Obama et le dilemme des drones

Depuis le vote des lois du Patriot Act, les administrations américaines successives évoluent aux limites du droit constitutionnel américain (notions d’"ennemi combattant", ou de "combattant illégal" par exemple), et aux limites du droit international (prisons secrètes de la CIA en Europe et au Moyen Orient, bateaux-prisons, enclave en territoire cubain de la base navale US de Guantanamo par exemple). Il ne se passe pas un jour sans que des décisions militaires ou des agences civiles de renseignement US/OTAN ne défient les règles de l’engagement armé ou du droit international, notamment au travers de l’usage de drones pilotés à distance, pour lesquels il n’existe tout simplement pas de législation appropriée. Regardons le nombre de pays où des drones interviennent de façon "connue" et documentée : Afghanistan – Irak – Libye – Syrie - Liban (dont le Hezbollah aurait envoyé un drone de conception iranienne photographier les bases et réacteurs nucléaires israéliens) Pakistan - Iran (qui a capturé un drone US l’hiver dernier ) – Yémen – Somalie – Erythrée – Soudan : Ce qui fait onze pays. Sans compter, et pour cause, les opérations secrètes, et les usages domestiques de drones au dessus du territoire américain. La France projette de s’essayer à ce "nouveau sport guerrier" au Mali, à moins qu’elle ne l’ait déjà fait en Libye ou en Syrie. Orwell, c’était hier.

 

Interview du Général Benoît Royal sur France Culture le 28 août 2012,
extrait de l’émission "Sur les docks" par Irène Omélianenko.
Thème de l’émission : "Frontière humaine, le robot dans l’armée".
Un documentaire de Charlotte Mareau et Christine Robert.
Vidéo par Larez. Transcription sur Agoravox.Tv
 
 

 

Le Dilemme d’Obama sur les drones.

Les assassinats ne sont probablement pas légaux. Ça ne veut pas dire qu’ils vont arrêter pour autant.
 
Slate.com, par Eric Posner, publié le lundi 8 octobre 2012 (illustration : Le personnel de sécurité pakistanais examine un drone de surveillance américain qui s’est écrasé au Pakistan le 25 août 2011).
 
 
Traduction Daniel pour ReOpenNews
 
 
Le Wall Street Journal a récemment rapporté les débats au sein de l’administration Obama concernant la légalité de la guerre des drones au Pakistan. Le conseiller juridique au Département d’Etat, Harold Koh, ancien doyen de la faculté de droit de Yale et de surcroît ex-enfant chéri de la gauche pour ses critiques des théories agressives du pouvoir exécutif de l’administration Bush, y joue un rôle de premier plan. Koh a apparemment conclu que la guerre des drones "évolue à la frontière" de l’illégalité, mais sans toutefois la dépasser.
 
C’est un jugement discutable. La Charte des Nations Unies n’autorise les pays à utiliser la force militaire à l’étranger qu’avec l’approbation du Conseil de sécurité de l’ONU, en cas de légitime défense, ou avec l’autorisation du pays dans lequel la force militaire doit être utilisée. Le Conseil de sécurité de l’ONU n’a jamais autorisé la guerre des drones au Pakistan. La notion de légitime défense, traditionnellement définie comme étant l’utilisation de la force contre une attaque armée "imminente" par un Etat-nation, ne s’applique pas non plus, parce que personne ne pense que le Pakistan envisage d’envahir les États-Unis.
 
Cela laisse le consentement comme la seule option juridique possible. Mais le Pakistan n’a jamais consenti à la guerre des drones. Publiquement et officiellement, le pays s’y est opposé. Avant le raid qui a tué Oussama Ben Laden en mai 2011, la CIA envoyait tous les mois un fax à l’agence "Inter-Services Intelligence" du Pakistan avec les informations permettant d’identifier l’espace aérien dans lequel les drones seraient envoyés. L’ISI renvoyait un accusé de réception de ce fax, et le gouvernement américain en déduisait l’accord du Pakistan sur la base des accusés de réception. Mais après le raid, l’ISI a cessé de renvoyer les accusés de réception.
 
Maintenant, que faire? L’administration fait valoir que le consentement peut encore être déduit en dépit de l’absence de réponse au fax. La justification étant que "l’armée pakistanaise continue de dégager l’espace aérien des drones et n’interfère pas physiquement avec l’avion sans pilote en vol", ce qui signifie que le Pakistan n’abat pas les drones et ne laisse pas un aéronef privé entrer en collision avec eux.
 
Nous pourrions appeler cela «consentement sous contrainte." Considérez-le de cette façon : Vous entrez dans un magasin de bijoux et le propriétaire prétend, en dépit de vos protestations, que vous avez acheté un diamant de 10 000 $. Il est en train de s’emparer de votre porte-monnaie et il ne vous reste plus qu’à utiliser la force physique. Imaginez également qu’il fait deux mètres de haut et pèse 180kg.
 
Parce que le Pakistan reste prostré et endure la domination plutôt que tenter de l’arrêter, en vain, il est réputé avoir consenti au bombardement de son propre territoire.
 
Mais il ne faut pas en tenir rigueur aux avocats du gouvernement comme Koh pour l’élaboration de cette théorie. Le droit international n’a pas les moyens de contraindre le gouvernement américain. Koh le sait maintenant, s’il ne le savait pas auparavant. Comme il a construit sa carrière universitaire sur l’affirmation selon laquelle le droit international peut et doit être utilisé pour contrôler les Etats-nations et qu’il a durement critiqué l’administration Bush pour ses violations du droit international, la pilule a du être difficile à avaler pour lui. (Bien qu’ayant avalé tellement de pilules amères, il en ait peut-être perdu le sens du goût : L’homme qui a dit au Sénat à la fin de l’administration Bush que les Etats-Unis doivent «sans ambiguïté réaffirmer nos engagements historiques concernant les droits de l’homme et la primauté du droit comme une source majeure de notre autorité morale "a renoncé à son opposition antérieure à l’extension des pouvoirs de guerre, aux assassinats ciblés, aux tribunaux et à la détention militaire.)
 
La faiblesse du droit international régissant l’utilisation de la force militaire remonte à la signature de la Charte des Nations Unies en 1945. Les fondateurs ont compris qu’une simple règle interdisant l’usage de la force militaire, sauf en cas de légitime défense, ou avec le consentement d’un autre Etat, ne serait pas appropriée pour la régir la guerre. Mais ils ne pouvaient pas élaborer un code complexe capable de prévoir toutes les éventualités qui pourraient justifier une guerre. Au lieu de cela, ils ont créé le Conseil de Sécurité et ils ont estimé que cet organe pourrait déterminer quand la guerre peut être justifiée pour des raisons autres que la légitime défense. Mais le Conseil de sécurité a été paralysé d’abord par la rivalité entre les États-Unis et l’Union soviétique, pendant la guerre froide, puis par les rivalités pendant la « paix froide » entre les Etats-Unis, la Russie et la Chine.
 
Il n’a autorisé que deux guerres depuis sa création (la guerre de Corée et la première guerre d’Irak; il a aussi rétroactivement approuvé l’invasion américaine de l’Afghanistan en 2001).
 
Inutile de dire qu’il y a eu des dizaines de guerres depuis 1945. Des pays aussi divers que la Chine, l’Union soviétique, l’Inde, le Pakistan, le Royaume-Uni, le Vietnam, l’Iran, l’Irak, l’Egypte, Israël et l’Argentine, y ont participé. Même les soi-disant pays pacifiques européens ont participé par l’intermédiaire de l’OTAN dans plusieurs d’entre elles. Les Etats-Unis ont à plusieurs reprises justifié des guerres (par exemple, au Kosovo en 1999, en Libye en 2011), sous le prétexte d’interventions humanitaires, un motif qui ne peut être trouvé nulle part dans la Charte des Nations Unies, mais qui bénéficie d’un certain soutien international.
 
Dans d’autres cas, y compris les opérations de drones actuelles au Pakistan, les États-Unis ont invoqué une nouvelle idée du pays «incapable ou réticent", celui que des puissances extérieures peuvent envahir parce qu’il ne peut empêcher les terroristes situés sur son territoire de lancer des attaques à travers ses frontières. Mais la plupart des guerres des États-Unis ne peuvent entrer dans ces deux catégories qu’avec difficulté. Ces guerres sont menées pour arrêter un régime déstabilisateur ou dangereux, celui qui a généralement recours à la violence pour se maintenir au pouvoir.
 
On peut mettre la deuxième guerre d’Irak dans cette catégorie, ainsi que l’intervention au Panama en 1990 ou celles de Yougoslavie dans les années suivantes, et l’intervention à Grenade en 1983. Pendant la guerre froide, les États-Unis ont également contourné fréquemment l’interdiction de l’ONU sur la guerre inter-étatique en finançant et en formant une insurrection nationale.
 
La Charte des Nations Unies ne permet pas aux États de recourir à la force militaire pour résoudre unilatéralement des menaces de long terme de cette façon. Parce qu’il est trop facile pour des Etats d’en caractériser faussement d’autres comme présentant une menace à long terme. Et pourtant, cette omission a rendu la charte impraticable, parce que tous les États doivent prendre des menaces à long terme au sérieux, que les membres du Conseil de sécurité en soient persuadés ou soudoyés pour donner leur accord.
 
Les avocats du gouvernement comme Koh doivent se hâter de réviser leur interprétation du droit international, afin de faire face à des événements nouveaux qui justifient, aux yeux du président, une intervention militaire. La doctrine du « consentement sous la contrainte », la doctrine du « incapable et réticent », et l’exception de l’intervention humanitaire, tout cela amenuise la portée des lois sur l’utilisation de la force par les Nations Unies permettant de bloquer les objectifs américains.
 
Si les Etats-Unis décident un jour d’envahir l’Iran pour l’empêcher d’acquérir des armes nucléaires, il faut s’attendre à ce qu’une nouvelle doctrine prenne forme, qui mettra peut-être l’accent sur les dangers uniques des armes nucléaires et sur l’hostilité déclarée de l’Iran vers un pays voisin.
 
Il est curieux qu’il n’y ait pas un tollé mondial sur l’illégalité de la guerre au Pakistan ou en Libye, car il y en avait sur l’illégalité de la récente guerre en Irak, que l’administration Bush avait douteusement justifiée sur la base des violations par l’Irak de résolutions antérieures de l’ONU qui avait suspendu les hostilités après la première guerre d’Irak. Peut-être que le monde ne se soucie pas autant que cela du Pakistan, qui n’a pas de pétrole. Ou peut-être a-t-on enfin compris que les Etats-Unis, qui ont été presque continuellement en guerre depuis l’effondrement de l’Union soviétique, ne seront pas influencés par des arguments juridiques. Une armée puissante est trop utile pour qu’on ne l’utilise pas, que vous soyez un président républicain ou un président démocrate.
 
 
 

 

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