La narcoguerre de la CIA au secours des banques

Du fait de considérations religieuses, les talibans avaient quasiment éradiqué la culture du pavot sur le sol afghan en 2001. Mais, sous l’occupation du pays par les USA et l’OTAN suite aux attentats de 11/9, la production a été relancée à outrance. Au point que le marché de l’opium et de l’héroïne à l’international est aujourd’hui saturé.

Si les talibans semblent profiter des revenus de la drogue pour financer la résistance, les occupants sont les acteurs essentiels et premiers bénéficiaires de ce trafic. Le produit – pourtant illicite, mais générateur de sommes colossales dans le monde entier – transite tranquillement d’Afghanistan vers l’étranger via des avions militaires voués au transport des troupes. Hypocrisie sans nom d’un système bien rodé, où les Etats affirment lutter contre le fléau qu’alimente la mafia militaire… Sur la voie de l’Axe du mal, l’Afghanistan est décidément bien une manne aux ressources surprenantes!

Le journaliste italien Enrico Piovesana profite d’une information récemment diffusée par la BBC pour pointer du doigt les troupes d’occupation prises en flagrant délit de trafic comme les micmacs interbancaires en lien qui se pratiquent à notre insu. En complément de cet article, nous joignons un second document sur les constats établis par l’ONU, l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (UNDOC) ainsi que les services anti-drogue américains (DEA).

Un champ de pavots

 



Narcoguerre

Peacereporter /15/09/2010 par Enrico Piovesana

L’héroïne afghane à bord des vols de soldats britanniques de retour du front. Les informations renforcent les soupçons sur les véritables intérêts économiques qui se cachent derrière la guerre en Afghanistan.

Diffusée lundi par la BBC, la nouvelle à propos des soldats britanniques et canadiens accusés de transporter de l’héroïne vers l’Europe en profitant du manque de contrôle sur les vols militaires revenant du front, ne fait que renforcer les soupçons sur les véritables intérêts économiques qui se cachent derrière la guerre en Afghanistan.

Le trafic "militaire" d’héroïne découvert dans les bases de l’OTAN au sud de l’Afghanistan (province du Helmand et de Kandahar) et la base aérienne de Brize Norton, Oxfordshire, sera liquidé par l’explication habituelle de "la pomme pourrie", un cas isolé qui ne concerne que quelques individus.

Il s’agit au contraire très probablement de la pointe de l’iceberg, ou mieux, des miettes d’un trafic de drogue bien plus vaste et structuré que ses promoteurs principaux – les militaires et les services secrets états-uniens – laissent à leurs alliés, évidemment beaucoup moins adroits qu’eux pour ne pas se faire prendre.

il y a quelques mois seulement, la presse allemande avait avancé que l’une des principales agences d’entrepreneurs privés en charge de la logistique des bases de l’OTAN en Afghanistan – Ecolog, soupçonné d’être en liens avec la mafia albanaise – était impliquée dans le trafic de l’héroïne afghane au Kosovo et en Allemagne.

L’an dernier, le New York Times a fait sensation en révélant que Walid Karzaï, le frère du président afghan et principal trafiquant de drogue dans la province de Kandahar, a été rétribué par la CIA des années durant .

"L’armée américaine n’empêche pas la production de drogue en Afghanistan, car elle leur rapporte au moins 50 milliards de dollars par an; il leur revient de transporter la drogue à l’étranger à bord de ses avions militaires; ce n’est pas un mystère", a déclaré en 2009 sur Russia Today le général russe Mahmut Gareev.

En 2008 déjà la presse russe, sur la base d’informations du Renseignement, non démenties par l’ambassadeur d’alors à Moscou puis à Kaboul, Zamir Kabulov, révélait que l’héroïne était transportée d’Afghanistan à bord de cargos militaires U.S. directement dans les bases de Ganci au Kirghizistan, et d’Inchirlik enTurquie.

Durant la même période, un article du journal britannique The Guardian rapportait des rumeurs croissantes sur la pratique de l’armée américaine en Afghanistan qui cachait de la drogue dans les cercueils des morts transportés par avion à l’étranger, emplis d’héroïne à la place des corps de soldats.

"Les expériences en Indochine et en Amérique centrale – pouvait-on encore lire en 2008 dans le Huffington Post américain – suggèrent que la CIA peut être impliquée dans le trafic de drogue afghane de façon plus importante que ce que l’on sait déjà. Dans les deux cas, les avions de la CIA transportaient la drogue à l’étranger pour le compte de leurs alliés locaux : il pourrait en être de même en Afghanistan. Lorsque l’histoire de la guerre sera écrite, la participation sordide de Washington dans le trafic de l’héroïne afghane sera l’un des chapitres des plus honteux."

En 2002, le journaliste americain Dave Gibson du Newsmax a cité une sources anonyme du Renseignement des États-Unis selon laquelle "la CIA a toujours été impliquée dans le trafic mondial de drogue, et qu’en Afghanistan, elle perpétue simplement son truc favori, comme elle l’a déjà fait durant la guerre du Vietnam. "

Selon l’historien américain Alfred McCoy, spécialiste de l’implication de la CIA dans le trafic de drogue sur toutes les scènes de guerre américaines de ces cinquante dernières années (jusqu’à la résistance anti-soviétique afghane des années 80), l’objectif principal de l’occupation américaine de l’Afghanistan a été le rétablissement de la production d’opium, interdite l’année précédente et de manière inattendue par le mollah Omar en quête d’une reconnaissance internationale.

Les faits et le bon sens semblent confirmer la thèse de McCoy : après l’invasion de 2001, la production et la vente de l’opium afghan (et de l’héroïne) ont repris à des niveaux jamais vus, pulvérisant en quelques années les records de la période taliban, tandis que les troupes américaines et l’OTAN ont toujours refusé de s’engager dans la lutte contre le trafic de stupéfiants, maintenant leur soutien aux barons locaux de la drogue.

Reste une question fondamentale : pourquoi l’armée et le renseignement américains, en théorie dédiés à la sécurité nationale et internationale, aspirent-ils à contrôler le commerce de la drogue depuis des décennies ? Pour la vénalité de leurs dirigeants corrompus ? Pour garantir les caisses noires des opérations secrètes ? Ou peut-être y a-t-il derrière quelque chose de plus stratégique et systémique, qui, finalement, concerne réellement le maintien de la sécurité ?

Le Directeur général de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (UNODC), Antonio Maria Costa, a implicitement répondu à cette question, indiquant que les fonds énormes tirés du blanchiment d’argent et le trafic de drogue sont la pierre angulaire qui garantit la survie du système économique américain et de l’Ouest en temps de crise.

"La majeure partie du produit du trafic de drogue, une somme d’argent impressionnante, est versée dans l’économie légale par le recyclage‘", a déclaré Maria Costa en janvier 2009. Ce qui veut dire introduire un capital d’investissement, des fonds qui terminent dans le secteur financier, qui se trouve sous pression évidente [ en raison de la crise financière mondiale, ndlr]."

"L’argent provenant actuellement du trafic de drogues est le seul capital d’investissement disponible," a poursuivi le directeur de l’UNODC." En 2008, la trésorerie a été le principal problème pour le système bancaire, puis le fonds de roulement est devenu un facteur important. Il semble que les crédits interbancaires ont été financés par l’argent provenant du trafic de drogue et autres activités illégales. Il est évidemment difficile de le prouver, mais il y a des indications selon lesquelles un certain nombre de banques ont été sauvées par ces moyens."

Enrico Piovesana

Traduction apetimedia pour ReOpenNews


Afghanistan : L’ONU dénonce le poids de l’économie de la drogue sur les institutions 
 

Le Monde, 22 octobre 2009 / Par Jacques Follorou

La vie politique en Afghanistan, le fonctionnement de l’Etat et la vigueur de l’insurrection taliban peuvent-ils être compris sans se pencher sur l’économie de l’opium dans ce pays ? L’ONU réunit à Paris plus de cinquante pays, jeudi 22 octobre et vendredi 23 octobre 2009, pour évoquer la dimension sans précédent prise par le trafic de cette drogue dont l’Afghanistan est le premier producteur mondial. Les Nations unies semblent désireuses de répondre clairement à cette question, qui met en cause la nature même du pouvoir à Kaboul, alors que la crise politique sur fond de conflit électoral n’est pas encore totalement dénouée.

L’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (Undoc), avec le soutien du ministère des Affaires étrangères français, qui héberge cette conférence inscrite dans le cadre du pacte de Paris sur les routes de l’héroïne, signé, en 2003, lors d’un G8, estime aujourd’hui que l’Afghanistan produit tellement d’héroïne (370 tonnes en 2008) que le marché international ne peut même plus absorber sa production. Près de 12000 tonnes d’opium, extrait des feuilles de pavot (il faut sept kilos d’opium pour obtenir un kilo d’héroïne), seraient ainsi, en grande partie, stockées dans de discrets entrepôts situés sur la frontière entre l’Afghanistan et le Pakistan. Une autre partie serait conservée par les fermiers eux-mêmes. Pour une économie mondiale de l’héroïne chiffrée à 64 milliards de dollars (42,7 milliards d’euros) dans le rapport de l’Undoc, d’octobre 2009, l’Afghanistan ne retirerait que 3 milliards de dollars. Près de 2,3 milliards de dollars iraient aux trafiquants et seulement 700 millions de dollars seraient reversés aux fermiers afghans qui cultivent le pavot.Dans son rapport, l’ONU ne se contente pas de livrer une photographie de la production d’opium, elle dresse aussi un tableau édifiant de l’imbrication du trafic de drogue dans la société afghane. Selon l’Office contre la drogue de l’ONU, 60 % des députés sont liés à des personnes ayant un intérêt dans le trafic d’opium. Il peut s’agir de chefs de guerre, de trafiquants ou de personnes assurant leur protection. Les représentants de l’Etat afghan, encore embryonnaire, policiers, magistrats, gouverneurs, sont, selon l’ONU, souvent corrompus par les trafiquants pour faciliter le transport de la drogue et bloquer toute éradication.

L’ONU estime à 125 millions de dollars (83,4 millions d’euros) le montant des sommes prélevées sur ce trafic par les talibans sous forme de taxes ou de paiements d’une protection pour la culture ou le transport. Néanmoins, cette source de revenus ne constituerait, comme dans la province du Helmand, au sud du pays, fief des talibans et de la culture du pavot, que 15 % des besoins du mouvement taliban pour financer ses achats d’armes, la rétribution de ses combattants ou acheter différentes complicités. Selon les services anti-drogue américains (DEA) cités par l’Undoc, un kilo d’héroïne permet d’acheter quinze fusils AK47. "Le paradoxe, souligne Bernard Frahi, directeur adjoint de l’Undoc, c’est que ce sont les talibans qui ont obtenu les meilleurs résultats contre la drogue en parvenant, en 2001, à éradiquer quasiment la totalité de la culture de l’opium dans le pays. On aurait dû être plus réactifs et poursuivre leur travail dans ce domaine. Nous avons laissé reprendre la culture, considérant que cela était secondaire, alors que c’est aujourd’hui un problème central."

Le rapport de l’ONU souligne enfin les contradictions apparues au sein de l’OTAN en matière de lutte contre le trafic de drogue et dont les objectifs peuvent encore aujourd’hui s’opposer à ceux du combat contre le terrorisme. Ainsi, l’Undoc cite plusieurs affaires dans lesquelles la CIA, soucieuse de ménager ses sources parmi les trafiquants de drogue, a refusé de transmettre des informations à la DEA. Sollicité pour s’exprimer sur les ravages du trafic d’opium dans son pays, le président, Hamid Karzaï, use souvent d’une phrase qu’il affectionne, "nous recevons 100 % des blâmes, mais seulement 2 % des revenus de cette activité".

Jacques FOLLOROU

 


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3 Responses to “La narcoguerre de la CIA au secours des banques”

  • Phrygane

    Ainsi va le monde…
    Les politiques ne sont donc que des marionnettes récitant des textes destinés à nous bercer.
    A nous dire exactement ce que nous souhaitons entendre : que nous sommes les gentils, que les autres décidément méritent les misilles que nous leur envoyons, après les avoir achetés très cher.
    Que nous menons, bref, une sainte guerre.
    Qui pourrait croire que l’armée des libérateurs, dealerait, elle même, en ramenant au pays, avec l’argent du contribuable américain, la précieuse marchandise ?
    Qui pourrait croire que l’Amérique est une démocratie ?
    Encore faudrait-il oser ouvrir les yeux sur une telle réalité…

    Non, non, c’est encore une théorie du complot.

  • Norbert

    « Je rêve qu’un jour toute vallée sera élevée, toute colline et toute montagne seront abaissées. Les endroits raboteux seront aplanis et les chemins tortueux redressés. »

    Martin Luther King, 28 août 1963

  • Guit'z

    Les narco-dollars pour renflouer Wall Street, ça vous étonne ?

    Naïfs…

    Le trafic de drogue est le principal projet politique des Ellites pour la populace – ce que Baudelaire a d’ailleurs parfaitement expliqué dans ses fameux Paradis Artificiels…

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