Washington Post : Selon Bob Woodward, la CIA a engagé le frère de Karzaï avant le 11-Septembre

Lorsque l’on traite de l’Afghanistan dans les médias français, la question pourtant cruciale de la drogue y est très rarement évoquée. Or la géopolitique de la drogue, notamment en Asie centrale, est d’une importance primordiale, car elle induit des avantages stratégiques et financiers considérables pour ceux qui la contrôlent. L’Histoire contemporaine tend à nous démontrer que des acteurs étatiques – tels que la CIA – ont depuis les années 1950 mis en place une véritable géopolitique de la drogue à l’échelle globale, comme le démontre de manière très documentée le professeur Peter Dale Scott dans son dernier ouvrage, La Route vers le Nouveau Désordre Mondial[1].

Aujourd’hui, alors que les forces de l’OTAN et l’Armée Nationale Afghane (ANA) se montrent incapables de pacifier ce pays, la culture du pavot et la production de haschich atteignent des niveaux records, selon les statistiques du Bureau des Nations Unies contre la Drogue et le Crime (ONUDC). Il convient en effet de rappeler que le Directeur exécutif de l’ONUDC a récemment déclaré dans la presse que les liquidités apportées par le trafic de drogue global ont permis d’empêcher l’effondrement du secteur bancaire international en septembre 2008. Cette information illustre à quel point les revenus générés par le trafic de drogue s’avèrent stratégiques.

Ainsi, l’explosion de la culture du pavot et de la production d’opium en Afghanistan a donné lieu à de récentes protestations de la Russie, qui souligne la responsabilité première de l’OTAN dans cette situation. En effet, l’héroïne afghane a causé la mort d’un nombre considérable de citoyens russes depuis ces dix dernières années. Observable depuis le déclenchement de l’intervention de l’OTAN sur le théâtre afghan en octobre 2001, l’explosion de la culture et du trafic de la drogue en Afghanistan induit l’implication d’acteurs divers, qu’ils soient étatiques ou non. Parmi eux, Ahmed Wali Karzaï, gouverneur de la province de Kandahar et demi-frère du Président Hamid Karzaï, est accusé depuis de nombreuses années par la presse internationale – dont le New York Times – d’être un important trafiquant de drogue allié à la CIA.

Jusqu’à présent, il n’avait jamais été révélé qu’il  avait été un agent de la CIA avant le 11-Septembre. Le grand journaliste et auteur Bob Woodward vient de le rapporter dans son dernier livre, Obama’s Wars[2] – information que reprend le présent article. Au regard de l’importance d’Ahmed Wali Karzaï dans le dispositif de la CIA et de l’OTAN en Afghanistan, et de la manne financière que représente le trafic de drogue pour le secteur bancaire international, il serait nécessaire de reconsidérer les véritables objectifs de ce conflit. En effet, il n’a jamais été constaté que le surdéveloppement du trafic de drogue au sein d’une nation soit un facteur de stabilité, de prospérité et de démocratie.

 

Ahmed Wali Karzaï faisant un discours. Au premier plan, portrait de son frère, le Président de l’Afghanistan, Hamid Karzaï

 

 


 

* * * N O T E * * *

 

Aujourd’hui, 7 octobre 2010, la guerre d’Afghanistan a 9 ans, mais aucun problème n’a été résolu.

Notre association ReOpen911 se joint à l’initiative mise en place par le Mouvement de la Paix et le collectif Otan-Afghanistan qui lancent à l’occasion de ce tragique anniversaire, « une grande campagne d’information, de débats et d’actions pour mobiliser l’opinion publique ». Pour permettre l’expression de cette exigence « de passer du militaire au politique », le Mouvement de la Paix lance une pétition et appelle les citoyens à s’en saisir. Elle est disponible en ligne depuis le 7 octobre.

 

 


Selon Bob Woodward, la CIA a engagé le frère de Karzaï avant le 11-Septembre

Jeff Stein, Washington Post, le 30 septembre 2010

Ahmed Wali Karzaï, le demi-frère du Président de l’Afghanistan et le responsable de la province stratégiquement importante de Kandahar, a été payé par la CIA depuis plus d’une décennie, comme Bob Woodward l’a écrit dans son nouveau livre, « Obama’s Wars[1]. »

A l’automne 2008, selon Woodward, « Ahmed Wali Karzaï avait été payé par la CIA depuis des années, [cette connexion] débutant avant le 11-Septembre. Il faisait partie du réseau restreint d’agents et d’informateurs rémunérés par la CIA en Afghanistan. De plus, la CIA lui a donné de l’argent à travers son demi-frère, le Président [Karzaï]. »

Hamid Karzaï sortit de l’anonymat  en devenant Président [de l’Afghanistan] lorsque les forces armées afghanes – soutenues par les Etats-Unis – eurent chassé les talibans du pouvoir suite aux attentats du 11-Septembre.

Ces dernières années, il y a eu de nombreux comptes-rendus [NdT : lien rajouté par la rédaction] au sujet de la relation de son frère avec la CIA, nous laissant l’impression qu’il est un « agent » de la CIA, c’est-à-dire un atout sous contrôle de cette agence d’espionnage. 

Néanmoins, l’article de Woodward au sujet de la relation entretenue par la CIA avec Karzaï, qui a également été accusé de manière récurrente – sans toutefois être inculpé – de protéger le trafic d’opium, est plus nuancé.

« Il ne fut pas un agent sous contrôle qui répondait systématiquement aux demandes et aux pressions des Etats-Unis et de la CIA, » écrit Woodward. « Il agissait pour son propre compte, montant les différentes parties les unes contre les autres – les Etats-Unis, les trafiquants de drogue, les talibans, et même son propre frère si nécessaire. »

Pourtant, les maîtres-espions à Langley [siège de la CIA, NdT] se sont alliés à cet homme. 

« Si les Etats-Unis voulaient jouer un rôle dans un territoire contrôlé par bandits, il était nécessaire d’employer des bandits » en ont-ils conclu. « Neutraliser Wali Karzaï pourrait réduire à néant son contrôle sur Kandahar, et cette ville pourrait être définitivement perdue . »

« Si nous perdons Kandahar, » ont-ils pensé, « nous  perdrons probablement la guerre. »

La semaine dernière, l’OTAN et les troupes afghanes ont lancé une offensive militaire d’envergure autour de Kandahar, avec des résultats incertains. 

Le portrait d’Ahmed Wali Karzai établi par Woodward se recoupe partiellement avec un compte-rendu fourni l’année dernière à SpyTalk par le deputé du Michigan Mike Roger, un ancien agent du FBI et un membre républicain important d’une commission de la Chambre des Représentants supervisant les questions relatives au terrorisme et au  renseignement.

Rogers s’est régulièrement rendu en Afghanistan, pays dans lequel son frère, un général de l’armée, a également servi; il a décrit Ahmed Wali Karzai comme quelqu’un qui « coopère » avec les renseignements des Etats-Unis, mais qui n’est pas un agent sous contrôle.  

« Il y a une différence entre le fait d’être un agent des renseignements et coopèrer, » déclara Rogers. « [Le qualificatif d’] agent est une exagération […] Il est un officiel public qui coopère […] Il coopère lorsqu’on le lui demande – c’est différent d’être un agent. »

Un avocat américain d’Ahmed Wali Karzai rejeta le portrait fait de son client  le représentant comme un agent rémunéré par la CIA .

« Il est absolument faux de dire qu’Ahmed Wali Karzai est, ou a été, payé par la CIA, » a déclaré le journaliste Gerald Posner par courriel.

« Il doit être souligné que depuis le 11-Septembre, Ahmed Wali à collaboré avec pratiquement tous les secteurs des forces armées des Etats-Unis et de la coalition, de l’armée régulière jusqu’au personnel des renseignements, en passant par les forces spéciales aussi bien que les diplomates. »

Posner ajouta qu’ « Ahmed Wali serait vraiment surpris par le fait que la CIA, qui est l’agence de collecte de renseignements la plus sophistiquée au monde, n’aurait pas cherché à établir des contacts avec lui au fil du temps, bien qu’elle ne l’ait jamais admis. »

Poser rejeta également les portraits de Karzaï le décrivant comme « le propriétaire des installations utilisées par la CIA ou des militaires, et louées par ces derniers, » comme l’écrivit Woodward. 

« Il ne possède pas ces propriétés, et il ne perçoit pas d’argent de la part de ces groupes. Il n’a aucune implication dans la Kandahar Strike Force. Il ne reçoit aucun soutien financier quel qu’il soit de la part du contribuable américain, » dit Posner.

Le porte-parole de la CIA George Little a réitéré aujourd’hui que « l’Agence a pour règle de ne pas commenter ce genre d’allégations, lesquelles ont circulé depuis longtemps. » 

Cependant, un responsable américain s’exprimant sous couvert d’anonymat, a salué la contribution de Karzaï à l’effort de guerre, déclarant que ce dernier « a contribué de manière décisive aux efforts du contre-terrorisme en Afghanistan, et il nous a aidés à sauver des vies américaines et afghanes. »

« Personne ne dir qu’il est parfait, mais personne n’a encore trouvé quoi que ce soit qui puisse l’amener devant un tribunal, » ajouta ce responsable. « Et les Américains l’ont compris: l’Afghanistan est un endroit rude. Il est clair qu’Ahmed Wali Karzaï est soucieux de l’amélioration de la sécurité dans son pays. Il mérite d’être félicité pour cela. »

Jeff Stein

Washington Post, 30 septembre 2010

 

Traduction .maxiM, mise en page GV  pour ReOpenNews

 


Références :

  1. Peter Dale Scott, "La Route vers le Nouveau Désordre Mondial", Editions Demi-Lune, 2010
  2. Bob Woodward, "Obamas wars", septembre 2010

En lien avec cet article :

  • 29 sept. 2010 | Enrico Piovesana, PeaceReporter | "La narcoguerre de la CIA au secours des banques"
  • 30 sept. 2010 | Peter Dale Scott,  Global Research | "Le programme secret de la FEMA pour supplanter la Constitution des Etats-Unis et établir un état d’urgence permanent."
  •  5 janv. 2010 | LesMotsOntUnSens, (article original The Guardian) | "Le trafic de drogue a sauvé l’économie mondiale, selon l’ONU"
  • 3 mars 2010 | VoltaireNet | "Pavot : la Russie met en cause la responsabilité de l’OTAN"

One Response to “Washington Post : Selon Bob Woodward, la CIA a engagé le frère de Karzaï avant le 11-Septembre”

  • Red Cloud

    Il est temps de libéraliser la production de chanvre en Europe… qui a bien d’autres agréments que la fumette: une culture qui est correspond au climat (pas besoin d’engrais, pas d’eau outre mesure), une plante dont on peut faire des briques pour l’isolation, de l’huile, voir les sites professionnels, etc., pour laquelle il faut certes des machines-outils hyper robustes, mais nos voisins d’outre-Rhin passent facilement commande (en € en plus).

    Au XVIIe siècle, on vous octroyait la nationalité anglais d’office si vous vous engagiez à cultiver du chanvre sur le sol de la Perfide…

    C’est comme ça…

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