Le business fumeux des « experts ès terrorisme » (1/2 + vidéo)


Si la Guerre au Terrorisme initiée après les attentats du 11-Septembre a engendré un bond sécuritaire sans précédent — et donc du budget de la Défense — elle a également accouché d’une flopée "d’experts en terrorisme" pour nous expliquer à quel point nous sommes en danger, partout et tout le temps. Véhiculant la peur du terrorisme (islamique, forcément), ils secouent régulièrement des épouvantails dans les médias : c’est vendeur et tout le monde y trouve son compte… en dehors bien sûr des musulmans qui n’avaient rien demandé, et qui sont devenus d’éternels suspects du jour au lendemain. Dans l’article ci-dessous, Glenn Greenwald analyse le business fumeux de ces experts américains qui profitent de cette psychose et qui l’entretiennent. 
 

(Crédit: Reuters/Lucas Jackson)
 
 

 
L’imposture et le business des « experts ès terrorisme »
 
Un clan d’idéologues ultra-patriotards, camouflés en universitaires impartiaux, spécialisés dans la justification du militarisme des USA.
 
Par Glenn Greenwald, le 15 août 2012 sur Salon.com
 
Traduit par Daniel
 
 
Peu de temps avant l’ouverture des Jeux Olympiques de Londres, un vent d’hystérie s’est propagé au sujet de l’incapacité d’assurer une sécurité anti-terroriste mais, ainsi que Stephen Walt, professeur à Harvard, l’a écrit hier dans Foreign Policy, tout cela a été accompagné, comme d’habitude, de lourdes exagérations de cette menace : «Eh bien, surprise, surprise. Il n’y a pas eu d’attaque terroriste, et les Jeux se sont plutôt bien passés. "S. Walt insiste donc sur l’impérieuse nécessité de tirer la leçon de ces faits :
 
Nous continuons à sur-réagir à la "menace terroriste". Sur ce point, je vous recommande de lire L’illusion terroriste : L’Amérique a sur-réagi au 11-Septembre, de John Mueller et Mark G. Stewart dans le dernier numéro de la revue International Security. Mueller et Stewart analysent 50 cas de prétendus "complots terroristes islamiques" contre les États-Unis, et démontrent comment la quasi-totalité des auteurs étaient (selon leurs propres termes) "incompétents, inefficaces, peu intelligents, idiots, ignorants, désorganisés, égarés, confus, amateurs, abrutis, irréalistes, stupides, irrationnels et crétins." Ils citent Glenn Carle, l’ancien sous-directeur du conseil au renseignement intérieur pour les menaces internationales, qui dit "nous devons considérer les djihadistes pour ce qu’ils sont : des petits meurtriers, des opposants isolés et minables", notant de plus que les capacités d’Al-Qaïda" sont de loin inférieures à ses prétentions."
 
Dans le paragraphe suivant, S. Walt explique pourquoi cette leçon ne sera pas tirée : il y a trop d’intérêts américains dévolus à la pérennisation de cette peur irrationnelle :
 
Mueller et Stewart estiment que les budgets de la sécurité intérieure des Etats-Unis (sans compter les guerres d’Irak et d’Afghanistan) ont augmenté de plus de 1000 milliards de dollars depuis le 11-Septembre, bien que le risque de décès dans une attaque terroriste sur le sol américain soit d’environ 1 pour 3,5 millions par an. En utilisant des hypothèses prudentes et des méthodes usuelles d’évaluation des risques, ils estiment que, pour que ces dépenses puissent être jugées d’un bon rapport coût-efficacité, “elles auraient dû, chaque année, prévenir ou contrecarrer, 333 attaques de très grande envergure." Ils craignent aussi que ce sentiment exagéré de danger ait été "assimilé" : et même quand les politiciens et les "experts ès terrorisme" cessent leur matraquage, l’opinion publique continue de voir une menace importante et imminente. En conclusion :
 
…les Américains semblent avoir intériorisé leur angoisse du terrorisme, et les politiciens et les décideurs en sont venus à croire qu’il serait trop risqué de vouloir contrarier ce sentiment. La crainte de paraître laxiste en matière de terrorisme a remplacé celle de se montrer laxiste pour le communisme; phénomène qui a duré beaucoup plus longtemps que la dramaturgie qui l’a engendré … Cette réaction extraordinairement exagérée et totalement illusoire pourrait s’avérer sans fin"
 
C’est une autre façon de vous prévenir que vous allez continuer à faire la queue aux contrôles de sécurité (TSA) si sympathiques et si efficaces, et à payer pour des interventions aux quatre coins du monde pour "exterminer" ces méchants djihadistes.
 
Tant qu’on garde de hauts niveaux d’alerte antiterroriste, les avantages sont évidents. Tant que la peur persiste, les sociétés privées pompent des masses d’argent frais du budget de la Sécurité Intérieure, simultanément les responsables gouvernementaux de sécurité et de vigilance (National Security and Surveillance State) peuvent exiger des pouvoirs illimités, et agir dans le plus grand secret sans avoir à rendre de comptes. Au final, les administrations publiques et les sociétés privées qui modèlent la politique gouvernementale et portent le discours politique, tirent des profits bien trop importants et trop multiples pour permettre un examen rationnel de la menace terroriste.
 
Mais il y a un domaine similaire profondément impliqué dans la pérennisation de cette peur et au moins aussi important (mais plus rarement évoqué). C’est le business de ceux que S. Walt désigne, avec les guillemets appropriés, comme "les experts ès terrorisme" ; ceux qui ont bâti leurs carrières sur la stratégie de la peur du Terrorisme Islamique et dont la compétence dépend de la persistance de cette menace.
 
Ces "experts ès terrorisme" constituent une petite clique incroyablement incestueuse et nombriliste, à Washington et ses alentours. Ils travaillent pour des cercles de réflexion (think tank), des institutions universitaires, et des médias. Ils ont parfois des idéologies politiques légèrement différentes –certains sont plus républicains, certains sont plus démocrates — mais, comme d’habitude pour les cliques de Washington DC, ces différences affichées d’opinions politiques n’ont absolument aucune incidence en regard de leur identité de groupe et de leurs carrières : leur mission est de défendre et entretenir le mythe de la Très Grave Menace de la Terreur Islamique, en sorte de justifier leurs carrières, la compétence de leur groupe, et leur prétendue "expertise." Comme dans toute bande d’adolescents bornés, ils se défendent instinctivement les uns les autres, chaque fois qu’un des leurs est attaqué, serrant les rangs avec une solidarité immédiate, ils prennent les critiques très personnellement, comme des attaques contre leurs "amis", parce qu’une critique de la famille ou de n’importe quel membre actif du clan est une menace pour leurs intérêts collectifs.
 
Sur un plan plus fondamental, doit être implacablement dénoncée toute argumentation (cf S. Walt) qui mettrait la Menace du Terrorisme Islamique dans une perspective rationnelle convenable — à savoir, qu’elle serait modeste en comparaison des innombrables autres menaces (y compris le terrorisme provenant d’individus ou d’états non musulmans) ; qu’elle serait lourdement exagérée compte tenu de ce qui est fait en son nom, et qu’elle serait entretenue par une islamophobie bigote et nauséabonde. Cela menacerait non seulement leur compétence, mais aussi leur fondement idéologique : la Terreur est une terminologie objective qui renvoie quasi toujours à Terreur Islamique, mais jamais à Terreur Américaine.
 
Ce matin, l’article de S. Walt, plutôt impartial, n’avait pas été publié depuis 24 heures qu’il était âprement attaqué pendant des heures sur Twitter, par Daveed Gartenstein-Ross, et il n’est pas difficile de voir pourquoi. La réaction de Gartenstein-Ross et ce qui la motive, nous éclaire bien sur le fonctionnement du business ”des expert ès terrorisme.”
 
La lucrative carrière de Gartenstein-Ross en tant qu’«expert ès terrorisme» dépend totalement de la pérennisation de la menace du Terrorisme Islamique. Il se présente comme expert ès Terrorisme Islamique en proclamant qu’il est né juif, s’est converti à l’Islam à l’université, puis qu’il a vu la Lumière et s’est converti au Christianisme. Au cours de sa brève expérience musulmane, il a travaillé à la fondation caritative Al-Haramain dans l’Oregon — celle-là même qui a été illégalement espionnée par la NSA sous Bush — mais il est devenu un informateur du FBI contre ce groupe car — comme il le revendique dans son livre, "My Year Inside Radical Islam" (mon année chez les islamistes), écrit pour monnayer son expérience après-coup — il a été horrifié par les haines et l’anti-intellectualisme de ce groupe d’islamistes radicaux.
 
Il est désormais reconnu comme un "expert" à la Fondation néoconservatrice pour la Défense des Démocraties" (dont la liste des "experts" est essentiellement un bottin mondain de tous les ultra néo-conservateurs détraqués du pays). Plus précisément, Gartenstein-Ross est spécifiquement employé par la Fondation avec le titre ronflant de "Directeur du Centre de Recherche sur la Radicalisation Terroriste." Selon sa propre biographie, il est aussi "consultant pour des clients qui se doivent d’être hyper-compétents sur la violence des acteurs non-étatiques et les conflits du XXIe siècle," incluant les "grandes entreprises médiatiques, et des analyses stratégiques pour les industriels de la défense" ; "il est aussi appelé à concevoir et diriger des formations pour le LEDSP du Département d’État de la Défense (service d’instruction et de formation des cadres dirigeants pour une paix durable), et pour le service du Département d’État en charge de la coordination anti-terroriste et de l’application de la loi de sécurité intérieure."
 
Sans surprise, Gartenstein-Ross — comme tout ces «spécialistes ès terrorisme» dans des fonctions similaires — décrit avec zèle la Terreur Islamique comme une menace sérieuse : il sait bien où est son intérêt et ne souhaite pas que son cash-flow, mieux connu sous le nom de Guerre contre le Terrorisme, jamais ne s’épuise. A sa place, que feriez-vous ?
 
En 2009, il a écrit une étude intitulée "Les Terroristes locaux aux États-Unis et au Royaume-Uni", qui, inutile de le préciser, ne traitait que des musulmans : un panorama de 117 "djihadistes" terroristes aux États-Unis et au Royaume-Uni ; il concluait que les croyances religieuses" — en fait l’islam — "jouent un rôle dans la radicalisation." En 2011, il a écrit un livre intitulé L’héritage de Ben Laden : pourquoi continuons-nous de perdre la guerre contre le Terrorisme qui soutient que "malgré la mort d’Oussama ben Laden, al-Qaïda demeure une menace importante." Il a communiqué à fond sur le grotesque complot attribué aux forces Al-Qods iraniennes contre l’ambassadeur d’Arabie saoudite (expliquant que "la charge d’Eric Holder sur l’implication de l’Iran, signifie que le gouvernement prend ça très au sérieux") et il a récemment dépeint le Nigeria comme le "prochain front dans la guerre contre le terrorisme."
 
Assurément, Gartenstein-Ross est plus nuancé et plus raffiné que le héros de BD néocon standard, "super expert ès terreur." Son livre de 2011 sur Ben Laden dénonce le gaspillage des programmes anti-terroristes qui sont hors de proportion avec la menace réelle, et il a, à son crédit, de s’être publiquement opposé à quelques attaques islamophobes bien crasses, mais si la “guerre contre le terrorisme islamique” disparaissait, sa carrière lucrative suivrait. À cet égard, il est vraiment représentatif de cette industrie.
 
 


Note de la Rédaction :
 
Pour transposer ce genre de cas en France, citons par exemple Mohamed Sifaoui qui occupe justement l’actualité pour son livre co-écrit avec le frère de Mohamed Merah. Ardent défenseur de la version officielle du 11-Septembre et pourfendeur de l’Islam radical, il ne lui aura pas fallu longtemps avant de sauter sur les restes du drame toulousain afin d’y trouver son nouveau sujet d’autopromotion médiatique. Intellectuel faussaire pour les uns, Tintin au pays des islamistes pour d’autres, Sifaoui s’est plus souvent fait remarqué pour ses reportages douteux et ses méthodes sensationnalistes que pour la précision de son travail journalistique. Proche du Cercle de l’Oratoire et de ses affidés idéologiques, il est régulièrement invité dans les médias et devint lui-même sujet de reportage sous la caméra d’Antoine Vitkine dans une production de Daniel Leconte. Mieux encore, et non content de faire paniquer la ménagère de moins de cinquante ans, il copia récemment sur Europe1 l’argumentaire fallacieux de Caroline Fourest (qu’il remplaçait d’ailleurs pour l’occasion) en prétendant que le terme "islamophobie" était une invention des Mollahs iraniens… mais se fit tout de même remettre à sa place par Marwan Muhammad, porte parole du CCIF. Malheureusement, cela arrive bien trop rarement comparé à sa présence exagérée dans les médias.
 
 


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