Obama aurait-il décidé d’empêcher les avocats de défendre les suspects du 11 Septembre ?

Voici un article du célèbre magazine américain Mother Jones qui permet de mieux mesurer la "lâcheté de l’administration US" dont parlait le New York Times la semaine dernière à propos du revirement d’Obama sur le procès des accusés du 11-Septembre. Non content de se réfugier derrière la justice militaire pour ces cinq détenus de Guantanamo – évitant ainsi, entre autres, l’exposition publique des plaidoiries -, le gouvernement américain a en effet mis une pression énorme sur les avocats civils et militaires de ces "terroristes", en menant pendant plusieurs mois une vaste enquête sur leur compte. Ont déclenché cette enquête des photos retrouvées dans la cellule d’un des prisonniers de Guantanamo, qui montrent des agents de la CIA soupçonnés d’avoir participé aux séances de tortures, et dont l’identification est évidemment nécessaire aux avocats pour prouver la réalité de ces interrogatoires. Cela est d’autant plus nécessaire, qu’il faut se rappeler que c’est la seule façon de pouvoir citer ces "agents secrets" à comparaitre… maintenant que les enregistrements des dits interrogatoires ont été détruits.

Et comment ne pas voir là le signe patent que l’administration Obama veut surtout absolument sauvegarder la "version officielle" des événements qui repose en grande partie sur des aveux extorqués après d’innombrables séances de "Water boarding". Les USA ne peuvent évidemment pas aller jusqu’à nier le droit à la défense, même pour ceux qu’elle désigne comme les terroristes du 11/9, mais rien n’empêche apparemment de saborder par tous les moyens le travail de leurs avocats et de leur système judiciaire.

 

 Le président US Barack Obama

 


(Article repris par AgoraVox)

Obama aurait-il décidé d’empêcher les avocats de défendre les suspects du 11 Septembre ?

Par Nick Baumann(*), sur Mother Jones, le 11 avril 2011

Traduction Martin pour ReOpenNews

« Le véritable scandale n’est pas que nous enquêtions sur les tortures infligées à nos clients, c’est que le gouvernement ne le fasse pas, » a indiqué Anthony Romero, membre de l’ACLU.

Une enquête sur les avocats de Guantanamo pourrait-elle avoir un impact sur le futur procès de Khalid Sheikh Mohammed et de ses co-accusés ?

La semaine dernière, le jour même où le président Barack Obama lançait sa campagne de réélection, son administration annonçait qu’elle avait officiellement annulé sa décision de faire juger les accusés du 11 Septembre – parmi lesquels Khalid Cheikh Mohammed (KSM), le "cerveau" auto-proclamé des attentats – par une Cour fédérale, et de les poursuivre finalement au travers du système des commissions militaires.

Mais alors que les commissions militaires se préparent pour ce qui pourrait bien être leur première affaire débouchant sur des peines capitales, une ombre plane sur les avocats chargés de représenter ces ô combien antipathiques accusés. Depuis plus d’un an, les avocats civils et militaires de la défense représentant les  "détenus de haut rang" de Guantanamo ont été soumis à une enquête secrète du ministère de la Justice (Departement of Justice, ou DOJ ). (L’Agence ne révélera pas si l’enquête est toujours en cours ou pas.)

Les avocats de Guantanamo peuvent-ils réellement élaborer une [stratégie de] défense complète et impartiale des conspirateurs du 11-Septembre, alors que dans le même temps il se retrouvent sous la pression d’une enquête du DOJ – et sous la menace d’une future incrimination par le Pentagone lui-même, comme l’ont demandé certains membres républicains du Congrès? Nous allons bientôt le savoir.

L’enquête du DOJ remonte à l’été 2009, voire avant, et fait suite à la découverte par les gardiens de Guantanamo  d’une série de photos dans la cellule de  Mustafa al-Hawsawi, l’un des quatre co-accusés de KSM, poursuivi pour avoir financé al-Qaïda. Selon plusieurs rapports, sur ces photos figureraient certains employés de la CIA soupçonnés d’avoir participé aux interrogatoires de détenus importants, dont al Hawsawi lui-même.

Comme il fallait s’y attendre, la CIA a pris l’affaire très au sérieux. John Rizzo, le juriste de l’Agence, a exigé la mise en place d’une enquête. Il décrira plus tard cet incident comme  étant "beaucoup plus grave que l’affaire Valerie Plame", se référant à la fuite organisée, pendant l’ère Bush, concernant l’identité d’un agent opérationnel sous couverture. Rizzo n’était pas le seul à être inquiet. "Il s’agit d’un organisme qui a des raisons de vouloir savoir si quelqu’un a réellement identifié [ses agents]", a déclaré un ancien responsable de haut rang à Mother Jones l’an dernier. "Nous opérons toujours à la limite, pas de manière illégale, mais généralement aux confins des prérogatives de l’exécutif."

Le ministère de la Justice a diligenté une enquête, dirigée par Donald Vieira, un ancien membre du personnel de Democratic Hill. Vieira a rapidement constaté que les photos n’avaient pas été prises sans raison. Étant donné que la mise sur pied d’une défense efficace pour un accusé de haut rang exige vraisemblablement de prouver la matérialité des actes de torture – et d’appeler à la barre les tortionnaires présumés, s’ils existent – certains membres du barreau de la défense de Guantanamo ont estimé devoir obtenir l’identité de ceux qui avaient interrogé leurs clients.

Dans toute autre affaire pénale, cela serait parfaitement normal – un avocat de la défense connait en général l’identité des policiers ou des agents du FBI qui ont interrogé leurs clients, et il peut les appeler en tant que témoins si nécessaire. Mais lorsque vous avez affaire à la CIA, c’est une tout autre histoire. Les détails de nombreux interrogatoires de détenus "de haut rang" sont top-secrets. Même chose pour l’identité des agents qui ont mené ces interrogatoires. Il était nécessaire pour les avocats de la défense de les identifier, mais l’accusation n’était pas du tout prête à les aider. Susan Crawford, l’autorité convocatrice (faisant office de juge) pour les commissions militaires est une amie de David Addington, l’homme connu comme "le Cheney de Cheney." Elle n’allait certainement pas aider la défense.

John Sifton, qui est à la fois un chercheur expérimenté sur les droits humains, un avocat, et un trublion notoire, s’est engouffré dans la brèche. Comme Daniel Schulman et moi-même l’avions indiqué l’an dernier, Sifton fut à l’origine de l’initiative très controversée consistant à identifier, photographier, et dans certains cas, à filer les agents de la CIA dont lui-même et d’autres pensaient qu’ils étaient impliqués dans la torture de détenus de Guantanamo.

Les clients de Sifton comprenaient le John Adams Project, un programme conjoint de l’American Civil Liberties Union (ACLU) et de l’Association nationale des avocats de la défense pénale (NACDL ). En 2008, lorsque les premières accusations des commissions militaires furent portées contre les suspects du 11-Septembre – et lorsque le John Adams Project fut lancé – aucun des avocats militaires de la défense à Guantanamo n’avait traité d’affaire relevant de la peine capitale jusqu’à la phase de condamnation. Le but du  John Adams Project était de financer de grands avocats afin d’aider les avocats militaires dans leur défense des accusés du 11-Septembre et d’autres «détenus de haut rang» poursuivis devant les commissions militaires.  Le projet a reçu le nom du père fondateur qui a défendu les soldats britanniques devant la Cour à la suite du massacre de Boston.

Lorsque  l’information sur l’enquête de Vieira  fut rendue publique, Anthony Romero, directeur exécutif de l’ACLU, insista sur le fait  qu’aucune loi ni réglementation n’avait été violée. "Le véritable scandale, déclara-t-il dans un communiqué, n’est pas que nous enquêtions sur les suspicions de torture sur nos clients, mais que le gouvernement ne le fasse pas." À la mi-mars 2010, il devint évident que Vieira n’était pas convaincu que quiconque parmi les avocats de Guantanamo avait enfreint la loi.  Cela fâcha certains éléments à la CIA. Le 15 mars, Bill Gertz – un journaliste au Washington Times qui bénéficie de bons contacts à la CIA et avec l’administration Bush – publia un long article énumérant les griefs de l’Agence à l’égard de Vieira.

Soumis à de fortes pressions, tant de l’intérieur que de l’extérieur de l’Administration, le procureur général Eric Holder désigna Patrick Fitzgerald, le procureur des États-Unis qui s’était occupé de l’affaire Valerie Plame et de l’affaire Rod Blagojevich, pour prendre en charge l’enquête sur les avocats de Guantanamo. Holder envoyait ainsi un message clair au tribunal de Guantanamo et à la Droite : il prenait cette affaire très au sérieux.

L’enquête fut menée dans le plus grand secret, Fitzgerald dirige un service réputé pour ne laisser transpirer aucune fuite. Un porte-parole du ministère de la Justice aurait simplement dit que "Patrick Fitzgerald, le procureur des États-Unis pour le District Nord de l’Illinois, avait été chargé de cette affaire", laissant supposer que l’enquête était toujours en cours. Randy Samborn, le porte-parole de Fitzgerald a indiqué que le bureau de Fitzgerald n’avait aucun commentaire à faire sur le fait que l’enquête se poursuivait ou pas.

Il existe pourtant des signes d’activité. Au cours de l’année qui a vu la nomination de Fitzgerald, les personnes et les organismes liés à cette affaire ont commencé à modifier leurs comportements. Sifton a brutalement réduit son rôle dans l’agence d’enquête privée dont il était  le fondateur, One World Research, pour aller travailler comme enquêteur dans un cabinet d’avocats ayant pignon sur rue. Au cours de l’année 2010, Mother Jones a appris que Sifton était représenté par un grand  avocat de Washington bénéficiant de liens solides avec le Département de la Justice.

Aujourd’hui, ses amis et ses associés disent que Sifton, autrefois si méfiant , reste étrangement calme, et ne parle plus de l’identité des personnes qu’il avait soupçonnées d’être impliquées dans le programme d’interrogatoires. L’ACLU et le John Adams Project restent eux aussi muets comme des carpes. Après avoir  énergiquement défendu leurs actions dans la presse, ces groupes se sont limités à une stratégie consistant à refuser tout commentaire, et ce, depuis que Fitzgerald a repris l’enquête. Mais en privé, Romero a continué de se plaindre de ce que les avocats de la défense de Guantanamo associés à l’ACLU étaient soumis à une pression morale considérable de la part du Departement of Justice.

Étant donné les circonstances, « toute personne raisonnable ferait une pause et réfléchirait à son avenir si elle persiste à mettre en place une défense  efficace pour ses clients », explique Andrea Prasow, un haut conseiller de Human Rights Watch. Si les avocats de la défense de Guantanamo pensaient devoir se procurer les photos des interrogateurs de la CIA afin de répondre à l’obligation morale d’élaborer une défense efficace pour leurs clients, « il est difficile de croire qu’ils conserveraient leur sérénité compte tenu de ce qui est arrivé à leurs collègues », a déclaré Prasow.

Stephen Salzbourg, professeur de Droit à l’université George Washington, a témoigné la semaine dernière devant le Congrès à propos des commissions militaires, et s’est dit "certain" que les avocats militaires actuellement attribués aux accusés du 11-Septembre prétendraient qu’ils n’ont pas été intimidés par l’enquête du Departement of Justice. "Mais si j’étais l’un des accusés, explique Salzbourg,  je voudrais savoir si mon avocat a réellement fait l’objet d’une enquête, car je ne connais pas bien les conséquences que cela pourrait avoir sur la façon de me défendre dans cette affaire."

L’enquête du DOJ ne constitue pourtant pas la seule option pour enquêter sur les avocats de la défense de Guantanamo. L’an dernier, au Congrès, les Républicains ont exercé de fortes pressions pour que soit mise en place une enquête permanente du Département de la Défense sur les activités de tous les avocats de la défense de Guantanamo.

La tentative a échoué, mais a permis de révéler un point important: même une enquête du DOJ de plusieurs mois, dirigée par Fitzgerald à l’instigation de la CIA  sur les avocats de la défense de Guantanamo ne constitue pas une mesure assez agressive aux yeux de certains. En 2007, Charles Stimson, le haut responsable du Pentagone en charge des détenus de Guantanamo, a démissionné après s’en être pris aux meilleurs cabinets d’avocats pour avoir "autorisé" leurs membres à représenter des personnes soupçonnées de terrorisme. "Les PDG des grandes sociétés voyant [leurs cabinets d'avocats représenter des détenus] doivent demander à ces cabinets d’avocats de choisir entre les affaires lucratives et la défense de terroristes," a déclaré Stimson. Le fait est que pour certains, les ennemis, ce ne sont pas seulement les accusés du 11-Septembre, ce sont aussi leurs avocats.

Nick Baumann

 

Notes : (*) Nick Baumann couvre les questions de politique nationale et des libertés civiles pour le bureau de Mother Jones DC.

Traduction Martin pour ReOpenNews


 

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3 Responses to “Obama aurait-il décidé d’empêcher les avocats de défendre les suspects du 11 Septembre ?”

  • remarquable article qui devrait figurer à la une du MONDE et d’autres hebdo news bien connus…

    rêve pieux.

  • Fab

    J’ai rien compris
    parfait pour Monsieur X.

  • H.

    @ Corto

    Oui, je me disais aussi un peu ça … sauf que la véritable question à se poser est celle-ci :

     » Pourquoi ce remarquable article qui devrait figurer à la une du MONDE n’y figure pas ?  »

    Car si on réfléchit bien, personne n’en parle. Omerta totale des Médias de Masse ( de moins en moins de masse et de plus en plus en crise … cherchez pourquoi )… Omerta totale ! Cela me surprend toujours ce même timing de la presse française.

    Rien, à l’unanimité , mais au même moment ! Une sorte de mot de passe ambiant : Omerta. On ne parle pas de  » ça « .

    En tous les cas, plus je lis Reopen, plus je croise ces informations avec d’autres et plus je comprends pourquoi  » ce remarquable article qui devrait figurer à la une du MONDE  » et qui n’y figure pas, n’y figurera jamais.

    Défense impériale oblige ! Et défense de l’illusion optique l’accompagnant.

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