John Pilger : Désormais, vous êtes tous des suspects. Alors, comment comptez-vous réagir ?

Pour John Pilger, grand reporter anglo-saxon connu pour son militantisme anti-guerre, la descente vers le fascisme se fait par petites touches successives, insensiblement, au travers de lois aux noms sybillins, "NDAA" ou "CISPA", de systèmes de surveillance des populations toujours plus sophistiqués, ou de termes laissés vagues dans les textes de loi, et qui permettent d’appeler "terroriste" à peu près n’importe qui, sans faire appel à la justice. La chose est révoltante pour celui qui en a conscience et qui voudrait continuer à vivre dans une société libre. Oui mais voilà : comment comptez-vous réagir face à ce système toujours plus oppressant et oppresseur, basé sur les mythes persistants et omniprésents de la "Guerre contre la Terreur" et d’"al-Qaïda" ? Et vous qui lisez ces lignes, concrètement, que comptez-vous faire ?

 

Le fondateur de Wikileaks, Julian Assange
menacé d’extradition vers les USA

 


Désormais, vous êtes tous des suspects. Alors, comment comptez-vous réagir ?

par John Pilger, sur son Blog, traduit par LeGrandSoir, le 1er mai 2012

John Pilger est une figure du journalisme d’investigation anglo-saxon, activiste anti-guerre et défenseur des droits de l’Homme, qui s’était exprimé le 23 octobre 2010 à Londres sur le probable "laisser-faire" (qui s’appelle la théorie LIHOP, pour Let It Happen On Purpose) de l’administration Bush lors des attentats du 11-Septembre. Pilger a été correspondant de guerre au Viêt-nam, au Cambodge, en Égypte, en Inde, au Bangladesh et au Biafra. L’un de ses premiers films, Year Zero (Année Zéro) a attiré l’attention de la communauté internationale sur les violations des droits de l’homme commises par les Khmers rouges au Cambodge. Il a obtenu de nombreux prix de journalisme et d’associations des droits de l’homme (le Prix Sophie en 2003), dont, deux fois, le prix britannique du Journalist of the Year. Cet activiste anti-guerre n’a de cesse de rappeler la responsabilité de ceux qui savent, des « intellectuels », aux misères et aux violences du monde : « Briser le mensonge du silence n’est pas une abstraction ésotérique mais une responsabilité urgente qui incombe à ceux qui ont le privilège d’avoir une tribune. » En outre, John Pilger possède son propre site web où il communique ses idées et ses craintes pour la société occidentale.

Vous êtes tous des terroristes potentiels. Peu importe que vous soyez en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis ou au Moyen-Orient. La citoyenneté a été abolie. Allumez votre ordinateur et le Centre National des Opérations du département US de Homeland Security peut surveiller non seulement si vous êtes en train de taper « al-qaeda », mais aussi « exercice », « entraînement », « vague », « initiative » et « organisation » : autant de mots sous surveillance. L’annonce faite par le gouvernement britannique de son intention de surveiller tous les courriers électroniques et conversations téléphoniques n’est que du réchauffé. Le système de surveillance par satellite appelé Echelon le fait depuis des années. Ce qui est nouveau, c’est que l’état de guerre permanente vient d’être déclaré par les Etats-Unis et un état policier est en train de gangrener les démocraties occidentales.

Alors, comment comptez-vous réagir ?

En Grande-Bretagne, sur instructions de la CIA, des tribunaux secrets se chargeront des « terroristes présumés ». Le Habeas Corpus se meurt. La Cour européenne des Droits de l’Homme a jugé que cinq hommes, dont trois citoyens britanniques, pouvaient être extradés vers les Etats-Unis bien qu’aucun d’entre eux, sauf un, n’ait été accusé d’un crime. Tous ont été emprisonnés pendant des années en vertu du Traité d’Extradition de 2003 entre la Grande-Bretagne et les Etats-Unis qui a été signé un mois après l’invasion criminelle de l’Irak. La Cour Européenne avait condamné le traité parce que ce dernier pouvait entraîner une « punition cruelle et inhabituelle ». Un des hommes, Babar Ahmad, a reçu une indemnisation de £63.000 pour 73 blessures constatées lors de sa détention par la Police Métropolitaine. L’abus sexuel, une signature du fascisme, n’était pas le moindre des maux subis. Un autre homme est un schizophrène qui a subi un effondrement psychologique total et se trouve dans l’hôpital prison de Broadmore ; un autre souffre de tendances suicidaires. Tous seront extradés vers le Pays de la Liberté – en compagnie du jeune Richard O’Dwyer qui risque 10 ans de prison, fers aux pieds et dans une tenue orange, sous l’accusation d’avoir violé les droits d’auteur US sur Internet.

Au fur et à mesure que la loi se politise et s’américanise, ces travestis de justice se banalisent. En confirmant la condamnation d’un étudiant d’université de Londres, Mohammed Gul, pour dissémination de « terrorisme » sur Internet, les juges de la Cour d’Appel ont jugé que « des actes… contre des forces armées de n’importe quel état dans le monde qui cherchent à influer sur un gouvernement et qui ont été accomplis pour des raisons politiques » sont désormais des crimes. Convoquez Thomas Paine, Aung San Suu Kyi, Nelson Mandela.

Alors, comment comptez-vous réagir ?

Le diagnostic est désormais établi : la tumeur que Norman Mailer appelait le « pré-fascisme » s’est transformée en métastase. Le procureur US, Eric Holder, défend le « droit » de son gouvernement d’assassiner des citoyens américains. Israël, le protégé, est autorisé à pointer ses armes nucléaires vers l’Iran qui n’en possède pas. Dans ce monde fait d’illusions, le mensonge est partout. Le massacre de 17 civils afghans le 11 mars, dont au moins neuf enfants et quatre femmes, est attribué à un soldat américain « devenu fou ». L’ « authenticité » de la chose est certifiée par le Président Obama lui-même, qui a « regardé une vidéo » et la considère comme « une preuve irréfutable ». Une enquête indépendante du parlement afghan a présenté des témoins oculaires qui ont fourni des éléments détaillés qui impliquent pas moins de 20 soldats, appuyés par un hélicoptère, qui ont ravagé leurs villages et se sont livrés à des meurtres et des viols : le mode opératoire habituel, quoique légèrement plus meurtrier, des forces spéciales US dans leurs « raids nocturnes ».

Faites abstraction des assassinats via la technologie des jeux vidéos – une contribution des Etats-Unis à la modernité – et le comportement devient somme toute banal. Baignant dans une culture d’autosatisfaction de bandes dessinées, formés brutalement et à la va-vite, souvent racistes, obèses et dirigés par une classe d’officiers corrompus, les forces américaines délocalisent leurs homicides à domicile vers des pays lointains, là où ils ne comprennent absolument rien à ces luttes menées avec les moyens du bord. Dans une nation fondée sur le génocide de la population indienne, les habitudes ont la vie dure.

Le Vietnam lui aussi était un « pays indien » et ses « chinetoques » et « niakoués » devaient être « explosés ». L’explosion de centaines d’habitants du village vietnamien de My Lai en 1968, principalement des femmes et des enfants, était aussi un incident « isolé » et, de manière profane, une « tragédie américaine » (titre de la couverture du magazine Newsweek). Un seul des 26 accusés fut condamné et il fut ensuite libéré par le Président Richard Nixon. My Lai se trouve dans la province de Quang Ngai où, comme je l’ai appris en tant que reporter, environ 50 000 personnes ont été tuées par les troupes américaines, la plupart dans ce qu’on appelait des « zones de tir ». C’était ça le modèle de la guerre moderne : le meurtre à l’échelle industrielle.

A l’instar de l’Irak et de la Libye, l’Afghanistan est un parc d’attractions pour les profiteurs de la nouvelle guerre permanente des Etats-Unis : l’OTAN, les sociétés d’armement et de hautes technologies, les médias et l’industrie de « sécurité » dont les activités lucratives ont contaminé la vie quotidienne. La conquête ou la « pacification » d’un territoire est sans importance. L’important, c’est votre pacification à vous, la culture de votre indifférence.

Alors, comment comptez-vous réagir ?

La descente vers le totalitarisme se produit par étapes. D’un jour à l’autre, la Cour Suprême de Londres décidera si le responsable de Wikileaks, Julian Assange, doit être extradé vers la Suède. Si ce dernier appel devait échouer, celui qui a permis que la vérité soit révélée à une échelle sans précédant, et qui n’a été accusé d’aucun crime, risque la prison en isolement et des interrogatoires sur des accusations farfelues d’abus sexuels. Grâce à un accord secret entre les Etats-Unis et la Suède, il pourra être « extradé » vers le goulag américain à tout moment. Dans son propre pays, l’Australie, le premier ministre Julia Gillard a conspiré de concert avec ceux à Washington qu’elle appelle ses « véritables potes » pour s’assurer qu’un concitoyen innocent se retrouve dans une combinaison orange si d’aventure il rentrait chez lui. Au mois de février, son gouvernement a rajouté un « amendement Wikileaks » au traité d’extradition entre l’Australie et les Etats-Unis, amendement grâce auquel ses « potes » pourront facilement lui mettre le grappin dessus. Elle leur a même accordé le pouvoir de décision au détriment de la loi sur la liberté d’accès à l’information – ainsi ils pourront continuer à mentir au monde entier, comme ils en ont l’habitude.

Alors, comment comptez-vous réagir ?

John Pilger

Traduction « je vais commencer par traduire ton article JP » par VD avec probablement les fautes et coquilles habituelles (et très certainement la rage habituelle).


En savoir plus :

 

 


 

One Response to “John Pilger : Désormais, vous êtes tous des suspects. Alors, comment comptez-vous réagir ?”

  • Sébastien

    John Pilger, l’homme qui se pose des questions. Mort de rire. On doit lui fournir des réponses? Re-mort de rire. Ah non, on ne rit pas, monsieur INFORME. Il fait parti de l’Elite journalistique. Enfin, du club, quoi. Pourquoi il ne va pas demander des comptes et des réponses à ses petits copains? Ils devraient connaître la réponse. Moi, je ne suis qu’un humble citoyen qui essaie de s’informer (et ça lui fait une belle jambe au citoyen).
    Tous ceux qui disent la vérité sont considérés par des parias et autres noms d’oiseaux depuis des années. Même sur ce site. Personne n’a jamais voulu voir les choses en face ET réagir en conséquence.
    Continuez donc à écrire des articles, maintenant, c’est chacun pour sa gueule. D’ailleurs, je n’ai plus ni le temps, ni les moyens d’aider qui que se soit. Pour en arriver là? Pffff….J’ai ma dose.
    On n’arrête pas une guerre la veille où l’on s’aperçoit qu’elle va commencer. Encore moins le lendemain quand elle a déjà commencé. Pourtant, à une époque, il y avait des tas de gens qui avaient des tas de réponses à tout. Ils commencent à se faire beaucoup plus discrets ces derniers temps.
    La fête est finie. Non, pas juste comme titre de livre ou réplique foireuse dans un film Hollywoodien. Elle est finit! en vrai, quoi! Pas en virtuel, pas en discours.
    C’est le plus difficile à avaler, mais c’est comme tout on s’y fait.
    Comment réagir autrement quand on voit la gueule de la population? Démocratie quand tu nous tiens…Par les c….., oui!
    Tiens, juste pour aller un peu plu loin que la question hautaine et inquisitrice de monsieur Pilger: qui est prêt à se sacrifier?
    En ces temps d’élection (l’Elu, c’est une sorte de Dieu non?), vers quels Saint allez-vous vous tourner?
    Non, je ne donnerai pas de noms (ça pourrait fâcher les fans-atiques des uns ou des autres), il y en a trop, et on ne tire pas sur un convoi de corbillards.

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