Un ancien officier de l’armée accuse la CIA d’avoir entravé la collecte de renseignements avant le 11/9


Le Directeur de la CIA de l’époque, George Tenet, avant sa déposition
devant la commission d’enquête sur le 11-Septembre, le 14 avril 2004.


Un ancien officier de l’armée accuse la CIA d’avoir entravé la collecte de renseignements avant le 11/9

par Paul Church et Ray Nowosielski sur Truthout, le 20 janvier 2013

Traduit par François pour ReOpenNews

 
En offrant de nouvelles révélations sur le rôle qu’a joué la CIA dans l’arrêt de l’infiltration d’Al-Qaïda par les services de renseignement militaires, le Lieutenant colonel Anthony Shaffer rejoint la liste grandissante des responsables gouvernementaux qui accusent l’ancien Directeur de la CIA, Georges Tenet, d’avoir menti aux enquêteurs fédéraux et de porter une part de responsabilité dans les attentats du 11-Septembre.
 
Un ex-agent secret décoré travaillant pour le Pentagone apporte de nouvelles révélations sur le rôle qu’a joué la CIA dans l’arrêt du célèbre programme militaire Able Danger, qui est sensé avoir identifié cinq des pirates de l’air sur le sol américain plus d’une année avant les attentats.
 
Le Lieutenant colonel Anthony Shaffer rejoint une liste grandissante de responsables gouvernementaux qui accusent l’ancien Directeur de la CIA, Georges Tenet, d’avoir trompé les instances fédérales et de porter une part de responsabilité dans les attentats du 11-Septembre. Shaffer apporte également des éléments à charge sur l’unité de la CIA chargée de Ben Laden qui aurait, selon lui, activement empêché d’autres secteurs du renseignement, de la justice et de la défense d’effectuer correctement leurs missions de contre-terrorisme dans la période précédent septembre 2001.
 
Fin 2011, Shaffer s’est confié à deux réalisateurs de films documentaires, John Duffy et Ray Nowosielski, le jour même ou Judicial Watch (ndt : Cette organisation prône la transparence et l’intégrité des responsables politiques et judiciaires. Elle lutte notamment contre la corruption et les abus de pouvoir au sein du gouvernement américain) est parvenue à contraindre le Département de la Défense (DOD) à déclassifier de nombreux documents Able Danger suite à l’action en justice qu’elle avait intentée dans le cadre de la Loi sur la liberté de l’Information (Freedom Of Information Act – FIOA).
 
Les nouveaux éléments rendus publics ont permis à Shaffer de s’exprimer plus librement qu’il n’avait pu le faire auparavant. Tout en maintenant que la bureaucratie du DOD avait toujours été le principal obstacle pour Able Danger, il a produit de nouvelles révélations sur le rôle joué par la CIA dans l’arrêt de son offensive militaire.
 
Suite aux attentats à la bombe de 1998 qui avaient dévasté plusieurs ambassades américaines en Afrique, faisant plus de 200 morts, le Commandement des Opérations Spéciales (SOCOM) – responsable des unités de commando secrètes du Pentagone – regroupa des spécialistes de l’Agence de Renseignement de la Défense (DIA) pour dresser la carte du réseau Al-Qaïda. Basée au Centre de Contrôle de l’Information – également appelé Centre National de la Guerre Électronique (Land Information Warfare Activity ou LIWA) – à Fort Belvoir en Virginie, l’équipe a mis en œuvre des logiciels avancés de traitement de données qui lui ont permis de trouver des liens entre des terroristes connus et des individus ayant des profils similaires. Ce projet hautement confidentiel portait le nom de code Able Danger.
 
Ce projet fut porté à l’attention du public pour la première fois en juin 2005, presque un an après que la Commission d’enquête sur le 11-Septembre ait rendu son rapport, lorsque Curt Weldon, un membre du Congrès, fit un discours sur ce sujet devant la Chambre des Représentants. Suite à de nombreuses attaques mettant en cause la crédibilité de Weldon, cinq agents du Pentagone se sont présentés pour soutenir ses affirmations, dont le Lieutenant colonel Tony Shaffer, un officier expérimenté dans les opérations de renseignement de la CIA, titulaire de la Bronze Star Medal (ndt : Quatrième plus haute distinction pour bravoure, héroïsme et mérite) et Lieutenant colonel de réserve dans l’armée avec plus de 22 années passées dans les milieux du renseignement.
 
Shaffer affirme que les médias se sont concentrés uniquement sur les aspects relatifs à la collecte d’information de Able Danger et n’ont pas vu l’essentiel. "Le mode d’exploitation des données est devenu, pour utiliser un terme de cinéma, le MacGuffin" indique Shaffer en référence à un élément du récit – souvent utilisé dans les films d’Alfred Hitchcock – qui est le fil conducteur de l’intrigue mais qui n’a pas d’importance en lui-même (ndt : par exemple, un collier dans une histoire de voleur ou un document dans un film d’espionnage). "C’était l’élément insignifiant sur lequel ils voulaient que les gens se concentrent. Mais en fait, le projet global couvrait toute la structure de commandement du SOCOM. Ce projet a été monté pour fournir des éléments de décision au commandement national."
 
En d’autres termes, la collecte d’informations concernant la structure des cellules d’Al-Qaïda ne représentait que la première étape d’un plan d’action plus important basé sur ces données. "Ce n’était pas qu’une simple expérimentation. Ma véritable mission n’était pas Able Danger mais je ne pourrai jamais témoigner sur les objectifs opérationnels réels qui m’avaient été assignés dans le cadre de ce projet." Le projet Able Danger, dépeint par la plupart des médias comme étant un simple exercice de traitement de données, était en fait complètement intégré dans un effort militaire beaucoup plus vaste visant à démanteler Al-Qaïda. Ses capacités et ses objectifs réels sont toujours classifiés.
 
Shaffer soutient que les révélations les plus accablantes résident dans la partie classifiée du projet, le côté opérationnel. Interrogé sur ce qu’allait être la prochaine étape contre la soi-disant cellule de Brooklyn identifiée par Able Danger et à laquelle appartenait, selon lui, cinq des pirates du 11-Septembre, Shaffer a répondu : "Je ne peux pas aborder ce sujet."
 
Au centre de l’action militaire prévue se trouvait un contact de longue date recruté par la DIA plusieurs années avant Able Danger, un général Afghan en retraite qui avait un accès direct aux activités d’Al-Qaïda en Afghanistan. "Nous avions un point d’entrée fiable dans Al-Qaïda que nous utilisions pour nos besoins opérationnels," dit Shaffer. "Ce contact était un moyen d’accès supplémentaire. Nous avions également prévu d’utiliser d’autres moyens qui sont toujours classifiés." Tout cela a changé quand la CIA s’en est mêlée.
 
Suite aux attaques d’ambassades, la Maison Blanche a commencé à s’inquiéter du déficit de pénétration de la CIA dans Al-Qaïda. Richard Clarke, le Directeur du contre-terrorisme auprès du Président Clinton, a déclaré qu’il préconisait un remaniement de l’Agence. "Nous avions besoin d’une nouvelle orientation," a-t-il expliqué. Sur son ordre, Tenet, le directeur de la CIA entre 1997 et 2005, a renvoyé Michael Scheuer, le fondateur de l’unité Ben Laden – également connue sous le nom Alec Station. Deux hommes avec une forte expérience opérationnelle, Cofer Black et Richard Blee, ont été mis en place pour prendre les commandes. "Quand Cofer Black a pris en main le contre-terrorisme à la CIA, il a été atterré de constater que l’Agence ne disposait d’aucune source à l’intérieur d’Al-Qaïda," a rapporté Clarke. "Alors il m’a dit qu’il allait essayer d’en trouver.’"
 
Alors que Black et Blee se mettaient au travail à la CIA, Able Danger montait en puissance. A cette époque, Anthony Shaffer était en charge d’une unité secrète de la DIA connue sous le nom de Stratus Ivy qui fournissait une assistance à cinq opérations occultes majeures de la DOD, toutes d’égale importance. Shaffer dit que le SOCOM l’a intégré dans le projet Able Danger en 1999 pour travailler sur la coordination des agents.
 
En octobre de cette même année, le Capitaine de vaisseau Scott Philpott qui, à l’époque, était le chef des opérations de Able Danger, demanda à Shaffer de se rapprocher de l’agent de la CIA qui assurait la liaison avec le SOCOM pour le mettre au courant. Mais cette réunion ne se passa pas très bien. Dans son entretien avec Nowosielski et Duffy, Shaffer nomme le représentant de la CIA pour la première fois. Il s’agissait d’un vétéran de la guerre froide, David Rolph, qui assurait précédemment les fonctions de chef de station à Moscou.
 
Shaffer a déclaré avoir dit à Rolph : "Nous (l’équipe d’Able Danger) aimerions avoir accès à Alec Station pour conduire nos opérations." Mais Rolph a expliqué qu’à moins que le Général Peter Schoomaker, le chef du Socom, ne contacte directement et personnellement le directeur de la CIA Tenet pour obtenir cet accès, il leur serait refusé. Shaffer a alors proposé qu’un employé de l’unité Alec Station intègre leur propre équipe.
 
Selon Shaffer, Rolph l’a informé sans détour que la CIA ne coopérerait jamais avec le SOCOM sur cette question, parce que si l’armée réussissait à mettre en œuvre les moyens permettant de s’attaquer aux infrastructures d’Al-Qaïda, l’unité Alec Station n’aurait plus de raison d’être. Shaffer avait trouvé cette réponse un peu étrange, même pour une agence connue pour défendre son territoire.
 
"J’ai passé beaucoup de temps à travailler sur des projets communs du SOCOM et de la CIA," a révélé Shaffer. "Si bien que le fait qu’ils n’aient pas voulu coopérer sur ce dossier en particulier était nouveau et m’a inquiété. Mais il est très fréquent que la CIA fasse des choses sans se soucier des autres."
 
Dans quelle mesure l’attitude "faisons le seul" de la CIA à l’égard d’Al-Qaïda a-t-elle permis aux événements de 2001 de se produire n’a attiré l’attention d’un large public que récemment. Cette histoire, réduite à un obscur renvoi dans le rapport de la Commission d’enquête sur le 11-Septembre, a explosé en 2011 lorsqu’il est apparu que Richard Clarke, le Directeur du Contre-terrorisme sous Clinton et Bush, avait, dans une interview filmée, accusé la CIA d’avoir délibérément caché des informations sur deux des pirates du 11-Septembre, les mêmes qui avaient été mis au jour par Able Danger.
 
Selon Clarke, environ 50 agents de l’unité de Black et Blee auraient su dès les débuts de l’année 2000 que les pirates Khalid al-Mihdhar et Nawaf al-Hazmi – qui faisaient partie du groupe qui aurait pris les commandes du vol AA77 et qui seraient des proches de Ben Laden – travaillaient pour Al-Qaïda et étaient arrivés aux États Unis. Aussi incroyable que cela puisse paraître, l’Agence s’est assise sur cette information pendant près de 18 mois, sans tenir aucun compte des procédures standard qui leur imposaient d’en parler au FBI et à l’équipe de Clarke au Conseil de Sécurité National de la Maison Blanche.
 
Clarke pense que seule une décision au plus haut niveau pourrait expliquer le silence d’officiers avec lesquels il s’entretenait régulièrement. Sous la pression de John Duffy, l’ancien chef du contre-terrorisme a fermement blâmé le Directeur de la CIA. Tenet et d’autres ne furent pas long à publier un communiqué de presse assez condescendant. Mais maintenant, on peut révéler que la négligence de la CIA allait bien au delà du fait de garder pour elle des renseignements critiques.
 
Pratiquement au même moment où l’unité Alec Station apprenait l’arrivée probable de al-Mihdhar et al-Hazmi aux États Unis, les informations recueillies par Able Danger mettaient également au jour la présence des mêmes individus sur le sol américain. Selon plusieurs personnes ayant participé directement au projet, la base de données avait permis d’identifier, dès la mi 2000, cinq "points chauds" dans l’activité d’Al-Qaïda, y compris les cellules basées en Allemagne et à New York et qui furent impliquées ultérieurement dans le complot de détournement [du 11-Septembre]. La majeure partie de la controverse réside dans le fait de savoir si, plus d’un an avant les événements de 2001, Able Danger avait identifié ou non le principal pirate, Mohamed Atta. Une enquête du Comité du Sénat sur le Renseignement et un rapport de l’Inspecteur général (IG) du Département de la Défense ont conclu que ce n’était pas le cas. Malgré cela, Shaffer et ses collègues maintiennent que les témoins clés ont été ignorés et que les témoignages ont été déformés dans le rapport final de l’IG. En d’autres termes, tout cela n’était qu’un moyen classique d’étouffer l’affaire.
 
"Nous avions identifié deux des trois cellules qui ont conduit les attentats [du 11-Septembre]," dit Shaffer. "Il y avait la ‘cellule de Brooklyn’, pas au sens géographique du terme mais parce que les membres de cette cellule avaient un profil similaire à ceux qui ont perpétré l’attentat à la bombe contre le WTC en 93. Nous nous sommes intéressés aux individus, aux groupes, à qui ils parlaient, à leurs relations, si ils fréquentaient certaines mosquées à certaines périodes." Les analystes du LIWA ont dressé une cartographie impressionnante de ces terroristes avec leurs noms et leurs photos. "Nous avons découvert que ces gars étaient chez nous [aux USA] et, apparemment, la CIA savait que ces gars étaient là," insiste-t-il. "Et effectivement, personne ne semblait réellement savoir ce qui se passait."
 
Shaffer dit que la portée de cette affaire a bien été comprise à l’époque. "Nous avions une peur bleue d’avoir découvert des cellules opérationnelles … à l’intérieur même des États Unis. Nous n’avions pas toutes les pièces du puzzle et nous n’arrivions pas à comprendre la portée des informations dont nous disposions. L’option militaire apparaissait comme la seule issue possible à ce projet."
 
Shaffer fit appel au LIWA pour préparer cette réponse militaire. "Ils devaient être les cibleurs (ndt : Un "cibleur" est un officier chargé de planifier et coordonner un bombardement. Il doit identifier les éléments critiques et les points vulnérables de l’opération, estimer les dommages collatéraux et déterminer quel type d’arme sera utilisé) dans cette opération. J’étais en mesure de convaincre le SOCOM de les faire entrer dans le projet. J’en connaissais le patron, le Major Général Bob Newman." Shaffer a déclaré que Newman l’avait encouragé à faire appel au Commandement de la Sécurité et du Renseignement de l’Armée (INSCOM) – qui conduit des opérations de sécurité et de renseignement pour les différents commandements militaires – pour s’occuper du côté "clandestin" de cette affaire. Shaffer insinuera juste que les actions à venir allaient impliquer le cyberespace. "Dès que nous avons commencé à développer la méthodologie pour cibler les structures mondiales d’Al-Qaïda, il y a eu beaucoup de réticence de la part de la communauté."
 
Shaffer a dit qu’entre 1999 et 2001, il avait plusieurs fois informé Tenet personnellement sur Able Danger et sur les autres projets concurrents de la DIA. Dans la structure qui existait avant le 11-Septembre, le directeur de la CIA était également le Directeur central du renseignement pour le gouvernement dans son ensemble, supervisant les 16 agences qui constituent la communauté du renseignement, y compris la DIA. Nous ne savons pas si l’existence de la cellule de Brooklyn à l’intérieur des Etats Unis a été rapportée à Tenet. Shaffer a refusé de révéler les détails des entretiens qui sont encore classifiés. Quoiqu’il en soit, Shaffer a dit que "Tenet n’était pas très à l’aise avec certaines des choses dont on parlait."
 
Dans son entretien de 2009 avec Duffy et Nowosielski, Richard Clarke a évoqué la possibilité que l’unité Alec Station ait pu lancer, à cette époque, sa propre opération pour suivre à la trace al-Mihdhar et al-Hazmi qui vivaient sous leurs vrais noms dans le sud de la Californie. Clarke admit qu’il n’avait aucun moyen de le prouver mais il était convaincu qu’il n’y avait pas d’autre explication possible. Sa théorie a été corroborée par cinq anciens agents du contre-terrorisme au FBI qui ont soutenu son assertion selon laquelle l’unité Alec Station dissimulait délibérément des informations sur les futurs pirates du 11-Septembre.
 
Au printemps de cette année, Tony Gentry, le procureur du Commandement de la sécurité et du renseignement de l’armée, s’est trouvé impliqué lorsqu’il a déclaré qu’il était préoccupé par les pratiques d’espionnage de l’armée américaine sur le territoire national, alors que ces pratiques ne sont pas autorisées ; Il s’inquiétait également au sujet des règles interdisant la rétention d’information sur un citoyen américain au delà de 90 jours. On avait dit à Shaffer que beaucoup individus composant cette cellule était en cours de naturalisation ou avaient une carte de séjour (Green Card) mais on lui avait également précisé qu’il n’aurait pas accès à ces informations car ce n’était pas de son ressort. Shaffer a indiqué qu’il avait été informé par les juristes du DOD que beaucoup d’extrémistes d’Al-Qaïda étaient aux États Unis pour collecter des fonds. Ils n’étaient pas considérés comme une menace.
 
"Jusqu’à ce jour, je continue de croire que cette inquiétude [concernant la rétention de données] était une farce," déclare Shaffer avec un soupçon de colère dans la voix, "compte-tenu de la façon dont le gouvernement abuse régulièrement des informations concernant les citoyens américains dans d’autres domaines." Le cas de la cellule de Brooklyn fut débattu au sein du SOCOM. Shaffer rencontra un Général trois étoiles, Larry Ellis, responsable des opérations militaires, au printemps 2000. Ellis était d’accord avec Shaffer, mais les juristes du DOD ont insisté sur le fait que ce niveau de collecte d’information n’était pas du ressort des militaires.
 
"Il est devenu clair que quelqu’un ne voulait pas que nous examinions ces données et une orientation incroyable a été prise." Les juristes de l’état major ont ordonné au Capitaine Eric Kleinsmith de détruire quelque 2,5 téraoctets de données provenant de sources publiques. En mars ou avril 2000, les bureaux de Orion Scientific Systems, une entreprise privée employée par le LIWA pour le programme [Able Danger], furent pris d’assaut par des agents fédéraux armés. Une grande partie de la documentation élaborée pour Able Danger fut confisquée – et avec elle disparu la plus belle occasion de faire la lumière sur le complot de détournement d’avions.
 
Peu de temps après que la collecte de donnés pour Able Danger soit terminée, la CIA a fait pression pour que l’aspect opérationnel du projet soit stoppé. Le général Afghan en retraite qui était au cœur du programme Able Danger était ce qu’on appelle en langage barbouze un "Agent principal". Les agents principaux servent d’interface avec les officiers professionnels en mission de renseignement. Ces officiers de la CIA et de la DIA gèrent des agents principaux un peu partout dans le monde et, à leur tour, ces agents principaux animent leur propres réseaux d’agents. Le contact de la DIA supervisait un réseau d’autres agents infiltrés dont les noms étaient connus de Shaffer et de son équipe. Après avoir mis au courant le Directeur de la CIA, Shaffer a commencé de suspecter que l’unité Alec Station utilisait cette information pour recruter des agents dans le réseau du Général Afghan.
 
"En gros, on peut dire qu’ils nous volaient nos contacts," a déclaré Shaffer. Il pense que l’unité Alec Station était prête à tout pour infiltrer Al-Qaïda. "Ils se comportaient comme de simples spectateurs. Je pense que nous avions de meilleures entrées qu’eux et c’est la raison pour laquelle ils voulaient éliminer notre contact et récupérer ses réseaux pour leur propre compte."
 
Une fois que l’Agence eut récupéré suffisamment de contacts de l’agent principal de la DIA, ils ont finalement voulu écarter complètement la DIA. En septembre ou octobre 2000, le patron de Shaffer, le Général d’armée Bob Hardy Jr, a été contraint de croiser le fer avec le directeur de la CIA lors d’une séance à huis clos devant le Comité de renseignement de la Maison Blanche. Shaffer a décrit cette réunion comme une "sérieuse bataille".
 
Le Congrès a mis en place le Comité restreint permanent du renseignement de la Maison Blanche en 1977, soi-disant pour superviser les branches exécutives du gouvernement américain. Qu’il ait atteint ou non cet objectif est discutable, mais en tout cas, quand la CIA a pris la décision de se plaindre au Comité, cela a évidemment été pris très au sérieux. Tenet a présenté des arguments selon lesquels Able Danger interférait avec une opération parallèle de la CIA, conduite apparemment par l’unité Alec Station.
 
"George Tenet s’est présenté devant le Congrès et a menti," a vigoureusement déclaré Shaffer. Tenet a dépeint l’informateur de la DIA, le Général afghan en retraite, comme un meurtrier, une affirmation infondée selon Shaffer. Il avait entendu dire que Tenet avait fait cela à la demande de l’unité Alec Station, dirigée à l’époque par Blee, qui se plaignait avec force d’Able Danger. "Nous avions le sentiment que la CIA faisait une énorme erreur pour des raisons politiques, juste pour se désengager de ce contact en Afghanistan. Mais avec le recul, il est très clair que la CIA jouait son propre jeu et que ça ne les intéressait pas de coopérer, à un point tel qu’ils entravaient notre capacité à conduire notre propre offensive contre Al-Qaïda." Sur la base du témoignage de Tenet, le Congrès ordonna que le contact de la DIA – qui avait un accès direct aux activités d’Al-Qaïda en Afghanistan – soit abandonné. Shaffer décrit le mensonge de Tenet comme ayant causé "d’énormes dégâts" à la stratégie globale de la partie du programme dont il avait la charge.
 
Ce n’est pas la première fois qu’un ancien représentant de l’état accuse Tenet de mentir à une instance gouvernementale. Parlant des renseignements sur al-Mihdhar et al-Hazmi que l’unité Alec Station lui a cachés, Richard Clarke a expliqué, "[Tenet, Black et Blee] ont été capables de passer au travers d’un Comité d’Investigation de la Maison Blanche et de la Commission d’enquête sur le 11-Septembre sans que ceci ne soit jamais révélé. On les a laissé faire."
 
Lors de sa déposition publique devant le Comité du Renseignement du Congrès, Tenet a été interrogé directement par le Sénateur Carl Levin au sujet d’un télégramme reçu par l’unité Alec Station en 2000 pour les avertir que al-Hazmi s’était envolé vers les États Unis. Et Tenet a répondu : " Personne n’a lu ce télégramme en mars."
 
Levin insista : "Donc le télégramme disant que Hazmi était entré aux États Unis est parvenu à votre quartier général et personne ne l’a lu ?"
 
"Oui Monsieur".
 
L’inspecteur général de la CIA (ndt : L’Inspecteur Général, nommé par le président, surveille le bon fonctionnement de la CIA. Il est indépendant, hiérarchiquement, du Directeur), John Helgerson, a révélé plus tard dans le résumé public de son rapport sur le 11-Septembre, qui était encore confidentiel à cette époque, que 50 à 60 agents des unités Black et Blee étaient au courant de rapports produits en 2000 attestant que al-Hazmi et al-Mihdhar pourraient se trouver aux Etats Unis.
 
Tom Kean, le président de la Commission d’enquête sur le 11-Septembre, a également fait part de ses doutes concernant Tenet dans un entretien avec Nowosielski et le journaliste Rory O’Connor réalisé en 2008 au cours duquel il a déclaré que les membres de la Commission avaient l’impression que Tenet n’avait "manifestement pas été très bavard" dans certaines de ses dépositions devant leur "instance constituée légalement et créée par le Congrès et le Président." Interrogé pour savoir s’ils pensaient que Tenet s’était mal exprimé lors de déclarations qui, ultérieurement, se sont révélées fausses, Kean a répondu : "Non, Je ne pense pas qu’il se soit mal exprimé, je pense qu’il nous a volontairement trompé."
 
A la fin de l’année 2000, l’aspect exploitation des données fut relancé sous le nom "Able Danger II" et transféré dans un Centre de recherche du renseignement, privé et confidentiel, à Garland, au Texas. Quand le commandement du SOCOM fut transféré au Général Charles Holland en novembre après le départ en retraite du Général Schoomaker, Holland donna à nouveau l’ordre d’arrêter les activités au Texas et de rapatrier le personnel au quartier général du SOCOM en Floride.
 
Shaffer a déclaré qu’il y avait eu au moins trois échanges majeurs entre les militaires au sujet de cet ordre et qu’ils s’étaient terminés en un concours de vociférations. L’événement le plus notable se déroula en décembre quand le Major général Rod Isler, Directeur des opérations de la DIA, appela son patron l’Amiral Tom Wilson, le Directeur de la DIA, qui rendait compte à Tenet. Lors d’un échange virulent, Wilson ordonna à Isler et à Shaffer d’arrêter de défendre Able Danger II.
 
En janvier 2001, avec un nouveau Président, George W. Bush, à la Maison Blanche, le Lieutenant Colonel Anthony Shaffer informa le Général Hugh Shelton, l’homme qui avait appuyé à l’origine la mise en œuvre d’Able Danger, des résultats du programme et des options opérationnelles, qui incluaient la possibilité de réactiver le général Afghan en retraite dont George Tenet avait demandé le désengagement.
 
Shaffer a dit qu’il avait communiqué les mêmes informations à Tenet lui-même en février, en présence du Directeur de la DIA, Tom Wolson. Le mois suivant, le général Ron Isler ordonna à Shaffer de mettre un point final à Able Danger II. Shaffer exprima fermement son désaccord, ce qui se termina en dispute, avant que Isler ne fasse jouer sa position hiérarchique. A partir de là, c’en était pratiquement terminé de Able Danger II.
 
Deux mois plus tard, Shaffer allait recevoir un appel affolé d’un autre officier de Able Danger qui voulait absolument savoir si Shaffer l’autorisait à transférer les informations vers un autre site militaire pour être en mesure d’élaborer un plan d’action. Quand Shaffer en parla à son patron, le Colonel Mary Moffit, celle-ci fut tellement offusquée par son "insubordination" [sic] à continuer d’évoquer Able Danger qu’elle entama le processus pour le rétrograder de sa position de leader actuelle à une autre fonction au bureau latino-américain de la DIA.
 
Shaffer croit qu’il est possible, bien qu’il n’ait aucun moyen d’en être certain, que Tenet ait joué un rôle en coulisse dans l’arrêt de Able Danger et Able Danger II. "Tenet pouvait parler aux juristes du DOD. Les juristes de la CIA pouvaient parler aux juristes du DOD en sachant quel discours Tenet voulait faire passer. On m’a demandé de faire passer des messages d’un responsable à l’autre. Il n’existe aucun document concernant ces rencontres. Personne ne sait même qu’elles ont eu lieu car il n’y a aucune trace écrite. Cela se passe comme ça tout le temps. Les juristes appartiennent aux directions dont ils dépendent. Ça ne me surprendrait pas qu’il y ait eu un certain niveau de pression … pour amener les gens à reculer ou pour les décourager."
 
Quant à la révélation fracassante de Richard Clarke [lors de son interview télévisée en 2011], cet officier de renseignement décoré est aujourd’hui sous surveillance. "Clarke a peut-être raison quand il dit que les gens de la CIA se sentaient plus intelligents que n’importe qui," se dit-il. "Ils essayaient de contrôler les contacts et je crois vraiment, de mon point de vue, qu’ils travaillaient à supprimer toutes les autres activités opérationnelles qui auraient pu leur faire concurrence ou mettre en lumière certaines de leurs activités."
 
Que se serait-il passé si David Rolph, qui parlait au nom du Directeur de l’Agence quand il rencontra Shaffer fin 1999, avait été plus coopératif ? Que se serait-il passé si Tenet n’avait pas poussé le Congrès à lâcher tous les contacts de longue date de l’armée ayant des connexions à l’intérieur d’Al-Qaïda ? Que se serait-il passé si la CIA avait travaillé avec les militaires, plutôt que contre eux. On ne le saura jamais.

 


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3 Responses to “Un ancien officier de l’armée accuse la CIA d’avoir entravé la collecte de renseignements avant le 11/9”

  • Gil

    courageux ce Shaffer, mais bon rien de neuf sous le soleil
    Ce qu’il y a de remarquable, c’est que toutes les principales entites US: gouvernement, CIA, NSA, ministeres… ont 2 niveaux de collaborateurs: ceux qui ont pu participer au complot et qui le couvre maintenant, et ceux qui en furent ecartes et qui maintenamt ne font qu’egratigner la VO

  • Phrygane

    Il y a peut-être un troisième niveau : celui des témoins dangereux et qui sont désormais sous terre.

  • Charlie Crummer

    Voilà un autre jour de 9/11 et je reste chez moi à Paris. Je suis un Americain à Paris et je suis encore consterné et horrifié des mensonges qui sont au courant de cet catastrophe. Il ne prends qu’un coup d’oeil à les images que tout le monde a vues. Je veux me faire participer dans le reopen911 équipe.

    Merci pour garder la flamme.

    Charlie

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