Les consignes à la presse de la Maison Blanche et des renseignements après le 11-Septembre

 


Jill Abramson
 


James Clapper a prévenu l’ancienne rédactrice en chef du New York Times, Jill Abramson, qu’elle risquait d’avoir du "sang sur les mains".

Par Michael Calderone pour le Huffington Post, le 14 juillet 2014

Traduit par François pour ReOpenNews


Dans la soirée du 2 août 2013, l’ex rédactrice en chef du New York Times, Jill Abramson, se trouvait dans un train de banlieue bondé, en route vers sa maison de campagne du Connecticut, quand le Directeur du Renseignement National, James Clapper (Ndt : conseiller principal du Président pour tout ce qui concerne le renseignement en rapport avec la sécurité nationale. Il coordonne les 17 agences de renseignements des États-Unis et supervise la mise en œuvre du programme national du renseignement), l’a appelée pour lui adresser une mise en garde sans équivoque.

Le Times se préparait à publier que les services de renseignement américains avaient intercepté des communications entre le chef d’al-Qaïda, Ayman al-Zawahiri, et un de ses lieutenants basé au Yemen Nasir al-Wuhayshi. Lors d’une conférence donnée le 9 juillet dernier, Abramson a déclaré que Clapper lui avait vivement conseillé de ne pas publier les noms de ces deux personnes. Elle se rappelait qu’il lui avait dit : "Jill Abramson, vous aurez du sang sur les mains si le Times publie cet article".

Abramson n’exagérait pas en citant Clapper. D’ailleurs, son porte-parole, joint par le Huffington Post, n’a pas contesté le contenu de cette conversation (Le Daily Beast a été le premier à publier les "recommandations" de Clapper, évoquées par Abramson lors de sa conférence du 9 juillet, et que vous pouvez écouter intégralement ici).

Avec le recul, Abramson a déclaré à l’auditoire de l’Institut Chautauqua, situé au nord de l’état de New York [et devant lequel elle faisait cet exposé], qu’elle ne regrettait pas d’avoir occulté les noms, une décision qu’elle a qualifiée de "responsable sur le moment". Deux jours après, McClatchy (Ndt : Editeur californien qui contrôle environ 30 quotidiens publiés dans 15 États) publia les noms, que ses reporters avaient obtenus de sources situées au Yémen. Le Times justifia sa décision le mois suivant en publiant une chronique étonnante en première page du journal qui suggérait que l’article de McClatchy aurait pu ébranler la sécurité nationale.

Lors de cette conférence, Abramson, qui a été brutalement licenciée en mai dernier, a déclaré qu’elle pouvait à présent être "un peu plus franche et honnête" sur la façon dont la presse répond aux demandes de dissimulation d’informations formulées par le gouvernement. Elle a réitéré son affirmation selon laquelle l’administration Obama est "la plus secrète" qu’elle ait jamais connue et a précisé que Clapper n’avait sûrement pas été le seul à proférer de telles mises en garde. "Des représentants de l’administration Obama m’ont dit plus d’une fois, je cite : Vous aurez du sang sur les mains si vous publiez cette histoire", a-t-elle ajouté.

Au cours de son exposé, Abramson a également rappelé qu’elle était chef du bureau de Washington après les attentats du 11 septembre 2001 et a décrit une conférence téléphonique entre l’attaché de presse de la Maison Blanche de l’époque, Ari Fleisher, et "les principaux responsables éditoriaux de Washington."

"L’objectif de cet appel était de passer un accord avec la presse – c’était quelques jours à peine après les attentats du 11/9 – pour que nous ne publions aucun article qui décrirait en détail les sources et les méthodes de nos programmes de renseignement. Je dois dire qu’au lendemain des attentats, nous avons tous accepté cette demande sans faire de difficultés", a-t-elle déclaré. Abramson a ajouté qu’il "n’était pas difficile de passer sous silence ces informations", puisque la presse n’avait jamais publié aucune information concernant des mouvements de troupe, l’identité d’agents sous couverture ou des détails qui auraient pu mettre la vie de quelqu’un en danger. "On avait toujours ça à l’esprit" a-t-elle indiqué. "Et pendant un certain nombre d’années, je ne pense pas que la presse, en général, ait publié un seul article qui ait pu irriter la Maison Blanche ou donner à penser que nous avions rompu cet accord."

Peu de médias importants se sont sérieusement opposés à l’administration Bush après les événements du 11/9 et pendant la préparation de la guerre en Irak. Le Times, pour ce qui le concerne, continue de pâtir des reportages naïf qu’il a effectué sur les armes de destruction massive. Edward Snowden a déclaré qu’il n’avait pas transmis au Times ses documents sur la NSA parce que ce journal avait bloqué la publication d’un rapport explosif sur des enregistrements effectués par la NSA pendant 13 mois sans mandat, jusqu’à ce qu’il soit apparemment contraint de le publier en décembre 2005 parce que le reporter du Times James Risen était sur le point de révéler ce programme dans un livre.

Toujours est-il que les commentaires d’Abramson sont frappants car ils semblent suggérer qu’un accord avait été conclu secrètement entre les médias et la Maison Blanche pour mettre en place une politique de dissimulation d’information.

Dans une interview accordée au Huffington Post, Abramson a précisé qu’il n’existait pas d’accord formel dictant la politique du Times lorsque le journal décida d’occulter certaines informations. Elle indiqua qu’elle se souvenait de cet appel, au cours duquel aucune rédaction ne manifesta de désaccord à cette demande de la Maison Blanche, ce qui était le reflet d’une époque où la presse n’était pas très combative. "Je pense qu’à l’époque, juste après le 11/9, aucun de nous n’avait la moindre idée de ce que la "guerre contre le terrorisme" impliquerait ni que de nombreuses libertés individuelles seraient remises en question", a-t-elle ajouté. "Nous étions naïfs."

Fleischer ne se souvenait pas d’une conférence téléphonique spécifique avec Abramson mais a indiqué au Huffington Post qu’il y avait eu de nombreux échanges avec les organes de presse à l’époque sur le fait qu’il ne fallait pas mettre en péril la Sécurité nationale.

Par exemple, Fleischer s’est rappelé qu’il avait demandé instamment aux chaînes de télévision de ne pas diffuser les vidéos d’Oussama ben Laden en entier, de crainte que ces communiqués ne contiennent des messages destinés à des cellules dormantes. Il a indiqué que la Maison Blanche avait également insisté pour que les organes de presse ne publient pas de photos du toit de la Maison Blanche ou l’emploi du temps du Président Georges W Bush trop à l’avance.

Leonard Downie, le rédacteur en chef du Washington Post à l’époque, a dit qu’il ne se souvenait pas de cet appel spécifique cité par Abramson et a précisé au Huffington Post qu’il n’aurait jamais conclu un accord sans limitation de durée.

"J’ai toujours expliqué aux représentants du gouvernement que nous étions ouverts a de telles demandes, et que nous les traitions sérieusement, au coup par coup, en nous réservant la décision finale, comme cela a toujours été le cas avant et après le 11/9", a indiqué Downie.

 

 

3 Responses to “Les consignes à la presse de la Maison Blanche et des renseignements après le 11-Septembre”

  • Doume

    « elle pouvait à présent être « un peu plus franche et honnête » »

    Comprenez : « Pas question non plus de tout déballer. »

  • Milongal

    Devons-nous sauter de joie que cette brave dame « expose » cette info maintenant? Non. Il est évident que son « licenciement brutal » l’a aidée à vouloir passer aux aveux. Quelle lâcheté qui règne chez celles et ceux qui sont vraiment en mesure de faire évoluer la situation. Le courage ne leur vient que quand la paie ne tombe plus tous les mois. Sinon, elle ne nous a rien exposé. Petit retour au parlement européen, février 2008. https://www.youtube.com/watch?v=2A9U9Bvim7I

  • RIGAUT

    Grâce aux documents « les chiens de garde » et « les nouveaux chiens de garde », les relations étroites qui unissent le monde politique, la finance, les entreprises et les médias sont clairement identifiés. La nécessité de contrôle de la presse ne s’impose plus depuis longtemps, à minima les années 30, les journalistes fréquentes assidûment les politiques, mangent dans les mêmes restaurants (le Siècle), fréquentent les mêmes écoles et les mêmes clubs. Il n’y a ni contrôle ni pression des états sur la presse, il n’y a que des « affinités électives »…

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