[Brève] Communiqué d’Amnesty sur Guantanamo : 10 années de torts causés à des êtres humains

 
Manifestation devant la Maison Blanche contre Guantanamo


  

 
« La mort d’Adnan Latif devrait montrer à tous les responsables politiques et judiciaires des États-Unis… qu’il est urgent de fermer la base de Guantanamo et que le problème des détentions doit être résolu conformément aux lois et normes internationales relatives aux droits humains. »
 
Rob Freer, chercheur d’Amnesty International sur les États-Unis
 
 

 

Musaab Omar Al Madhwani a passé pratiquement un tiers de sa vie dans des centres de détention gérés par les États-Unis.

Aujourd’hui âgé de 32 ans, ce ressortissant yéménite est détenu dans le camp de Guantanamo Bay (Cuba) depuis plus d’une décennie.

Cela a commencé le 11 septembre 2002, quand les forces de sécurité pakistanaises sont venues l’arrêter dans un appartement de Karachi.

Il raconte qu’on lui a bandé les yeux et qu’il a été ligoté, frappé avec un fusil et menacé de mort.

Quelque cinq jours plus tard, il a été remis aux forces américaines et emmené en avion en Afghanistan, où il a passé environ un mois dans un centre de détention secret géré par les États-Unis à Kaboul, ou dans les environs.

Pendant cette période il aurait été torturé et autrement maltraité, notamment privé de sommeil, forcé de rester dans des positions douloureuses et aspergé d’eau froide.

Fin octobre 2002, Musaab Omar Al Madhwani a été envoyé à Guantanamo. Auparavant, il avait été détenu illégalement pendant cinq jours dans la base aérienne américaine de Bagram, où il a de nouveau subi des violations des droits humains.

Flou juridique

Il a dû attendre encore deux ans avant de pouvoir s’entretenir avec un avocat, et près de six avant que la Cour suprême des États-Unis décide que lui et d’autres détenus de Guantanamo avaient le droit de contester devant la justice la légalité de leur détention. La requête en habeas corpus de Musaab Al Madhwani a finalement été examinée en 2010.

Plus de 10 ans après son placement en détention, il n’a toujours été inculpé d’aucune infraction par les autorités américaines, qui affirment être en droit de le détenir indéfiniment au nom de la « guerre » qu’elle mène dans le monde entier contre Al-Qaïda et les groupes qui lui sont associés.

Les autorités américaines soutiennent qu’en 2001 Musaab Al Madhwani s’est rendu en Afghanistan pour y recevoir un entraînement au maniement des armes à feu dans un camp d’Al-Qaïda, et qu’il s’y serait lié à des membres d’Al-Qaïda.

En 2010, le juge de la cour fédérale de district qui a examiné la requête de Musaab Al Madhwani contestant la légalité de sa détention a accordé au gouvernement le bénéfice du doute. Décrivant son jugement comme portant sur une affaire très complexe, ce juge fédéral a conclu que Musaab Al Madhwani était « au mieux un membre d’Al-Qaïda peu important » qui manifestement n’avait « jamais terminé son entraînement au maniement des armes », « jamais utilisé une arme à feu dans un combat », et jamais « planifié un complot terroriste, n’y a[vait] jamais participé et n’en a[vait] même jamais eu connaissance ». En mai 2011, la Cour fédérale d’appel a confirmé le jugement.

Le juge du tribunal de district a jugé « crédibles » les allégations de Musaab Al Madhwani selon lesquelles il aurait fait l’objet de violations des droits humains durant sa détention et les interrogatoires en Afghanistan. Cependant, il semblerait qu’aucune enquête judiciaire n’ait été ouverte sur les éléments prouvant qu’il a été soumis à une disparition forcée et à des actes de torture, crimes qui relèvent du droit international, lorsqu’il était détenu par les autorités américaines avant son transfert à Guantanamo, ce qui est contraire aux obligations légales internationales des États-Unis.

 

Le sommet de l’iceberg

L’histoire de Musaab Al Madhwani témoigne de l’injustice engendrée par la guerre des États-Unis dans le monde, et montre à quel point cette guerre et son contexte continuent leur action destructrice à l’égard des principes des droits humains.

Plus de 150 hommes sont encore incarcérés à Guantanamo. Nombreux sont ceux qui affirment avoir été torturés ou autrement maltraités alors qu’ils étaient détenus par les autorités américaines. Les responsables de ces violations des droits humains ont rarement été tenus de rendre compte de leurs actes, et le gouvernement des États-Unis a systématiquement entravé les efforts déployés par d’anciens détenus pour obtenir réparation.

En 10 ans, un seul des 779 détenus incarcérés à la base depuis janvier 2002 a été transféré aux États-Unis pour être jugé devant un tribunal fédéral de droit commun. D’autres ont été traduits en justice devant des commissions militaires au cours de procédures non conformes aux normes d’équité des procès internationalement reconnues. Le gouvernement tente actuellement d’obtenir que six de ces hommes soient condamnés à mort par des commissions militaires, en violation du droit international.

Certains détenus, dont le gouvernement des États-Unis a approuvé le transfert hors de Guantanamo, ne peuvent pas être renvoyés dans leur pays d’origine parce qu’ils risqueraient d’y subir de nouvelles violations de leurs droits fondamentaux. Étant donné que les autorités américaines refusent d’autoriser ces détenus, une fois libérés, à pénétrer sur le territoire des États-Unis, ils restent à Guantanamo tant qu’une solution impliquant un pays tiers n’a pas été trouvée, ce qui peut prendre plusieurs années.

La cruauté de ce régime de détention illimitée a été rappelée en septembre 2012, lorsqu’on a appris la mort du Yéménite Adnan Farhan Abdul Latif. Cet homme était, à la connaissance d’Amnesty International, le neuvième détenu à mourir à Guantanamo. Il avait été détenu sans inculpation ni jugement pendant plus de 10 ans.

D’après les autorités militaires américaines, sur les huit détenus morts avant lui, six se sont suicidés et deux sont morts de causes naturelles.

Adnan Latif était arrivé à Guantanamo en janvier 2002, après que la police pakistanaise l’eut interpellé près de la frontière afghane, en décembre 2001, avant de le remettre aux autorités étatsuniennes.

Il était détenu dans la base navale depuis lors, malgré les profondes inquiétudes que suscitait sa santé mentale et physique.

« Je suis prisonnier de la mort », a-t-il dit à son avocat après qu’une cour d’appel fédérale eut annulé le jugement d’un juge de district qui avait déclaré que sa détention était illégale et qu’il devait être remis en liberté.

 

L’avenir de Guantanamo

La mort d’Adnan Latif devrait être un signe fort de l’illégalité de ce centre de détention.

« La mort d’Adnan Latif devrait montrer à tous les responsables politiques et judiciaires des États-Unis, quelles que soient leur conviction politique ou leur philosophie en matière de justice, que le régime de Guantanamo est cruel et incompatible avec le droit international et les principes relatifs aux droits humains, qu’il est urgent de fermer la base de Guantanamo et que le problème des détentions doit être résolu conformément aux lois et normes internationales relatives aux droits humains », a déclaré Rob Freer, chercheur d’Amnesty International sur les États-Unis.

Lors de sa deuxième journée complète dans l’exercice de ses fonctions, le président Obama avait engagé le gouvernement à fermer les installations de Guantanamo au plus tard le 22 janvier 2010. Il avait décrit la prison comme une « expérience fourvoyée », ajoutant que, de toute façon, son coût de fonctionnement était bien plus élevé que sa fermeture n’était complexe. Plus de deux ans et demi après, le centre de détention fonctionne toujours.

Il incombe aux autorités des États-Unis de prendre d’urgence des mesures pour réparer ces torts commis contre des êtres humains pendant toute une décennie. Elles doivent soit faire juger les détenus de Guantanamo par des tribunaux civils indépendants au cours de procès équitables, soit les remettre en liberté. C’est là une partie de ce que les principes internationaux relatifs aux droits humains exigent des États-Unis.

 

Source : Amnesty International, le 1er novembre 2012

 


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4 Responses to “[Brève] Communiqué d’Amnesty sur Guantanamo : 10 années de torts causés à des êtres humains”

  • kidkodak

    Quatre hommes affirmant avoir été torturés en Afghanistan et à Guantanamo ont déposé une plainte contre le Canada auprès des Nations unies en lien avec le refus d’Ottawa de poursuivre l’ex-président américain George W. Bush.
    http://www.lapresse.ca/actualites/quebec-canada/justice-et-faits-divers/201211/14/01-4593920-des-prisonniers-pretendument-tortures-se-plaignent-a-lonu.php?utm_categorieinterne=trafficdrivers&utm_contenuinterne=cyberpresse_BO2_quebec_canada_178_accueil_POS1

  • bubul

    Voici un extrait d’une discussion d’Alice Miller sur la violence dans notre société, très intéressant :

    http://www.alice-miller.com/interviews_fr.php?page=11a

     » Je suis d’accord avec vous, mais je me demande si la forme de liberté de la presse que nous avons n’existe pas uniquement parce qu’elle n’est que rarement utilisée de façon conséquente, et que les révélations faites restent souvent sans suite parce que l’indignation fait défaut. Et surtout, il reste encore pas mal de gens qui manifestent un désir de détruire.

    Tout à fait exact. Et c’est pourquoi il demeure important pour moi de montrer comment ces gens apparaissent. Comment a-t-il été possible qu’un Hitler captive des millions de gens, alors qu’il n’avait au fond rien d’autre à proposer que l’idée qu’il fallait détruire le peuple juif pour le satisfaire lui-même et lui permettre de se sentir libre. Les terroristes actuels fonctionnent en grande partie de cette façon. Ils vivent avec l’idée que la destruction des autres et même leur propre destruction peuvent amener le paradis sur terre. Nous avons encore du pain sur la planche pour montrer que ce qui apparaît comme irrationnel est en fait la conséquence d’une situation qui, bien qu’étant tout à fait réelle pour l’enfant, n’a encore jamais été nommée. Ni pour la société, ni pour la famille, ni pour les enfants. C’est par exemple le cas lorsqu’on bat un petit enfant et qu’on appelle cela “correction” ou “discipline”, lorsqu’un enfant de trois ou quatre ans doit apprendre à réciter le Coran par cœur et qu’il reçoit un coup de baguette à chaque erreur. Cette situation est totalement absurde, et pourtant, elle est intériorisée par les gens en question. Ce qui a de l’importance pour eux, ce n’est pas tant ce qu’il y a dans le Coran que le fait qu’ils aient été frappés à chaque faute qu’ils commettaient. Cela se prolonge chez l’adulte, qui va reproduire sans cesse ce qui lui est arrivé. Se venger peut devenir le seul désir de sa vie. C’est ce qu’on voit chez les dictateurs, mais aussi chez des gens ordinaires qui entrent dans des organisations comme al-Qaida, et même y entrent avec plaisir. Sur ce point, mon rôle tel que je le conçois est de dévoiler la logique qui se cache dans l’irrationnel. Et je ne la vois que dans une enfance totalement absurde. Comment un enfant de trois ou quatre ans peut-il comprendre ce que veut dire le Coran ? Le Coran n’appelle pas au meurtre. Mais un enfant apprend ce qu’il a vécu dans son corps, donc les coups, et il a appris qu’on n’a pas à respecter les autres, qu’on doit admettre des absurdités, qu’on doit tout accepter, qu’on n’a pas le droit de se révolter quand on est traité comme un chien. Et cela se transmet à la société.

    Vous pensez donc que les comportements destructeurs s’apprennent quand l’enfant est confronté très jeune, probablement au tout début de sa vie, aux comportements destructeurs de ses parents et plus tard de ses maîtres ? On lui crie après, on le frappe, on le manipule d’une certaine façon, ses besoins ne sont pas satisfaits…

    Oui, l’état de frustration dû au fait que ses besoins biologiques tout à fait normaux ne sont pas satisfaits a pour conséquence une immense colère, qui n’a pas le droit de s’exprimer parce que c’est défendu. L’enfant doit obéir. Cette colère s’accumule donc, et il peut se passer beaucoup de temps avant que l’adulte ait la possibilité de l’exprimer dans des actes de vengeance. Je ne peux pas imaginer que des gens viennent au monde missionnés par le “bon Dieu” pour éprouver le besoin de détruire le World Trade Center de New York. C’est un non-sens. Pourtant, beaucoup de gens pensent que les terroristes naissent avec cette hérédité chargée. Or, il faut tout un parcours de vie pour vouloir détruire les autres et les rendre aussi malheureux qu’on l’a été soi-même enfant. « 

  • kidkodak

    Guantanamo Hunger Strike Continues – No Legal Basis for Holding Prisoners
    The Ratner Report with Michael Ratner
    http://therealnews.com/t2/index.php?option=com_content&task=view&id=31&Itemid=74&jumival=9936

  • Daniel

    @ bubul

    - Oui c’est vrai, il est des petits enfants violentés qui de par leur passé se tournent vers la reproduction systématique des contraintes vécues, au lieu de les dénoncer.
    Un exemple très connu de cette très stupide (mais humaine) reproduction victime/bourreau est le sort qui est réservé aux jeunes mariées dans les familles indiennes, qui peut aller jusqu’à être brulée vive aspergée par de l’essence !! si sa dot n’est pas assez conséquente. Quasiment des esclaves, boniches bonnes à tout faire, sans aucune possibilité d’échappatoire sous le joug d’une belle-mère acariâtre. Une fois la belle-mère décédée, la victime revendique le rôle de bourreau et reproduit à l’identique les pratiques qu’elle a elle-même subies.

    - Et non ce n’est pas vrai, car on a des cas de terroristes parfaitement éduqué à l’occidentale, sur notre propre sol, ayant parfois effectué de hautes études, tomber de façon insoupçonnée dans une aversion caractérisée à l’encontre du mode de vie qu’ils avaient pourtant intégralement adopté.

    Des revirements spectaculaires se sont déjà produits, même sans avoir eu une enfance chargée d’injustices. Il suffit juste d’une ligne de fracture dans l’histoire de l’individu, qui puisse être exploitée par un prêcheur habile.

    En ce qui concerne les fractures intimes, chacun en a.
    En ce qui concerne les prêcheurs habiles, les musulmans en ont hélas beaucoup plus que les autres.

    En tant qu’occidental « de souche », j’apprécie infiniment la tradition arabe de poésie, musique, culture, etc… Par contre je peux pas blairer tous ces prêcheurs arrogants qui veulent changer le monde au lieu de se changer eux-mêmes. Et ce que je crains par dessus tout, c’est la radicalisation planétaire invisible dont Bush et consors sont responsables au premier degré, et qu’Alain Chouet a parfaitement décrit ici :
    http://www.dailymotion.com/video/xc6jyy_l-integrale-du-discours-d-alain-cho_news#.UU1KyBlCO2c

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