Paul Craig Roberts : Mort de Ben Laden, les Américains vivent dans le 1984 de George Orwell

Il est vrai que si George Orwell revenait aujourd’hui, il se pincerait sans doute à la vue de ce qu’est devenu le monde en 2011, si semblable par bien des points à son roman d’anticipation "1984", écrit au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale. Mais il est probable que, comme Paul Craig Roberts l’écrit dans ce texte que nous publions ici, il en serait réduit à se demander comment les peuples, forts des enseignements puisés dans son roman,  ont pu malgré tout en arriver à être aussi crédules.

 

Le fameux roman de George Orwell, "1984"

 


Les Américains vivent en "1984"

Paul Craig Roberts a été l’un des rédacteurs en chef du Wall Street Journal et il a également été secrétaire adjoint au Trésor américain et est le père de la "Reaganomics". Son dernier ouvrage, HOW THE ECONOMY WAS LOST (Comment on a perdu l’économie), vient d’être publié par CounterPunch/AK Press. On peut le joindre à l’adresse : PaulCraigRoberts (a) yahoo.com

 

 

par Paul Craig Roberts, sur GlobalResearch.ca, le 11 mai 2011

Traduction GV pour ReOpenNews

Le récit de la Maison-Blanche sur la mort de Ben Laden commence à se craqueler de toutes parts. Est-ce que cela a une quelconque importance qu’en 48 heures, la version a tellement changée qu’elle ne ressemble plus du tout à celle de la déclaration du Président Obama dimanche soir, et qu’elle a perdu toute crédibilité ? Jusque là, cela ne semble pas gêner la BBC, organisme d’information autrefois légendaire, qui le 9 mars, soit huit jours après les faits, continue de nous servir l’histoire des commandos SEALS qui ont tué Ben Laden dans son antre pakistanais, où il vivait à deux pas de l’École militaire pakistanaise, et entouré par l’armée de ce pays.

Même le président pakistanais ne trouve pas cette histoire invraisemblable. La BBC rapporte que le président a lancé une vaste enquête pour savoir comment Ben Laden a pu vivre pendant cinq ans dans une ville de garnison sans se faire repérer.

Pour la plupart des Américains, l’histoire a commencé et s’est terminée avec les mots « We got bin laden » (nous avons eu Ben Laden). Les célébrations, ce doux goût de revanche, de victoire, de triomphe sur « l’homme le plus dangereux de la planète » ressemblent aux débordements de joie des supporters d’une équipe de foot victorieuse de son principal adversaire, ou d’une équipe de Baseball qui remporte les World Series. Aucun supporter ne souhaite entendre dès le lendemain qu’en fait ce n’est pas vrai, que c’était une erreur. Si dans quelques années, les Américains viennent à savoir que l’assassinat de Ben Laden était en réalité une comédie destinée à favoriser certains agendas, il jetteront cette information qu’ils prendront comme le fruit des divagations d’un [sale] communiste libéral.

Tout le monde sait qui a tué Ben Laden. Comment pourrait-il en être autrement ? Nous – le Peuple indispensable, la nation vertueuse, l’unique superpuissance au monde, le chevalier blanc – étions destinés à dominer. Aucune autre issue n’était possible. Personne ne remarque que ceux qui ont fabriqué cette fable ont oublié de nous montrer l’appareil de dialyse qui, d’une façon ou d’une autre, a maintenu Ben Laden en vie pendant ces 10 années. Aucun docteur n’était sur les lieux.

Personne ne se souvient de Fox News annonçant en décembre 2001 que Ben Laden est mort de maladie.

Si Ben Laden, défiant tous les pronostics, a réussi à survivre une décennie pour attendre, désarmé et sans défense l’arrivée des Navy Seals la semaine dernière, comment se peut-il que ce « cerveau du terrorisme » qui s’est joué par quatre fois ce matin-là non seulement de la CIA et du FBI, mais de chacune des 16 agences de renseignements US, sans oublier celles de nos alliés européens, israéliens, du National Security Council, du Pentagone, du NORAD, du  contrôle aérien, et des services de sécurité des aéroports, comment se peut-il donc qu’il n’ait jamais remporté d’autres victoires depuis, même une petite, une toute petite victoire ? Mais qu’est-ce qu’il a fabriqué pendant ces 10 ans, ce « cerveau du terrorisme » ?

La « mort de Ben Laden » rend service à bien trop d’agendas politiques de tous bords pour que l’évidence du mensonge soit reconnue par quiconque. Les patriotes célèbrent dans l’euphorie la victoire de l’Amérique sur Ben Laden. Les progressistes saisissent cette occasion pour accuser les États-Unis d’un meurtre commis en marge de toute justice, et qui nous offense tous. Certains hommes de gauche sont  tombés dans le panneau de l’histoire du 11/9 en raison de la satisfaction émotionnelle que leur avait procurée le fait de voir des Arabes oppressés se venger de leurs oppresseurs impérialistes. Et ces personnalités de gauche se réjouissent de voir qu’il a fallu 10 ans à cette Amérique incompétente pour attraper Ben Laden qui était pourtant à portée de main. L’incompétence des Américains dans leur recherche de Ben Laden prouve simplement, selon eux, celle du gouvernement US qui a échoué à protéger les Américains des attentats du 11-Septembre.

Ceux qui ont ordonné, et ceux qui ont écrit des mémos totalement faux juridiquement expliquant que la torture était  tolérée par les lois US et internationales, offrant d’ailleurs ainsi la possibilité de poursuivre juridiquement George W. Bush et Dick Cheney, sont les mêmes qui aujourd’hui alimentent l’euphorie après la mort de Ben Laden, en déclarant que c’est la torture qui a permis de guider le [commando de] tueurs américains jusqu’à Ben Laden.

Tout d’un coup, la torture, qui était abandonnée et discréditée depuis des siècles, est de nouveau légitimée. Tout ce qui peut mener à l’élimination de Ben Laden se trouve justifié.
Ceux qui veulent augmenter la pression sur le Pakistan et lui clouer le bec à propos des Américains tuant des citoyens pakistanais chez eux depuis les airs ou au moyen de troupes au sol, ont trouvé là un nouveau biais pour obliger le Pakistan à se soumettre : « Vous nous avez caché Ben Laden. » Ceux qui veulent continuer à engraisser les profits du complexe militaro-sécuritaire et à augmenter les pouvoirs du Département de la sécurité intérieure (Homeland Security), comme la Secrétaire d’État Hillary Clinton, utilisent la deuxième, voire la neuvième mort de Ben Laden comme preuve de réussite de l’Amérique dans sa guerre contre la terreur, et aussi comme argument pour continuer sur cette voie victorieuse jusqu’à l’anéantissement de tous les ennemis.

Mais la plus inquiétante de toutes fut la déclaration du directeur de la CIA selon laquelle la mort de ben Laden allait déclencher de nouveaux attentats contre l’Amérique  et de nouveaux 11-Septembre par une al-Qaida avide de vengeance.

Cet avertissement fait dans les heures qui ont suivi la déclaration du Président Obama dimanche soir, amena l’inévitable message d’al-Qaïda diffusé par Internet, comme quoi l’Amérique allait subir un nouveau 11-Septembre pour avoir éliminé leur leader.

Si les Taliban savaient depuis décembre 2001 que leur leader était mort, pensez-vous vraiment qu’al-Qaida pouvait l’ignorer ?

En réalité, le citoyen lambda n’a aucun moyen de savoir si al-Qaida est autre chose qu’une sorte de père Fouettard créé par la CIA, et qui diffuse ces « annonces ». Il existe des indices très forts comme quoi ces annonces d’al-Qaida proviennent en réalité de la CIA. Des experts ont montré que les vidéos de Ben Laden diffusées ces neuf dernières années sont des faux. Pourquoi Ben Laden publierait-il de fausses vidéos ? Et pourquoi arrêterait-il de transmettre des vidéos et ne passerait-il plus que par des messages audios ? Un individu à la tête d’une organisation terroriste mondiale devrait être capable de publier une vidéo. Et il ne devrait pas non plus être protégé par seulement quelques femmes. Où était al-Qaida, cette organisation qui selon l’ex-chef du Pentagone Donald Rumsfeld, « rassemble les tueurs les plus dangereux, les mieux entrainés et les plus vicieux qui aient jamais été » ? Ces hommes "si dangereux" auraient-ils laissé tomber leur chef ?

L’avertissement du directeur de la CIA sur de possibles nouveaux attentats, suivi dans la foulée par un [communiqué douteux, mais] menaçant émis par al-Qaida, laisse penser que si d’aventure le public américain continuait à perdre son engouement pour les guerres sans fin de son gouvernement, lesquelles guerres alimentent le déficit du budget US, aux dépends de la valeur de change du dollar, de l’inflation, de la sécurité sociale, de la protection santé, des programmes de soutien salarial, de l’emploi, de la sortie de la crise, etc…, dans ce cas, al-Qaida reviendrait se jouer des 16 agences de renseignements US, de celles de nos alliés, du Norad, de la sécurité des aéroports, du contrôle aérien, etc… pour infliger à l’unique superpuissance mondiale un nouveau revers humiliant capable de revigorer le soutien [du peuple] américain pour la « guerre contre la terreur ».

Je pense que si al-Qaida détruisait la Maison-Blanche  ou le Congrès, ou les deux, la majorité des Américains y croirait, tout comme les Allemands, peuple plus cultivé et plus intelligent, a cru à l’incendie du Reichstag – accompagnés par bon nombre d’historiens.

La raison pour laquelle je dis cela est que les Américains ont succombé à la propagande et ont été conditionnés pour croire qu’ils sont attaqués par des adversaires tout puissants. On trouve des preuves tous les jours dans les médias. Par exemple, le 9 mars, j’ai entendu sur la National Public Radio à Atlanta que l’université Emory, une université privée relativement connue, a proposé à ses étudiants fraichement  diplômés un discours de Janet Napolitano, Secrétaire à la sécurité intérieure (Homeland Security).

Il s’agit de cette agence qui emploie des voyous pour palper les parties génitales d’enfants ou d’adultes, et qui a annoncé son intention d’étendre cette pratique, pour l’instant réservée au voyageurs aériens, à la clientèle des grands magasins, et aux usagers des bus et des trains. 

Le fait qu’une université sérieuse invite une personne aussi immorale, qui n’a aucun respect pour les libertés civiles américaines et est aussi totalement dénuée de bon sens commun, et lui demande de s’adresser à une classe de jeunes diplômés faisant partie de l’élite des États-Unis du Sud, prouve bien que [nous vivons aujourd’hui]  sous le règne du Ministère de la Vérité. Les Américains vivent comme dans "1984", le monde de George Orwell.

Pour ceux qui n’ont pas lu le grand roman de George Orwell qui prédisait notre époque, « Big Brother », [c'est-à-dire] le gouvernement, pouvait dire aux citoyens n’importe quel mensonge, ils l’acceptaient sans sourciller. Comme me le faisait remarquer un lecteur attentif, nous, les Américains, avec notre « presse libre », en sommes arrivés à ce point aujourd’hui : « Ce qui est vraiment inquiétant, c’est l’arrogance croissante de ces mensonges toujours plus bâclés, comme si le gouvernement était désormais tellement convaincu de sa faculté à tromper les gens qu’il ne faisait même plus l’effort de rester crédible. »

Un peuple aussi crédule que les Américains n’a aucun avenir.

Paul Craig Roberts

 

Traduction GV pour ReOpenNews


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6 Responses to “Paul Craig Roberts : Mort de Ben Laden, les Américains vivent dans le 1984 de George Orwell”

  • H.

    Je viens aussi de lire ceci :

     » On se rappellera de la première version qui avait été donnée lors d’une conférence de presse : se servant d’une femme comme bouclier humain, Ben Laden aurait été abattu d’une balle en pleine tête.

    Dans l’émission Place de la Toile du 8/05, le philosophe des sciences Mathieu Triclot faisait remarquer que ce scénario était similaire à un épisode du jeu Call of Duty: Black Ops, édité il y a six mois par la société Activision et où le joueur, qui incarne un agent de la CIA, se retrouve à tuer Fidel Castro d’une balle en pleine tête alors qu’el commandante (qui s’avérera être un sosie) tente lâchement de s’abriter derrière une femme.  »

    Hallucinant, non ?

    Cela m’a aussi frappé que le président américain ait cité exactement le texte de la série  » south park season 5  » :
     » We got him  » …. où l’on voit dans ce dessin animé un soldat US tuer Ben Laden et gueuler comme un con : » We got him  » – Obama a fait de même dans sa grotesque annonce, il a dit : « we got him  »
    Comme si ces petites phrases bien placées au cours des annonces ou discours, bien plus que de simples  » clins d’oeil  » faisaient office de rappels subliminaux et forcluaient automatiquement toute capacité d’interrogation, toute remise en question des phénomènes gouvernementaux.

    Ces deux exemples cités sont deux de trop.
    L’ excellent article sur OWNI :http://owni.fr/2011/05/11/mort-de-ben-laden-nous-avons-deja-vu-le-film/

  • apetimedia
  • Eksmaqina

    La séquence des foules en liesse autour de la maison blanche et dans d’autres lieux des états-unis après l’annonce de la mort de Ben Laden fait aussi fortement penser au roman d’Orwell.

    On dit un nom « Ben Laden », et on montre un visage, et la foule conditionnée se met à hurler.

    Cela donne le frisson, et cela fait désespérer de l’humanité, que d’être le témoin d’une telle démission collective et planétaire devant la force et le mensonge.

    On parle en ce moment du « printemps arabe », mais ne faut-il pas souhaiter que vienne aussi un printemps occidental ?

  • chb

    Détail : erreur de date, 1er paragraphe : « le 9 MAI, huit jours après les faits ».
    Sur le fond, cette opération légitime un peu plus les assassinats ciblés, et toutes les victimes collatérales. La civilisation a reculé des quelques siècles…

  • Sébastien

    Incroyable, tout ce que j’écris depuis des années repris pas Paul Craig Roberts.
    Ce qui ressort de ceci est en réalité un échec masqué de l’Amérique qui ne vit plus que de chimères. Etat d’esprit (ou esprit d’Etat…) extrêmement dangereux pour le monde. Au passage, les Russes l’ont toujours su….Des gens bien plus responsables et raisonnables, eux.
    Une hyper-puissance qui parle et gouverne au nom de Dieu, dans toute l’injure de cette expression. Seulement Dieu n’y est pour rien, les responsables sont bien sur Terre, enfin, si l’on peut dire.
    Par peur de s’écrouler comme un château de cartes face à une légère brise, les Etats-Unis (pour combien de temps?) s’inventent une histoire, un jeu de rôle dont le terrain de jeu est NOTRE monde.

    Evidemment et malheureusement, cela ne peut que très mal finir, raison pour laquelle il n’est plus temps de prendre des pincettes quand on a le feu aussi près des fesses. Car le temps pête (elle est cadeau celle là).

    @ Eksmaqina: études de Pavlov, entres autres. Pourquoi crois-tu que la CIA se penche depuis toujours sur les travaux en psychologie comportementale?
    Les américains sont un peuple fichu au sens historique du terme. Des rats de laboratoire. Puisse l’Europe (le continent, pas Bruxelles) accueillir les personnalités les plus lucides comme réfugiés politiques (difficile à croire, et pourtant!) quand le temps viendra.

  • H.

     » Oussama Ben Laden a joué le rôle du Emmanuel Goldstein du XXIème siècle. Maintenant que le régime Obama a annoncé la mort du Goldstein moderne, un nouveau démon doit être inventé avant que les guerres d’Océanie ne se tarissent en justifications (… )

    Comment Océanie peut-elle continuer si l’ennemi déclaré, Oussama Ben Laden, est mort. Le Grand Frère doit immédiatement inventer un ”nouvel ennemi du peuple”.

    Mais Hillary étant une imbécile parfaite, a choisi un pays qui a bien plus que des armes militaires. Alors que l’amériKe supporte les “dissidents” en Chine, qui sont suffisamment idiots pour croire que la démocratie existe en Amérike, le gouvernement chinois insulté, lui, est assis sur 2000 milliards de dollars en fonds US, qui peuvent être passés au tout à l’égoût, détruisant ainsi la valeur marchande du dollar et le dollar comme monnaie de réserve, la source principale de la puissance amériKaine.

    Hillary, dans un acte hypocrite sans précédent, a dénoncé la Chine pour “des violations des droits de l’Homme”. Ceci venant d’un pays, qui a violé les droits humains de millions de victimes de manière contemporaine en Irak, en Adfghanistan, au Pakistan, au Yémen, en Libye, en Somalie, en ajoutant Guantanamo, Abu Ghraïb, les prisons secrètes de la CIA localisés aux quatre coins de la planète, dans les cours de justice amériKaine, et dans l’arrestation et la saisie de documents des activistes anti-guerre. Il n’y a pas pire violeur de droits de l’Homme sur cette planète que le gouvernement amérikain, et le monde le sait parfaitement.  »

    Article : « La Chine est le nouveau Ben Laden, Orwell a écrit le script  » par Paul Craig Roberts-

    http://mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=24740

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