Gordon Brown devant la commission Chilcot

Un communiqué de l’AFP, repris par aufait, nous informe le 29 juin 2010 que la commission d’enquête présidée par Sir Chilcot, qui avait suspendu les audiences publiques à Londres le temps de la campagne législative, reprend jusqu’aux grandes vacances. Cette commission enquête sur la légalité de la guerre en Irak et tente de comprendre ce qui a motivé le gouvernement britannique à engager des troupes en Irak en mars 2003. "La commission n’est pas un tribunal et personne n’est en procès, mais elle a pour mission de déterminer ce qui s’est passé" dit Sir Chilcot. Dans cet objectif, mettant à profit les périodes de  suspension d’audiences, la Commission se déplace à l’étranger pour entendre les explications de personnalités politiques et militaires concernées, dont les anciens Premiers ministres britanniques Tony Blair et Gordon Brown et français Dominique de Villepin ainsi que le Général américain Petraeus qui avait commandé les forces de la coalition en Irak en 2007-08. La Commission entendra sous peu Hans Blix, ancien inspecteur en chef de l’ONU en Irak, très critique envers cette invasion.

Mais revenons à Gordon Brown. Dans l’article suivant, Courrier inernational.com évoque son récent passage devant la Commission Chilcot, commission qu’il avait lui même instaurée en 2009 (année du retrait des troupes britanniques d’Irak), mais dont il a pourtant tenté de limiter les compétences. Pour mieux comprendre le rôle de cette personnalité sur la scène politique internationale, nous joignons à la suite un article signé Philippe Marlière, Maître de conférences en sciences politiques à l’Université de Londres, qui s’intéresse ici à l’éthique néoconservatrice de Gordon Brown. Cet article est paru sur Bellaciao.


"Assez de dissimulation" et "Assez de mensonges" disent ces pancartes de manifestants 
en juin 2009. Quelques jours plus tôt, le Premier ministre Gordon Brown avait annoncé
l’ouverture d’une enquête indépendante sur la guerre en Irak.
 

 

Cet article est paru sur Courrier International.com

Gordon Brown rattrapé par l’Irak

Le Premier ministre comparaît le 5 mars devant la commission Chilcot, qui enquête sur la légalité de la guerre en Irak. Il tentera de prendre ses distances à l’égard d’un conflit qu’il a lui-même soutenu. Mais l’échec est assuré, estime l’ancien rédacteur en chef du New Statesman.

05.03.2010 | John Kampfner | The Independent

Devant la commission Chilcot, Gordon Brown devra à la fois défendre la guerre en Irak et prendre ses distances vis-à-vis du zèle messianique de Tony Blair. Il lui faudra également laisser entendre que les neocons de George Bush ne lui plaisaient guère sans pour autant s’attirer l’hostilité des cercles dirigeants de Washington. Enfin, il devra plonger dans les profondeurs de l’aventure politique la plus désastreuse du Parti travailliste, tout en s’efforçant d’attirer à lui les électeurs. Plus de 1 million d’entre eux avaient tourné le dos à son parti à cause de la guerre lors des législatives de 2005. Logiquement, le Premier ministre ne peut qu’échouer. Et, d’un point de vue historique, c’est tout ce qu’il mérite. En effet, on pourrait aller jusqu’à dire que, sur la question de l’Irak, Brown a joué un rôle encore moins glorieux que Blair.

Il a veillé à n’endosser qu’un rôle limité dans la politique vis-à-vis de l’Irak, pour mieux se couvrir. Il est en revanche beaucoup plus exposé sur la question du financement de la guerre. Kevin Tebbit, ancien secrétaire permanent au ministère de la Défense, a jeté un pavé dans la mare de la Commission quand il a accusé l’actuel Premier ministre d’avoir "guillotiné" les fonds à la fin de 2003. Pour ce qui est des événements de 2002-2003, Brown a été plus énigmatique que le chat d’Alice au pays des Merveilles. Afin de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier, il n’a cessé d’émettre des messages contradictoires. Il a laissé ses adjoints communiquer son mécontentement à des gens comme moi. Attendez qu’un vrai Premier ministre, un professionnel, reprenne les choses en mains, et c’en sera fini de toutes ces courbettes devant les Américains, disaient-ils.

Peut-être était-il sincèrement partagé sur les avantages et les inconvénients d’une invasion dont le but était de renverser un dictateur, mais que l’on dissimulait en brandissant la menace d’armes de destruction massive. Mais ses hésitations sont bien plus le résultat de l’attitude mitigée qui le caractérise, mélange de tactique politique et de couardise. Il voulait exposer ses doutes, mais il a calculé que ce n’était pas dans son intérêt. Il ne les a jamais exprimés en public parce qu’il ne tenait pas à se mettre à dos tous les rédacteurs en chef de journaux impatients et joyeux de partir au combat. C’est qu’une autre bataille, autrement plus importante, l’attendait : celle pour la couronne dont il rêvait tant.

Dès que l’occupation a commencé à dégénérer, Brown a déclenché sa contre-attaque. Il s’est servi de la colère croissante de l’opinion publique face à la guerre en Irak comme d’un outil pour ses ambitions politiques nationales. Plus Blair s’est entêté, en 2003-2004, plus il s’est accroché aux clés du n° 10, plus Brown a dénigré en privé les décisions qui avaient présidé à la guerre. Que viennent les prochaines élections, et avec elles le prochain revirement. En 2005, alors que Blair était dos au mur, Brown s’est présenté en sauveur de la campagne. Quand, lors d’une séance photo, on lui a demandé s’il pensait que Blair devait rendre des comptes pour la guerre, il a répondu avec emphase que non. Blair enfin écarté, Brown s’est efforcé de redéfinir les relations avec la Maison-Blanche. Lors de son premier voyage en tant que Premier ministre à Camp David, en juillet 2007, il arborait un air péniblement embarrassé tandis que Bush le trimballait partout dans une voiturette de golf. Mais il n’a pas tardé à adopter l’attitude classique d’obéissance anglo-saxonne. Et quand cela a été le tour de Barack Obama, il a tellement voulu jouer la carte de la "relation privilégiée" qu’il a eu droit à une virée dans les cuisines des Nations unies avec le nouveau président.

Durant les dernières étapes de son putsch contre Blair, Brown n’avait pas hésité à avancer l’idée d’une commission d’enquête sur l’Irak, dans l’espoir d’apaiser la grogne des députés travaillistes. Une fois aux commandes, il a alors assuré qu’une telle enquête ne pourrait avoir lieu que quand les forces britanniques auraient quitté Bassora. Après avoir essayé toutes les manœuvres dilatoires possibles, Brown s’est ensuite efforcé de limiter les compétences de la commission, ce qui lui a valu d’être rabroué par Chilcot en personne. C’est avec en arrière-plan ce passif de pirouettes et d’indécision en politique étrangère que Brown va être mis sur le grill par l’équipe de la commission d’enquête. Brown a voulu croire que, avec le temps, les électeurs seraient passés à autre chose que l’Irak. La prestation de Blair devant la commission, il y a un mois, toute d’orgueil et d’entêtement, laisse penser que les blessures sont toujours à vif. Un Premier ministre est accusé d’avoir péché par la Commission. Mais qu’en est-il des péchés par omission de son successeur ?

Note : Ancien rédacteur en chef de New Stateman, John Kampfner est responsable de l’organisation britannique Index on Censorship, qui lutte pour la liberté d’expression dans le monde.


L’éthique néoconservatrice de Gordon Brown

Bellaciao / mercredi 26 septembre 2007 par Philippe Marlière

Gordon Brown et George W. Bush

Gordon Brown ne commettra pas l’erreur de Tony Blair. Il continuera certes de soutenir inconditionnellement la politique des Etats-Unis là où elle se déploiera. Cependant, il se gardera bien de toute effusion en public avec l’homme de la Maison blanche, de peur d’être à son tour perçu comme le « caniche » du président étatsunien. Brown sait que le soutien indéfectible que Blair a témoigné à Bush lui a coûté sa crédibilité politique. Mais Gordon Brown a de la chance : Nicolas Sarkozy revendique avec éclat le rôle de publiciste zélé de la Maison blanche.

Le premier ministre britannique ne le lui contestera pas ! Sur la question de l’armement nucléaire iranien, Brown vient discrètement d’évoquer la possibilité d’une intervention militaire contre l’Iran. Enoncés mezzo voce, les propos furent à peine relayés par les médias. De leur côté, Nicolas Sarkozy et Bernard Kouchner, ont commencé bruyamment à préparer l’opinion internationale à cette nouvelle guerre impériale.

Brown peut donc se consacrer librement à une tâche qui lui tient à cœur : continuer la rénovation du « logiciel social-démocrate ». La Troisième voie dite « blairiste » est bien mal nommée, car Blair a très peu contribué au débat dont l’objectif était de justifier à gauche le thatchérisme économique. Tony Blair préférait courtiser les richissimes et les puissants. Sous son leadership, le congrès travailliste annuel accueillait les stars du show-biz (Bono, Bob Geldorf) ou de la politique (Bill Clinton, Nelson Mandela). Brown, fils de pasteur presbytérien, n’a que faire de la politique à paillettes de son prédécesseur. Il préfère s’entourer d’intellectuels qu’il choisit invariablement dans le camp néoliberal et néoconservateur.

Cette année, à l’invitation de Brown, deux personnalités interviendront au congrès travailliste. L’un, Ben Bernanke, est le successeur d’Alan Greesnpan à la tête de la Réserve fédérale américaine (la « Fed »). Après avoir reçu Margaret Thatcher à Downing street la semaine dernière (Brown a présenté l’amie du général Pinochet comme une « femme de conviction remarquable »), ce choix entend souligner la volonté de poursuivre les politiques du néolibéralisme économique. L’autre est Gertrude Himmelfarb, une historienne étatsunienne. Elle est l’épouse d’Irving Kristol, le maître-à-penser de choc des néoconservateurs et son fils, William Kristol, préside le Project for the New American Century.

Ce think-tank néoconservateur a inspiré tout ou partie de la politique étrangère de l’Administration Bush. Himmelfarb, qui se réclama du trotskysme dans sa jeunesse, n’a pas de mots assez durs aujourd’hui pour dénoncer l’Etat social « parasitaire », synonyme à ses yeux d’assistanat et d’encouragement à la paresse et à la fraude. Himmelfarb prône un retour aux valeurs victoriennes qui avaient cours dans le Royaume-Uni du 19e siècle. Elle estime que les valeurs d’abnégation et de compassion doivent constituer le ciment d’une société où la « vertu sociale » va favoriser ordre et prospérité. Le retour au travail de tous doit permettre à ceux vivant dans le dénuement d’atteindre le statut de « pauvre actif » (working poor), un objectif « socialement noble ».

Les fondements de l’« Etat minimal » sont là. Le sinistre « donnant donnant », cher à Ségolène Royal et autres « rénovateurs » socialistes, est l’un des piliers de cette doctrine réactionnaire. Il s’agit ni plus ni moins que de moraliser la question sociale : seuls les deserving poor (pauvres méritants) – flexibles à souhait, mal payés – bénéficieront de la fraction des droits octroyés aux générations antérieures de travailleurs. On peut aussi noter que la politique économique du New Labour depuis 1997 a effectivement eu pour effet de multiplier le nombre de deserving poor, des travailleurs très peu formés, sous-payés et faiblement protégés.

Brown reconnaît avoir été particulièrement influencé par un ouvrage récent d’Himmelfarb intitulé The Road to Modernity : The British, French and American Enlightments. Dans ce livre, l’historienne estime que les Lumières britanniques étaient en tout point supérieures aux Lumières françaises car les premières mettaient l’accent sur les notions de bénévolence et de compassion. Brown avait déjà fait savoir que Theory of Moral Sentiments d’Adam Smith était l’un de ses ouvrages favoris (Ses proches rapportent même qu’il peut en réciter de mémoire de longs extraits !).

Avec le néoconservatisme à la mode victorienne d’Himmelfarb, Gordon Brown vient de franchir une nouvelle étape dans la droitisation à outrance de la social-démocratie. Economiquement néolibéral, culturellement réactionnaire, politiquement acquis à l’Empire, le brownisme continue le travail de sape là où son compère Tony Blair l’avait laissé. A droite toute.

 

 


En lien avec le sujet

  • Aller en Irak était "la bonne solution", selon Gordon Brown / LEMONDE.FR avec AFP / 05.03.2010 
  • Commission d’enquête ChilcotGordon Brown défend l’intervention britannique en Irak / Le Devoir / 06.03. 2010
  • Enquête Chilcot : la bête noire de Tony Blair / Perspective Monde / 25.02.2010
  • L’épine irakienne dans le pied de Gordon Brown / Courrier International avec The Observer / 02.02.2010
  • La Commission britannique sur la guerre en Irak auditionne les proches de Tony Blair / Géopolintel / 20.01.2010

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