judiciaire.

Jeudi, le représentant du parquet a estimé qu’on ne pouvait ainsi  »jeter le bébé avec l’eau du bain ». En d’autres termes, ce n’est pas parce que les preuves sont déloyales qu’elles ne peuvent contribuer à établir la culpabilité des prévenus.
Une analyse qui indigne Me Bourdon: "Ce qui est en jeu dans cette procédure, c’est le bannissement dans une démocratie de la déloyauté des autorités publiques dans la recherche de la preuve. L’arrêt à venir, augure-t-il, concernera tous les citoyens de notre pays."

Plaidoiries de la défense vendredi.

Dorothée MOISAN

© 2011 AFP

 


Français de Guantanamo: décision le 18 mars

Info AP repris par Challenges.fr le 21 janv. 2011

PARIS (AP) — Les avocats des cinq Français de Guantanamo, rejugés pour la troisième fois pour "association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste", ont plaidé vendredi la relaxe de leurs clients détenus plus de deux ans sur cette base américaine que le président Barack Obama s’est engagé à fermer.

La décision de la cour d’appel de Paris a été mise en délibéré au 18 mars.

En décembre 2007, le tribunal correctionnel de Paris avait condamné Brahim Yadel à cinq ans d’emprisonnement dont quatre avec sursis, Nizar Sassi, Mourad Benchellali, Redouane Khalid et Khaled ben Mustapha à quatre ans dont trois avec sursis. Un sixième, Imad Kanouni avait été relaxé. En appel, ils avaient tous bénéficié d’une relaxe en février 2009.

Cette décision avait été annulée par la Cour de cassation et l’affaire renvoyée devant une autre formation de la cour d’appel de Paris. Le ministère public lui a demandé jeudi de confirmer leur condamnation à un an d’emprisonnement ferme.

"On peut côtoyer le diable sans être l’apprenti du diable. On peut côtoyer un sorcier sans être un apprenti-sorcier", a plaidé vendredi Me William Bourdon, l’avocat de Nizar Sassi et Mourad Benchellali.

La défense a déploré les tortures et humiliations subies par ces hommes lors de leur détention -entre deux et trois ans- à Guantanamo. La France, a fait remarquer l’ancien bâtonnier de l’ordre des avocats de Paris, Paul-Albert Iweins, est le seul pays à ne pas avoir remis immédiatement en liberté ses nationaux renvoyés de Guantanamo.

Les avocats ont insisté sur la déloyauté de cette procédure où leurs clients ont été entendus secrètement sur la base de Guantanamo par des enquêteurs français. Auditions qui ont servi par la suite à nourrir le dossier judiciaire.

L’un des avocats, Me Dominique Many, a évoqué les télégrammes diplomatiques américains révélés par Wikileaks en novembre 2010, s’insurgeant contre le fait que les juges d’instruction "pipaient les dés" en informant l’ambassade américaine à Paris des avancées de leur enquête sur ces Français.

Le bâtonnier Iweins a ironisé sur cette "violation du secret professionnel" par deux magistrats réputés.

Les prévenus ont quitté la France en 2001 pour se rendre en Afghanistan, via le Pakistan, pour y rejoindre les camps d’entraînement militaires d’al-Qaïda.

Arrêtés fin décembre 2001 par les troupes américaines, ils ont été emprisonnés sur la base américaine de Guantanamo à Cuba avant d’être renvoyés en France en 2004 et 2005. Ils ont été mis en examen et placés en détention provisoire de 11 à 17 mois.

Ils ont depuis, selon leurs avocats, refait leur vie.


pas/ir

 


 

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