Un juge espagnol rouvre une enquête sur de hauts responsables de Bush

Le célèbre juge espagnol Baltasar Garzón a ouvert une nouvelle enquête sur les allégations de torture à Guantánamo Bay et dans d’autres prisons américaines visant les « possibles auteurs matériels, concepteurs ou complices » d’abus illégaux commis contre les détenus.

Dans une décision judiciaire solidement motivée et justifiée publiée mercredi, Garzón a indiqué qu’il enquêterait sur le rôle joué par les responsables de haut rang du gouvernement Bush dans ce qu’il a appelé un « programme autorisé de torture et de mauvais traitements systématiques infligés aux personnes privées de leur liberté sans que des chefs d’accusation aient été portés contre elles en les privant des droits les plus élémentaires réservés aux détenus, prévus et exigés par les traités internationaux. »

Guantánamo Bay, a-t-il écrit, pourrait bientôt être considéré comme « un véritable vide au sens juridique qui est défini par une multitude de traités et de conventions signés par la communauté internationale. »

Garzón a laissé entendre qu’il envisagerait de porter plainte contre les responsables sous l’ère Bush qui ont autorisé, dirigé ou approuvé l’usage de la torture et pas seulement les agents de la CIA qui l’ont pratiquée ou les juristes du ministère de la Justice qui ont procuré des justifications pseudo-légales.

Il a écrit que des mémos du ministère de la Justice de Bush précédemment classés secrets et rendus publics le mois dernier par le gouvernement Obama ont révélé l’existence d’un programme de torture à la prison américaine de la base aérienne Bagram en Afghanistan ainsi qu’à Guantánamo, qui avait été approuvé à « un niveau presque officiel ». Il y avait, de ce fait, « une responsabilité pénale dans les différentes structures de l’exécutif, le commandement, la conception et l’autorisation de ce programme de torture systématique ».

Il a ajouté que les mémos, rédigés par les juristes du ministère de la Justice en 2002 et en 2005, fournissaient des preuves « de ce qui précédemment pouvait seulement être insinué. »

Dans un acte judiciaire de dix pages, Garzón a écrit que les mauvais traitements infligés à Guantánamo et dans d’autres prisons américaines aux prisonniers suspectés de terrorisme laissent supposer « l’existence d’un programme concerté d’application d’une multitude de crimes de torture. » Il a dit qu’il réclamerait des copies des mémos du gouvernement Obama et qu’il demanderait aussi au juge espagnol Ismael Moreno l’information que celui-ci a rassemblée dans le courant de l’investigation sur les vols secrets [rendition] de la CIA qui ont fait escale en Espagne.

Bien que Garzón n’ait pas nommé les cibles potentielles de son enquête, le langage utilisé dans son acte judiciaire évoque la possibilité de la délivrance de mandats d’arrêt contre les responsables de haut niveau de Bush, tels le vice-président Dick Cheney, le secrétaire à la Défense, Donald Rumsfeld, la conseillère pour la Sécurité nationale, puis secrétaire d’Etat, Condoleezza Rice, et Bush lui-même.

En 1968, Garzón avait décerné un mandat d’arrêt contre Augusto Pinochet, alors que l’ancien dictateur chilien était en visite en Grande-Bretagne, en exigeant son extradition pour subir un procès en Espagne. Cela avait déclenché un conflit juridique qui força Pinochet à rester assigné à résidence en Grande-Bretagne pendant 17 mois. Les hauts responsables du gouvernement Bush, y compris l’ancien président, ont à présent de bonnes raisons pour ne pas quitter les Etats-Unis de peur de subir un sort similaire ou pire.

Garzón a cité la « compétence universelle de la justice » espagnole avec ses statuts et ses dispositions dans la Convention de Genève et les lois internationales interdisant la torture qui oblige les signataires à poursuivre les responsables de tout gouvernement violant les dispositions anti-torture. Il a dit qu’il réexaminerait les témoignages des quatre anciens détenus de Guantánamo Bay. Tous les quatre avaient été poursuivis pour avoir été des membres d’Al-Qaïda il y a plusieurs années, mais Hamed Abderrahman, Ahmed et Lahcen Ikassrien furent acquittés par la Haute Cour d’Espagne et Abdul Latif al Banna et Omar Deghayes eurent leur placement en détention au Royaume-Uni annulé.

Les détenus prétendent qu’ils « ont subi divers sévices physiques et enduré des abus psychologiques contre leur personne durant leur détention dans différents pays où il étaient placés sous l’autorité de personnel militaire américain. » La liste des abus comprend des coups, des sévices sexuels, l’exposition au froid et à la chaleur intense, à une musique surpuissante, de longues séances d’interrogatoire et de privation de sommeil.

L’annonce de Garzón aggrave la crise politique qui entoure le gouvernement Obama au sujet de l’utilisation de la torture et d’autres violations des lois nationales et internationales. Obama a essayé de donner l’impression que son gouvernement représentait une rupture avec ces pratiques tout en défendant certains des crimes les plus énormes tels l’enlèvement et la « disparition » d’individus et leur « restitution » (« rendition ») pour être emprisonnés et torturés par d’autres gouvernements.

Obama avait décidé le 16 avril de publier des mémos de l’époque de Bush portant sur l’approbation de méthodes telles que la simulation de noyade (« waterboarding ») que son gouvernement a reconnues comme étant de la torture. Il n’avait pris cette décision que sous l’effet de la pression d’une échéance imposée par le tribunal concernant la publication de ces mémos.

Dans le même temps, il avait exclu toute enquête ou poursuite des agents de la CIA qui avaient pratiqué la torture. Il avait manifestement espéré mettre un terme à la controverse qui couvait au sujet de la torture, en apaisant ses partisans libéraux et l’opinion mondiale tout en rassurant l’establishment militaire et du renseignement ainsi que les responsables de Bush qu’ils ne seraient pas tenus responsables.

La démarche eut l’effet inverse en déclenchant des dénonciations publiques du gouvernement de la part des responsables de Bush, y compris Cheney et l’ancien directeur de la CIA, Michael Hayden, qui avaient cherché à mobiliser des sections mécontentes de l’appareil militaire et du renseignement et de forces droitières en général en défendant la torture de présumés terroristes et en accusant Obama de saper la sécurité nationale américaine.

En raison d’un conflit croissant au sein de l’Etat, les responsables gouvernementaux ont déclaré leur opposition à toute enquête publique sur le programme de torture de Bush. Ceci a placé Obama dans une situation où il reconnaît les crimes d’Etat tout en défendant leurs auteurs.

La direction démocrate du Congrès a suivi la voie adoptée par Obama en s’opposant à toute investigation des responsables du gouvernement Bush en se ralliant à une enquête lancée par la Commission d’information du Sénat (Senate Intelligence Committee), conduite « à huis clos » et basée sur les assurances qu’elle sera « bipartite » et « non politique » et que la plupart des conclusions, sinon toutes, resteront classées.

L’annonce faite par Garzón mercredi fait suite à sa tentative de porter des accusations contre six responsables du gouvernement Bush impliqués dans la rédaction des mémos sur la torture. Le procureur général espagnol, Candido Conde-Pumpido, s’est publiquement prononcé contre cette enquête en cherchant à l’étouffer. La démarche de bloquer l’enquête était intervenue après qu’une série de discussions de haut niveau entre Washington et Madrid a eu lieu, discussions qui comprenaient des entretiens directs entre Obama et le premier ministre José Luis Zapatero du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE).

La nouvelle enquête de Garzón est un acte de défiance qui fait monter les enchères politiques en visant les responsables de haut niveau de Bush qui ont autorisé le programme de torture.

Mercredi, lors d’une conférence de presse, Obama a réitéré sa conviction que le « waterboarding » autorisé par Bush était de la torture. Et pourtant, d’anciens hauts représentants du gouvernement Bush continuent de défendre de telles pratiques et leur autorisation.

L’un de ceux qui ont été désignés par Garzón dans son enquête initiale, Jay Bybee qui, en tant qu’adjoint du secrétaire à la Justice, avait signé certains des mémos sur la torture, avait été nommé par Bush au poste de juge à la Cour d’appel fédérale. Les appels se multiplient à présent contre lui pour qu’il soit démis de ses fonctions. Mercredi, il a brisé le silence en défendant son rôle et en approuvant la torture des détenus. Il a dit au New York Times, « Je croyais à l’époque, et je continue de croire aujourd’hui, que les conclusions étaient juridiquement correctes. »

La défense par Condoleezza Rice de ses actes est la meilleure de toute en étant encore plus éhontée que celle de Bybee. Jeudi, le site web du Huffington Post affichait un article sur une récente discussion entre Rice et des étudiants de l’Université de Stanford. Lorsque des étudiants lui ont demandé si le « waterboarding » était de la torture, elle a répondu « [P]ar définition, s’il a été autorisé par le président, il ne violait pas nos obligations sous la Convention contre la Torture. »

La position de Rice est que Bush a personnellement autorisé le « waterboarding » et que l’autorité présidentielle outrepasse la loi. En cherchant à se défendre, elle a effectivement placé Bush lui-même directement dans la ligne de mire.

Le ministre de la Justice d’Obama, Eric Holder, a refusé de dire si les Etats-Unis coopéreraient à l’investigation de Garzón. En réponse à une question, il a simplement dit, « Evidemment, nous considérerons toute demande venant de la justice de n’importe quel pays et nous examinerons comment et si nous devons nous y conformer. »

Michael Ratner, président du Centre pour les droits constitutionnels (CCR) des Etats-Unis, qui représente de nombreux détenus de Guantánamo Bay, a dit à propos de la nouvelle enquête de Garzón, « Les conspirateurs de la torture ont de gros problèmes. Même si les Etats-Unis échouent dans leur obligation de mener une enquête criminelle, l’Espagne le fera. Les conspirateurs peuvent s’enfuir, mais ne peuvent pas se cacher. Il est probable que des mandats d’arrêt ont déjà été lancés ou le seront sous peu. Des mises en accusation suivront certainement bientôt. Les possibilités de voyage de l’équipe de tortionnaires sont en train de rétrécir. »

L’attitude adoptée par l’establishment politique et médiatique américain face à l’investigation de Garzón est révélée par le quasi-silence avec lequel les médias l’ont accueillie. Elle a à peine été mentionnée dans les actualités des chaînes de TV et a seulement bénéficié d’une couverture superficielle dans la presse écrite. Un article fut publié mercredi dans une édition électronique du New York Times, mais non dans l’édition écrite du lendemain.

Cette réaction prouve une fois de plus la complicité des médias, à la fois en ce qui concerne les actes criminels commis par le gouvernement Bush et les efforts entrepris par Obama pour empêcher que ceux qui sont coupables de crimes d’Etat soient tenus pour responsables.
 

par Paul Mitchell et Chris Marsden pour WSWS.org, le 6 mai 2009
Article original, WSWS, paru le 1er mai 2009.

7 Responses to “Un juge espagnol rouvre une enquête sur de hauts responsables de Bush”

  • Tortuga

    C’est un coriace, le juge Garzon, un dur à cuire qui ne se laisse pas impressionner. Il doit certainement disposer d’une solide équipe de gardes du corps. Il a souvent travaillé sur des dossiers sensibles que ce soit en Espagne ou ailleurs. En tout cas, je lui souhaite de réussir à coincer toute la bande d’assassins de l’administration Bush.

    Petit correctif, ce n’est pas en 1968 qu’il avait décerné un mandat d’arrêt contre Pinochet, mais en 1998. Pinochet a pris le pouvoir au Chili le 11 septembre 1973 par un coup d’état militaire contre le président Salvador Allende élu démocratiquement en 1970.

  • Loïc

    Bravo et respect à cette personne!

    Rien n’arrêtera la justice… à part tout!

    Le 11 Septembre, les terroristes n’avaient pas respecté les modèles de guerre en vigueur, ont dit en substance Gonzales et Haynes en 2004, après Abu Ghraib, aussi le traitement des prisonniers pouvait-il être également spécifique.
    Le renversement de la réalité est psychotique.
    Voir ici par exemple, avec le fameux mémo annoté de Rumsfeld:
    http://www.vanityfair.com/politics/features/2008/05/guantanamo200805?currentPage=2

  • Danyray

    Ah, la belle boîte de Pandore qui s’est ouverte ! De plus elle s’internationalise – et s’ « européanise » – avec Garzon, qui est effectivement un coriace. Et ça, c’est peut-être l’une des meilleure nouvelle dans ce cadre…
    Pour rappel, en ce qui concerne la spectaculaire initiative de Garzon contre Pinochet, on retrouve à la baguette du coup d’état au Chili un certain Henry Kissinger, qui était censé présider la Commision d’enquête sur le 11-Septembre -dont on sait de quoi elle a accouché…-, avant de se faire exploser par les familles de victimes, notamment les Jersey Girls, et d’en démissionner… Que le monde est petit !

  • bibi

    un juste ,heureusement qu’il en reste quelques uns

  • togand

    j’aime entendre la douce musique des dents qui claquent, j’espere qu’on les aura, y a pas de raisons, il faut qu’ils tombent tous ces assasins!!! La torture, les guerres, les pseudos atentats, j’en passe et des meilleures, je me demandais, en lisant l’article, qu’il serait assez rigolo que tous les convaincu de la responsabilité des atentas du 11/09 allaient porter plainte. On a le droit, non? Il n’y a pas que les juges qui ont le droit de porter plainte, n’importe qui peut le faire du moment uo il pense que quelqu’un a agis en dehors de la loie. ça serait cool quelques dizaines de milions de plainte à travers le monde, je suis sur que ça ferait bouger les médias. A méditer.

  • ernestino

    togand à raison,ils faudraient qu’un grand nombre de personnes aillent dans les gendarmeries,porter plainte contre Georges W.Bush et son gouvernement pour crime contre l’humanité.A mediter cette idée!!!!

  • Corto

Trackbacks

  •  





*
To prove you're a person (not a spam script), type the security word shown in the picture. Click on the picture to hear an audio file of the word.
Click to hear an audio file of the anti-spam word

``