Les États-Unis se déclarent au-dessus des lois

Nous reproduisons ici un nouvel article de Paul Craig Roberts, éminent homme politique et journaliste américain, dans lequel il critique avec virulence l’hypocrisie et le mépris dont fait preuve son gouvernement en matière de respect du droit international. 

Paul Craig Roberts fut sous-secrétaire au Trésor dans l’Administration Reagan, et s’est fait connaître comme l’un des pères fondateurs de la Reaganomics. Il a enseigné l’économie politique au Center for Strategic and International Studies et a occupé les postes de rédacteur et chroniqueur de divers journaux, notamment The Wall Street Journal et BusinessWeek. Il est l’auteur de huit ouvrages, portant notamment sur le marxisme ou le libéralisme. En termes de politique extérieure américaine, ses convictions sont à l’opposé de celles des néo-conservateurs qu’il n’hésite pas à classer parmi les plus grands ennemis de l’humanité. Ainsi, il a marqué son opposition à la guerre en Irak, s’est montré très critique envers la politique américaine vis-à-vis de l’Iran et a dénoncé l’envol des dépenses militaires et de la dette de son pays. Par ailleurs, il fait partie des courageuses personnalités qui osent remettre en question la version officielle du 11 Septembre et il dénonce le blocage médiatique entourant ce débat.


Par Paul Craig Roberts, le 5 décembre 2008 pour Information Clearing House

Le gouvernement US n’a pas le monopole de l’hypocrisie, mais aucun autre gouvernement ne lui arrive à la cheville.

Il est à présent parfaitement établi et connu du monde entier que le gouvernement US a torturé des détenus à Abu Ghraib et à Guantanamo et a enlevé puis « remis » des personnes, c’est-à-dire qu’il les a envoyées dans des pays du tiers monde, notamment en Égypte, pour y être torturées.

Il est aussi parfaitement établi et documenté que le Ministère de la Justice a rédigé des mémos pour justifier la torture des détenus. Un promoteur de la torture, et auteur de ces mémos autorisant le régime de Bush à y recourir, s’appelle John Yoo, un immigré d’origine vietnamienne qui, d’une manière ou d’une autre, a réussi à entrer au Ministère de la Justice et à trouver un poste de professeur à l’université de Californie, Berkeley, au Boalt Hall School of Law. John Yoo est un des meilleurs arguments contre l’immigration que je connaisse.

Certains membres du Conseil Municipal de la ville de Berkeley pensent que Yoo devrait être inculpé pour crimes de guerre. Le gouvernement US a déjà inculpé pour crimes de guerre des personnes bien moins coupables que Yoo. Yoo a aidé le régime de Bush à contourner les interdictions de torture formulées aussi bien dans notre propre loi et dans les Conventions de Genève.

Le contournement de la loi, imaginé par Yoo pour le régime sadique de Bush, a été interrompu par la Cour Suprême des États-Unis qui a rejeté les arguments de Yoo, et le mémo de Yoo fut annulé par le Ministère de la Justice. Néanmoins, l’incompétence manifeste de Yoo en matière de droit constitutionnel, qui dans ce cas précis est totale, n’a eu aucun effet sur son poste de professeur de droit constitutionnel à Berkeley. On peut imaginer les dégâts qu’il est en train de provoquer en enseignant à de futurs cadres et fonctionnaires que la torture est compatible avec la Constitution. Combien souffriront des conséquences de l’enseignement de cet ignare ?

Mais je m’égare. Au moment même où le gouvernement des États-Unis pratiquait la torture, le même gouvernement des États-Unis poursuivait le fils de Charles Taylor, ancien dirigeant du Libéria, pour torture sur des opposants politiques. Le gouvernement US n’a pas invoqué le mémo de Yoo pour justifier la torture pratiquée par le Libéria contre tous ceux qui cherchaient à renverser le régime ou bien à commettre des actes de terrorisme contre lui. Pour le gouvernement des États-Unis, le gouvernement libérien n’a pas le droit de pratiquer la torture pour se défendre. Seule une « nation indispensable » comme les États-Unis a le droit de torturer ceux qu’elle imagine être une menace.

J’utilise le terme « imagine » parce qu’environ 99 % des détenus torturés par l’Amérique étaient totalement innocents et avaient été raflés au hasard ou vendus par des chefs de guerre comme des « terroristes » aux « stupides Américains ». (Le gouvernement US offrait des récompenses, comme au temps du Far-West. Le résultat fut que les chefs de guerre en Afghanistan et au Pakistan ramassaient n’importe qui dont la tête ne leur revenait pas et les vendaient aux Américains comme des « terroristes ».)

Selon Carrie Johnson, journaliste au Washington Post, le 30 octobre 2008, un jury fédéral de Miami a déclaré le fils de Charles Taylor, Chuckie, coupable de torture. Chuckie sera condamné en janvier par les indispensables américains pour torture, conspiration et infraction à la législation sur les armes. Il pourrait passer le reste de sa vie en prison.

Au moment même où se déroulait le procès de Chuckie, le régime de Bush était en train de pratiquer la torture.

Le Washington Post écrit que la condamnation de Chuckie constitue « le premier test pour la loi américaine qui autorise les procureurs à poursuivre ceux coupables de torture commise à l’étranger. » En d’autres termes, la loi US contre la torture s’applique au monde entier, à tous les autres pays à l’exception des États-Unis. La démesure de la chose est inimaginable : aucun pays n’a le droit de torturer, sauf les États-Unis.

Tous ceux qui torturent écoperont d’une peine de prison à vie ou, comme pour Saddam Hussein, seront pendus jusqu’à ce que mort s’ensuive.

C’est super d’être Américain. Nos lois ne s’appliquent qu’aux autres. C’est ça, lorsqu’on est le phare du monde, la puissance par excellence, le sel de la terre.

La pauvre Carrie Johnson et ses chefs du Washington Post n’y voient aucune ironie ou contradiction. Johnson écrit dans le Washington Post que les procureurs US « ont accusé Taylor d’avoir pris part à des atrocités et d’avoir ordonné à des subordonnés de torturer leurs victimes avec… des appareillages électriques, entre 1999 et 2002. » Cette accusation recouvre pratiquement exactement l’époque où des instructions ont été données par Bush, ou Cheney, ou Yoo, ou le Ministère de la Défense (lire l’article sur le rapport du Sénat au sujet de la responsabilité de Rumsfeld), ou par je ne sais qui d’autre, à des subordonnés pour torturer ceux détendus par les États-Unis à Abou Ghraib, Guantanamo, et différents sites de détention de la CIA. Mais tout le monde connait la photo de l’Irakien encagoulé debout sur une caisse en bois et attaché à des fils électriques.

Si seulement les lois américaines s’appliquaient au gouvernement américain ! Alors, les criminels qui ont dirigé ce pays pendant 8 ans seraient poursuivis pour leurs violations ouvertes des lois en vigueur dans ce pays. Évidemment, ce gouvernement hautement moral est très au-dessus des lois. Les lois US ne s’appliquent qu’aux Nations « non indispensables ». Les États-Unis n’ont pas à répondre devant la loi, pas à leurs propres lois, encore moins aux lois internationales. Le ministre de la Justice, Michael Mukasey, a confirmé que le gouvernement des États-Unis était au-dessus des lois lorsqu’il a déclaré, devant la Commission judiciaire du Sénat, qu’il n’y aurait aucune enquête ou poursuite contre les officiels du régime de Bush qui ont autorisé la torture ni contre ceux qui se sont livrés à ces actes sadiques.

Le gouvernement US, le gouvernement de cette grande nation indispensable, n’a pas de comptes à rendre. Les puissants agissent selon leur volonté. Les faibles souffrent selon la nécessité.

Traduction Traduction VD pour Le Grand Soir

 


Notes de ReOpenNews : du même auteur vous pouvez lire les articles suivants, déja parus dans nos pages :

 

8 Responses to “Les États-Unis se déclarent au-dessus des lois”

  • looping

    A croire que Bush s’est débarrassé de Sadam Hussein par jalousie, ce dernier plus tortionnaire et cruel que lui ! Mais dans quel monde vit-on ? Je vous jure !

  • kam

    Merci, une terrifiante réalité racontée avec une sincérité courageuse dans une rhétorique claire et remarquable. Bravo pour la traduction. Des voix audacieuses continuent de s’élever. Espérons un réel changement démocratique. C’est maintenant ou jamais.

  • stoos

    No comment.

  • Liberty

    Concernant Bush et sa bande de voyous, de salopards tous plus véreux les uns que les autres, de bandits innomables que la terre n’ a jamais produit il n’ y plus de questions à se poser : C’EST A ELIMINER et LE PLUS TOT SERA LE MIEUX.
    Personnelement, je pense que la comédie a assez duré et qu’il est ( grand ) temps que la démocratie ( la vraie ) reprenne le dessus aux E-U, le reste de la planéte ne pouvant s’en porter que mieux.
    Mais avec des gaillards comme notre Sarkoléon national, lécheur de bottes par exellence du fascho de Bush, il y a encore quelques soucis à se faire.

    Liberty.

  • sympathisant

    Ce matin, dans « le monde »

    USA: Rumsfeld responsable de mauvais traitements sur des détenus (Sénat)
    12.12.08 | 10h48

    L’ancien secrétaire américain à la Défense Donald Rumsfeld ainsi que d’autres hauts responsables de l’administration Bush ont été jugés responsables de mauvais traitements sur des détenus dans les prisons américaines, selon un rapport du Sénat américain.

    « L’accord de Rumsfeld pour le recours à des techniques d’interrogatoire agressives à la base (américaine) de Guantanamo (Cuba) a été une cause directe pour que des détenus subissent de mauvais traitements là-bas » et « a influencé et contribué à l’emploi de techniques menant à de mauvais traitements (…) en Afghanistan et en Irak », indique le rapport, publié jeudi.

    Le rapport relève que Donald Rumsfeld a autorisé des techniques d’interrogatoire dures à Guantanamo le 2 décembre 2002, tout en faisant des déclarations les excluant un mois plus tard.

    « Le message des hauts responsables était clair: il était acceptable d’utiliser des procédures dégradantes et des abus contre les détenus », a déclaré le sénateur démocrate Carl Levin, président de la Commission des forces armées du Sénat, qui a élaboré ce rapport.

    Le rapport a aussi critiqué « la tentative des hauts responsables de faire porter le chapeau à des subalternes en évitant toute responsabilité pour les mauvais traitements ».

    La Commission a centré ses quelques deux années d’enquête sur l’utilisation par le ministère de la Défense de techniques controversées d’interrogatoire, comme l’obligation de se tenir dans des positions stressantes, la nudité, la privation de sommeil ou la simulation de noyade.

    Ces méthodes « ont nui à notre capacité à recueillir des renseignements exacts qui pouvaient sauver des vies, ont renforcé nos ennemis et compromis notre autorité morale », indique le rapport, dont la plus grande partie est classée secret défense.

    L’usage de méthodes coercitives a eu pour origine un document signé du président George W. Bush du 7 février 2002, selon lequel les règles de la Convention de Genève sur un traitement humain des prisonniers ne s’appliquaient pas aux détenus du groupe islamiste Al-Qaïda ni aux talibans, selon le rapport.

    De hauts responsables de l’administration, dont Condoleezza Rice, ex-conseillère à la Sécurité nationale, devenue ensuite secrétaire d’Etat, ont participé à des réunions sur les techniques d’interrogatoires dures dès le printemps 2002, ajoute le rapport.





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