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Le 11-Septembre dans l'angle mort des révélations sur la NSA

Posté par .Rédaction le 31/05/2014

 
A une époque où la majorité des français n'avait jamais entendu parler du journaliste Glenn Greenwald, notre équipe de rédaction a été, avec Le Grand Soir, parmi les rares à traduire et relayer les articles de celui dont la renommée deviendra planétaire en se faisant plus tard l'intermédiaire des révélations d'Edward Snowden sur la NSA. De l'affaire de l'anthrax à la guerre contre le terrorisme, en passant par la destruction des preuves de torture de la CIA ou l'assassinat de Ben Laden, Greenwald avait certes de quoi susciter notre intérêt. Mais si nous apprécions depuis longtemps son travail critique sur de nombreux sujets, le 11-Septembre semble malheureusement rester dans un angle mort de son champ d'analyse. Greenwald, qui était à Paris dans la semaine pour faire la promotion de son nouveau livre (Nulle Part où se Cacher aux éditions Lattès), en a fait la navrante démonstration lors d'un débat organisé par le journal Le Monde en présence de Marc Trévidic, Hubert Védrine et Alain Chouet :

 

 
 
Si une partie des remarques exprimées durant ce débat valide ce que nous disons depuis des années sur le terrorisme et les libertés civiles, le 11-Septembre continue d'être utilisé comme un simple repère historique sans faire lui-même l'objet d'une véritable analyse. Greenwald déclare ainsi que "le 11 septembre nous a appris que le problème n'était pas que les États-Unis n'ont pas collecté assez d'informations, mais l'inverse ! Ils avaient tellement de données qu'ils ne pouvaient pas comprendre la signification de ce qu'ils avaient collecté." Cette affirmation est d'autant plus dérangeante qu'elle dispense d'établir les responsabilités de ceux qui n'ont rien fait pour empêcher ces attentats. Certes, le 11-Septembre a servi de prétexte au gouvernement et aux renseignements américains pour justifier leurs actions et élargir le champ de leurs interceptions, mais il est caricatural de lier la quantité d'informations à l'incapacité de déjouer les attentats de 2001.
 
Tout d'abord, notons que les renseignements américains n'hésitent pas à noyer délibérément ceux qui s'intéressent à leurs affaires sous des tonnes d'informations dans le but de rendre leur tâche plus difficile. C'est par exemple ce qu'il s'est passé lorsqu'une commission du Sénat américain s'est penchée sur les pratiques d'interrogation de la CIA :
 
"Pour leur investigation, les chercheurs de la commission sénatoriale ont dû se déplacer jusqu'à un bâtiment spécial loué par la CIA non loin de son siège, en Virginie. L'agence leur a fourni des ordinateurs en circuit fermé, sans possibilité d'accès au réseau de la CIA. Selon Mme Feinstein, elle les a ainsi « noyés » sous un déluge de 6,2 millions de documents." (Le Monde).
 
Dans le cas du 11-Septembre, ce type de manœuvre a été rendu d'autant plus efficace que la Commission d'enquête a souffert d'un cruel manque de temps et de moyen, mais également d'une flagrante absence de curiosité, concernant entre autres le rôle de la NSA :
 
"Après avoir découvert que personne d'autre à la Commission du 11-Septembre n'est intéressé par ce que savait la NSA à propos d'Al-Qaïda en général ou du complot du 11-Septembre en particulier, Lorry Fenner, membre du staff de la commission, décide de se lancer elle-même dans la lecture d'une partie des documents. Fenner est "abasourdie" que personne ne lise ces documents dans l'équipe de la commission chargée d'enquêter sur le complot du 11-Septembre, et demande à son responsable, Kevin Sheid, de dire à Philip Zelikow, le directeur exécutif de la commission, que quelqu'un devrait lire ces documents. Cependant, Scheid rechigne à une confrontation avec Zelikow, et Fenner ne veut pas passer outre son responsable en allant parler directement à Zelikow. Dès lors, bien qu'elle ait d'autres obligations à la commission, elle commence à lire elle-même les documents. Il y a des dizaines de milliers de pages de documents de la NSA sur Oussama ben Laden et Al-Qaïda, et selon l'auteur Philip Shenon, "cela prendrait plusieurs jours de lecture pour en survoler ne serait-ce qu'une infime portion." Fenner passe "deux ou trois heures" pendant "plusieurs jours" entre janvier et juin dans la salle de lecture, et quelques collègues l'aideront sur la fin, mais la plupart des informations ne sera jamais lu par la Commission du 11-Septembre." (History Commons).
 
Glenn Greenwald ne peut pas non plus ignorer les propos de Thomas Drake sur le 11-Septembre. Ce lanceur d'alerte de la NSA a déclaré dans une interview à Barbara Koeppel du Washington Spectator :
 
"Je ne peux pas tout vous dire, car c’est classifié. Mais j’ai montré que la NSA en savait beaucoup sur les menaces du 11-Septembre et sur Al-Qaïda, ils surveillaient électroniquement différentes personnes et organisations depuis plusieurs années – vu que leur rôle est la collecte de renseignements. Le problème est qu’ils n’ont pas partagé toutes ces informations. S’ils l’avaient fait, d’autres services gouvernementaux les auraient exploitées, et il est plus que probable que la NSA aurait stoppé, je dis bien stoppé, les attentats du 11-Septembre. Et ils auraient pu localiser Al-Qaïda par la suite – lorsque les USA ont envahi l’Afghanistan.
 
Il est vrai qu’il y a eu des dysfonctionnements dans le système de renseignement, mais la NSA était une des pièces maîtresses. J’ai donné aux deux comités des preuves « prima facie » avec des documents. L’une d’elles était une étude interne détaillée de la NSA datant du début 2001 et conduite sur plusieurs années sur Al-Qaïda et des mouvements sympathisants, qui révélait ce que la NSA savait, ce qu’elle aurait pu faire, et ce qu’elle aurait dû faire. C’était une analyse extrêmement pertinente des renseignements de l'époque. Peu après le 11-Septembre, certains analystes de la NSA m’ont appelé à ce sujet. Pourquoi ? Parce qu’ils s’arrachaient, les cheveux en voyant qu’ils avaient eu ces informations à disposition, et qu’ils n’avaient pas réussi à faire en sorte que la direction de la NSA les partage avec le reste de la communauté du renseignement – même si cela était obligatoire ! Il s'agissait d'informations utilisables. Rappelez-vous à l’époque, nous étions aux premières heures de la guerre en Afghanistan. Les gens devaient exploiter ces informations, et remonter les réseaux d’Al-Qaïda.
 
Mais les responsables de la NSA ont délibérément choisi de ne pas les diffuser. Donc l’analyse de ce qu’ils savaient avant et après le 11-Septembre, a été enterrée très profondément, car cela les aurait montré sous un jour très défavorable." (Huffington Post ou en français sur ReOpen911)

 

De gauche à droite : Coleen Rowley, Thomas Drake, Jesselyn RadackEdward Snowden,
Sarah Harrison et Ray McGovern (photo Sunshine Press / Getty Images) 

 
 
Thomas Drake a aussi participé, aux côtés de William Binney, Edward Loomis et Kirk Wiebe  trois autres lanceurs d'alerte de la NSA, à la rédaction d'un mémorandum adressé au président Obama en début d'année, afin de dénoncer entre autres les dissimulations de la NSA sur ce qu'elle savait en amont du 11-Septembre :
 
"[...] La NSA avait à elle seule suffisamment d'informations pour empêcher le 11-Septembre, mais elle a choisi de s'asseoir dessus plutôt que de les partager avec le FBI et la CIA. Nous savons, nous y étions. Nous avons été témoins des nombreuses infamies bureaucratiques qui rendent la NSA aussi coupable des défaillances précédant le 11-Septembre que les autres agences de renseignements américaines."

"[...] Il doit être clair maintenant, pour ceux qui peuvent supporter la vérité, que les problèmes à la NSA sont profonds  en terme d'efficacité, d'intégrité et de respect de la Constitution. En bloquant des informations et en exploitant le secret, les anciens et actuels dirigeants de la NSA ont réussi un coup sans précédent, en dissimulant la triste réalité que la NSA aurait pu empêcher le 11-Septembre mais ne l'a pas fait." (Consortium News)
 
Cette semaine, Edward Snowden a accordé une interview exclusive à Brian Williams pour la chaîne américaine NBC, dont un passage non diffusé lors de l'émission parlait des renseignements préliminaires au 11-Septembre. Et s'il dénonce à juste titre l'utilisation politicienne du terrorisme au détriment des libertés civiles et pointe le fait que "nous avions toutes les informations nécessaire, dans la communauté du renseignement [...] pour détecter ce complot," Snowden use du même argument que Greenwald en disant que "le problème n'était pas que nous ne collections pas d'informations, ce n'était pas que nous n'avions pas assez d'indices, ce n'était pas que nous n'avions pas cette meule de foin, c'était que nous ne comprenions pas ce qu'il y avait dans cette meule de foin."

 
 

Ce genre de propos contribue à faire croire que les informations susceptibles d'empêcher le 11-Septembre étaient comparables à une aiguille dans une meule de foin et dispense à nouveau d'établir toute responsabilité dans l'échec des renseignements. 
Le raisonnement est en fait assez simpliste : la NSA s'est mise à espionner tout le monde sous prétexte qu'elle n'avait pas suffisamment d'informations pour comprendre ce qui se tramait contre la sécurité des États-Unis, pendant que Greenwald et Snowden rétorquent que les renseignements américains avaient au contraire trop d'informations pour y voir clair, ce qui ne s'est pas arrangé avec les programmes de surveillance généralisée mis en place après le 11-Septembre. Pendant ce temps, personne  pas même la Commission d'enquête  n'a cherché à savoir ce que la NSA avait concrètement entre les mains avant le 11-Septembre et pourquoi elle n'en a rien fait. Ce débat s'est largement appuyé sur le cas des communications des pirates de San Diego avec le centre de communication d'Al-Qaïda au Yémen, que le site History Commons résume ainsi :
 

"Il fut dévoilé en 2003 que la NSA avait intercepté plusieurs appels entre les pirates Khalid Al-Mihdhar, Nawaf Al-Hazmi et Salem Al-Hazmi, et un centre de communication d'Al-Qaïda dans la ville de Sanaa au Yémen. Mais en 2004, suite aux révélations des écoutes que la NSA avait mises en place à l'intérieur des USA, certains médias ont commencé à réexaminer les circonstances des appels des pirates depuis les États-Unis, vu que l'administration Bush utilisait l'exemple de ces appels comme justification du programme d'écoutes intérieures de la NSA. Les appels sont considérées comme un aspect central des prétendus échecs des renseignements avant le 11-Septembre. Fin 1998, le FBI avait commencé à tracer sur une carte les interceptions des appels entrants et sortants du centre de communication d'Al-Qaïda. Selon l'auteur Lawrence Wright, "si une ligne avait été tracée depuis le centre de communication au Yémen vers l'appartement d'Al-Hazmi et Al-Mihdhar à San Diego, la présence d'Al-Qaïda au États-Unis aurait sauté aux yeux de tous." En 2006, Michael Hayden, l'ancien directeur de la NSA, dira au Sénat que si le programme d'écoutes intérieures de la NSA avait été en place avant le 11-Septembre, la NSA aurait tiré la sonnette d'alarme sur la présence à San Diego des pirates Khalid Al-Mihdhar et Nawaf Al-Hazmi. Cependant, des rapports de presse suggèrent tout autre chose. Par exemple, un haut responsable des renseignements dira dans un journal qu'il n'était pas possible techniquement pour la NSA, qui disposait d'un budget avoisinant les 3,6 milliards de dollars en 2000, de tracer les appels. "Ni le contenu des appels, ni la nature des interceptions ne nous permettaient de déterminer qu'un bout de l'appel se trouvait aux États-Unis," affirme cet officiel. Mais un autre rapport contredit catégoriquement cela. "La NSA avait la capacité technique de recueillir précisément le numéro de téléphone que le standard était en train de joindre aux Etats-Unis, mais n'a pas déployé cet équipement, de peur qu'ils soient accusés d'espionnage domestique." Les préoccupations concernant les allégations d'espionnage internes n'expliquent pas pourquoi cela aurait empêché la NSA de faire suivre l'information au FBI. Al-Mihdhar et Al-Hazmi n'étaient pas des citoyens américains mais des étrangers entrés illégalement aux USA en se faisant passer pour des touristes. De plus, un grand nombre d'éléments les reliait à Al-Qaïda. En tout état de cause, la NSA aurait bien diffusé des dépêches au sujet de certains de ces appels aux États-Unis. Certains officiels du FBI prétendront plus tard ne pas savoir ce qui s'est mal passé et pourquoi ils n'ont pas été avertis par d'autres agences de la présence des pirates aux États-Unis. Un haut responsable du contre-terrorisme affirmera : "Je ne sais pas s'ils ont eu la moitié de la conversation ou s'ils n'ont rien obtenu, ou s'ils ont raccroché ou qu'importe. Tout ce que je peux vous dire, c'est que nous n'en avons rien reçu  nous étant les personnes au FBI qui aurions pu nous en occuper. Alors ont-ils gardé cela secret ? Je ne sais pas." La communauté des renseignements américains, par l'intermédiaire de la CIA, avait également accès aux relevés des compagnies téléphoniques pour le centre de communication au Yémen qui auraient pu montrer les numéros appelés aux Etats-Unis." (History Commons)

 

C'est d'autant plus dérangeant que le FBI avait spécifiquement demandé à la NSA de lui transmettre toutes les communications entre les États-Unis et le centre de communication du Yémen, et ce dès 1998. En réaction au propos de Snowden sur le 11-Septembre, Kirk Wiebe a justement précisé dans une interview à The Real News Network que :

 
"[...] Brian Williams a manqué l'opportunité d'évoquer un problème qui n'a pas été amplement et largement discuté, et il s'agit du fait que la NSA avait des informations qui auraient pu empêcher le 11-Septembre. C'est avant n'importe quel Patriot Act, avant n'importe quel programme de surveillance du terrorisme au nom du président et de Cheney et de tous ces trucs-là. Si vous revenez en arrière, en remettant l'horloge avant le 11-Septembre, nous avions en fait les informations. Mais nous ne le savions pas dans un certain cas. Et dans un autre cas, nous savions que nous les avions, mais ne l'avons signalé à personne, et n'avons rien dit à personne. Drake a été très clair là-dessus. Et ils en ont parlé publiquement. Il était présent à la NSA juste après le 11-Septembre. Il y était. Et Binney, moi-même et Loomis nous sommes retirés, mais Drake y était toujours. Et il a participé à un moment à la Commission Saxby Chambliss sur le 11-Septembre, qui examinait ce qui était allé de travers et il a dit à cette commission que la NSA avait les données pour empêcher le 11-Septembre et ne les a pas partagées. Je ne sais pas pourquoi ces informations n'ont pas été partagées, mais je pense qu'il aurait dû soulever cette question." (The Real New Network)
 
Étonnamment, Snowden et Greenwald appuient ouvertement leurs assertions sur les rapports d'enquêtes officiels du 11-Septembre, alors que d'autres lanceurs d'alerte  sans parler des familles de victimes, experts et autres observateurs à leurs côtés  ont largement critiqué ces travaux. Drake, qui a témoigné et fourni des documents dans l'enquête conjointe des comités du renseignement du Congrès, a déclaré dans une interview avec Peter B. Collins, que "toutes ces informations ont été censurées, elles furent cachées derrière le secret d’État, elles ne furent jamais prises en compte dans le rapport final." Il n'est d'ailleurs pas plus tendre avec la Commission d'enquête du 11-Septembre qui était selon lui "une dissimulation très élaborée" qui "n'a pas cherché là où c'était nécessaire." Il ajouta également que la NSA avait joué un rôle "central" dans l’avènement du 11-Septembre (Peter B. Collins).
 
L'exemple significatif de la NSA montre que la quantité d'information n'était pas une cause déterminante dans le 11-Septembre. Cet argument est encore plus faux concernant les autres agences de renseignements qui ne font pas dans la collecte de masse. En revanche, toutes ces agences possédaient un nombre considérable d'informations qui ne furent pas partagées ou exploitées. Les cas de l'opération Able Danger (DIA) ou de l'unité Alec Station (CIA) en sont des exemples particulièrement frappants. Bon nombre de lanceurs d'alerte ont d'ailleurs dénoncé les obstructions et les dissimulations au sein des agences de renseignements. La Commission d'enquête du 11-Septembre s'est contentée de son côté d'établir un rapport politiquement correct qui évita soigneusement de pointer les responsabilités individuelles dans l'échec des renseignements. Bientôt 13 ans après ces événements, il serait temps que Glenn Greenwald approfondisse le sujet ou qu'il se positionne clairement en faveur d'une nouvelle enquête sur les attentats du 11-Septembre.

 
-- La Rédaction de ReOpen911 --
 


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Publié dans Revue médiatique | 2 Commentaires »

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Commentaires (2)

  1. Kikujitoh,

    Merci à l'équipe de rédaction pour cet intéressant article et la mise en perspective du problème.

  2. Phiphi,

    Pour ma part, j'ai toujours eu le sentiment que Snowden a subi des pressions de la part de la Russie pour ne pas divulguer certaines informations, notamment au sujet du 11 septembre, en échange de sa protection sur le sol russe.

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