Au Liban, l’attente fiévreuse de l’USS Cole

L’arrivée prochaine de l’USS Cole sur les côtes libanaises inquiète et exacerbe la tension. Les libanais gardent le souvenir des obus d’une tonne tirés par la flotte US en 1983 sur Beyrouth. Franklin Lamb, spectateur engagé des drames libanais, a rencontré les jihadistes du camp d’Ain El Helwe, au sud Liban, qui rêvent d’en découdre avec les forces américaines.

Par Franklin Lamb, Counter Punch, 1er mars 2008

Selon mes décomptes, il y a au moins huit – et peut-être bien quatre de plus – groupes d’orientation salafiste inspirés par Al-Qaïda, qui s’organisent et opèrent au Liban. La plupart sont représentés sous une forme ou une autre à Ain el Helwe, le plus grand des 12 camps de réfugiés palestiniens du pays. Les adolescents semblent être parmi leurs plus ardents défenseurs.

Ces groupes islamistes s’organisent et agissent dans ce camp comme dans d’autres, pour la même raison que celle que Bill Clinton avait invoqué concernant Mme Monica Lewinsky : « Parce que je le pouvais » comme il l’a finalement admis.

La situation est la même pour Al-Qaida au Liban. Les dirigeants palestiniens sont fermement opposés à ces groupes islamistes, mais, tout comme le « gouvernement » du Liban, ils sont impuissants à les empêcher de s’installer dans ces refuges relativement sûrs.

Ces derniers jours, ces groupes ont été mis en émoi par le déploiement du destroyer lance-missile USS Cole, qui aurait quitté Malte le 26 février, en route vers une position au large de Beyrouth. Son arrivée imminente au Liban est considérée comme un avertissement en direction de la Syrie, de l’Iran et de la résistance libanaise, dirigée par le Hezbollah. Cela signifie que, au moment où l’administration Bush a sans doute « perdu » en Iraq, en Afghanistan, et peut-être bientôt au Pakistan et dans certaines parties de la région du Golfe, elle est prête à se joindre dans la lutte avec Israël afin de ne pas « perdre » le Liban.

L’amiral Michael Mullen, le chef d’Etat Major des USA, a déclaré hier que le déploiement ne devrait pas être perçu comme une menace ou une réponse à des événements survenus dans un pays particulier de cette région instable.

« La Méditerranée Orientale est une région importante pour nous », a-t-il déclaré lorsqu’on l’interrogeait sur l’annonce du déploiement de ces navires. « C’est un groupe de vaisseaux qui va opérer dans les environs durant un certain temps », ajoutant qu ’ « il n’est pas destiné à envoyer de signaux plus forts que cela. Mais il signale que nous sommes engagés, nous allons être dans cette région, qui est une partie très, très importante du monde. »

L’amiral Mullen a également été interrogé pour savoir si le déploiement des navires est lié au calendrier de l’élection libanaise.

« Dire qu’il est directement lié serait incorrect, mais nous sommes certainement conscients du fait que ces élections sont importantes, et qu’elles surviendront à un certain moment, » a-t-il répondu.

Et lorsqu’on lui a demandé si la Syrie était la raison de ce déploiement, il a précisé « ce n’est pas spécifiquement adressé à un pays, mais plutôt à l’ensemble de la région. »

Le porte-parole du Conseil National de Sécurité américain, Gordon Johndroe, a ajouté que le déploiement de l’USS Cole était justifié par le fait que le président George Bush était préoccupé par la situation au Liban.

« Bush pourrait devoir détruire le Liban pour le sauver, comme il l’a fait avec l’Irak », plaisante un adolescent souriant en servant un thé sucré comme celui que l’on m’a offert à chaque rencontre à Ain el-Helwe lors de mes visites liées à un projet éducatifs en direction des étudiants palestiniens.

Le Liban n’a pas été très réceptif à l’administration Bush qui y a subi une série d’échecs durant trois années de projets avortés en direction du Liban.

Parmi ces échecs, on compte la guerre de Juillet 2006, l’essai d’installer une base aérienne avancée de l’OTAN à Kleiate, l’importation de salafistes pour lutter contre le Hezbollah, en tentant d’organiser une armée sunnite au nord, autour de Tripoli et Akkar pour lutter contre les chiites dans le Sud, la proposition de financer un troisième Parti politique chiite pour affronter le Hezbollah et le Amal, des efforts pour déclencher une guerre civile, et, plus récemment, des suspicions non prouvées de l’octroi d’un « feu vert » pour des assassinats politiques en une tentative d’impliquer et d’isoler la Syrie. Le Club [1] devient agressif, selon un membre de l’administration de la Commission du Renseignement du Sénat américain.

L’USS Cole , déployé en « manifestation de soutien à la stabilité régionale, » assure la même mission que celle qui était la sienne quand il a été attaqué dans le port d’Aden au Yémen, en octobre 2000 par une embarcation suicide d’Al-Qaeda tuant dix-sept marins américains, en blessant plus de 50, et endommageant gravement le bâtiment. L’ironie de la situation, n’échappe pas aux militants d’Al-Qaida installés au sud à Ain el Helwe, près de la ligne bleue et dans le nord à Tripoli et Hermel. Selon Ahmad, un combattant chevronné au visage d’enfant, arrivé en provenance de l’Irak il y a quelques mois, et qui ressemble en tous points à l’image que l’on pourrait se faire d’un moudjahidine salafiste d’Al-Qaida , « les navires de guerre US ne quitteront pas les eaux du Liban sans qu’ils soient attaqués et détruits. Ils viennent mener une guerre contre le Liban au nom des sionistes, » affirme-t-il.

Rena, une superbe femme blonde, qui semble plus européenne qu’arabe et paraît être une sorte d’expert militaire, s’exprime comme si elle était une porte-parole du Pentagone :

« Le Groupe de Combat du Nassau, basé à Naples en Italie, est arrivé dans la zone d’opération de la 6ème flotte, il y a trois jours. Ils pourrait rejoindre l’USS Cole et nous attendons finalement six navires. Le Cole a été remis à l’eau en avril 2002 et a eu son premier ordre de mission en novembre 2003. »

Mes yeux s’écarquillent. Rena poursuit :

« Nous surveillons attentivement leurs mouvements. Outre le Nassau, le groupe comprend un croiseur et deux destroyers lance-missiles et deux autres navires amphibies. Les navires amphibies peuvent emporter des milliers de Marines et débarquer sur les côtes du Liban presque tout le long de leurs 120 Kilomètres. »

« Comment savez-vous tout ça ? » Baffouillé-je.

Son compagnon, tout en servant à nouveau du thé sucré, se lance dans une explication :

« Nos moudjahiddines ont beaucoup appris depuis que nous avons attaqué le Cole à Aden en octobre 2000. L’administration Bush n’a rien appris de l’histoire. Est-ce que Bush a lu ? Sait-il ce qui s’est produit lorsque les États-Unis ont envoyé les Marines et l’USS New Jersey en 1983 ? Pense-t-il que le Liban a oublié qu’ils ont dévasté le sud de Beyrouth et le Mont-Liban en bombardant avec des obus de 1300 kilos ? Nous attendons que ces boîtes de de sardines pleines de croisés soient incinérées comme les chars israéliens Merkavas l’ont été durant la guerre de juillet. Qu’ils viennent – ils partiront — Comme lorsque Reagan les a envoyé la dernière fois ! »

En 1983, au plus fort de l’intervention américaine au Liban, environ 17 navires – deux groupes de porte-avions de combat et deux énormes cuirassés – patrouillaient le littoral libanais, tandis qu’un contingent de Marines était déployé à l’aéroport de Beyrouth.

L’amie d’Ahmad ajoute : « tôt ou tard, les navires de guerre américain vont bombarder le Liban. Ils ne viennent pas ici pour admirer nos paysages. Quand ils le feront, l’ambassade des Etats-Unis ainsi que d’autres cibles identifiées disparaîtront dans les heures qui suivent. Ils viennent probablement dans le but de faire la guerre contre la Syrie et l’Iran, ainsi que le Liban. Ce sera une grande guerre, et elle pourrait débuter très bientôt. »

L’ancien député Nasser Qandil a affirmé vendredi qu’en envoyant ses navires de guerre au Liban, les États-Unis veulent dire : « nous avons tué Imad Mughniyeh [2], et nous faisons un come-back, Imad. »

M. Qandil a également affirmé que le directeur du Conseil de sécurité national saoudien, le prince Bandar bin Sultan, veut que le Liban devienne « un refuge pour Al-Qaeda remplaçant l’Irak, ce qui signifie que l’arrivée de navires de guerre américains vise à attirer les jihadistes arabes d’Irak pour faire baisser la pression exercée sur l’armée américaine. »

Un haut responsable américain resté anonyme, (David Welch, selon une source informée) a déclaré à l’agence Reuters que cette nouvelle mission du Cole était « une manifestation de soutien pour la stabilité régionale. Nous sommes très préoccupés par la situation au Liban. Elle s’est dégradée depuis longtemps. »

La dernière chose que souhaite le Hezbollah c’est une guerre civile au Liban et c’est la première chose que veut Israël. La plupart des libanais admettent que le Hezbollah à pour objectif la résistance à l’agression israélienne et à l’occupation, l’application de la résolution 1701 et au retrait israélien des fermes de Chebaa et du village de Ghajar. Ses partisans affirment que le Hezbollah désarmera lorsque Israël cessera d’être une menace pour le Liban.

Le député du Hezbollah Hassan Fadlallah, cité par le quotidien As Safir de Beyrouth, a déclaré que « l’action des Etats-Unis » prouve que la « véritable confrontation se déroule avec les dirigeants de Washington. La démonstration de force des USA apporte la preuve de leur échec et indique qu’ils ont épuisé toutes leurs pressions politiques visant à imposer une tutelle américaine. »

Ultérieurement, M. Fadlallah a précisé : « L’administration américaine a déjà eu recours par le passé à la politique de l’envoi de navires de guerre en appui à ses alliés au Liban. Cette tentative a échoué et s’est retournée contre eux. »

« Nous ne céderons pas aux menaces et à l’intimidation armée pratiquée par les des États-Unis pour mettre en oeuvre son hégémonie sur le Liban ».

Les évènements à venir seront désormais déterminés par ce que fera cette armada en arrivant au large du Liban.


Publication originale Counter Punch, traduction Contre Info


 

[1] F. Lamb désigne sous le nom de « Club » les partisans et les alliés des USA au Liban

[2] Le responsable militaire du Hezbollah victime d’un attentat à Damas

 





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