11-Septembre et la CIA (3ème partie) : L’engueulade

Troisième volet de l’enquête du chercheur indépendant Kevin Fenton sur les dysfonctionnements de la CIA dans sa traque des supposés pirates de l’air et dans sa collaboration si défaillante avec les autres agences américaines, dont le FBI, au cours des années 2000-2001. Même si nous devons toujours garder à l’esprit que, comme nous l’a détaillé le chercheur Elias Davidsson voilà 3 ans déjà, rien ne prouve que 19 musulmans aient détourné les avions le 11 septembre 2001, il est tout à fait intéressant d’étudier le comportement du FBI et de la CIA vis-à-vis des futurs pirates de l’air (supposés) et leur organisation pratique sur le sol US avant les attentats. Dans cet épisode, l’auteur s’intéresse de près à Tom Wilshire, le chef-adjoint d’Alec Station, la cellule de la CIA qui était précisément en charge de la surveillance d’Oussama Ben Laden et de son réseau al-Qaïda avant les attentats de 2001. Et le comportement de ce M. Wilshire est tout à fait intéressant. Voyez par vous-mêmes.

 

Le siège de la CIA à Langley

 


11-Septembre et la CIA (3e partie) : L’engueulade
La ruse orchestrée par Tom Wilshire

Par Kevin Fenton, sur BoilingFrogs, septembre 2011

Traduction Vincent pour ReOpenNews

Retrouvez la partie 1) et la partie 2) de cet article en pages R-News

 

Dans les deux premières parties de cette série, nous avons vu comment un groupe d’officiers d’Alec Station, l’unité de la CIA affectée à Ben Laden, avaient dissimulé à leurs collègues du FBI des informations sur la réunion au sommet d’al-Qaïda en janvier 2000 en Malaisie. En particulier, ils avaient caché des informations au sujet d’un visa américain détenu par l’un des pirates de l’air du Vol 77, Khalid al-Mihdhar. Nous avons également vu comment cette protection d’al-Mihdhar, ainsi que celle de son partenaire Nawaf Alhazmi et du leader d’al-Qaïda Khallad ben Attash avait perduré même après qu’eut été connue de la communauté du renseignement des Etats-Unis la participation d’al-Mihdhar et de ben Attash à l’attentat d’octobre 2000 contre l’USS Cole. Dissimuler des informations sur des terroristes impliqués dans dix-sept homicides était déjà assez fâcheux, mais on n’avait pas encore vu le pire.

Peu de temps après que la CIA eut omis de répondre ouvertement à une deuxième demande formelle de renseignements faite par l’agent du FBI Ali Soufan en avril 2001 au sujet de l’attentat du Cole, les câbles de la CIA rédigés au sujet du sommet en Malaisie étaient en cours de relecture à Alec Station. L’examen était conduit par Tom Wilshire (ci-contre), chef adjoint d’Alec Station et une des figures-clés de la rétention de l’information à la source, ainsi qu’une agente de la CIA dont le nom est inconnu. Tous deux relisaient des câbles de l’année précédente expliquant que ledit Al-Mihdhar avait un visa américain et qu’al-Hazmi avait pris un vol vers Los Angeles avec un compagnon. Cependant, aucun des deux ne prit les mesures appropriées, c’est-à-dire mettre sous surveillance les activistes de la Malaisie et alerter le FBI.

Après ce premier examen, Wilshire en ordonna un second sur cette même information. L’examen devait être effectué par Margaret Gillespie, employée de la CIA à Alec Station, dont les prétendues pertes de mémoire concernant les événements de janvier 2000 rendent les vraies motivations suspectes. Wilshire croyait, et il s’avérera par la suite que c’était à juste titre, que les câbles contenaient la clé pour prévenir un prochain attentat majeur d’al-Qaïda. S’ils avaient été traités correctement, le 11-Septembre ne serait jamais arrivé.

Trois semaines avant les attentats, Gillespie aurait découvert un câble d’importance cruciale, ce qui l’aurait amenée à parler au FBI au sujet d’al-Mihdhar et al-Hazmi. Comme on le sait, la traque d’Al-Mihdhar et al-Hazmi par le FBI se solda par un échec, mais ce que vous ne savez probablement pas, c’est que ce fut en grande partie à cause de Wilshire. Néanmoins, pour avoir demandé à Gillespie de réexaminer les câbles, Wilshire reçut de nombreux éloges lors des investigations faites après les attaques. Nombre de ses autres actions jetaient la suspicion sur lui, mais cet examen semble les avoir toutes effacées. Cependant, s’il était réellement en train de cacher des informations, pourquoi avoir ordonné cet examen ?

Si nous regardons les conditions dans lesquelles Wilshire a entamé cet examen, deux choses ressortent. Tout d’abord, Wilshire a précisé à Gillespie que l’examen n’était pas urgent et qu’elle devait le faire pendant son temps libre. Il y avait de toute évidence beaucoup de choses à faire à ce moment-là, et trouver l’emplacement du prochain attentat majeur d’al-Qaïda aurait dû occuper la première place dans l’agenda des choses à faire au Centre antiterroriste. Ensuite, la raison pour laquelle il fallut trois mois à Gillespie pour examiner une poignée de documents relativement courts, est qu’elle ne parvenait pas les retrouver dans la base de données de la CIA. Pourtant, Wilshire était en possession de ces câbles lorsque l’examen a débuté, mais il avait tout simplement omis de les transmettre à Gillespie. S’il l’avait fait, l’examen aurait duré deux heures au lieu de trois mois. Comme nous le verrons, Gillespie a dit qu’elle avait découvert le câble majeur qui l’a amenée à alerter le Bureau, quelque temps seulement après que les pirates eurent fixé la date du 11-Septembre pour l’attaque.

Une fois les faits ci-dessus pris en considération, nous en arrivons à une théorie sur les raisons qui ont amené Wilshire à lancer un deuxième examen : après le premier réalisé par Wilshire et l’agente de la CIA non identifiée, il était évident que des mesures devaient être prises ; plus précisément, le FBI et l’INS (Immigration & Naturalization Service) devaient être contactés et informés de ce qu’Alec Station savait, ce qui aurait pu empêcher Al-Mihdhar de remettre les pieds aux États-Unis à la fin de l’année, ou qui aurait permis au FBI de le suivre quand il l’a fait. Alors, pour empêcher l’agente inconnue de faire cela, Wilshire a proposé ce deuxième examen, dont il a pu exiger qu’il soit, par exemple, plus complet, plus approfondi, de grande envergure, etc. Initier un tel examen était la seule façon qu’il avait trouvée pour empêcher cette agente de faire ce qu’elle savait qu’elle devait faire.

Peu de temps après, Wilshire fut muté au FBI, où il devint chef adjoint de la Section des opérations contre le terrorisme international. Il lança également une série d’événements qui conduisirent les enquêteurs du FBI sur l’USS Cole à présenter des photos d’al-Mihdhar et al-Hazmi, alors même que toutes les informations sur ces deux hommes continuaient d’être dissimulées.

Tout d’abord, Wilshire entama une discussion avec un analyste de la CIA du nom de Clark Shannon au cours de laquelle un groupe de trois photos prises lors du sommet d’al-Qaïda en Malaisie furent mentionnées. Dans cette discussion, Wilshire commit un lapsus, en suggérant que la photo d’al-Hazmi censée selon la CIA représenter Ben Attash, d’après l’identification faite le 4 janvier par "Omar" lors de la réunion déjà évoquée dans la deuxième partie de cette série, ne correspondait en réalité pas du tout. « Quelqu’un a vu quelque chose qui n’était pas là », a-t-il écrit à Shannon. Étant donné que Wilshire a affirmé qu’il n’avait même pas lu la déclaration du câble du 4 janvier sur l’identification de Ben Attash [par "Omar"], cela est pour le moins surprenant. Wilshire était en fait dans le vrai, et la photo montrait bien al-Hazmi et non pas ben Attash, mais Wilshire semblait connaître al-Qaïda mieux que la principale source américaine infiltrée à l’intérieur de l’organisation.

L’explication est claire : Wilshire ne savait que trop bien qui était al-Hazmi, et il connaissait également ben Attash.

Après l’échange d’email avec Wilshire, Shannon fit mention des photos à Dina Corsi, une analyste du FBI employée au quartier général, qui travaillait en étroite collaboration avec Wilshire et qui joua un rôle-clé dans cette affaire. Wilshire imprima alors les photos pour Corsi, qui devait les montrer aux agents travaillant sur l’USS Cole. Naturellement, Wilshire oublia de mentionner que Ben Attash, le cerveau de l’attaque sur lequel ils enquêtaient tous, était en Malaisie avec al-Mihdhar en janvier 2000. Corsi obtint également de la NSA des renseignements sur la réunion en Malaisie.

Le 11 juin 2001, Shannon, Corsi et Gillespie rencontrèrent les agents traitant l’affaire de l’USS Cole, en particulier Steve Bongardt et Russell Fincher, au bureau du FBI à New York. Après une présentation faite par le Bureau sur l’avancement de l’enquête, Shannon demanda à Corsi de sortir les photos et de les montrer à ses collègues du FBI. Bongardt fut immédiatement intéressé et posa quelques questions de base sur les photos, par exemple, qui elles représentaient et ce qu’ils faisaient. Le « camp Wilshire» qui occupait tout un côté de la table refusa de répondre à la plupart des questions. Il y eut une discussion entre Bongardt et Corsi, qui dégénéra en véritable engueulade, et qui se poursuivit jusqu’à ce que l’assemblée se sépare.

Il est difficile de concevoir une explication de bonne foi sur [l’échec de] cette réunion, qui représente une autre occasion [manquée] d’arrêter al-Mihdhar, al-Hazmi et l’ensemble du complot du 11-Septembre. La raison invoquée pour montrer les photos, était que la CIA voulait savoir si sur l’une d’elles on voyait Fahad al-Quso (ci-contre), l’un des conspirateurs de l’attentat contre l’USS Cole, qui était en garde à vue au Yémen et qui avait été interrogé par le FBI. Or, l’une des photos montrait al-Mihdhar. Wilshire l’identifia parfaitement quand il remit les photos à Corsi qui écrivit elle-même le nom d’al-Mihdhar au dos. Comment le FBI était-il censé identifier al-Quso sur une photo montrant Khalid al-Mihdhar ? Une autre photo montrait al-Hazmi, qui ne ressemblait en rien à al-Quso. En outre, Shannon fournit des récits contradictoires sur la suite de la réunion, et son affirmation selon laquelle il était allé à une réunion d’échange d’informations au cours de laquelle aucune information n’avait été échangée sonnait bizarrement, et est contredite par les notes de Corsi, montrant au contraire qu’il y avait appris qu’al-Mihdhar se déplaçait avec un passeport saoudien en janvier 2000.

Le refus de Corsi de donner aux enquêteurs de l’USS Cole l’information de la NSA est également incroyable. Elle a affirmé qu’elle ne pouvait pas le faire en raison des "barrières" réglementaires régissant notamment le partage d’informations entre les agents de renseignement du FBI et les procureurs traitant les affaires criminelles. Mais ces règlements ne s’appliquaient pas à l’un des agents de New York lors de cette réunion, puisque c’était un agent de renseignement désigné. En outre, il n’aurait fallu à Corsi qu’une journée pour obtenir la permission de transmettre ces informations aux autres agents qui traitaient l’aspect criminel, d’après l’avocat général de la NSA.

Lorsque l’on observe les événements survenus lors de cette réunion et ce qui les a précédés, la conclusion qui s’ensuit semble inéluctable : la réunion n’était pas une tentative destinée à partager l’information de bonne foi, mais une ruse orchestrée par Wilshire pour savoir si les agents du Cole avaient reconnu al-Hazmi et al-Mihdhar.

Lorsqu’on compare cette réunion à celle du 4 janvier 2001, dite réunion avec "Omar" dont nous avons parlé dans la 2e partie de cette série, il y a une similitude frappante : les photos d’al-Mihdhar et d’al-Hazmi sont présentées sous le prétexte qu’elles montrent d’autres personnes, et l’information n’est pas partagée. De cette façon, Wilshire et son équipe tentent de savoir si les gens reconnaissent ou non al-Mihdhar et al-Hazmi.

Un autre enseignement de la réunion du 11 juin est qu’elle nous montre que tout cela était d’une grande actualité, quelles que soient les activités de la CIA concernant al-Mihdhar et al-Hazmi. Les deux hommes n’étaient pas tombés dans l’oubli, ils étaient bien présents à l’esprit de Wilshire et de son désormais ex-patron, Richard Blee. Comme nous le verrons dans la 4e partie de la série, les deux hommes étaient tout à fait conscients des roulements de tambour qui résonnaient à l’été 2001, et Wilshire relia même al-Mihdhar à l’attentat majeur à venir d’al-Qaïda dans un e-mail très incriminant.

Kevin Fenton

Note : (*) Kevin Fenton est l’auteur de Disconnecting the Dots: How CIA and FBI Officials Helped Enable 9/11 and Evaded Government Investigations (Démêler les fils : comment les responsables de la CIA et du FBI ont permis que le 11-Septembre se produise et comment ils ont éludé les enquêtes gouvernementales)

 

Traduction Vincent pour ReOpenNews


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One Response to “11-Septembre et la CIA (3ème partie) : L’engueulade”

  • Odile

    Bien évidemment, ces informations sont accablantes et plus d’être aussi froides et cyniques que ce que l’on peut en attendre de personnes au comportement si déviant.

    Par contre je suis très étonnée de voir se prolonger cette longue suite d’affirmations, sans qu’elle soit étayée par davantage d’éléments « à charge » comme des documents internes, des discours publics, des agendas, des témoignages etc…

    Pour être encore plus irréfutable, (malgré la masse de travail colossale qu’a nécessité la mise en perspective de toutes ces informations éparses) j’ai l’impression qu’il aurait fallu encore plus d’éléments sources, aux origines et véracités incontestables.

    Et pour donner un petit avis personnel je suis convaincue que mettre en porte-à-faux, un à un, tous les acteurs douteux du 9/11 devrait à les amener se combattre entre eux, ce qui immanquablement ferait émerger beaucoup de nouveaux éléments, insoupçonnés jusque là.

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