New York Times : Affamer l’Iran ne le rendra pas libre

Depuis le 11-Septembre, l’Iran est dans le collimateur des néo-conservateurs américains et israéliens avec des fortunes diverses, dont le pic fut atteint fin 2007 (déclarations de B. Kouchner, affaire du B52 nucléarisé, et révélations de Seymour Hersh en 2008), puis lors de la tentative de déstabilisation intérieure à l’occasion des élections de 2009, dont l’opposition fut "stimulée" par l’administration US.

Pourtant, nos médias préfèrent distiller des informations douteuses sur les futures ADM du nucléaire iranien, et s’abstiennent de commenter des sanctions toujours plus féroces, même lorsqu’elles touchent nos intérêts économiques. Peugeot Aulnay produisait 200 000 véhicules par an. Les sanctions empêchent désormais le constructeur d’en vendre 450 000 à l’Iran. M. Hollande veut-il donc semer la désolation entre 2 peuples qui s’apprécient ? Il est vrai que d’autres sanctions ont bien causé la famine et la mort de 500 000 enfants entre les 2 guerres du Golfe en Irak, et Madeleine Albright , ancienne secrétaire d’Etat de Bill Clinton, a toujours trouvé ce génocide supportable, mais pas les ADM irakiennes.

Cet article vient contredire l’antépénultième train de sanctions financières par son appel au réalisme. Le blocus contre l’Iran génère une tension destructrice que la planète économiquement exsangue devra absolument dépasser sous peine de sombrer avec.

Manifestation à Téhéran en Février 2011


Affamer l’Iran ne le rendra pas libre

Par Hooman Majd, le 2 mars 2012 dans le New York Times.

Traduction Buzzleclair pour ReOpenNews

Il y a un vieux proverbe attribué au Bureau des Affaires étrangères britannique qui dit : « Gardez les Perses affamés, et les Arabes bien gras. » Pour les Britanniques – les régisseurs du destin des Perses à l’époque – c’était la formule pour maintenir le calme ; c’est toujours le cas pour les leaders saoudiens, qui distribuent simplement de larges quantités d’argent à leurs citoyens au premier signe d’agitation à leur porte.

Mais dans le cas de l’Iran, ni l’Amérique ni l’Angleterre ne semblent respecter le vieux dicton. Maintenir les Perses affamés était la garantie qu’ils ne se révolteraient pas contre leurs maîtres. Aujourd’hui, le désir ardent de l’Occident semble être qu’ils fassent exactement cela. Sauf que l’Occident fait tout en son pouvoir pour affamer les Iraniens – plus encore qu’ils ne le sont d’ordinaire sous l’administration corrompue et incompétente de Mahmoud Ahmadinejad.

Ce n’est pas étonnant que l’élection du 2 mars – le premier scrutin national en Iran depuis celui disputé de 2009 – se soit déroulée sans grande excitation de la part des électeurs des classes moyennes ou la participation des libéraux opposés au régime. De tels candidats ont été systématiquement éliminés de la scène politique, accusés d’être des laquais de l’Occident ou des traîtres.

Les sanctions occidentales, autrefois « ciblées » et désormais généralisées, se transforment en une sorte de punition collective. Elles sont conçues, nous dit-on, pour forcer le gouvernement islamique à retourner à la table des négociations nucléaires. Les politiciens occidentaux semblent aussi penser que punir les iraniens les mènera peut-être à blâmer leur propre gouvernement pour leurs misères et prendront sur eux pour imposer un changement d’attitude du régime, voire même un changement de régime tout court. Mais comme en convient la vieille maxime britannique, la privation en Iran est une recette pour le statu quo.

Le gouvernement d’Iran et son peuple n’ont jamais été isolationnistes. Mais comme les sanctions prélèvent leur tribut sur les moyens d’existence des Iraniens qui veulent continuer de commercer et de communiquer avec le monde extérieur, leur volonté de questionner les politiques de leur gouvernement et pour inciter au changement s’affaiblit. Cela signifie bien moins d’opportunités pour promouvoir les valeurs américaines et gagner les esprits, sinon les cœurs (que nous avons eues mais que nous risquons à présent de perdre).

L’année dernière, alors que j’habitais à Téhéran, je fus le témoin d’une économie vacillante et d’une population avide non pas seulement de protéines, mais aussi de changement. Les affaires qui ferment ou qui se séparent de leurs employés par manque de ventes ou d’opportunités affectent tout le monde, du garçon de thé jusqu’au cadre intermédiaire dont le salaire, si il ou elle en a encore un, n’est peut-être plus suffisant pour nourrir une famille. Le changement dont la plupart des Iraniens sont avides est économique, et pendant qu’ils sont minés par la lutte pour joindre les deux bouts, avec un deuxième et un troisième boulot, et dans certains cas envoyant leurs enfants dans les rues pour mendier ou vendre des bricoles, ils sont moins concernés par un appétit de second ordre : leur faim de changement politique.

En Iran, le changement politique ne peut pas être amené par la contrainte, les sanctions ou les exils et ce qui les rend possible, malgré ce que peuvent en penser les politiciens américains. Au lieu de cela, Il arrivera lentement – trop lentement pour un cycle électoral américain, c’est certain. Et il n’arrivera qu’après seulement que les Iraniens n’auront plus faim et que le gouvernement n’aura plus d’excuses, y compris celle de la sécurité nationale pour refuser les droits civiques du peuple.

Une fois que les Iraniens éduqués, sophistiqués et talentueux « deviendront gras », alors seulement ils se confronteront à leurs dirigeants et ils feront valoir leur droit à la poursuite du bonheur au-delà de la simple existence et d’un estomac rassasié. Permettre à l’Iran de fonctionner normalement dans la sphère économique affermirait plus l’Iranien moyen que le gouvernement, et évincerait du discours du gouvernement ce mantra dont il sait qu’il résonne pour tous les Iraniens : que l’Occident veut dicter [ses choix] à l’Iran.

Les Iraniens n’apprécient pas de se faire dicter [leurs choix]. Cela rappelle à ce peuple fier la faiblesse de leur nation face aux grandes puissances. Les Iraniens ne tiendront jamais rigueur à leur propre gouvernement pour les effets des sanctions simplement parce qu’on leur demande de le faire, pas plus qu’ils ne renverseront les Ayatollahs, qu’importe la force avec laquelle on les y incite.

Mais avec une économie forte, la classe moyenne reviendra à un rôle politique plus influent dans la société. Après tout, c’était particulièrement perceptible durant les années réformistes lorsque les relations avec l’Occident, politiques et économiques, étaient à leur apogée et que le gouvernement, sans pratiquement aucune menace étrangère, trouvait difficile d’ignorer complètement leurs revendications.

En effet, c’est cette même classe moyenne, toujours bien nourrie après quatre années de pouvoir de M. Ahmadinejad, qui se souleva en 2009 pour réclamer ses droits civiques. Et c’est ce qu’il reste de cette classe moyenne qui continue de protester contre les abus faits aux droits de l’homme et aux droits civiques aujourd’hui.

Les sanctions toujours plus draconiennes imposées à l’Iran sont peut-être « mordantes », mais elles étouffent aussi les voix du changement – des voix qui ne peuvent tout simplement pas être entendues au moment où la population est menacée par un étranglement économique, ou pire, d’être bombardée.

Les sanctions ne changeront ni l’attitude du régime, ni n’allumeront un Printemps Perse – pas tant que les Perses seront affamés, et effrayés.

Hooman Majd, journaliste irano-américain, est l’auteur de « The Ayatollah Begs to Differ » et de « The Ayatollahs’ Democracy .»


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