Mélenchon : les Français n’ont rien à faire en Afghanistan

Lorsqu’un homme politique français de premier plan prend ouvertement position contre la guerre en Afghanistan et rappelle les liens entre ce conflit et les attentats du 11-Septembre, lorsqu’il nous met face à l’absurdité de cette guerre, c’est comme une bouffée d’oxygène dans le paysage politique hexagonal. Nous relayons ici avec ferveur l’extrait d’une analyse implacable de la situation géopolique actuelle, livrée lors d’une soirée débat à l’école Sciences-po.

Jean-Luc Mélenchon à Sciences-Po

 


L’Afghanistan à Sciences-Po !

Extraits du Blog de Mélenchon, paru le 2 février 2010

[...]

GEOPOLITIQUE DU REEL

En géo-politique, la géographie commande la politique. Géographie physique, géographie des ressources disponibles, géographie des puissances. Et la politique vient en appui ou en révolution de ces hiérarchies. On ne peut rien comprendre à la guerre d’Afghanistan si on ne commence pas par voir que ce pays est le point de passage obligé pour sortir le gaz et le pétrole de la caspienne vers les zones sous contrôle «occidental» plutôt que vers la Russie, ou la Chine ! Chacune des puissances a sa stratégie qui correspond au parcours du pipe line qui le concerne. Je suppose qu’il n’est pas nécessaire d’expliquer pourquoi l’accès aux réserves d’énergie est devenu une question encore plus brûlante depuis que la Chine et l’Inde, puissances régionales du conflit Afghan, en sont devenues de grands demandeurs ? Suivez les pipes et vous suivez la route de la guerre. Pour nous européens atlantisés, le pipe ouest sort par la Géorgie…. Clair ? Cette réalité non dite mais si primordiale explique le vide des arguments débités à longueur d’années en faveur de cette guerre. Pour s’en convaincre il suffit d’interroger les arguments mis en avant.

QUELS SONT LES BUTS DE GUERRE ?

Quels sont les motifs de guerre qui ont justifié l’intervention armée ? La réplique aux attentats du onze septembre. Mais quel rapport entre les deux ? Colin Powell avait annoncé qu’il remettrait au Conseil de sécurité de l’ONU les preuves à ce sujet. Il ne l’a jamais fait. Bien sûr. Colin Powell a une bonne tête mais c’est un menteur de première ! C’est lui qui était venu justifier la guerre d’Irak avec ses preuves bidons sur les armes de destruction massives. Donc depuis le début la légitimité de l’action militaire est plus que discutable. Dès qu’on creuse un peu on a vite fait de trouver que c’est vraiment très peu légitime. L’attentat du 11 septembre dans le cas de l’Afghanistan a fonctionné comme un prétexte. Les américains et les anglais ne se sont pas cachés d’avoir pré positionné leurs moyens un an avant l’intervention. A l’époque les négociations de la compagnie pétrolière UNOCAL venaient de se bloquer avec le gouvernement taliban. Cette compagnie peut penser être mieux considérée depuis que son consultant sur place est devenu président de la république. Les buts de guerre mille fois rabâchés étaient aussi le rétablissement des droits de l’homme, surtout ceux de la femme, et la démocratie. En ce qui concerne les droits de l’homme ça va aussi longtemps qu’ils sont compatibles avec la charia, car la cour suprême créée par la nouvelle constitution a le devoir de vérifier que les lois sont conformes à l’Islam. Comme la Constitution a été rédigée par une assemblée traditionnelle des chefs de tribus et chefs religieux on comprend que la peine de mort soit applicable aux personnes qui voudraient quitter la religion islamique. En ce qui concerne les droits des femmes il faut dire que ce n’est pas fameux et que la législation ne s’est pas améliorée ces derniers temps. Certes le viol conjugal n’a finalement pas été légalisé. Mais la version modérée de cette affaire laisse pantois. Le mari a le droit de refuser soins et nourriture à sa femme si elle lui refuse des rapports sexuels. Je ne sais pas comment un tel dispositif peut être contrôlé mais le simple fait qu’on est cru bon de légiférer de cette façon en dit long sur le genre de liberté sur lesquelles veillent nos vaillantes troupes et celles de l’empire du bien. De toute façon les femmes, depuis la libération de l’Afghanistan ne peuvent pas davantage qu’avant avoir un travail, un compte en banque sans l’autorisation expresse des hommes. Elles ne peuvent pas hériter. Mais peut-être est-ce seulement une question de coutumes locales diront les moins regardant. 

LES STANDARDS OCCIDENTAUX

D’ailleurs dans le débat à sciences po, Jean Glavany a dit qu’il ne fallait pas espérer voir la mise en œuvre de nos standards démocratiques occidentaux être la condition de notre retrait d’Afghanistan sinon on serait condamné à rester là bas longtemps, très longtemps ! L’idée d’appeler ce que nous défendons des «standards occidentaux» commence une pente glissante. Je n’en fais pas la démonstration. De toute façon ce ne sont pas nos «standards» à propos de démocratie qui s’appliquent à l’heure actuelle. Loin s’en faut. On peut même se demander quel genre de standard c’est là. Il faut dire que la situation est spécialement lamentable. Les observateurs des élections présidentielles de 2009 on constaté une fraude portant sur plus d’un million et demi  de bulletins de vote. Il a fallu plusieurs semaines de palabres pour que le président sortant accepte de ne pas se déclarer vainqueur de l’élection dés le premier tour. Mais, pour finir, il n’y a pas eu de deuxième tour, le challenger ayant refusé d’y participer. A présent, à l’issue de la neuvième conférence internationale sur l’Afghanistan, la ligne fixée consiste à faire un pacte avec les «talibans modérés». Est considéré comme «modéré» celui qui accepte l’argent des «occidentaux» pour arrêter de faire la guerre ! Cette politique de l’achat de la collaboration est une trouvaille très discutable, non seulement sur le plan moral mais aussi sur le plan pratique. Les commentateurs craignent qu’elle commence par provoquer une recrudescence de l’activité par tous ceux qui veulent toucher de l’argent… Grand, n’est-ce pas?

LA SUITE DU FILM

Au total les Français n’ont rien à faire en Afghanistan. Les buts de guerre ne sont ni énoncés ni leurs résultats dès lors mesurables. La situation ne conforte aucune des valeurs au nom desquelles nous sommes censés être présents. Chaque mois nos avions tirent des munitions à trois cent mille euros pièces sur des charrettes et d’improbables grottes, comme on le lit dans maints témoignages. Nous français y dépensons donc dorénavant quatre cent millions d’euros par an alors que nous en étions seulement à cent au début de l’intervention. Un argent qui serait plus utile ailleurs ou autrement, même sur place. L’aide à l’Afghanistan est dans le rapport de un à cent entre l’aide civile et l’aide militaire. L’argent européen qui va par là-bas est le cinquième poste dans l’aide mondiale de l’Union. Pour quoi faire d’utile? L’intervention a couté la vie à onze mille civils afghans et mille six cents combattants de la coalition. Bombes au phosphore et à l’uranium appauvri ont été copieusement déversées. Voila le bilan. Pour quel résultat ? Partir est légitime et urgent. D’ailleurs Obama a annoncé le début du retrait pour 2011. De quoi parle-t-on alors quand on fait mine de s’interroger sur le point de savoir s’il faut rester ! La guerre est perdue. Les «occidentaux» vont mettre en place n’importe quel équilibre précaire le temps de s’en aller. Puis aussitôt après le départ un dictateur quelconque s’installera qui se chargera du maintien de l’ordre et des bons accords à propos de pipe line. Comme en Irak.

[...]

 


Note ReOpen :

Les forces de l’armée française interviennent dans la guerre d’Afghanistan depuis fin 2001 dans deux opérations internationales distinctes : la force internationale d’assistance et de sécurité (ISAF) sous commandement de l’OTAN et l’Opération Enduring Freedom sous commandement américain. En 2010, elle est quatrième contributrice de la coalition [1]. La participation militaire française à ces deux opérations est répartie en plusieurs opérations nationales, qui portent (ou ont porté) les noms de Pamir pour la participation à l’ISAF, Héraklès pour la participation aux opérations navales et aériennes, Épidote pour la participation aux missions d’instruction de l’armée afghane au sein d’OEF et Arès (opération terminée) pour les opérations spéciales au sein d’OEF. La présence de l’armée française dans ces deux opérations s’illustre par une présence maritime dans l’océan Indien, qui comprend des engagements d’aéronefs de l’aviation navale sur le territoire afghan, l’action d’unités (avions de chasse, d’observation et drones) de l’armée de l’air, à partir de l’Afghanistan ainsi que de bases situées dans des pays limitrophes, et la participation d’unités de l’armée de terre aux opérations de sécurisation et d’instruction. Au 1er novembre 2009, 3 750 militaires français étaient engagés sur le théâtre de ce pays, dont le soutien aérien et la participation à la Combined Task Force 150 dans l’océan Indien. A ce chiffre s’ajoute les 150 gendarmes déployés fin 2009. 2 500 des militaires sont déployés depuis cette date dans la Brigade La Fayette, clé du dispositif, dirigée par le général Marcel Druart et placée sous commandement américain [2]. Le coût des opérations est de 450 millions d’euros en 2009 [3], ce qui représente près de la moitié des 870 MEUR consacrés aux forces françaises hors de la métropole

Source : Wikipedia

Nous ajoutons qu’à ce jour, 39 soldats français ont été tués en Afghanistan, dont 10 lors de la seule embuscade du 18 Août 2009, aux causes mal éclaircies, certaines informations imputant ce massacre au manque de générosité de l’Etat-Major français avec les insurgés, qui s’étaient montrés beaucoup plus compréhensifs avec les forces italiennes sans doute plus généreuses.


Cartes : les enjeux en Afghanistan

 


            

Article connexe documenté consultable sur  Planetenonviolence.org :

Afghanistan – Pipelines vers le 11 septembre 2001 – 5 ans apres le début de la guerre retour sur les causes  

"Cet article relate les arrière-plans de la guerre des États-Unis contre l’Afghanistan. Les véritables raisons du conflit sont le pétrole, le gaz et des pipelines autour de la Mer Caspienne. Afin de transporter le pétrole et le gaz depuis le côté est de la Mer Caspienne vers des marchés prometteurs au Pakistan et en Inde, un projet de construction de pipelines traversant l’Afghanistan avait été étudié. Le Etats-Unis entendaient obtenir la maîtrise sur ce pipeline stratégique via l’entreprise UNOCAL, mais lorsque celle-ci n’y parvenait pas, les Etats-Unis finissent par préparer une guerre. Au moment où les militaires étaient prêts à attaquer, et qu’il ne manquait plus qu’un prétexte pour l’invasion, les événements du 11 septembre 2001 tombaient à pic. Les Etats-Unis pouvaient attaquer l’Afghanistan avec le support du Congrès, de la population et du reste du monde. Bush a menti sur les vraies raisons et « Opération 11 septembre » s’avère un crime presque parfait."

 


http://www.dailymotion.com/video/x7j8y2_michael-ruppert-analyse-le-grand-ec_news

Michael Ruppert analyse "Le grand échiquier" de Brzezinski

10 Responses to “Mélenchon : les Français n’ont rien à faire en Afghanistan”

  • Blue Rider

    ouh là là Monsieur Melenchon…. vous êtes border line de l’intelligentsia politique française. Nous ici on va vous adorer, mais faites attention à votre maroquin… non pas que nous pointions du doigt les prébendes attachées aux postes de sénateur, mais bien qu’on a trop besoin de vous au milieu de ces marmottes pour distiller un peu de lucidité à ce beau monde!

    quel bol d’air frais dans l’analyse géopolitique française. Avec MM. Chevènement et Chauprade, vous devriez ouvrir une école de géopolitique internationale. Comme quoi le souverainisme et la raison peuvent alimenter les valeurs cardinales et de notre république et redonner du coffre à sa constitution, que nous vous sommes tous gré ici, de défendre avec panache.

    Il y a des esprits grincheux qui vous accuseront de passéisme à l’heure européenne voire mondialiste… devons nous leur rappeler l’analyse ce matin sur FRANCE INTER, du camouflet infligé par Obama à l’UE, lui qui ne se déplacera même pas pour son prochain sommet malgré les invitations sûrement obséquieuses de ses plus férus apôtres franco-allemands… Quant à la mondialisation, nous voyons bien tous, ce qu’il en advient depuis septembre 2008…

    Merci pour cette leçon de respect, de raison, et de prudence, au milieu de tant de va-t-en guerre dont les plus dangereux peuvent être les plus petits… dans 50 ans, les massacres en cours au Moyen Orient depuis 2001 apparaitront enfin dans toute leur dimension barbare, et certains diront « ah , si j’avais su »… NON. Nous savons déjà. Et cela suffit.

  • Loïc

    @ Blue Rider

    Chevènement, Mélenchon… et Chauprade?

    Il est important que que la contestation trouve aussi un point d’appui politique, mais lequel?

    Pour ce qui concerne Mélenchon, il est simplement aujourd’hui le seul qui soit allé aussi loin (parlant de l’absence de preuves) tout en respectant l’idéal de la Constitution.

    C’est vague, je n’ai pas le temps de développer, mais les options politiques de Chauprade en vont, elles, à l’encontre (alors qu’il est allé beaucoup plus loin dans la remise en cause).

    Contester n’est pas automatiquement trouver un point d’appui politique équilibré.

    Je sais que tu parlais de propositions géopolitiques et non directement de l’adéquation de la remise en cause avec tel ou tel ensemble politique de référence.

    Pour les trois que tu cites, il y a adéquation. Mais ces ensembles sont qualitativement différents. Celui de Chauprade est contraire aux valeurs que défend l’association. Je sais que tu en es conscient, cela dit.

    Amitiés,

  • Terre Chouanne

    Mélenchon n’est pourtant pas quelqu’un qui aime la France. Ce n’est pas non plus quelqu’un de très courageux. D’ailleurs si on y regarde de près, ses déclarations ne sont pas bien loin. Il est dans une forme subtile de politiquement correct semi-subversif.

  • Nicast

    Il est encore plus important de souligner que Dominique de Villepin a tenu, lui aussi, lors de ce colloque à Sciences-Po, des propos contre le maintien de l’armée Française en Afghanistan. Très applaudit, il a été, sur ce coup là, plutôt brillant.

    http://www.dailymotion.com/video/xc2td0_il-faut-engager-un-processus-de-ret_news

  • EAUX TROUBLES

    Jean-Luc Melenchon était intervenu sur France Culture très récemment. le moins que l’on puisse dire c’est qu’il ne pratique pas la langue de bois.

    http://sites.radiofrance.fr/chaines/france-culture2/emissions/rdv_politiques/fiche.php?diffusion_id=80827

    Une manifestation : http://www.lepartidegauche.fr/editos/actualites-internationales/1721-pas-de-renforts-en-afghanistan-

    Une autre vision :
    http://www.mouvementdemocrate.fr/actualites/bayrou-afghanistan-reflexions-02-04-08.html

    Je vous recommande vivement l’intervention du Colonel Durieux sur les ondes de France Culture, il vient de rentrer avec son régiment, après six mois passés dans le district de Saroubi, à l’Est de Kaboul. Ou l’on nous parle d’insurgés et non pas de « terroristes ». A ecouter donc :

    http://sites.radiofrance.fr/chaines/france-culture/emissions/matins/fiche.php?diffusion_id=80924

  • Shaggutt

    Une question que je me pose : est-il possible d’avoir un bilan des victimes des actions des forces françaises en Afghanistan ? Combien d’insurgés ou d’habitants de ce pays notre gouvernement a-t-il tués ou blessés ? Des ONG sur place mènent-elles des recensions de ce type ?
    Et même pourquoi pas : serait-il possible de connaître les noms des victimes ? Tuer quelqu’un n’est pas rien. Si la guerre est illégitime, il s’agit tout simplement de meurtres. La question de la responsabilité pénale de dirigeants politiques et militaires français mérite d’être soulevée.

  • Loïc

    Ce que dit Mélenchon est en effet d’une force sans précédent dans le paysage politique français:

    1 – les preuves de l’implication de Al Qaeda et de la complicité du régime taliban n’ont pas été présentées à l’ONU;

    2 – les armées occidentales étaient prêtes à bombarder et envahir le pays un an avant.

    Voilà les deux affirmations qu’il prend en charge publiquement.

    Conjuguées, elles signifient tout simplement que le compte-rendu officiel ne tient pas, ce que l’on ne se lasse pas de répéter.

    Il faut prendre la pleine mesure de cette convergence de vue, et ne plus se laisser accuser de malhonnêteté intellectuelle!

    La recherche de la vérité sur ce qui est une manipulation criminelle à l’ampleur planétaire revient à défendre notre condition de citoyen et simplement d’être humain.

    Mélenchon est sénateur, il a une place dans le paysage politique et est présent dans les médias, sa prise de position en est d’autant plus importante pour ce combat.

  • AC

    il a rendu son siege de senateur non ?

    il me semble q’il n’exerce plus que son mandat d’eurodeputé

  • Loïc

    @ AC

    Exact!

    Il n’est plus sénateur depuis un mois.

  • Hijack

    @ Terre Chouanne,

    Il est franc-maçon … je le sais depuis peu… Je ne sais pas si ceci explique le reste.
    Qu’il n’aime pas la France, ce serait dommage …

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