Obama, l’armée et la menace de la dictature aux Etats-Unis

En choisissant l’amiral Dennis Blair en tant que directeur du renseignement américain, le président désigné Barack Obama a intégré à son cabinet trois officiers à quatre étoiles qui sont à la retraite depuis peu. Cette représentation sans précédent du corps des officiers au sein de la prochaine administration démocrate est une indication de la croissance du pouvoir politique de l’armée américaine qui menace sérieusement les droits démocratiques fondamentaux.

Commandant en chef de l’armée des Etats-Unis dans le Pacifique en 1999-2000, Blair s’est distingué par ses tentatives de rapprochement entre le Pentagone et l’armée de l’Indonésie au moment où cette dernière procédait à une véritable boucherie au Timor-Oriental. Cela a eu pour effet de contrecarrer complètement les inquiétudes tièdes qu’avait exprimées l’administration Clinton quant aux droits humains dans cette région du monde.

Avant de faire appel à Blair, Obama avait nommé l’ancien général de la marine, James Jones, au poste de conseiller à la Sécurité nationale et l’ancien chef d’état-major de l’armée, le général Erik Shinseki, au poste de secrétaire aux Anciens combattants. On rapporte aussi que la prochaine administration pourrait demander au général à la retraite de l’Air Force, Michael Hayden, de demeurer au poste de directeur de la CIA.

Le Washington Post avait décrit samedi dernier cette concentration d’anciens hauts officiers dans l’administration comme une « tendance inhabituelle pour une administration démocrate, une tendance qui a surpris les deux camps politiques ».

Ces nominations ont été précédées par l’annonce que Robert Gates, le secrétaire à la Défense de l’administration Bush, allait demeurer à son poste au Pentagone, où de nombreuses « équipes de transition » sont à l’œuvre pour s’assurer que les guerres d’agression des Etats-Unis se poursuivent et que l’immense pouvoir de l’armée demeure illimité.

Plus tôt ce mois-ci Obama avait explicitement décrit sa soumission au Pentagone en déclarant, « Pour s’assurer la prospérité au pays et la paix à l’étranger, nous croyons tous qu’il faille maintenir l’armée la plus puissante de la planète. » A cette fin, il s’est engagé à augmenter les effectifs des forces terrestres américaines de 100 000 soldats et marines et a clairement fait savoir qu’il n’y aurait pas de coupures importantes au budget militaire. Ce dernier engouffre environ 850 milliards $ annuellement, dans des conditions d’énormes déficits et de crise financière qui s’intensifie.

Un élément de calcul politique se retrouve sans aucun doute dans la décision d’Obama de s’entourer de l’état-major de l’armée et de s’assurer qu’il soit perçu comme « soutenant nos troupes ». Il y a en effet l’amère expérience de la précédente administration démocrate. Le premier mandat de Bill Clinton était venu près d’être anéanti par sa confrontation avec l’état-major sur sa proposition de retirer l’interdiction d’accès des homosexuels dans l’armée. Clinton fut traité avec mépris par la majorité du corps d’officiers durant le reste de son mandat présidentiel.

Le risque d’une confrontation encore plus acerbe sous Obama est bien réel étant donné les conséquences désastreuses des guerres en Irak et en Afghanistan sur l’armée. On rapporte aussi le développement de l’illusion au sein du corps d’officiers que les échecs des opérations militaires américaines dans ces pays sont le résultat d’une « traîtrise » de la part des autorités civiles, des médias et de la population américaine elle-même.

Mais un processus encore plus fondamental sous-tend l’expérience Clinton et la prosternation d’Obama devant l’armée aujourd’hui : l’immense développement du pouvoir du « complexe militaro-industriel » contre lequel avait mis en garde le président Dwight Eisenhower près d’un demi-siècle plus tôt. Ce pouvoir a crû sans interruption durant toute la Guerre froide.

Au cours des sept dernières années de la soi-disant « guerre mondiale contre le terrorisme », le développement de ce pouvoir, parallèlement à l’augmentation du financement de l’armée, s’est accéléré, accompagné d’éléments de plus en plus sinistres liés à l’impérialisme américain et à son recours accru au militarisme pour contrer le déclin de sa position économique mondiale.

Les chefs militaires des commandements régionaux du Pentagone (CENTCOM, PACOM, SOUTHCOM et le nouvel AFRICOM) ont pour la plupart supplanté les ambassadeurs et les officiels civils en tant que représentants des intérêts et du pouvoir américains à travers le monde.

En menant deux guerres en Irak et en Afghanistan, le commandement militaire a maintenant la tâche de diriger des administrations néocoloniales, obtenant ainsi un pouvoir pratiquement illimité sur des populations entière.

Et de plus, avec la création de tribunaux et prisons militaires, comme à Guantanamo, l’armée a usurpé des tâches qui ont été historiquement dévolues aux tribunaux civils fonctionnant sous les règles de la Constitution des Etats-Unis.

Ces changements capitaux ont pris place alors même que l’armée, et surtout son corps d’officiers, est devenue de plus en plus séparée et isolée du monde civil et dominée par la politique républicaine et les croyances de l’évangélisme chrétien. Etant une armée de « professionnels » qui sont « volontaires », elle est davantage isolée des pressions populaires que ne l’étaient les armées de conscrits et de « citoyens soldats » des générations antérieures.

Le Washington Post a publié dimanche un commentaire exceptionnellement direct d’un ancien assistant à la secrétaire d’Etat dans l’administration Bush, Thomas Schweich, sur la domination croissante de l’appareil militaire sur l’Etat américain.

 « Notre Constitution est en danger », a écrit Schweich. Il a averti que la nomination d’un nombre sans précédent d’anciens hauts officiers dans le cabinet Obama pourrait venir « compléter le coup d’Etat militaire silencieux qui fait des avancés constantes à l’insu de la majorité des Américain et des médias ». Schweich, ancien diplomate pour la lutte contre le trafic de drogue en Afghanistan qui a œuvré au service des stupéfiants du département d’Etat, a écrit qu’il a « lui-même été témoin de la prise de pouvoir militaire de facto aux dépens du gouvernement américain », qui, en Irak et en Afghanistan, « était, en théorie, justifiée par les exigences de la guerre », a-t-il affirmé.

Il a insisté que ce qui a commencé à l’étranger allait se produire au pays. « Le Pentagone a élaboré des plans pour déployer 20 000 soldats américains à l’intérieur de nos frontières d’ici 2011, officiellement pour aider les responsables régionaux et d’Etat à réagir aux attaques terroristes ou à d’autres catastrophes. » Cette mission, a-t-il indiqué, « pourrait facilement passer de travail de contre-terrorisme d’urgence à du contrôle frontalier, du travail de renseignement ou des opérations policières ».

Un article paru le mois dernier dans un magazine publié par le US Army War College, quelques semaines seulement après l’élection, indique que le Pentagone prépare sa propre « transition », un processus motivé non pas par les vagues promesses de « changement » d’Obama mais par ce que le commandement militaire perçoit comme une crise historique de l’ordre actuel qui pourrait nécessiter l’emploi de la force armée pour étouffer les luttes sociales aux pays.

Intitulé, « Known Unknowns: Unconventional ‘Strategic Shocks’ in Defense Strategy Development » (Ce que l’on sait des inconnues: Les “chocs stratégiques” non-conventionnels dans le développement de la stratégie de défense), la monographie a été produite par Nathan Freier, un lieutenant-colonel de l’armée à la retraite depuis peu qui est professeur au US Army War College, la principale institution de formation de l’armée pour les futurs officiers. Selon le magazine, il « continue de conseiller, en tant qu’expert, les rôles clé des communautés de politiques et d’analyse à la sécurité et à la défense. »

Freier insiste que l’un des principaux imprévus auxquels doit se préparer l’armée des Etats-Unis est un « violent bouleversement stratégique à l’intérieur des Etats-Unis », qui pourrait être provoqué par un « effondrement économique inattendu » ou le « disfonctionnement de l’ordre politique et légal ».

Il écrit : « Dans la mesure où des événements de ce type impliquent une violence organisée contre les autorités locales, étatiques et nationale, et que ces dernières n’ont pas la capacité de rétablir l’ordre public et de protéger les populations vulnérables, le DD [département de la Défense] serait appeler à combler les lacunes. »

Freier poursuit : « Une violence civile généralisée à l’intérieur des Etats-Unis forcerait l’establishment de la défense à réorienter ses priorités in extremis pour défendre l’ordre fondamental au pays… Un gouvernement américain et un establishment de la défense endormis par une longue période de sécurité au pays seraient forcés de renier certains ou la plupart de leurs engagements de sécurité externes afin de réagir à l’insécurité humaine croissant rapidement au pays. »

Autrement dit, une intensification marquée de l’actuelle crise capitaliste accompagnée d’une éruption de lutte de classe et la menace de révolution sociale aux Etats-Unis pourraient forcer le Pentagone à rappeler ses armées de l’Irak et de l’Afghanistan pour les utiliser contre les travailleurs américains.

Dans de telles conditions, il ajoute : « Le DD pourrait se voir forcé par les circonstances de placer ses importantes ressources à la disposition des autorités civiles pour maintenir et contrer les menaces violentes à la tranquillité domestique. Dans les circonstances les plus extrêmes, cela pourrait signifier l’emploi de la force militaire contre des groupes hostiles à l’intérieur des Etats-Unis. De plus, le DD deviendrait, par nécessité, le centre essentiel pour la continuité de l’autorité politique dans le contexte d’un conflit civil dans plusieurs Etats ou à l’échelle nationale.

Cette formulation étrange : « le centre essentiel pour la continuité de l’autorité politique », est un euphémisme pour dictature militaire.

Il termine cette section de l’article en notant que, « le DD est déjà mis à l’épreuve par les efforts de stabilisation à l’étranger. Imaginez ce qu’impliquerait la même chose mais à beaucoup plus grande échelle au pays ».

Le message est clair. Ayant échoué à étouffer la résistance et rétablir l’ordre en Irak et en Afghanistan, quelles seraient les chances de l’armée de réussir une occupation des Etats-Unis mêmes.

Le fait que ces questions soient posées par les stratèges du Pentagone doit être pris très au sérieux. Ceux qui commandent les forces armées de l’Etat capitaliste américain anticipent que la crise actuelle va créer les conditions pour la révolution et se préparent en conséquence.

Par Bill Van Auken pour WSWS
Article original en anglais, paru le 22 décembre 2008.

8 Responses to “Obama, l’armée et la menace de la dictature aux Etats-Unis”

  • lemak

    On s’en doutait plus ou moins. Barack Obama est de la poudre aux yeux. Soit il décide de faire le ménage sans risquer de se faire assassiner, soit il trahit comme ses prédécesseurs. De toute façon, on a bien compris que le président des usa ne décide pratiquement plus. Ce sont les financiers et les banques qui mènent les dirigeants à la baguette. L’armée pointe ses armes sur la tempe de chaque citoyen pour marcher droit. A quand la révolution?

  • samaouste

    Pas de révolution à venir avant longtemps. peut être quelques récalcitrants au départ qui seront éliminés gentiment sans que personne ou presque ne s’en rende compte. Ensuite, de petites guérillas urbaines qui feront le bonheur des journalistes et de tous les beaufs collés aux écrans cathodiques.
    Si les gens veulent vraiment lutter, il va falloir qu’ils acceptent de passer pour des terroristes, y comprit aux yeux de la population car cette dernière est très réceptive à la propagande d’état par médias interposés. Un autre piège à éviter, c’est de se focaliser sur les militaires ou les flics : les décideurs ne sont pas là … et pour qu’un vrai changement puisse avoir lieu, ce ne sont pas les branches de l’arbre qu’il faut couper, mais l’arbre lui même et ses racines.

  • sympathisant

    Intéressant quoique bien sombre, cet article doit servir à anticiper sur l’avenir proche tant aux USA qu’ailleurs.
    Merci à ceux qui informent et traduisent, et meilleurs voeux pour cette année nouvelle

  • looping

    Il y a pourtant un bon moyen de se révolter, sans violence, tout en mettant la baffe méritoire de ces messieurs, tous pays confondus : à l’instant X, tout le monde tire la somme maximale de son compte . Les banques se casseront définitivement la figure embarquant du coup, la tirelire de ces messieurs, qui à nos yeux, n’auront plus aucune valeur, à part celle d’un SDF . De nouvelles têtes apparaitront, ainsi …
    Bonne année à tous, mes meilleurs voeux, du boulot ainsi que la santé et enfin plein de sous

  • Arturo

    Dans le même sens, il y a aussi cet article récent :

    http://www.voltairenet.org/article158900.html

    « The US Army War College is on the case, ready to handle « unforeseen economic collapse » and the « rapid dissolution of public order in all or significant parts of the US. » According to the Washington Post of 1 December 2008, the U.S. military expects to have 20,000 uniformed troops inside the United States by 2011 trained to help state and local officials respond to a nuclear terrorist attack or other domestic catastrophe, according to Pentagon officials.

    A new report from the U.S. Army War College discusses the use of American troops to quell civil unrest brought about by a worsening economic crisis.

    The report from the War College’s Strategic Studies Institute warns that the U.S. military must prepare for a “violent, strategic dislocation inside the United States” that could be provoked by “unforeseen economic collapse” or “loss of functioning political and legal order.”

    L’article parle de la possible instauration de la loi martiale aux USA avec intervention de troupes en cas de désordres publics graves dus à :

    1) une attaque nucléaire terroriste.
    2) la dislocation violente à l’intérieur des USA provoquée par l’effondrement de l’économie ou « la perte du fonctionnement politique ou de l’ordre légal » [je n'ai pas bien compris la seconde partie]. Une guerre civile ?

    Ce sont des scénarios catastrophes qui sont médiatisés sérieusement aux USA. En Europe, je n’ai jamais entendu parlé de telles éventualités. S’il n’y a jamais de fumée sans feu, l’année 2009 pourrait atteindre son paroxisme de crise aux USA.
    L’Europe serait épargné encore une fois probablement.

    Il y a plusieurs mois, nos meilleurs experts économiques nous informaient que le plus pénible de la crise était derrière nous juste avant … le gros crack boursier, l’affaire Madoff et toutes les faillites de banques et industrielles. Ils avaient eu le nez creux.
    Maintenant, les mêmes crient tous au loup alors que la bourse et l’euro s’envolent.

    Plus sérieusement, le tsunami financier serait plutôt entrain de gonfler encore que d’être déjà passé.

    Radar 19 décembre 2008 : les limites de la politique monétaire.

    http://contreinfo.info/

    « …La politique de vérité, qui consisterait à laisser faillir les établissements [financiers] non viables, étant impraticable pour cause de risque systémique, tout comme le seraient d’éventuels moratoires ou tentatives de « déconstruction » des titres, qui se traduiraient par une explosion de contentieux judiciaires, il faudra donc plusieurs années pour que ce mauvais papier disparaisse peu à peu, au fur et à mesure du dégonflement des bulles immobilières et du crédit, et que tous les cadavres sortent des placards.

    D’ici là, le risque de voir apparaître un trou gigantesque dans les comptes d’un établissement de premier rang n’est pas écarté, et les Etats qui se sont engagés à couvrir les pertes ne sont pas à l’abri d’une mauvaise surprise. Si l’on en croit la Banque Centrale du Canada,les établissements européens font jouer un effet de levier plus important – et sont donc potentiellement plus fragiles – que les banques d’affaires américaines, qui ont pourtant été les premières victimes de la crise. L’hypothèse d’un Reykjavik sur Tamise est donc toujours d’actualité. »

    La City qui s’effondrait comme l’Islande, ça reste à voir …

  • gibbens kate

    N’oublions pas non plus nos super chouettes camps de concentration partout le pays prets à recevoir des invités!

    http://www.mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=1750

    Le progrès humain avance à grands pas!

  • Une autre pièce du puzzle sur le général Jones est qu’il est au service de Boeing et de Chevron (dirigée actuellement par David O’Reilly né à Dublin, et avant par Kenneth Terr) :
    http://www.tlaxcala.es/pp.asp?reference=6702&lg=fr

    Sa retraite ne lui suffisait donc pas ?
    Mais qu’est-ce qui les fait tous courir ainsi ?
    Au passif de Chevron, avoir transporté sur ses hélicos des soldats nigérians mater durement (deux morts) des écologistes qualifiés de preneurs d’otages (des terroristes quoi…)

    Sacha
    http://stores.lulu.com/sachasher
    http://traduitparsacha.over-blog.com
    (Si vous avez du boulot en traduction ou en anglais, je prends)

  • freelancer

    révolution ou pas révolution? la désobéissance civique peu etre une éventualité, ceux qui croient qu’en europe il n y a pas ce problème de soumission banquaire, regarder les conférences d’étienne chouard sur l’arnaque de l’euro (article 104 du traité de maastricht), je ne sais pas ce trame ces temps ci mais je sens que sa va très très mal finir, sur ce bonne année reopen vous faites du beau boulot!

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