Comment on a fait de moi un « web-soldat » d’Al-Qaeda

Par David Servenay pour Rue89, le 01/05/2008

Emprisonné pour terrorisme, Kamel Bouchentouf a adressé à Rue89 une cassette dans laquelle il dit avoir été manipulé par la DST.

La cassette adressée à Rue89

C’est une histoire que l’élection de Nicolas Sarkozy a balayé de l’actualité. Depuis un an, Kamel Bouchentouf croupit dans une cellule de la prison de la Santé. Accusé d’avoir préparé des attentats, ce Français d’origine algérienne prétend avoir été manipulé par la Direction de la surveillance du territoire (DST) qui voulait en faire un agent infiltré. Faux, répond la justice antiterroriste, qui le considère comme l’un de ces nouveaux combattants d’Al-Qaeda, rompu aux outils modernes de communication. Dans une cassette enregistrée, il nous a livré sa version des faits. A vous de juger.

Une cassette enregistrée au fond de sa cellule

Kamel Bouchentouf (Paris Match) Elle nous est arrivée par la poste, avec une lettre manuscrite et un article de Paris-Match. Une simple cassette audio marquée "Rue89.com B/DST". En appuyant sur la touche "play", voici ce que dit le début de ce message…

Outre son innocence, qu’il veut défendre publiquement, Kamel Bouchentouf entend aussi dénoncer les conditions dans lesquelles s’exerce aujourd’hui la justice anttterroriste. Notamment dans sa manière de cibler des jeunes musulmans:

Après le 11 septembre, les services s’activent pour infiltrer Al-Qaeda

Sur près de quarante minutes, le prisonnier Bouchentouf, écrou 288 433 à la prison de la Santé, raconte son histoire. Ou plutôt, sa descente dans l’enfer des indics des services de renseignement. Cette histoire commence au lendemain du 11 septembre 2001. Tous les services spéciaux s’activent pour recruter des hommes qui leur permettront d’infiltrer les réseaux du nouvel ennemi public numéro 1: Al-Qaeda, la base.

Kamel Bouchentouf a alors 27 ans, il est chauffeur-livreur. Il est né à Mont Saint-Martin, près de Longwy, dans une famille d’origine kabyle de huit enfants. En 1986, au moment d’entrer en 6e, ses parents l’envoient en Algérie. Il en revient en 1991, très marqué par le climat de violence et de haine qui accompagne la montée en puissance du Front islamique du salut (FIS). Il est doué en informatique. Il fréquente aussi les lieux de culte musulman de Nancy. Bref, il a le profil pour être "tamponné" par la DST via un certain Alex…

En six ans, il aurait rencontré, dit-il, plus de 200 fois son officier traitant, identifié lors de l’enquête comme un agent de la DST basé à Metz. Pour quoi faire? Mystère… Il affirme refuser toute collaboration. Mais alors, pourquoi accepte-il ces rendez-vous? Kamel Bouchentouf avance sa volonté d’arranger une séparation tendue avec sa première femme, qui l’empêche de voir leur fille. Un argument que l’agent Alex aurait abondamment utilisé pour le convaincre de jouer le jeu du contre-espionnage français. Comment? En infiltrant les filières des groupes islamistes qui, à partir de 2003, soutiennent l’effort de guerre de leurs frères irakiens.

Excédé par la pression et les menaces de la DST, il s’enfuit vers l’Angleterre

Pour échapper à la pression de la DST, il prend le chemin de l’Angleterre où les agents de sa Majesté le pistent dans tout ses déplacements. Excédé par ces filatures à répétition, sur un coup de tête, il prend un vol pour Beyrouth où il arrive le jour de l’invasion américaine en Irak, au printemps 2003. Au bout de trois jours, retour en France. Et le jeu continue, avec une pression de plus en plus forte. Comme les objectifs des services français, qui suivent les évolutions géopolitiques de la mouvance islamiste.

"Ils me demandèrent de retourner en Angleterre pour leur compte, afin de repérer les musulmans originaires de France. Au cours de l’année 2005, la DST me proposa par deux fois de m’envoyer en Irak, puis dans la bande de Gaza. La DST a voulu m’obliger de retrouver au Luxembourg un imam d’origine bosniaque, pour infiltrer leur communauté. J’ai refusé encore cette proposition."

A cause de ses racines kabyles, Alex, renforcé par deux agents venus de Paris -"Hauss et Max"-, lui demande d’aller sur le terrain algérien, à la recherche de contacts avec les militants du GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat) qui communiquent via Internet. Ils effectuent alors de multiples allers-et-retours en Algérie. Pour quelle raison? Un point qui demeure flou.

A partir de 2006, le contre-espionnage lui demande de contacter l’AQMI

En 2006, il rencontre sa deuxième épouse. La pression d’Alex et ses amis continue. Cette fois-ci, il s’agit surtout d’établir des contacts, via des forums fréquentés par les islamistes, avec la hiérarchie de l’AQMI, Al-Qaeda au Maghreb islamique. Un travail de longue haleine, où il faut gagner la confiance de ses interlocuteurs pour obtenir les mots de passe permettant d’accéder aux bons forums.

Est-ce pour cette raison que Kamel Bouchentouf va franchir une nouvelle étape dans sa collaboration avec les services? C’est l’argument qu’il avance. Les espions français, eux, ont une autre version de l’histoire. Le 2 mai 2007, quatre jours avant le second tour de l’élection présidentielle, une équipe de la DST et du Raid débarque à six heures du matin dans la cité du Haut-du-Lièvre, un quartier populaire de Nancy, où habite notre homme. Vingt policiers cagoulés et surarmés.

Les agents interpellent Kamel Bouchentouf. Officiellement, il lui est reproché de préparer des attentats sur le sol français, pour le compte de l’AQMI. Dans les jours précédents, il aurait adressé plusieurs messages Internet à ses correspondants, leur proposant de se filmer en train de déposer une bombe dans les rues de Nancy. Histoire de les convaincre de sa capacité à agir, partout sur le sol français. La vidéo est dans son ordinateur, mais elle n’a jamais été diffusée sur le Net. Voici sa version…

Mis en cause par une vidéo de propagande, il dénonce un "piège" de la DST

Pour Kamel Bouchentouf, cette vidéo n’a été qu’un prétexte pour permettre son arrestation. Et ce, en fonction du calendrier électoral: "Si madame Royal était arrivée en tête au premier tour, dit-il, cela permettait aux services secrets d’annoncer dans l’entre-deux-tour l’arrestation sur le sol français d’un membre d’Al-Qaeda Maghreb islamique." Pire: Kamel Bouchentouf a "la conviction" que les "services secrets avaient projeté de [le] faire assassiner". Seule la présence d’un collègue de travail, au moment de son arrestation, aurait empêché ce projet. "Je n’ai pas de preuves, mais j’en suis persuadé."

Dans son appartement, les policiers saisissent tout de même deux bonbonnes pour fer à souder, un extincteur et une boite de cartouches de 22 long rifle. L’arsenal du poseur de bombes, concluent les enquêteurs de… la DST, officiellement chargée de l’enquête. Car dans un premier temps, le juge antiterroriste Philippe Coirre, refuse d’entendre l’hypothèse d’une manipulation des services.

Dernier grief: les conditions de sa garde à vue. Kamel Bouchentouf dit avoir fait l’objet de plusieurs chantages de la part de l’équipe de la DST qui l’interroge. Menaces sur lui et sa femme, également retenue pendant 24 heures. Les policiers lui auraient aussi fait miroiter la possibilité de l’extrader vers des pays amis peu accueillant pour les islamistes:

Une fois en prison, des fuites opportunes alimentent les médias sur le "web-soldat d’Al-Qaeda"

Dans les mois qui suivent son incarcération, plusieurs fuites du dossier d’instruction, dans le Figaro ou Le Parisien alimentent la chronique fait divers. Dans le JT de TF1, début juillet, puis dans Paris-Match qui dépeint le portrait d’un "web-soldat français d’Al Qaeda" ou encore dans le Nouvel Observateur qui scrute les filières djihadistes. S’agissant de TF1 et Paris-Match, les avocats de Bouchentouf (Me Berna, Me Vicq et Me Pasina) ont immédiatement déposé plainte pour "violation du secret de l’instruction" auprès du parquet de Nancy, qui a transmis au parquet de Paris… sans résultat.

Problème: les recherches du magistrat livrent une vérité gênante dans ce dossier, via la puce du téléphone portable du suspect. Le listing téléphonique identifie des dizaines d’appel au poste d’Alex, l’agent de la DST à Metz. Mais là encore, selon Me Frédéric Berna, l’un des avocats de Bouchentouf, le juge refuse d’en tirer les conséquences. Sollicitée, la DST se contente aujourd’hui d’un "pas de commentaires" et renvoie vers le ministère de la Justice. Lors de son dernier passage devant le juge des libertés et de la détention, Kamel Bouchentouf s’est vu notifier une prolongation de quatre mois de sa détention provisoire. Après quarante minutes de ce long monologue, où le prisonnier semble lire un propos en partie rédigé, la cassette s’achève sur ces mots:

"Cette histoire a brisé ma vie matérielle et sociale. Et puis, qui peut bien me croire? Je ne suis personne… C’est d’ailleurs ce que m’ont dit les policiers pendant ma garde à vue (…) Je ne vois rien d’autre à ajouter. Je vous dit merci, j’espère vous avoir convaincu. Au revoir."

 


Cet article peut être mis en relation avec celui rédigé par Rolling Stone sur la terreur fabriquée.

7 Responses to “Comment on a fait de moi un « web-soldat » d’Al-Qaeda”

  • willy

    rien de trés nouveau…méthode hyper classique de manipulation: on forme un jeune pour en faire un agent double et lorsqu’on en a plus besoin on l’arrete pour se faire mousser auprés de l’opinion publique en le dénonçant comme ennemi… C’est se qui a du se passer à NY , Madrid et Londres..

  • Frédéric

    Je ne vois pas en quoi cette info va faire avancer la réouverture d’une enquête sur le 11 septembre 2001…

  • Jfr

    Les coupables, ce ne sont pas les salauds au pouvoir, mais ceux qui les laissent faire.

  • sam2000

    bravo willy.
    c’est exactement ce que je pensais.
    le probleme c’est que la presse dominante ne veut pas envisager ce type d’approche et d’analyse publiquement.

    cette approche se fait en coulisses entre initiés journalistes.

  • sam2000

    (suite)
    je souscrit a ce qu’a que tu as dit,willy.
    mais il faut elever « NY » , sinon tu n’a rien a faire dans ce site.
    (sauf dans la rubrique pro version officielle).

  • Je ne vois pas en quoi cette info va faire avancer la réouverture d’une enquête sur le 11 septembre 2001…





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