Quand Ron Paul, membre du Congrès, mettait le feu au poulailler républicain

Dans cet article paru dans Le Quebecois Libre le 10 juin 2007, et passé relativement inaperçu en France, Mathieu Bréard décrivait les savoureux débats sur FoxNews et MSNBC entre Ron Paul, ex-candidat à l’investiture républicaine pour les élections présidentielles de 2008, et Rudolph Giuliani, maire de New York au moment des attentats du 11/09. Rappelons que Ron Paul, Républicain radicalement anti-guerre, a plusieurs fois affirmé que "le gouvernement [des USA] est déterminé à instaurer la loi martiale" et qu’il a été écarté de la course [à l'investiture] en raison d’un black-out total des medias.

Ron Paul

Article de Mathieu Bréard pour Le Québecois Libre

Orwell a dit un jour que dans un moment de duperie universelle, dire la vérité devient un acte révolutionnaire. À défaut d’être élu, Ron Paul, candidat à la présidence américaine de 2008, pourra se vanter d’avoir touché la corde sensible de ses collègues républicains. Si lors des récents débats sur FoxNews et MSNBC, tous s’attendaient simplement à discuter du nombre de soldats à envoyer en renfort en Irak, ils se sont plutôt retrouvés bien malgré eux face à un miroir.

Un exercice d’introspection qui fut déstabilisant surtout pour Rudolph Giuliani, cet ancien maire de New York qui souhaite capitaliser sur les attentats terroristes du 11 septembre 2001 pour entretenir son image de fervent patriote aux yeux de l’électorat. Ainsi, il n’était pas question pour lui de se laisser écorcher et quoi de mieux que l’utilisation d’une rhétorique simpliste et manichéenne pour bien faire passer son message: les ennemis de l’Amérique, dit-il, envient notre liberté, notre richesse, ils s’attaquent à nos valeurs et à notre mode de vie. S’il semblait y avoir consensus sur le plateau derrière cette affirmation, Ron Paul en a très vite condamné l’ambiguïté et la pauvreté théorique.

          Non! réplique-t-il. On nous attaque surtout parce que l’État américain mène depuis plusieurs décennies des politiques interventionnistes ininterrompues au Moyen-Orient. Il est grand temps de prendre du recul et de se livrer à une réflexion plus approfondie sur les conséquences de nos actions. De tenir compte de cette mise en garde de l’ancien président George Washington (1789-1797) aux générations futures: notre première règle de conduite devant les nations étrangères doit être de favoriser nos relations commerciales et d’éviter de nous immiscer dans leurs affaires internes. Des alliances politiques permanentes et des tractations militaires avec n’importe quelle région du monde représentent un danger potentiel.

          Ron Paul, de réputation, ne mâche pas ses mots. Il a vivement condamné le rapport de la Commission d’enquête sur les événements du 11 septembre 2001, véritable mascarade politique où l’on a gaspillé temps et argent simplement pour dévoiler des faits déjà bien connus et éclipser le reste. Les services de renseignements, CIA, FBI et NSA, malgré une bureaucratie déjà écrasante et des budgets de dépenses colossaux, ont failli à la tâche. Comble du ridicule, des fonctionnaires sont venus réclamer le plus sérieusement du monde davantage de fonds et exiger des programmes de surveillance et de contrôle supplémentaires. On a à peine discuté, voire même effleuré, la possibilité que trop de gouvernement pouvait être au coeur du problème, que l’arrogance interventionniste des États-Unis avait peut-être atteint un point de non-retour.

 
Prenons en considération quelques faits:
1. L’appui de l’administration Reagan et Bush père au régime de Saddam Hussein. Notons que Hussein est resté le même criminel sanglant du début des années 1980, alors qu’il était un allié fidèle jusqu’à ce qu’il ne tombe plus dans les bonnes grâces des stratèges de la Maison Blanche. Entre-temps, différentes composantes d’armes conventionnelles, chimiques et bactériologiques lui ont été offertes à rabais(1). D’ailleurs, à ce jour, l’État américain continue d’entretenir des liens étroits avec le Pakistan, l’Arabie Saoudite et beaucoup d’autres dictateurs de la région, dont le Colonel Mouammar Kadhafi en Libye. Une réalité qui soulève de multiples questions sur cet engagement contradictoire envers la démocratie alors que sa propre politique étrangère ne la défend même pas.
 
2. Plus de dix années de sanctions économiques ont contribué à la mort des milliers d’enfants irakiens, privés d’eau potable et d’installations sanitaires adéquates(2). Ce genre de méthode douteuse ne touche que très rarement le régime politique en place. Les deux dernières économies communistes au monde, Cuba et la Corée du Nord, font l’objet de sanctions depuis des décennies. La douleur et le ressentiment qu’elles engendrent peuvent inciter les citoyens à chercher la vengeance contre l’agresseur. Elles ouvrent la porte à des représailles contre des civils américains.

3. En mai 2003, le président George W. Bush a ordonné une offensive militaire inconstitutionnelle contre l’Irak, alors que ce pays n’a jamais attaqué ni même menacé le territoire des États-Unis, ou fait ouvertement une déclaration de guerre. Ni la population irakienne et le Parti Baas n’ont été complices des attentats terroristes du 11 septembre(3). Les allégations à cet effet ne sont que des rumeurs, des demi-vérités et des théories qui restent à être prouvées. Dans cette guerre, l’État américain est l’agresseur et non la victime. Le berceau de la civilisation est maintenant un amas de ruines, des milliers de civils innocents ont été injustement tués, sans parler de tous les militaires américains qui sont tombés au combat. On commence à peine à mesurer les conséquences très graves de cette guerre et de ses débordements dans toute la région. Les coûts pour le Trésor américain sont à ce point importants qu’ils nécessitent des emprunts.

4. On poste des troupes militaires en permanence sur les terres islamiques en sachant fort bien tout l’impact négatif que cela peut avoir sur une majorité de musulmans. Des milliards de dollars en impôts sont dépensés annuellement pour maintenir un vaste réseau de bases militaires à l’étranger(4). En 1962, l’installation à Cuba d’une rampe de lancement de missiles soviétiques, à quelques kilomètres des côtes de la Floride, fut largement suffisante pour susciter une vague d’inquiétude sans précédent chez les Américains. Il n’y a donc absolument rien d’étonnant de voir l’État iranien chercher dans le nucléaire un moyen de dissuasion efficace pour contrer l’arrogance de Washington à ses frontières. Le président Mahmoud Ahmadinejad a compris, à l’instar de la Corée du Nord, que le nucléaire offre un ultime moyen de se prémunir contre une invasion.

5. La mise en place des tribunaux militaires. La constitution des États-Unis et le principe de l’habeas corpus(5) ont été suspendus alors qu’ils protègent les individus contre les emprisonnements illégaux. Le président dispose d’un pouvoir excessif en regard de sa fonction pour déterminer qui représente « l’ennemi », qui doit être enfermé, et ce qui est ou pas de la torture ou de l’abus. Dans les couloirs sombres de la prison de Guantanamo à Cuba, des centaines de prisonniers sont détenus pour une période indéterminée sans même avoir eu droit à un avocat et à un procès équitable. Les actes de torture physique et de manipulation psychologique y sont fréquents. Comme le soulignent plusieurs anciens haut placés du département d’État, dont William Rogers, le droit constitutionnel ne doit pas être bafoué, mais bien défendu. Il ne faut pas adopter les mêmes méthodes barbares que ceux que nous dénonçons.

6. Le soutien diplomatique, financier et militaire accordé sans réserve à l’État d’Israël. Dans un article du London Review of Books intitulé: « The Israel Lobby », le professeur John Mearsheimer de l’Université de Chicago et Stephen Walt du Harvard Kennedy School expliquent l’influence négative du lobby pro-Israël sur les intérêts domestiques et internationaux des États-Unis. On est plutôt timide à condamner les affronts d’Israël envers les droits de l’homme et tous les principes de liberté défendus par l’Occident. Cette forme d’immunité accentue non seulement l’antisémitisme dans le monde, mais paradoxalement, fait en sorte qu’on colle cette même étiquette à tous ceux et celles qui, dans le milieu journalistique, osent écrire des éditoriaux défavorables ou plus critiques envers les agissements de Tel-Aviv

 
Honnêtement, qui peut encore douter que toutes les politiques susmentionnées engendrent l’indignation et la colère des populations locales? Comment ne pas saisir que ces actes d’agressions répétés donnent des munitions supplémentaires aux extrémistes pour mieux manipuler la conscience populaire, faire avancer leur cause et appeler à la révolte armée? Faites-vous bombarder quotidiennement, soyez témoin de la destruction de votre environnement, de la mort de vos enfants, et affirmez que cela ne va pas modifier votre façon de voir les choses! Quand on n’a plus rien à perdre, la mort devient bien banale, écrivait l’auteur marocain Tahar Ben Jelloun. Imaginons un instant, comme le souligne Ron Paul, que la Chine adopte une attitude similaire à l’égard des États-Unis en s’installant dans le Golfe du Mexique. Ses habitants n’en seraient-ils pas irrités? Poser la question, c’est y répondre.

          Apparemment ébranlé par les répliques de Ron Paul, Rudolph Giuliani n’a trouvé rien de mieux à dire que de prétendre que son interlocuteur était contre l’Amérique et qu’il devait présenter des excuses. Voilà l’erreur de jugement classique, grotesque, digne du novice. M. Paul blâme la politique étrangère du gouvernement américain et le gouffre profond dans lequel il a plongé le pays. Tout comme les pères fondateurs(6), il comprend que le gouvernement fédéral et la population sont deux groupes bien distincts. Et c’est précisément pour défendre ce principe que le Bill of Rights protège chaque citoyen contre les empiétements et les abus de l’État. Voilà ce qui à l’origine distingue cette nation du reste du monde.

          Malheureusement, cette spécificité n’est plus appliquée. Les droits sont maintenant bafoués et les libertés individuelles, si chères au rêve américain, s’effritent au fur et à mesure que cette croisade interventionniste se perpétue à l’étranger(7). Sur un fond de paranoïa excessive, l’heure est aux soupçons, à la réglementation abusive, et à la fermeture des frontières. Les politiciens à Washington étant de fins manipulateurs utilisent toutes sortes de stratagèmes pour convaincre le citoyen de sacrifier à chaque jour une partie plus grande de sa liberté en retour d’une sécurité hypothétique. À ce rythme, que restera-t-il dans quelques années?

Ainsi, à peine le débat était-il terminé entre les candidats du Parti républicain, que déjà certaines langues sales réclamaient que Ron Paul soit muselé. L’homme dérange l’establishment, mais suscite surtout un enthousiasme grandissant au sein de la population. Sans doute parce qu’il propose de renouer avec les idéaux perdus de la véritable République américaine. 
 
1. Le registre des sociétés, mis au point a partir des dossiers du Middle East Data Project, regroupe des informations sur plus de deux cents sociétés impliquées dans la livraison à l’Irak de technologie militaire avancée. Cette étude a été réalisée par Mednews dont le directeur à Paris est Kenneth Timmerman.
2. Le 12 mai 1996, Madeleine Albright, lors d’une entrevue avec Lesley Stahl à 60 minutes, avait déclaré que la mort d’enfants irakiens était un sacrifice nécessaire pour contenir Saddam Hussein. Ramzi Yousef, l’un des terroristes responsables des attentats de 1993 contre le World Trade Center, a déclaré que ce régime de sanctions avait motivé cette attaque. Il en va de même pour Richard Reid, qui a essayé de faire sauter une avion de ligne avec des explosifs dissimulés dans ses chaussures.

3. Saddam Hussein était un laïciste, alors que les membres d’Al Qaeda sont des musulmans fondamentalistes ayant des idées radicalement opposées.
D’ailleurs les kamikazes du 11 septembre étaient en majorité originaires de l’Arabie Saoudite et des Émirats arabes unis, des alliés des États-Unis. Une étude intitulée « Overview of the Enemy », démontre qu’Oussama Ben Laden a cherché à créer des liens avec l’Irak au milieu des années 1990, mais sans succès. Lui-même n’était pas très chaud à l’idée de conclure une entente avec un régime laïque.
4. Il est toujours stupéfiant de voir des gens s’offusquer de la hausse d’une petite taxe scolaire ou encore de considérer l’impôt comme un vol alors qu’ils cautionnent un tel appareil étatique qui draine autant de ressources financières, humaines et matérielles.
5. Habeas corpus est une procédure légale qui amène un juge à se prononcer sur le caractère légal ou non de la détention d’une personne et, le cas échéant, à ordonner sa libération.
6. Le président prête serment de sauvegarder, de protéger et de défendre la constitution des États-Unis. Une engagement qui, avouons-le, ressemble maintenant à une véritable farce.
7. Une guerre signifie que plus de pouvoirs seront donnés à l’État. Ces pouvoirs additionnels ont toujours été dans l’histoire contemporaine synonymes de perte de libertés individuelles. La grande majorité des mesures adoptées que l’on dit « temporaires » deviennent avec le temps permanentes et ouvrent la porte à de dangereux précédents dans une multitude de domaines
 





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