Niels Harrit : Le document à l’origine de la guerre contre le terrorisme

 



Le Professeur Niels Harrit,
titulaire d’un doctorat en chimie,
a enseigné pendant 40 ans à l’université de Copenhague

 


Par Niels Harrit pour Global Research, le 21 mars 2018

Traduit par Christophe Guillouët pour son blog

 

On les appelle « les guerres du 11 Septembre » : la destruction qui semble sans fin, du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, depuis 17 années. Comme le révéla le général Wesley Clark[1], ces guerres étaient anticipées en septembre 2001.

La base légale d’invasion de l’Irak en 2003 a été contestée dans plusieurs pays. La plus connue des enquêtes est l’enquête Chilcot, au Royaume Uni, commencée en 2009 et conclue par un rapport en 2016. Elle ne porte pas sur la légalité de l’action militaire mais le gouvernement britannique est sévèrement critiqué pour ne pas avoir fourni de base légale à l’agression.

Bien que l’invasion de l’Irak ait été planifiée avant le 11 Septembre[2], la plupart des observateurs remarquent que l’attaque de l’Afghanistan de 2001 était un prérequis.

Quoi qu’il en soit, la base légale pour attaquer l’Afghanistan n’a guère attiré l’attention. Une des difficultés pour l’aborder, a été que le document clé était présumé classé secret[3].

Mais comme il est démontré ci-après, ce document fut apparemment déclassifié en 2008.

Le matin du 12 septembre 2001, le Conseil de l’Atlantique nord de l’OTAN se réunit à Bruxelles. Ceci, moins de 24 heures après les événements aux États-Unis. Le Conseil comprend d’habitude les ambassadeurs permanents des États membres mais, de façon inédite, les ministres des affaires étrangères de l’Union européenne y participèrent aussi[4].

Lord Robertson, secrétaire général de l’OTAN, rédigea un brouillon de résolution invoquant l’article 5 du traité de Washington — la fameuse « clause des mousquetaires » (un pour tous, tous pour un) — comme conséquence des attaques terroristes. Cette décision devait être approuvée à l’unanimité par les gouvernements des 19 pays de l’OTAN. Cet accord général fut atteint à 21h20 et Lord Robertson put en lire à haute voix les points, lors d’une conférence de presse archicomble[5] :

« Le Conseil est convenu que s’il est déterminé que cette attaque fut dirigée de l’étranger contre les États-Unis, elle sera considérée comme une action visée par l’article 5 du traité de Washington, qui établit qu’une attaque armée contre un ou plusieurs Alliés en Europe ou en Amérique du Nord, est considérée comme une attaque contre tous. »

Il y avait une réserve : l’article 5 ne serait pas formellement activé avant « que ne soit déterminé que cette attaque est dirigée de l’étranger. »

Apparemment, l’OTAN avait un suspect. Mais la preuve légale était encore pendante, et par conséquent aussi l’invocation de l’article 5.

Formellement, cette preuve fut fournie par Frank Taylor, diplomate ayant titre d’ambassadeur du Département d’État américain. Le 2 octobre, il présenta un mémo au Conseil de l’Atlantique nord, et Lord Robertson put en conclure[6] :

« Sur la base de ce mémo il a été désormais déterminé que l’attaque contre les États-Unis du 11 Septembre fut dirigée de l’étranger et sera donc considérée comme action visée par l’article 5 du traité de Washington, qui établit qu’une attaque armée contre un ou plusieurs Alliés en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque contre eux tous. »

« Le mémo de ce jour a été classé secret et je ne puis donc vous donner tous les détails. Les mémos sont aussi donnés directement par les États-Unis aux Alliés, à leurs capitales. »

Puisque la référence à l’article 5 devait être unanime, le rapport de Frank Taylor a dû faire partie intégrante des mémos annoncés comme ayant été présentés.


Franck Taylor

Au Danemark —pays de l’auteur de cet article—, il y eut une réunion dans la Commission des affaires étrangères le 3 octobre 2001, où les parlementaires furent mis au fait par le gouvernement de la procédure de Bruxelles.

L’Amérique avait-elle été attaquée par l’Afghanistan le 11 septembre 2001 ?

Des mémos parallèles ont dû être donnés dans les 17 autres capitales de l’OTAN. Dans chaque villes, la résolution a dû être approuvée, puisque Lord Robertson a pu annoncer l’adoption unanime par l’OTAN de l’article 5 et le déclenchement de la Guerre à la terreur le 4 octobre[7]. Les premières bombes sont tombées sur Kaboul le 7 octobre.

Article 5 du traité de Washington[8] :

« Les parties conviennent qu’une attaque armée contre l’une ou plusieurs d’entre elles en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque contre toutes et elles conviennent en conséquence que, si une telle attaque armée se produit, chacune d’entre elles, dans l’exercice du droit à l’autodéfense individuelle ou collective reconnu par l’article 51 de la Charte des Nations unies… »

Autrement dit, toute action militaire entreprise par l’OTAN est confinée par les restrictions de l’article 51, lequel souligne le droit à l’autodéfense :

« Rien dans la présente Charte ne diminuera le droit naturel à l’autodéfense individuelle ou collective si une attaque armée a lieu contre un membre des Nations unies[9], … »

Autrement dit, l’action militaire est interdite en absence d’une provocation armée, et la légalité de l’attaque contre l’Afghanistan dépend exclusivement des preuves présentées par le rapport de Frank Taylor. Mais celui-ci a été classifié ainsi que les minutes des réunions qui le mentionnaient.

Cependant, le 19 mai 2008, le Département d’État déclassifia la dépêche qui avait été envoyée en 2001 à toutes les représentations du monde, y compris les ambassadeurs au quartier général de l’OTAN, à propos de ce qu’il fallait penser et dire des événements du 11 Septembre.

Elle est intitulée « 11 Septembre : Travailler ensemble à combattre le fléau du terrorisme global et les poursuites contre al-Qaïda. » Le texte accessible ici.

Le document est daté du 1er octobre 2001. Mais comme l’indique l’URL, il semble avoir été distribué le 2 octobre, cinq jours avant l’invasion de l’Afghanistan le 7 octobre 2001. C’est-à-dire le jour où Frank Taylor fit sa communication devant le Conseil de l’Atlantique nord et les ministres des affaires étrangères de l’Union européenne, et la veille du jour où les ambassadeurs états-uniens informaient les gouvernements dans chaque capitale des pays de l’OTAN.

Le texte de la dépêche commence par demander que « toutes les adresses informent les représentants officiels des gouvernements des pays hôtes, de ce qui lie le réseau terroriste al-Qaïda, Ben Laden, et le régime taliban, à l’attaque terroriste du 11 Septembre sur le World Trade Center, le Pentagone et le vol 93 d’United Airlines. »

Le document semble être une série de « points de discussion ». Les destinataires ont l’instruction d’utiliser l’information fournie seulement pour des communications orales, et de ne jamais laisser de documents papier non officiels. En particulier, il y a une référence à « LA communication orale ».

Ces instructions sont suivies de 28 pages du texte.

Une section de cette dépêche, copiée-collée dans la déclaration de Lord Robertson du 2 octobre, est révélatrice :

« Les faits sont clairs et irréfutables (…) Nous savons que les individus qui ont mené ces attaques faisaient partie du réseau terroriste mondial al-Qaïda, à la tête duquel il y a Ben Laden et dont les lieutenants sont protégés par les Talibans. »

La conclusion est sans appel : cette dépêche EST le rapport Frank Taylor. C’est le manuscrit qui a servi de base, non seulement à la communication de Frank Taylor, mais aussi aux communications faites par les ambassadeurs aux divers gouvernements nationaux. Des communications identiques furent faites dans chacune des 18 capitales le 3 octobre, quatre jours avant l’invasion de l’Afghanistan par les États-Unis et l’OTAN.

Y a-t-il une preuve légale, fournie par ce document, comme base permettant d’invoquer l’article 5 ?

Nullement. Il n’y a absolument aucune preuve légale qui soutienne l’affirmation selon laquelle les attaques furent orchestrées à partir de l’Afghanistan.

Seule une petite partie du texte introductif traite du 11 Septembre, en manière d’affirmations sommaires comme la citation de Lord Robertson publiée dans la presse. L’essentiel du texte traite des actions prêtées à al-Qaïda et aux Talibans dans les années 90.

Le 4 octobre, l’OTAN est officiellement entrée en guerre sur la base d’un document qui ne fournissait que des « points de discussion », et aucune preuve pour soutenir la revendication principale.

17 années, plus tard nous sommes toujours en guerre. Cinq pays ont été détruits, des centaines de milliers de personnes sont mortes et des millions déplacées. Les réfugiés affluent sur les routes d’Europe, des milliers de milliards de dollars ont été dépensés en armes et en mercenaires et nos petits-enfants sont criblés d’une dette sans fin.

Et, à la cérémonie d’ouverture du nouveau quartier général de l’OTAN le 25 mai 2017, tous les dirigeants des États membres de l’OTAN ont assisté à l’inauguration du « mémorial du 11 Septembre et de l’article 5 [11] ».

Niels Harrit est professeur retraité de l’Université de Copenhague


[1] Le Plan — selon le général retraité de l’armée américaine Wesley Clark

[2] Bush décida de déposer Saddam ‘le premier jour’

[3] Questions sans réponse sur le 11 Septembre 

[4] L’Amérique a-t-elle été attaquée par l’Afghanistan le 11 septembre 2001 ? 

[5] Le secrétaire de l’OTAN au moment du 11 Septembre

[6] Déclaration du Conseil de l’Atlantique nord 

[7] Déclaration du secrétaire général de l’OTAN, Lord Robertson 

[8] Déclaration à la presse du secrétaire général de l’OTAN Lord Robertson, sur la décision du Conseil de l’Atlantique nord de mettre à exécution l’article 5 du traité de Washington, suite aux attaques du 11 Septembre contre les États-Unis : 

[9] Traité de l’Atlantique nord

[10] Article 51 de la charte des Nations unies

[11] Cérémonie du 11 Septembre et mémorial de l’article 5 au nouveau quartier général de l’OTAN, le 25 mai 2017

 


 





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