Guantanamo : les États-Unis avaient tout faux, mais personne n’est capable de l’avouer (The Guardian)

 

 


John Grisham pour le Guardian

Traduit par Hervé Le Gall pour echoes.over-blog, repéré par Le Grand Soir


Lorsque John Grisham entendit parler de prisonniers qui réclamaient ses livres, il voulut en savoir plus. Ce qu’il découvrit de l’histoire de Nabil Hadjarab, détenu depuis 11 ans, l’horrifia.

Il y a environ deux mois, j’appris que certains de mes livres étaient interdits dans la Baie de Guantanamo. À ce qu’il paraît, certains détenus les réclamaient, leurs avocats les apportaient donc à la prison, mais ils ne pouvaient franchir la porte d’entrée, en raison de leur « contenu inacceptable ».

Ma curiosité était éveillée, je finis donc par retrouver un détenu qui apprécie mes livres. Il s’appelle Nabil Hadjarab, c’est un Algérien, âgé de 34 ans, qui a grandi en France. Il savait parler français, avant de savoir parler arabe. Il a de la famille proche, ainsi que des amis, en France, pas en Algérie. Lorsqu’il n’était encore qu’un gamin, qui grandissait dans la banlieue de Lyon, c’était un excellent joueur de foot, qui rêvait de jouer pour le PSG, ou à défaut pour un autre club de premier plan.

Mais c’est une tragédie que Nabil a vécue au cours des onze dernières années, celle d’un prisonnier à Guantanamo, maintenu la plupart du temps en isolement cellulaire. À partir du mois de Février, il s’est joint à une grève de la faim, ce qui l’a conduit à être nourri de force, gavé.

Le 11 septembre 2001, pour des raisons qui n’avaient rien à voir avec la terreur, la guerre, ou toute forme d’activité criminelle, Nabil menait une existence paisible dans une pension de famille algérienne de Kaboul, en Afghanistan. À la suite de l’invasion étasunienne, une rumeur se propagea au sein des communautés arabes, selon laquelle l’Alliance du Nord, en Afghanistan, procédait à des rafles, suivies d’exécutions, d’Arabes étrangers. Comme de nombreux autres, Nabil, qui voulait à tout prix échapper au danger, mit le cap sur le Pakistan. Selon le récit qu’il fait de son trajet, il fut touché au cours d’un bombardement aérien, et se réveilla dans un hôpital de Jalalabad.

À l’époque, l’argent des États-Unis arrosait quiconque était susceptible de leur livrer tout Arabe étranger, présent dans la région. Les États-Unis achetèrent Nabil avec une prime de 5000 dollars, avant de l’emmener dans une prison secrète de Kaboul. C’est là qu’il subit la torture pour la première fois. Pour loger les prisonniers de leur guerre contre la terreur, les États-Unis ouvrirent une prison de fortune, sur la base aérienne de Bagram, en Afghanistan. Il fallut peu de temps à Bagram pour se faire une renommée sinistre, à faire passer Guantanamo pour une colonie de vacances. Lorsqu’il arriva là-bas, en janvier 2002, Nabil était l’un des premiers prisonniers, il n’y avait, en guise de murs, que des cages de fil de fer barbelé acéré. Même par un froid glacial, on forçait Nabil à dormir sur des sols de béton, sans couverture. Les quantités de nourriture, d’eau, étaient insuffisantes. Lors de ses nombreux interrogatoires, les soldats américains tabassaient Nabil, à l’aller comme au retour, tandis qu’ils le traînaient pour monter, puis descendre, les escaliers de béton. D’autres prisonniers moururent. Au bout d’un mois passé à Bagram, on transféra Nabil dans une prison de Kandahar, où les sévices se poursuivirent.

Tout au long de son incarcération en Afghanistan, Nabil n’a cessé de nier, avec la plus grande vigueur, toute relation avec Al-Qaida, les talibans, avec quiconque en fait, individu ou organisation, ayant un rapport quelconque avec les attentats du 11 septembre. Quant aux Étasuniens, ils ne détenaient aucune preuve de sa participation, à l’exception de déclarations mensongères, faisant état de son implication, qu’on avait arrachées à d’autres prisonniers dans une chambre de tortures, quelque part dans Kaboul. Plusieurs interrogateurs étasuniens lui affirmèrent que son cas était un exemple de confusion d’identité. Néanmoins, les États-Unis assujettissaient les Arabes en captivité à des règles strictes – tous, sans exception, devaient être envoyés à Guantanamo. Le 15 février 2002, on mit Nabil à bord d’un vol pour Cuba ; les poings liés, les chevilles enchaînées, la tête recouverte d’une cagoule.

Depuis lors, Nabil a été soumis à toutes les horreurs, qui figurent dans le manuel de « Gitmo » : la privation de sommeil, la privation sensorielle, les écarts extrêmes de température, l’isolement prolongé, le manque d’accès à la lumière du jour, l’absence quasi-totale de moments de détente, la restriction des soins médicaux. En 11 ans, aucun membre de sa famille n’a eu l’autorisation de lui rendre visite. Pour des raisons que seuls les responsables de la prison connaissent, il n’eut jamais à subir la torture connue sous le nom de « simulation de noyade ». Son avocat pense que ceci est dû au fait qu’il ne sait rien, et qu’il n’a donc aucune information à fournir.

Le gouvernement des États-Unis dit le contraire. Certains documents révèlent que, selon les procureurs de l’armée, Nabil séjournait dans une pension de famille que tenaient des proches d’Al-Qaida, tandis que d’autres, citaient son nom comme celui d’un membre d’une organisation terroriste. Mais Nabil n’a jamais été accusé d’aucun crime. En fait, en deux occasions, on lui a donné le feu vert pour un « transfert », voire une libération. En 2007, une commission de remise de peine, que le Président George W. Bush avait constituée, émit un avis favorable pour sa libération. L’avis resta lettre morte. En 2009, une commission de remise de peine, que le Président Obama avait constituée, émit un avis favorable pour son transfert. L’avis resta lettre morte.

Selon ses gardes, Nabil est un prisonnier modèle. Il fait profil bas, évite les ennuis. Il a fait des progrès en anglais, et insiste pour que ce soit la langue utilisée, lorsqu’il parle avec ses avocats britanniques. À l’écrit, son anglais est parfait. Placé dans une situation extrême, il s’est efforcé de préserver, autant que possible, sa santé physique, son équilibre mental.

Au cours des sept dernières années, dans le cadre de mon travail avec le « Projet Innocence », qui cherche à obtenir la libération des victimes d’erreurs judiciaires, j’ai rencontré un certain nombre d’innocents, qu’on avait envoyés dans le couloir de la mort. Tous, sans aucune exception, m’ont affirmé qu’un meurtrier de sang-froid, qui avoue ses crimes, en dehors de toute contrainte, subit comme une violence la rigueur de l’isolement cellulaire. Dans le cas d’un homme innocent, le couloir de la mort l’amènera à deux doigts de la démence. Ils atteignent une zone, où il leur semble impossible de pouvoir survivre un jour de plus.

En février, Nabil était déprimé, réduit au désespoir, il s’est alors joint à d’autres grévistes de la faim. À « Gitmo », cette grève n’était pas la première, mais ce fut la plus remarquée. Tandis qu’elle prenait de l’ampleur, et que l’état de santé de Nabil s’aggravait, comme celui de ses codétenus, l’Administration Obama se retrouva acculée dans les cordes. Le président essuyait le feu de critiques justifiées, pour avoir oublié l’éloquence et l’audace de sa campagne, au cours de laquelle il avait promis de fermer « Gitmo ». Il se retrouvait tout à coup face à la perspective épouvantable d’un groupe de prisonniers qui tombaient comme des mouches, sous le regard du monde entier, pour s’être laissé mourir de faim. Au lieu de libérer Nabil, en compagnie des autres prisonniers dont la classification est désormais « ne constitue pas de menace pour la sécurité des États-Unis », l’Administration a décidé de les empêcher de se suicider, en les gavant.

Dans notre guerre contre la terreur, Nabil ne constitue pas la seule « erreur ». Nous avons envoyé à « Gitmo » d’autres Arabes, par centaines, là-bas le système les a mâchés, sans les inculper, pour finalement les renvoyer dans leurs pays d’origine. (Ces transferts se réalisent dans le plus grand secret, la plus grande discrétion). À ce jour, personne n’a présenté d’excuses, ni exprimé de regrets officiels, ni offert de dédommagement, rien de tout cela. Les États-Unis avaient tort sur toute la ligne, mais personne n’est capable de l’avouer.

Dans le cas de Nabil, l’armée étasunienne, ainsi que les agents du renseignement, ont fait confiance à des informateurs corrompus qui cherchaient à accumuler des dollars ou, ce qui est encore pire, à des balances, à l’intérieur des prisons, qui échangeaient des histoires à dormir debout, contre des confiseries, des revues pornographiques, ou simplement une pause au milieu de leurs propres passages à tabac.

L’Administration Obama vient d’annoncer qu’elle renvoyait en Algérie de nouveaux prisonniers. Selon toute probabilité, Nabil sera parmi eux ; si tel est le cas, il s’agira d’une nouvelle erreur tragique. Son cauchemar ne fera que se poursuivre. Il sera sans-abri. Il ne bénéficiera d’aucun soutien, pour lui permettre de se réintégrer dans une société où ceux qui manifesteront de l’hostilité envers un ancien détenu de « Gitmo », seront nombreux, soit parce qu’ils le soupçonneront d’être un extrémiste, soit parce qu’il refusera de se joindre à l’opposition extrémiste au gouvernement algérien. Au lieu de faire preuve de courage en admettant leur erreur, les autorités des États-Unis vont le faire disparaître, le larguer quelque part dans les rues d’Alger, puis s’en laver les mains.

Que devraient-ils faire ? Plus exactement, que devrions-nous faire ?

D’abord avouer l’erreur, puis nous excuser. Ensuite, dédommager. Depuis 11 ans, les contribuables américains paient 2 millions de dollars par an pour maintenir Nabil à « Gitmo » ; donnons-lui en quelques milliers, pour qu’il commence à se remettre d’aplomb. Enfin, faire pression sur les Français, afin qu’ils l’autorisent à revenir sur leur territoire.

Cela paraît simple, mais cela n’arrivera jamais.


John Ray Grisham (8 février 1955, Jonesboro, Arkansas) est un avocat étasunien, mais il est surtout connu en tant qu’auteur de romans judiciaires et de romans qui décrivent le sud rural des États-Unis. Nombreux sont ceux qui ont été portés à l’écran, tels que La Firme (avec Tom Cruise et Gene Hackman), L’Affaire Pélican (avec Julia Roberts), L’Idéaliste (de Francis Ford Coppola, avec Claire Danes et Matt Damon), Le Client (avec Susan Sarandon et Tommy Lee Jones), Non coupable (Le droit de tuer ?) avec Matthew McConaughey et Samuel L. Jackson), Le Maître du jeu (avec Dustin Hoffman et Gene Hackman)…

 


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5 Responses to “Guantanamo : les États-Unis avaient tout faux, mais personne n’est capable de l’avouer (The Guardian)”

  • kidkodak

    les États-Unis avaient tout faux

    J’aurais aimé commenter seulement sur Guantanamo,mais avec ce qui se passe actuellement au sujet de la Syrie,j’en suis incapable,bien que Guantanamo soit inclus dans l’ensemble.
    Les fruits sont murs.Le travail de recherche de toutes ces années nous montre en lisant les commentaires dans les médias sociaux ou les blogs de médias alternatifs ou même les commentaires de journaux main-stream,qu’assez c’est assez.
    Que l’épouvantaille du mot  »conspirationniste » ne fait plus peur ni la fiole de Colin Powell,ni leur allié Israel(appels interceptés par le Mossad).
    Ils visent à nous entraîner dans une troisième guerre mondiale à travers une mise en scène classique digne d’Hollywood visant à détruire la Syrie au nom de notre sécurité bien sur.
    La mise en scène des attentats du 11 septembre 2001 nous aura servi d’école.
    Nous ne savions pas quand çà arriverait mais nous y voici aujourd’hui le 30-08-2013,réunis devant la phase finale du P.N.A.C.(Project for a New Americain Century),consistant à placer leur pièce maîtresse en Syrie,juste devant l’Iran.
    Sauf que même les populations de ces pays alliés et liés par les attentats du 11 septembre 2001 par la terreur,ont réfléchis depuis,et là il semble que le balancier se retourne vers ces dirigeants psychopates et que le travail acharné des militants rapporte enfin.
    Et qu’en plus la Russie et la Chine s’opposent officiellement à l’intervention militaire suggéré fortement par les E.U.,je reçois çà comme une victoire de l’éveil.
    Enfin!
    Faut bien célébrer quand lorsque cela en vaut la peine.

    Guantanamo suivra,c’est écrit dans le ciel.

  • Phrygane

    Guantanamo fait partie du mensonge du 9/11.

    Si on touche à cette carte, c’est tout le château qui risque de s’effondrer. Mais ce n’est peut-être pas le plus important.

    En effet, la Syrie nous convie à voir la « guerre au terrorisme » sous un autre angle : ce sont toujours les mêmes blocs qui s’affrontent.

    L’Occident contre la Russie et la Chine.

    Peu importe le système, capitaliste ou communiste, ces blocs s’entredéchirent pour savoir qui aura le droit de piller les richesses eurasiennes, moyen orientales ou africaines au bénéfice du niveau de vie de ses concitoyens et surtout à celui de ses multinationales.

    « Le mode de vie américain n’est pas négociable » dixit Dabeliou.

    Cela doit se dire, sans doute aussi, en Russe et en Chinois…désignés comme étant les « méchants ».

    Pendant ce temps les Africains vivent dans la pauvreté quand ils ne crèvent pas de faim, assis sur des richesses que d’autres exploitent.

    Nous bénéficions de ce pillage, sans que nous en soyons réellement révoltés, n’est ce pas ?

    La logique de cette immoralité a mené jadis à la crise des missiles de Cuba, et aujourd’hui à des manœuvres inquiétantes au large de la Syrie.

    Cela fait peur ? Tant mieux.

    Tant que nous n’aurons pas appris à penser en membres de l’espèce humaine, nous gèrerons la planète à coup de fusils et peut-être, un jour, à coup de missiles nucléaires.

    Il faut que les gens aient peur pour qu’ils comprennent que ce qu’ils prennent pour de l’Utopie est, en réalité, la Raison.

    Sinon qui sait si l’humanité survivra.

    Souhaitons nous donc , bonne chance pour passer un cap qui devrait nous ouvrir un peu plus les yeux sur la réalité de ceux qui nous dirigent et sur nous mêmes…

  • MA CESAR

    Le modèle américain semble non négociable. Tant mieux. Je ne compte pas le négocier. Je préfère de loin le refuser tout simplement.
    Il y a d’autres cieux et d’autres personnes bien plus intéressantes que notre modèle de mauvaise et stupide consommation de mauvaises denrées et stupides informations (On peut inter-changer à son goût).
    D’autres voies existent. A nous de les essayer. Et si ça ne marche pas, on en essayera d’autres. L’avenir n’appartient qu’aux vivants.
    Et vivre dans ce monde actuel, est-ce vraiment vivre ?

  • Phrygane

    http://www.voltairenet.org/article158181.html

    Retour sur image.

    Après qu’un de nos président nous ait fait réintégrer l’OTAN, sans discussion aucune et qu’un autre nous emmène à suivre le prix Nobel américain de la Paix, en discutant, mais sans voter.

    Décidément, De Gaulle est bien mort.

  • kidkodak

    Guantanamo : les États-Unis avaient tout faux, mais personne n’est capable de l’avouer.

    Avec une certain recul et l’arrivée du documentaire de Mazzuco,je comprends que les E.U. font depuis le début des expériences avec les prisonniers comme le faisaient les nazis pendant la 2ème guerre mondiale.Comment pourrait-il en être autrement puisque c’est eux avec la complicité militaire de gouvernements étrangers qui ont commis ce crime.Ce qui m’amènent à un article très intéressant au sujet du » plus grand allié » des E.U. et j’ai nommé Israël bien sur:

    - Les champs de mort de Gaza, des champs d’expérimentation pour de nouvelles armes ?

     »Des sources israéliennes comme « Breaking the Silence » (briser le silence) et « Physicians for Human Rights-Israel » (médecins pour les droits de l’homme) ont révélé que les attaques contre Gaza de 2008/9 (Cast Lead) et 2012 (Pillars of Defence) avaient été programmées des mois auparavant et cela pose beaucoup de questions sur les véritables causes du siège de sept ans de Gaza et des attaques massives perpétrées contre un peuple misérable et sans défense, entassé dans une prison à ciel ouvert. »…
    … »En dehors du fait qu’Israël jouit au Congrès du soutien inconditionnel des deux partis pour des raisons de politique intérieure, y aurait-il d’autres raisons pour lesquelles les États-Unis ont constamment mis leur veto au Conseil de Sécurité à toutes les résolutions qui critiquaient Israël (43 fois jusqu’ici plus que tous les autres pays réunis sur tous les cas soumis) ? La possibilité pour le Pentagone et les fabricants d’armes étasuniens (et Européens) de tester leurs nouvelles armes à Gaza pourrait-elle être une explication ? » …
    http://www.info-palestine.net/spip.php?article14302

    Et cela rejoint toutes les expérimentations américaines faites sur des êtres humains empilés dans des prisons secrètes crées sous le prétexte du 11 septembre 2001 pour leurs soutirer des aveux sous la torture,mais lesquels?
    Non le 3ème Reich n’est pas mort,il a juste changé de pays.

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