Sommet de l’OTAN à Lisbonne : OTAN global & bouclier anti-missiles

Qu’il est loin le Traité ABM (contre les missiles balistiques) qui avait été signé le 26 mai 1972 pour une durée illimitée par le Royaume-Uni, la France, la Chine, les Etats-Unis et l’URSS ! Rappelons à ce propos que c’est au lendemain des attentats du 11-Septembre que les USA avaient annoncé unilatéralement leur sortie du Traité ABM, traité initialement conçu pour préserver le monde d’une escalade dans la course aux armements. Où sont passées ces bonnes intentions ? Car s’il y a une mesure spectaculaire à l’issue du récent sommet de l’OTAN à Lisbonne, c’est bien celle du projet de  "bouclier anti-missiles" destiné à protéger l’Europe à partir de 2018 contre… contre qui ? Pas la Russie puisqu’Obama s’est voulu rassurant sur ce point et a invité Medvedev au Conseil OTAN-Russie à Lisbonne. Contre l’Iran ? Officiellement non,  la Turquie étant intervenue dans les négociations pour que le nom de l’Iran ne soit pas mentionné explicitement. Il faut dire que la Turquie a une longue histoire commune avec l’Iran, et aussi des intérêts stratégiques vitaux avec ce pays en matière d’importation de gaz. 

Contre qui alors, vu que l’OTAN n’a plus vraiment d’ennemi désigné depuis la "chute du mur", et qu’aucun pays ne peut rivaliser militairement contre l’Alliance ? Les conclusions du sommet le montrent, l’ennemi officiel  est désormais le Terrorisme. Et le but n’est pas seulement de protéger nos territoires mais bien les déploiements "hors-zone" et les routes d’approvisionnement des biens matériels et des ressources énergétiques.  C’est ce qu’on appelle l’OTAN 3.0. Les investissements pour cela s’élèvent à plus de 1000 milliards de dollars par an, tous participants de l’Alliance confondus. En effet, les opérations militaires hors-territoire coûtent extrêmement cher et sont nombreuses, comme le rappellent ici Tommaso Di Francesco et Manlio Dinucci dans ces deux articles rédigés pour Il Manifesto, l’un avant, et l’autre juste après ce sommet. Les conséquences implicites de Lisbonne sont que les Européens peuvent faire leur deuil à la fois de la relative détente entre grandes puissances observée depuis deux décennies, mais aussi de la perspective de pouvoir un jour se doter d’une véritable défense militaire commune indépendamment des Etats-Unis.
 

 

Les chefs des États membres de l’Alliance étaient
réunis à Lisonne les 19 et 20 nov. derniers.
 

*** 1ère partie ***

A Lisbonne, lancement de l’OTAN global

Tommaso Di Francesco et Manlio Dinucci, pour Il Manifesto,

paru en français sur mondialisation.ca, le 19 nov. 2010

 

Aujourd’hui et demain se tient à Lisbonne le sommet des chefs d’Etat et de gouvernement de l’OTAN, auquel participent pour l’Italie Berlusconi, La Russa et Frattini (respectivement président du Conseil, ministres de la défense et des affaires étrangères, ndt).  Un des sommets les plus importants de ce que le secrétaire général Anders Rasmussen définit comme « l’alliance qui a eu le plus grand succès dans l’histoire ». Un « succès » qui constitue la nouvelle narration atlantique, une philosophie renouvelée de l’usage de la guerre, pour un organisme justifié à l’origine pour contenir le Pacte de Varsovie. Cette nouvelle « histoire de soi » est l’introduction nécessaire, de la part des leaders occidentaux, pour motiver à présent sa nécessité et son actualité. C’est ainsi que Rasmussen explique que jusqu’à présent l’OTAN a traversé deux phases, celle de la Guerre froide et celle de l’après-Guerre froide, et dans les deux cas « elle a très bien fonctionné ». Comment le nier ?

Source de la carte des membres et partenaires de l’OTAN : La Documentation française

 

La troisième phase atlantique

La première et la seconde phase terminées, annonce le secrétaire Rasmussen, est arrivé le moment de l’OTAN-version 3.0, une alliance plus moderne, plus efficiente et plus capable de travailler avec nos partenaires au niveau global. Elle a « une puissance militaire qu’aucun adversaire ne peut égaler », fondée aussi sur les armes nucléaires que « l’OTAN doit conserver tant qu’il y aura de telles armes dans le monde ». La menace d’une attaque militaire à grande échelle contre le territoire de l’Alliance est faible, affirme Rasmussen, mais le risque existe d’attaques terroristes et de missiles. Plus de 30 pays sont en effet en train d’acquérir la capacité de construire des missiles balistiques. On annonce ainsi que le sommet lancera officiellement le projet d’un « bouclier » anti-missiles, que les Etats-Unis veulent étendre à l’Europe. Projet auquel s’oppose la Russie, considérant  qu’il est une menace à son égard, et que l’OTAN essaie de faire digérer à Moscou : à cet effet, elle a invité le président Medvedev au Conseil OTAN-Russie qui se déroulera à Lisbonne juste après le Sommet, le 20 novembre, pour « approfondir la coopération politique et renforcer la sécurité commune ».

Aujourd’hui, souligne Rasmussen, la défense du territoire et de ses 900 millions d’habitants n’est pas circonscrite à la zone délimitée par les frontières. La mondialisation a rendu nos économies de plus en plus dépendantes de fournitures provenant du monde entier. Cela signifie qu’une attaque contre ces lignes d’approvisionnement peut avoir des effets dramatiques sur notre sécurité, par exemple dans le cas où nos pétroliers ne pourraient plus passer par le Détroit d’Ormuz (à l’embouchure du Golfe Persique entre Iran et Oman). Il convient donc d’investir moins dans les forces statiques, déployées à l’intérieur des 28 pays membres de l’Alliance, et plus dans les forces mobiles, en mesure d’être projetées rapidement hors du territoire de l’OTAN.

L’OTAN est aujourd’hui engagée, dans le sillage de la stratégie états-unienne, dans différentes « missions » militaires hors de son aire géographique : au Kosovo, où elle opère pour « construire la stabilité et la paix » ; en Méditerranée, où elle conduit des opérations navales « contre les activités terroristes » ; au Soudan, où elle aide l’Union Africaine à « mettre fin à la violence et améliorer la situation humanitaire » ; dans la Corne d’Afrique, où elle accomplit des « opérations anti-piraterie » en contrôlant les voies maritimes stratégiques ; en Irak, où elle contribue à « créer des forces armées efficientes » ; en Afghanistan, où elle a pris, par un coup de main en 2003, la direction de l’Isaf, s’embourbant cependant dans une guerre qui l’oblige maintenant à chercher une « exit strategy » (littéralement : une sortie stratégique). Si bien qu’aujourd’hui le président afghan Hamid Karzaï a été convoqué à Lisbonne. L’OTAN semble pourtant n’avoir rien appris de la leçon afghane : elle se prépare de fait à de nouvelles « missions » hors zone.

La mutation génétique

Pour comprendre le passage ratifié par le sommet de Lisbonne, il faut rappeler quelles sont les deux premières phases de l’histoire de l’OTAN.

A travers l’Alliance, pendant la Guerre froide, les Etats-Unis maintiennent leur domination sur les alliés européens, en utilisant l’Europe comme première ligne de la confrontation, même nucléaire, avec le Pacte de Varsovie (fondé en 1955, six ans après l’OTAN). Le scénario change radicalement en 1991, quand se dissout le Pacte de Varsovie, donc l’Union soviétique elle-même.

Les Etats-Unis  en profitent immédiatement, en réorientant leur propre stratégie avec la Première guerre du Golfe. Et en faisant pression sur l’OTAN pour qu’elle en fasse autant : le péril existe de fait que les alliés européens n’effectuent des choix divergents ou ne retiennent même une inutilité de l’OTAN dans la nouvelle situation géopolitique. Le 7 novembre 1991 le Conseil atlantique, réuni à Rome, lance la première version du « nouveau concept stratégique », où l’on établit que la « sécurité » de l’Alliance n’est pas circonscrite à la zone nord-atlantique.

Peu de temps après ce « nouveau concept stratégique » est mis en pratique dans les Balkans. En Bosnie, après la faillite voulue de l’ONU, l’OTAN intervient en 1994 avec la première action de guerre depuis la fondation de l’Alliance. S’ensuit la guerre contre la Yougoslavie, en 1999. Les Etats-Unis réussissent ainsi à faire éclater une guerre (qui aurait pu être évitée) au cœur de l’Europe, en renforçant leur influence dans cette région au moment où s’en redessinent les assises politiques, économiques et militaires. Tandis que la guerre est en cours, le sommet OTAN convoqué à Washington engage les pays membres à « conduire des opérations de riposte aux crises non prévues par l’article 5, hors du territoire de l’Alliance ».

Ainsi commence l’expansion de l’OTAN dans le territoire de l’ex-Pacte de Varsovie et de l’ex-URSS. En 1999 elle englobe la Pologne, la République tchèque et la Hongrie ; en 2004 l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Bulgarie, la Roumanie, la Slovaquie, la Slovénie ; en 2009, l’Albanie et la Croatie. On prépare en outre l’entrée dans l’Alliance de la Macédoine, l’Ukraine, la Géorgie et le Monténégro. La pression sur le Caucase est emblématique, avec le conflit lancé en Géorgie à la reconquête de l’Abkhazie, et la guerre qui s’ensuit avec la Russie pendant l’été 2008. Et l’on voit de cette façon croître l’influence des États-Unis en Europe, puisque les gouvernements des pays de l’ex-Pacte de Varsovie et de l’ex-URSS, entrés d’abord dans l’OTAN et ainsi presque tous dans l’UE, sont plus liés à Washington qu’à Bruxelles.

Maintenant, explique Rasmussen, s’ouvre la troisième phase. Celle d’une alliance qui, sous leadership états-unien indiscuté, se propose d’étendre sa domination à échelle globale. Et s’accroîtra en conséquence la dépense militaire des pays de l’OTAN, qui se monte aujourd’hui à environ 1.000 milliards de dollars annuels, équivalents aux deux tiers de la dépense militaire mondiale.

 

Manlio Dinucci et Tomasso Di Francesco

Il Manifesto, paru en français sur mondialisation.ca, le 19 nov. 2010

 

Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio

 


***  2e partie ***

Obama déterre le bouclier

Manlio Dinucci, Il Manifesto,

paru en français sur mondialisation.ca, le 21 nov. 2010

Dans la déclaration du Sommet de Lisbonne, les chefs d’Etat et de gouvernements des pays de l’OTAN ont annoncé hier avoir « décidé de développer une capacité de défense balistique pour protéger toutes les populations européennes de l’OTAN, leurs territoires et leurs forces, et invité la Russie à coopérer avec nous ». Revoici entré par la fenêtre celui qui était sorti par la porte, à savoir le plan originaire du « bouclier » antimissile, que le secrétaire d’Etat Robert Gates avait recommandé au président Obama d’écarter pour le remplacer par un autre « plus adapté ». C’est ce nouveau « bouclier » qui est à présent accepté par les alliés européens.

Comme en informe l’OTAN même, il est conçu pour protéger avant tout non pas les populations et le territoire, mais les « forces déployées », c’est-à-dire celles qui sont déployées pour des opérations belliqueuses dans des zones extérieures au territoire géographique de l’Alliance. Le système, appelé Active Layered Theatre Ballistic Missile Defence System (Altbmd), devrait être en mesure d’intercepter les missiles balistiques à court et moyenne portée (avec une portée maximale de 3.000 Kms). Le programme Altbmd, lancé en 2005 après une étude de faisabilité qui a duré sept ans avec la participation de huit pays parmi lesquels l’Italie, est dirigé par un général de brigade italien, Alessandro Pera.  Le système, qui a atteint cette année sa première capacité opérative, devrait être mis au point d’ici 2018.

Le système de protection des « forces armées » sert à présent de base du « système de défense balistique pour la protection du territoire de l’OTAN », que le USA réaliseront en Europe avec l’accord et la collaboration de ses alliés. Dans la première phase, qui sera terminée en 2011, les USA déploieront en Europe des missiles intercepteurs Sm-3 à bord de navires de guerre. Dans la seconde, qui deviendra opérative vers 2015, ils installeront une version potentialisée de ce missile, avec base terrestre, en Europe centrale et méridionale. La Roumanie et la Bulgarie ont déjà mis à disposition leur propre territoire. En Pologne est déjà en cours l‘installation d’une batterie de missiles Patriot, gérée par une escadre de soldats états-uniens, dans la ville baltique de Morag, à environ 50 Kms de la frontière avec la Russie. Les Sm-3 arriveront donc à bord de vaisseaux états-uniens, déployés en Mer Baltique et, ensuite, les missiles potentialisés avec des bases à terre. Le radar fixe, qui aurait dû être installé en République tchèque, sera remplacé par un système plus efficient fondé sur des avions, satellites et senseurs terrestres. L’Italie aussi, certainement, accueillera des missiles et autres composants du « bouclier » états-unien. Robert Gates lui-même le confirme indirectement quand il parle de leur installation en Europe méridionale.

A Washington  on continue à répéter que le « bouclier » en Europe n’est pas dirigé contre la Russie mais servira à faire face à la menace des missiles iraniens. A Moscou, on a par contre considéré jusqu’à présent qu’il était une tentative d’acquérir un avantage stratégique décisif sur la Russie. De fait il est clair que le nouveau plan prévoit, par rapport au précédent, un nombre plus grand de missiles déployés encore plus près du territoire russe. En outre, puisque ce seront les Etats-Unis qui le contrôleront, personne ne pourra savoir si ce sont des intercepteurs ou des missiles pour l’attaque nucléaire. Et, avec les nouveaux systèmes aéroportés et satellitaires, le Pentagone pourra surveiller le territoire russe plus efficacement que ce qu’il peut le faire aujourd’hui.

Les craintes de la Russie, qui a jusqu’à présent dit qu’elle voulait s’opposer au « bouclier » par des « méthodes adéquates et asymétriques », sont-elles terminées ?  On peut se demander : quelles garanties réelles, pas seulement verbales, a donné Washington à Moscou pour démontrer que le « bouclier » ne sera pas utilisé contre la Russie ?  Ou qu’ont donné, en échange, les USA à Moscou pour qu’elle ne fasse pas opposition ?  Et l’éventuel consensus de Moscou ne sera-t-il pas simplement une passe diplomatique ? Quoi qu’il en soit, une chose est certaine : le « bouclier » sera non pas une protection mais une chape de plomb qui pèsera sur l’avenir de l’Europe.

 

Manlio Dinucci

Il Manifesto, paru en français sur mondialisation.ca, le 21 nov. 2010

Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio

 


 

En lien avec cet article :

 

 

et aussi

 





*
To prove you're a person (not a spam script), type the security word shown in the picture. Click on the picture to hear an audio file of the word.
Click to hear an audio file of the anti-spam word

``