CHRISTINA, petite soeur cachée d’EDVIGE

Nous avions relayé il y a une dizaine de jours l’indignation provoquée par la création d’EDVIGE, une base de données avalisée par la CNIL (avec certaines réserves) fichant entre autres les personnalités publiques et les mineurs “susceptibles de porter atteinte à l’ordre public”. Dans le même temps, nous avions oublié de parler de CRISTINA (Centralisation du Renseignement Intérieur pour la Sécurité du Territoire et les Intérêts NAtionaux), un autre fichier passé inaperçu et pourtant sans doute encore plus problématique.

Si l’on ignore ce qu’il contiendra (il est classé "secret-défense" et donc n’est pas soumis à la vigilance de la CNIL), il risque de faire encore bien plus de ravages qu’EDVIGE. Car si les RG qui utilisent EDVIGE réduisent leurs effectifs de 4 000 à 1 000 policiers, la DST, rebaptisée Direction Centrale du Renseignement Intérieur (DCRI), passera elle de 2000 à 4000 agents! Ces derniers ont pour mission de lutter contre l’espionnage, le terrorisme, de protéger le patrimoine économique, et de surveiller les individus et les mouvements susceptibles de “porter atteinte à la sécurité nationale”. Le décret portant création de la DCRI précise également que cette institution "contribue à la surveillance des communications électroniques et radioélectriques susceptibles de porter atteinte à la sûreté de l’Etat”. Leur base de données CRISTINA contiendra donc des informations issues des écoutes téléphoniques et internet de ceux qui déplairont à notre “FBI à la française” (dixit Michelle Alliot-Marie).

Source : collectif SDFAlsace

Nous reproduisons ci-dessous deux articles du monde qui a le mérite de parler d’EDVIGE et de CRISTINA :


Edvige, Cristina, Ardoise : la difficile mobilisation contre les fichiers de police

Le Monde, le 24 juillet 2008

Quand Edvige masque Cristina… Trois cent vingt-huit associations, syndicats et partis politiques ont signé l’appel pour obtenir l’abandon du fichier de police baptisé Edvige (acronyme pour Exploitation documentaire et valorisation de l’information générale), et 46 110 personnes avaient paraphé, jeudi 24 juillet, la pétition. Parmi les dernières organisations à rejoindre le collectif Non à Edvige, figurent la branche française d’Amnesty International et, depuis le 22 juillet, la CFDT. La centrale syndicale, tout comme FO, a rejoint le mouvement pour déposer un recours devant le Conseil d’Etat.

Pendant ce temps, le fichier Cristina (Centralisation du renseignement intérieur pour la sécurité du territoire et les intérêts nationaux) prend forme sans opposant. Classé "secret défense", c’est comme s’il n’existait pas. Il contient aussi des données personnelles sur les personnes fichées mais son spectre est plus large puisqu’il englobe leurs proches et leurs relations.

Les deux fichiers ont un point commun ; ils sont tous deux issus de la réforme du renseignement qui a abouti au démantèlement des Renseignements généraux (RG). Une partie des fonctionnaires rejoint la sécurité publique au sein d’une nouvelle sous-direction de l’information générale (SDIG) ; une autre fusionne avec la DST pour former la direction centrale du renseignement intérieur. Logiquement, le fichier des "RG" a suivi le même parcours donnant naissance, le 1er juillet, d’un côté à Edvige, de l’autre à Cristina, qui conserve le caractère secret de l’ancien fichier DST. Mais l’un est soumis au contrôle de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), l’autre pas.

"DONNÉES SENSIBLES"

La mobilisation des anti-Edvige n’a cessé de s’amplifier depuis la publication du décret instituant le fichier pour lequel la CNIL a donné un avis favorable avec des "réserves" – notamment sur la traçabilité des consultations, jugée insuffisante. Le collectif proteste ainsi contre l’extension, dès l’âge 13 ans, des personnes qui peuvent y figurer dès lors qu’elles portent atteinte à "l’ordre public". Une disposition qui n’était pas précisée dans la version RG du fichier régi par un décret de 1991.

En réalité, le fichage des adolescents, déjà autorisé dans le cadre de fichiers de police judiciaire comme celui des empreintes génétiques, se faisait même dans le domaine du renseignement. "C’est une logique de clarté qui a prévalu", affirme l’entourage de la ministre de l’intérieur, Michèle Alliot-Marie, en présentant Edvige comme un fichier "un peu toiletté". "La folie des fichiers n’a pas épargné les mineurs", relevait, dès avril 2007, le Syndicat de la magistrature (SM, gauche) dans son bulletin Justice, en dénonçant le manque de "disposition protectrice" dans l’ordonnance de 1945.

Autre source de mécontentement : comme dans l’ancien fichier des RG, Edvige peut collecter des données sur toute personne jouant "un rôle politique, économique, social ou religieux significatif". Mais il sera possible, en plus, d’y faire figurer des paramètres personnels comme l’orientation sexuelle ou la santé. Le gouvernement s’appuie pour cela sur la loi du 6 août 2004, dont les décrets n’étaient jamais parus…

"Initialement, les comportements et déplacements des personnalités devaient y figurer, déclare le secrétaire général de la CNIL, Yann Padova. Quant aux données sensibles sur la santé ou l’orientation sexuelle, nous avons obtenu qu’elles soient mentionnées de manière exceptionnelle et non sans limite comme cela était prévu." La CNIL a craint aussi que le décret Edvige ne soit pas publié. Le ministère dément : "Il n’y a jamais eu d’hésitation à ce sujet."

La bataille sur les fichiers de police est loin d’être finie. Récemment, la CNIL a été sollicitée, par courrier, par les services de Mme Alliot-Marie pour se prononcer dès septembre sur Ardoise. En avril, la ministre avait pris la décision de suspendre ce logiciel censé alimenter la future base de données commune à la police et à la gendarmerie, et qui devait comporter des éléments sur l’orientation sexuelle, l’appartenance syndicale ou religieuse, ou, le cas échéant, la mention "SDF" des personnes fichées. A la CNIL, qui n’a pas le pouvoir d’empêcher la création d’un fichier, on "s’interroge" aujourd’hui sur cette saisine.

Isabelle Mandraud


La fronde contre le fichier Edvige gagne les politiques

Le Monde, le 31 juillet 2008

Un mois après sa création, le fichier de police Edvige (Exploitation documentaire et valorisation de l’information générale), qui compile les données sur les personnes de plus de 13 ans "susceptibles de porter atteinte à l’ordre public", ainsi que sur toute personne exerçant un rôle "politique, économique, social ou religieux significatif", suscite toujours autant de réactions. Après les recours déposés devant le Conseil d’Etat par un collectif d’associations et de syndicats (Ligue des droits de l’homme, Amnesty International, CGT, FSU, FO, CFDT) afin d’obtenir l’annulation de ce fichier, plusieurs personnalités politiques se saisissent de l’affaire.

Etienne Tête, adjoint au maire de Lyon et conseiller régional Vert en Rhône-Alpes, a décidé de déposer un recours devant le Conseil d’Etat pour "traduire l’inquiétude politique en termes juridiques". "Ce qui me scandalise, c’est que l’on puisse ficher tout le monde, ce n’est pas un fichier pour la sécurité publique", a lancé l’élu lyonnais, dont le recours se fonde en grande partie sur la Convention européenne des droits de l’homme et un arrêt rendu en 2006 par la Cour européenne des droits de l’homme contre la Suède.

Corinne Lepage, vice-présidente du MoDem, a déposé, jeudi 31 juillet, son propre recours devant le Conseil d’Etat pour annuler le décret qui a abouti à la création de ce fichier. Le recours de Mme Lepage vise plus particulièrement le "fichage des élus et responsables politiques", une évolution qui "porte atteinte gravement aux libertés publiques et [qui ne peut] en toute hypothèse pas être instaurée par décret mais par la loi".

Mme Lepage contredit en outre les affirmations du ministère de l’intérieur selon lesquelles les informations qui figureront dans le fichier étaient déjà susceptibles d’être recueillies par les Renseignements généraux (RG). La création d’Edvige est une conséquence de la fusion de la DST (direction de la surveillance du territoire) et des RG, actée le 1er juillet. Pour Mme Lepage, d’une "pratique des RG" qui était "artisanale" et déjà largement contestée, on passe à "échelle industrielle" incompatible avec une société démocratique.

Tout recours devant le Conseil d’Etat doit être déposé au maximum deux mois et deux jours après la parution du décret au Journal officiel, à savoir le 29 août. Corinne Lepage confirme être en contact avec d’autres associations ayant déjà effectué la même démarche, et n’écarte pas l’idée d’une "défense collective" lorsque les actions seront instruites.

Un autre fichier, nommé Cristina (Centralisation du renseignement intérieur pour la sécurité du territoire et les intérêts nationaux), également issu de la fusion des Renseignements généraux, a été créé parallèlement à Edvige. Issu des données de la DST, Cristina, qui contient des données personnelles sur les personnes fichées et leur entourage, est classé "secret-défense" et n’est pas soumis à la vigilance de la Commission nationale de l’informatique et des libertés.

Sentant que la fronde contre Edvige prenait de l’ampleur (une pétition mise en ligne depuis le 10 juillet a recueilli plus de 60 000 signatures), le ministère de l’intérieur a indiqué qu’il était prêt à consulter la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde) "très en amont" pour toute nouvelle création de fichiers de police. Dans une lettre envoyée à la Halde, qui demandait des "précisions" sur Edvige, Michèle Alliot-Marie a proposé qu’une convention qui doit être signée dans les prochains jours entre les deux parties soit "enrichie par l’intégration d’une semblable perspective".

Luc Vinogradoff

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