Déclaration de Charles Freeman après son désistement d’un poste aux Renseignements US

Diplomate chevronné, Charles Freeman s’est désisté de son poste mardi. Il venait d’être pressenti pour la Présidence du Conseil  des services de renseignements américains par le Directeur du Renseignement National dans la nouvelle administration Obama. Désormais libéré de toute fonction officielle, il clame au danger en soutenant que l’existence même de l’Etat d’Israel est menacée, que la sécurité des pays voisins tout comme celle des Etats-Unis est remise en cause. Par qui ?

Selon Freeman, un "puissant lobby" bâillonne de façon perverse toute tentative d’information sur la situation et les enjeux réels au Moyen Orient. Ce lobby impose ses options au gouvernement américain. Les décideurs politiques, sous peine d’être discrètement évincés du pouvoir, se voient contraints de soumettre leur conduite aux intérêts de cette puissance.

Charles Freeman, pourtant au meilleur poste d’observation de par ses fonctions, rodé aux arcanes de la politique, s’avoue vaincu. Ayant fait l’objet d’attaques diffamatoires, las de ces pressions, il ne souhaite plus oeuvrer pour un gouvernement qu’il sent impuissant car maintenu sous contrôle. Freeman renonce à son poste pour retourner définitivement à la vie civile sans omettre de dénoncer ce contre pouvoir dans l’ombre qu’il identifie en le nommant : le "Lobby israélien." Voici le texte de sa déclaration.

Avertissement : il est hors de question ici de faire l’amalgame entre la population israélienne et ceux qui tirent les ficelles dans les hautes sphères du pouvoir. Aussi, toute notion relative à l’antisémitisme est formellement à écarter car ce n’est ni l’intention ni l’objet de cet article qui rapporte un témoignage.

Charles Freeman

À ceux qui m’ont soutenu et encouragé pendant la polémique de ces deux dernières semaines : vous avez ma gratitude et mon respect.

Vous avez pris connaissance de la déclaration du directeur du Renseignement national, Dennis Blair, disant que je suis revenu sur ma précédente acceptation de son invitation à la présidence de la National Intelligence Council.

J’en ai conclu que le déluge de déformations calomnieuses de mes antécédents ne cesserait pas avec ma prise de fonction. Au lieu de cela, les efforts déployés pour me salir et de détruire ma crédibilité continueraient.

Je ne crois pas que le National Intelligence Council puisse fonctionner de manière efficace si son président fait l’objet d’attaques constantes venant de personnes peu scrupuleuses et dotées d’un solide attachement aux opinions d’une faction politique dans un pays étranger. J’ai accepté de présider le NIC pour le renforcer et le protéger contre toute politisation, et non pour le soumettre aux efforts déployés par un groupe d’intérêt particulier désirant imposer son contrôle à travers une longue campagne politique.

Comme le savent ceux qui me connaissent, j’ai beaucoup aimé la vie depuis que je me suis retiré du gouvernement. Rien n’est plus éloigné de ma pensée que le retour au service public.

Lorsque l’amiral Blair m’a demandé de présider le NIC, j’ai répondu que je comprenais qu’il "me demandait de donner ma liberté d’expression, mes loisirs, la plus grande partie de mes revenus, de me soumettre à la coloscopie mentale d’un polygraphe, et de reprendre un travail quotidien avec de longues heures de travail et une ration quotidienne de mauvais traitements politiques".
J’ai ajouté que je me demandais «s’il n’y avait pas une sorte d’inconvénient à cette offre." J’étais conscient du fait que personne n’est indispensable, je ne suis pas une exception.

Il m’a fallu des semaines de réflexion avant de conclure qu’étant donné la situation difficile sans précédent dans laquelle se trouve actuellement notre pays à l’étranger et au niveau interne, je n’avais pas d’autre choix que d’accepter l’appel au retour dans le service public.
J’ai alors démissionné de tous les postes que j’occupais et de toutes les activités dans lesquelles j’étais engagé. J’attends maintenant avec impatience de revenir à la vie privée, libre de toutes mes obligations antérieures.

Je ne suis pas assez prétentieux pour croire que cette polémique me concernait directement et non des questions de politique publique. Ces questions n’ont pas grand-chose à voir avec le NIC et ne sont pas au cœur de ce que j’espérais faire pour contribuer à la qualité de l’analyse mise à la disposition du président Obama et de son administration.

Pourtant, je suis attristé par ce qu’ont révélé au sujet de l’état de notre société civile la polémique et les critiques publiques au vitriol de ceux qui se sont consacrés à l’entretenir. Il est évident que nous, les Américains ne pouvons plus avoir une sérieuse discussion publique ou un jugement indépendant sur les questions de grande importance pour notre pays, tout comme nos alliés et amis.

Les diffamations me concernant et leurs pistes d’emails facilement traçables montrent de façon certaine qu’un puissant lobby  est déterminé à empêcher que soit diffusé toute opinion autre que la sienne, et encore moins de laisser les Américains comprendre les tendances et les événements au Moyen-Orient.

La stratégie du Lobby Israélien touche le fond du déshonneur et de l’indécence et comprend la diffamation, les citations sélectives inexactes, la déformation volontaire d’un dossier, la fabrication de mensonges, et un total mépris de la vérité. L’objectif de ce lobby est le contrôle du processus politique par l’exercice d’un droit de veto sur la nomination des personnes qui contestent le bien-fondé de son point de vue, la substitution d’une justesse politique de l’analyse, et l’exclusion de toutes les options pour la prise de décisions par les Américains et notre gouvernement autres que celles qu’il favorise.

C’est particulièrement ironique d’être accusé d’égards déplacés pour des opinions au sujet de sociétés et de gouvernements étrangers par un groupe ayant aussi clairement l’intention de faire appliquer une adhésion à la politique d’un gouvernement étranger – dans ce cas, le gouvernement d’Israël.

Je pense que l’incapacité de l’opinion publique américaine à débattre, ou du gouvernement à examiner toute option de politique américaine au Moyen-Orient opposée à la faction au pouvoir en Israël a permis à cette faction d’adopter et de maintenir des politiques qui à terme menacent l’existence de l’État d’Israël. Il est interdit à qui que ce soit aux États-Unis de le dire. Ce n’est pas seulement une tragédie pour les Israéliens et leurs voisins au Moyen-Orient, mais cela nuit de plus en plus à la sécurité nationale des États-Unis.

L’agitation scandaleuse qui a fait suite à la fuite concernant ma nomination imminente sera considérée par beaucoup comme soulevant de graves questions quant au fait de savoir si l’administration Obama sera en mesure de prendre ses propres décisions sur le Moyen-Orient et les questions liées. Je regrette que ma volonté de servir dans la nouvelle administration ait fini par jeter le doute sur sa capacité à examiner, sans parler de décider quelles politiques pourraient le mieux servir les intérêts des États-Unis au lieu de ceux d’un Lobby ayant l’intention de faire respecter la volonté et des intérêts d’un gouvernement étranger.

Devant le tribunal de l’opinion publique, contrairement à une cour de justice, on est coupable jusqu’à preuve du contraire. Les allocutions d’où des citations ont été tirées hors de leur contexte sont disponibles pour tous ceux qui sont intéressés par la lecture de la vérité. L’injustice des accusations portées contre moi est évidente pour ceux qui ont l’esprit ouvert. Ceux qui ont cherché à attaquer ma personne ne sont pas intéressés par les réfutations que je ou quelqu’un d’autre pourrait faire.

Néanmoins, pour le dossier : je n’ai jamais cherché à être payé ou accepté le paiement d’un gouvernement étranger, que ce soit l’Arabie Saoudite ou la Chine, contre tout service, je n’ai jamais parlé au nom d’un gouvernement étranger, de ses intérêts, ou de ses politiques. Je n’ai jamais fait pression sur n’importe quelle agence de notre gouvernement pour une raison quelconque, étrangère ou nationale.

Je suis moi-même, personne d’autre, et à mon retour dans la vie privée, je servirai une fois de plus – et à mon grand plaisir – personne d’autre que moi. Je vais continuer à m’exprimer comme je le voudrai sur des sujets qui me préoccupent, moi ainsi que d’autres Américains.

Je garde mon respect et ma confiance dans le président Obama et DNI Blair. Notre pays doit maintenant faire face à de terribles défis à l’étranger comme au niveau national. Comme tous les Américains patriotes, je continue de prier pour que notre président puisse nous aider à les surmonter.

Source : http://online.wsj.com/, traduit par MG pour ISM

 


Suite de l’affaire : Affaire Freeman : le Lobby israélien vacille publié sur le réseau Voltaire

Articles connexes :

A lire  : Le lobby pro-israélien  et la politique étrangère américaine de John Mearsheimer et Stephen Martin Walt / ed. traduite la découverte (2007)

A voir : Chomsky & Cie (long métrage); vidéos sur Dailymotion : le lobby sioniste

A écouter : une série d’émissions audio sur les Etats-Unis, le lobby pro-israélien , dont une intervention d’Obama à l’AIPAC (intervenants américains, interprètes français)

 

7 Responses to “Déclaration de Charles Freeman après son désistement d’un poste aux Renseignements US”

  • Olive

    Merci pour « l’avertissement ». Ce qui fait antisémite c’est d’écrire « le lobby juif sioniste  » alors que comme le dit très justement le documentaire, il y a beaucoup de chrétiens « apocalyptiques » évangélistes chez les sionistes ou dans les lobbys pro-israéliens.

  • Domino

    Je m’étonne qu’il garde sa confiance – à moins qu’il ne s’agisse d’un tacle par derrière – au président Obama. Cet homme, sorti d’un chapeau de magicien, dont la campagne a été financée, et avec quelle générosité, par les multinationales et les banquiers du Bilderberg. Cet homme qui s’est rendu aux réunions de l’APAIC.
    Merde ! Me v’là antisémite !

  • sympathisant

    Merci pour cet article qui donne un bon éclairage a notre histoire. Le lien avec voltaire.net dont je cite un extrait plus loin (Suite de l’affaire : Affaire Freeman : le Lobby israélien vacille publié sur le réseau Voltaire)m’a conforté dans l’action que mène reopen.

    J’attends encore pour notre belle France que de réels témoins « bien informés et hautement respectés » dénoncent en ligne le même lobbying au sein du gouvernement.

    Aymeric Chauprade serait-il le seul inquiet ?

    « Mais quelque chose s’est produit, dans ladite blogosphère, qui ne se serait jamais produit dans les médias consensuels : le Lobby a été confronté à une réelle opposition. De fait, tout un éventail de bloggers, énergiques, bien informés et hautement respectés, défendit Freeman, dans toutes les péripéties, et ils auraient vraisemblablement emporté le morceau, si le Congrès n’avait pas pesé de tout son poids contre eux. Bref : Internet a permis un débat sérieux aux États-Unis, sur une question impliquant Israël : ce fut une première absolue. Le Lobby n’a jamais eu grand-mal à faire observer la ligne du parti par le New York Times et le Washington Post, mais il a peu de moyens de faire taire les critiques s’exprimant sur Internet. »

    Et pour les inconditionnels de l’antisémitisme, il existe des ouvrages fort intéressants qui expriment bien ce que ce terme permet comme pirouettes.
    En ligne : Juifs et antisémites, de Bernard Lazare

    http://books.google.fr/books?id=UJi0ffxgXgUC&printsec=frontcover&dq=pythagore+antis%C3%A9mitisme

  • sympathisant

    Et pour bien enfoncer le clou, voici la conclusion de l’article extrait de Voltaire.net sur cette affaire :

    « Lorsque les forces pro-israéliennes étaient entrées en conflit avec une personnalité politique majeure, par le passé, cette personnalité, généralement, avait reculé. Jimmy Carter, traîné dans la boue après qu’il eut publié son livre Palestine : la Paix, pas l’apartheid, a été le premier États-unien éminent à tenir bon et à répliquer. Le Lobby n’a pas pu le faire taire, et ça n’est pas faute, pour lui, d’avoir essayé. Freeman marche dans les brisées de Carter, mais avec plus de pugnacité. Après s’être démis, il a publié une dénonciation au vitriol [1] de « gens dénués de scrupules entièrement dévoués à défendre les vues d’une faction politique d’un pays étranger » dont le but est « d’empêcher par tous les moyens que des opinions un tant soi peu différentes des leurs puissent être diffusées ». « Il y a », avait-il poursuivi, « une ironie particulière dans le fait de se voir accusé d’appréciation inappropriée au sujet des positions de gouvernements et de sociétés étrangers, par un clan si manifestement voué à imposer l’adhésion à la politique d’un gouvernement étranger » [en l’occurrence, le gouvernement israélien, ndt].

    La remarquable déclaration de Freeman est parvenue au monde entier, elle a été lue par des personnes innombrables. Cela n’est pas bon, pour le lobby, qui aurait préféré briser dans l’œuf la nomination de Freeman sans laisser d’empreintes digitales. Mais Freeman continuera à s’exprimer au sujet d’Israël et du lobby pro-israélien, et peut-être que certains de ses alliés naturels, à l’intérieur du Beltway, finiront par le rejoindre.

    Lentement, mais sûrement, un espace commence à s’ouvrir, aux États-Unis, où il sera possible de parler sérieusement d’Israël.
    John J. Mearsheimer

    Professeur de sciences politiques à l’université de Chicago. Dernier ouvrage publié : The Israel Lobby and U.S. Foreign Policy (version française : Le lobby pro-israélien et la politique étrangère américaine).

    faites suivre le message…

  • Spotless Mind

    @sympathisant
    Je pense que l’influence du lobby pro-israëlien en France n’est pas du tout comparable à celui qui existe au US. Même si au travers de quelques personnalités, il peut paraitre parfois virulent. Par contre, l’arme de l’antisémitisme est en effet beaucoup utilisée pour discréditer des opinions dissidentes (à ReOpen911 on en sait quelque chose).

  • Domino

    rectificatif : AIPAC (American Israel Public Affairs Committee)

  • bert

    à Spotless Mind qui  » pense que l’influence du lobby pro-israëlien en France n’est pas du tout comparable à celui qui existe au US. Même si au travers de quelques personnalités… »,

    hé oui Spotless Mind comme chacun le sait bien notre cher president , est d’origine BRETONNE….quel hazard….

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