USA : Vers une loi autorisant la détention illimitée et sans procès ?

Où s’arrêtera le Prix Nobel de la Paix Barack Obama ? Après les annonces successives de la poursuite de la guerre en Afghanistan et l’envoi de 30.000 hommes supplémentaires cette année. Après l’annonce du maintien de 50.000 hommes en Irak dans ce qui est clairement une guerre totalement illégale au regard du droit international. Après la reconduction des principales dispositions des lois liberticides Patriot Act, adoptées au lendemain du 11-Septembre. Après le refus par la justice américaine de considérer les droits des victimes des "vols secrets" de la CIA, qui ont posé un recours devant la Cour supreme des USA. Après l’échec à fermer Guantanamo contrairement à ce qu’il avait promis lors de son investiture début 2009, voilà que Barack Obama s’apprête à voter une loi autorisant la détention sans procès et pour une durée illimitée. Sommes-nous de retour au Moyen-âge, où cela s’appelait les "oubliettes", du nom de ces cachots où l’on jetait des gens pour les y oublier ? Qu’attendent nos gouvernements pour dénoncer cette abomination ?

Nous relayons ici l’article de John Burton publié sur le site World Socialist Web Site qui nous détaille ce projet de décret, ainsi que la réaction de l’organisation de défense des droits humains Human Rights Watch.

 

Images horriblement familières désormais de détenus à Guantanamo

 

 


 

L’administration Obama se prépare à publier un décret autorisant les détentions pour une durée illimitée

par John Burton sur World Socialiste Web Site, traduction emcee, le 26 déc. 2010

L’administration Obama rédige actuellement un décret, prévu pour début 2011, qui autorisera la détention sans chef d’inculpation pour une durée illimitée des prisonniers actuellement détenus à Guantánamo Bay, Cuba (cette dernière précision s’adresse aux US américains, évidemment … NDT).

Ce nouveau décret implique donc que la prison ne sera pas fermée définitivement, ou que les détenus seront transférés dans des centres de détention fixes aux Etats-Unis.

Les prisonniers bénéficieraient d’un "réexamen périodique" de leur détention lors d’une procédure qui bafoue les jugements en bonne et due forme et les droits démocratiques fondamentaux.

Selon les premiers renseignements publiés mardi soir par le Washington Post et la ProPublica, de hauts responsables US, dont le nom n’a pas été divulgué, ont révélé que ce décret, qui établira pour la première fois que la détention pour une durée illimitée est une mesure prise par l’administration Obama, est en cours d’élaboration depuis plus d’un an.

Affichant un mépris caractéristique pour les droits démocratiques de la population, ce message a été transmis la veille des congés de Noël par des voies officieuses inconnues. Il est destiné à préparer l’opinion publique à une nouvelle aggravation des politiques antidémocratiques de l’administration Bush.

Guantánamo Bay est devenu un goulag haï au niveau international depuis que la première prison, Camp Delta, a été ouverte par l’administration Bush début 2002 sous prétexte d’enfermer les "combattants ennemis", catégorie inconnue jusqu’alors, que ce soit en droit américain ou en droit international, et qui avait été créée dans l’unique but de placer les gens dans un vide juridique – ce qui leur déniait le droit d’être placés sous la protection de la Constitution américaine et des Conventions de Genève.

Guantánamo Bay est devenu synonyme des attaques les plus flagrantes contre les lois démocratiques fondamentales, comme, par exemple: le refus du principe d’habeas corpus, la détention non contrôlée par une autorité judicaire, le refus aux détenus d’être assistés par un avocat, les privations sensorielles, les interrogatoires brutaux, et la torture pure et simple.

Lors de sa campagne présidentielle, Obama avait promis à de nombreuses reprises de fermer définitivement les camps de prisonniers de Guantánamo, assurant peu après son investiture que ce serait chose faite d’ici janvier 2010.
Avec ce nouveau décret, il n’y a pas de fermeture en vue.

Davantage de détenus de Guantánamo risquent la détention à perpétuité actuellement et il y a moins d’inculpés que le jour de l’élection d’Obama.

Robert Gibbs, l’attaché de presse d’Obama a confirmé les renseignements publiés le 22 décembre, déclarant: "certains prisonniers devront être placés en détention pour une durée illimitée", même si la fermeture des camps de prisonniers de Guantánamo, selon Gibbs, "reste l’objectif du président".

Certains des détenus pourraient être transférés de Guantánamo à des prisons aux Etats-Unis. Rien ne dit que ce décret ne s’y appliquera pas aussi – ce qui voudrait dire qu’Obama élargirait considérablement le champ d’application de la détention pour une durée illimitée.

Selon le Centre pour les Droits Constitutionnels (Center for Constitutional Rights -(CCR), une organisation qui a représenté un certain nombre de détenus de Guantánamo, "si l’administration Obama réussit à instituer les détentions à durée illimitée sur le territoire US, on ne s’en tiendra sans doute pas aux 48 de Guantanamo".

Selon le CCR,

"cette proposition prépare le terrain pour transformer les prisons US en des endroits où seront emprisonnés des gens du monde entier sans chef d’inculpation ou sans procès, ce qui constituera une atteinte inconcevable au respect de notre Constitution et des lois internationales".

Comme d’habitude, les sources anonymes de l’administration prétendent qu’Obama s’est vu forcer la main parce que la Chambre des Représentants, encore à majorité Démocrate (le nouveau congrès, élu en novembre, sera convoqué en janvier, NDT), ont adopté un projet de loi sur la défense interdisant le transfert des détenus de Guantánamo aux Etats-Unis pour y être jugés (dans un tribunal civil, NDT), ce qui était un élément essentiel de l’ancien projet d’Obama pour pouvoir fermer les camps de concentration. Cette clause avait été rajoutée discrètement au projet de loi au cours des négociations sur la politique du "don’t ask, don’t tell" (loi concernant les homosexuels dans l’armée US, NDT).

L’administration, toutefois, n’a jamais cherché à changer le contenu de la politique anti-démocratique mise en place par Bush. Certains groupes de la classe politique s’étaient prononcés en faveur de la fermeture de Guantánamo à cause de la réputation qu’il avait au niveau international, mais en gardant intact l’esprit même de cette politique.

Selon les articles des journaux, ce nouveau décret présidentiel concerne directement 48 détenus que l’administration Obama a classés comme étant trop dangereux pour être libérés mais qui ne peuvent pas être passés en jugement.

D’après le Washington Post, ces "hauts responsables anonymes" ont expliqué que les détenus ne peuvent pas être traduits en justice parce que les preuves contre eux ont été obtenues sous la torture. Ou que les accusations portées contre eux ne "seraient pas conformes aux règles de droit".

Il y a environ 126 autres détenus incarcérés à Guantánamo dont le sort reste incertain.

Les sources officieuses anonymes affirment que ce décret étendra les droits des prisonniers grâce à un "processus de révision pour les détenus" qui permettra un certain accès au dossier et à la défense lors d’audiences à intervalles donnés, une fois par an par exemple.

Un article du New York Times explique que ce décret crée "quelque chose comme une commission des libérations conditionnelles permettant de décider si le détenu représente toujours une menace ou si, au contraire, on peut le renvoyer sans risque dans un autre pays".

En vertu de la Constitution, toutefois, les commissions des libérations conditionnelles, en général constituées essentiellement de gens employés par des groupes politiques et qui ne font guère preuve d’intérêt pour les affaires qui leur sont présentées, n’interviennent qu’après la condamnation. Or, selon le projet de l’administration d’Obama, les prisonniers peuvent être détenus pour le restant de leur vie sans procès civil, ni même comparaître devant un tribunal militaire.

Il n’y a aucune raison de croire que ce décret sera limité seulement aux détenus actuels de Guantánamo. Cela fait plus d’un an que l’administration Obama ne cesse de dire qu’elle a le pouvoir de détenir indéfiniment quiconque elle aura désigné comme "terroriste présumé" et, cela, sans contrôle de constitutionnalité, comme le permet l’"Autorisation de recours à la Force Militaire", la résolution adoptée par le Congrès au lendemain des attentats du 11/9 à New York et à Washington. Ce sont ces mêmes arguments qu’employait l’administration Bush.

Les défenseurs des droits civils s’élèvent contre ce projet de décret. Jameel Jaffer, avocat de la sécurité nationale de l’Union américaine pour les libertés civiles (American Civil Liberties Union – ACLU), a déclaré que le décret ""normaliserait et institutionnaliserait la détention pour une durée illimitée et d’autres mesures du même genre" mises en place par l’administration Bush.

Laura W. Murphy, directrice du bureau juridique de Washington de l’ACLU, ajoute:

"Notre Constitution exige que nous inculpions et poursuivions ceux qui sont accusés de crimes. On ne peut pas vendre un projet de détention pour une durée illimitée ficelé avec quelques hochets concernant des procès en bonne et due forme et s’attendre à ce que la primauté du droit soit rétablie".

Ce décret n’est qu’une atteinte de plus aux droits démocratiques portée par l’administration Obama depuis que celui-ci a pris ses fonctions.

Refusant d’engager toute poursuite contre un seul des crimes de guerre qui ont été commis, l’administration Obama est intervenue dans les procédures pénales pour bloquer des poursuites au civil contre les responsables de l’administration Bush pour usage de la torture et pour espionnage de citoyens américains.

Les documents récemment publiés par Wikileaks montrent que l’administration Obama a collaboré avec les gouvernements espagnols et allemands pour empêcher les poursuites judiciaires à l’encontre de ces mêmes politiques.

Obama a signé un ordre d’exécution pour le citoyen américain Anwar Al-Awlaki, utilisant des arguments invraisemblables pour empêcher son père d’attaquer en justice pour assassinat extrajudiciaire.

Les juristes de l’administration Obama ont autorisé le FBI à effectuer des perquisitions au domicile et sur le lieu de travail de militants pacifistes, prétendant que, en s’opposant à l’impérialisme US, ils fournissent un "soutien matériel" aux organisations terroristes.

 

John Burton

World Socialiste Web Site, traduction emcee, le 26 déc. 2010

 


 

USA : L’interdiction du transfert des détenus va entraver la lutte contre le terrorisme

paru sur Human Rights Watch, le 22 déc. 2010

Washington DC. L’adoption  le 22 décembre 2010 par le Sénat US d’une loi interdisant l’utilisation de fonds gouvernementaux pour transférer les détenus de Guantanamo vers les USA, même pour y être jugés, va sérieusement amputer les efforts américains de lutte contre le terrorisme, a déclaré [l’organisation] Human Rights Watch aujourd’hui.

« Le vote du Sénat interdisant le transfert de détenus de Guantanamo est un affront autant risqué qu’irresponsable envers la Loi et les efforts visant à protéger les USA contre le terrorisme, » a expliqué Tom Malinowski, le directeur de Human Rights Watch à Washington. « En entravant la possibilité de faire juger les prisonniers de Guantanamo par une Cour fédérale, le Congrès a refusé au Président les seules procédures globalement légitimes et respectueuses de la Loi permettant d’incarcérer des terroristes. »

La disposition de la loi « National Defense Authorization » modifie une précédente loi qui interdisait le transfert de détenus de Guantanamo vers le sol américain sauf dans le cas d’un procès, laissant ainsi la possibilité à l’Administration Obama de juger les personnes détenues à Guantanamo devant des Cours fédérales US.

La nouvelle disposition prive totalement le gouvernement de cette option de jugement par une Cour fédérale, et ce, jusqu’en septembre 2011 ou jusqu’au vote d’une nouvelle loi, empêchant ainsi la fermeture du centre de détention de Guantanamo dans un avenir proche.

La Chambre des Représentants avait voté une loi similaire le 17 décembre 2010. Le Sénat y avait ensuite effectué des changements mineurs, obligeant donc à un nouveau passage de la loi devant la Chambre où elle devrait être votée immédiatement.

Si les tribunaux militaires devaient être la seule voie pour juger les suspects du 11-Septembre, il est fort probable que les procès seraient alors remis à plus tard, a expliqué Human Rights Watch. Les tribunaux militaires ont jugé seulement 5 personnes en 8 ans, dont 3 par « plea bargain » (négociation de peine). Pendant la même période, les Cours fédérales ont jugé des centaines de cas de terrorisme, et plusieurs personnes soupçonnées de terrorisme de haute volée comme le complice du 11/9 Zacarias Moussaoui ou le terroriste à la chaussure piégée Richard Reid.

Le procureur général Eric Holder s’est violemment opposé à la loi interdisant le financement [des transferts], en déclarant le 9 décembre 2010, que cela porterait atteinte à sa capacité de juger devant une Cour fédérale et le priverait d’une des armes les plus performantes pour combattre le terrorisme. » Holder avait expliqué en novembre 2009 que l’endroit approprié pour juger les suspects du 11/9 était la Cour fédérale, et non les tribunaux militaires.

« L’interdiction du Congrès empêche effectivement le Président de traduire en justice les personnes accusées du meurtre de milliers d’Américains survenu voilà presque 10 ans, » a dit Malinowski. Si le Congrès y parvient, les détenus vont tout simplement rester à Guantanamo indéfiniment, et alors que les preuves vieilliront (s’éventeront), les poursuites seront de plus en plus difficiles.

Human Rights Watch a expliqué que la loi établissait aussi de nouvelles règles demandant par exemple qu’avant de transférer un détenu vers son pays d’origine, les USA devaient au préalable s’assurer que certaines conditions existent quant à la capacité de ce pays à monitorer et à contrôler le détenu ainsi que son passé de terroriste.

Plus de la moitié des détenus encore à Guantanamo étant originaires du Yémen ou de pays comme l’Arabie Saoudite ou le Pakistan, il pourrait s’avérer extrêmement difficile pour l’Administration de s’assurer que ces critères sont vérifiés. Par conséquent, les prisonniers qui ont déjà été déclarés libérables, et qui pour certains d’entre eux sont enfermés depuis plus de 8 ans pourraient bien continuer d’être détenus indéfiniment, et ce, en violation des obligations états-uniennes vis-à-vis des lois internationales.

Cette nouvelle loi empêche aussi le transfert d’un détenu vers un pays s’il existe le moindre cas avéré de récidivisme, terme qui n’est pas défini plus avant. Alors que le gouvernement US affirme que le taux de récidive parmi les prisonniers libérés de Guantanamo s’élève à 25%, ces rapports ont été résolument démentis par des universitaires et experts qui ont étudié de près les chiffres et les ont croisés avec les informations disponibles publiquement. Le gouvernement US n’a jamais livré une liste de noms de ces prétendus récidivistes ou les détails de leurs exactions supposées.

A ce jour, il reste 174 détenus emprisonnés à Guantanamo. L’administration Obama a indiqué son intention de garder 48 de ces détenus sans procès en vertu des soi-disant « lois de détention de guerre » et d’en juger 36. Elle a déclaré libérables les 90 autres.

« Il n’existe absolument aucune justification au maintien en détention de ces personnes alors qu’elles sont déjà sur la liste des libérables, » a indiqué Malinowski. « Tant que Guantanamo reste ouvert, les terroristes continueront à l’utiliser comme un outil pour recruter. Le Congrès devrait aider le Président Obama à fermer Guantanamo, et non lui rendre la tâche plus difficile. »

Human Rights Watch, le 22 déc. 2010

 

Traduction GV pour ReOpenNews

 


 

En lien avec cet article :

  • USA : la Cour suprême valide une large acception des lois anti-terroristes | Dépêche AFP, reprise par Romandie News | 22 juin 2010
  • Sécurité nationale : Obama marche dans les pas de George W. Bush | Lactualite.com | 3 juin 2010
  • L’Amérique classe l’affaire des vols secrets de la CIA | LeFigaro.fr | 9 août 2010
  • 11-septembre : deux cassettes retrouvées sous un bureau prouvent que des interrogatoires de la CIA ont eu lieu au Maroc | Yabiladi.com | 27 août 2010
  • La patate chaude des prisons secrètes de l’ère Bush | Rue89 | 8 mars 2010
  • Terrorisme, la CIA cache un secret à Vilnius | Giulietto Chiesa, La Stampa | 23 déc. 2009
  • Vingt-trois anciens agents de la CIA condamnés en Italie  | AFP | 4 nov. 2009
  • Torture, secret d’Etats : Américains, Britanniques et Marocains, pieds et poings liés | AgoraVox, GlobeReporter | 11 août 2009
  • Au mépris de l’Europe et du droit. L’archipel des prisons secrètes de la CIA  | Giulietto Chiesa, Le Monde Diplomatique | août 2006
  • Vols CIA : le Parlement européen dénonce la passivité des pays européens | AFP | 6 juillet 2006

 

3 Responses to “USA : Vers une loi autorisant la détention illimitée et sans procès ?”

  • fred

    sur la photo ci dessus …..voici la promenade au usa !!!! les lunettes de ski repeinte a l’interrieur en noir pour ne pas voir!!!!!un casque sur les oreilles pour ne plus entendre !!!!! et un masque sur la bouche pour ne plus parler !!!!! tous ca a genoux pendant 2 heures (de fois par jours)…. et aussi ne pas oublier les mains et pieds attaché.

  • sayanacla

    Obama a bien trompé son monde, a bien trompé le Monde ! Même la population afro-américaine s’est résignée à le soutenir désormais puisqu’elle avoue qu’il n’a rien fait pour elle. Dans cette population, il n’a su que promouvoir ou placer des amis et des relations à des postes importants, mais « l’Afro d’en bas » a été mis de côté. Pas sûr du tout qu’il soit réélu !!!

  • sami66

    On s’est trompé de prix nobel, c’est au président Chavez que revenait le prix nobel et non a Obama

Trackbacks

  •  





*
To prove you're a person (not a spam script), type the security word shown in the picture. Click on the picture to hear an audio file of the word.
Click to hear an audio file of the anti-spam word

``