L’omnipotence d’al-Qaïda et l’insignifiance du « Terrorisme »

Retour sur les événements d’Oslo en juillet dernier, avec cet article qui met en évidence l’insupportable propension des médias occidentaux depuis 2001 à ne qualifier de "terrorisme" que les actes perpétrés par des musulmans, ou pire, la tendance systématique à parler d’al-Qaïda lorsqu’un acte terroriste survient, n’importe où dans le monde. Un exemple flagrant : le traitement médiatique qu’ont reçu les attentats d’Oslo cet été, analysé ici par Glenn Greenwald, cet avocat, journaliste et bloggueur célèbre notamment pour ses articles sur le scandale de l’Amerithrax, ou pour sa défense du soldat Bradley Manning accusé par les USA d’avoir commis le crime de révéler des documents classifiés à Wikileaks.(*)

 

Une femme blessée est sortie d’un immeuble endommagé
par une forte explosion le 22 juillet 2011 à Oslo (Norvège)

 


L’omnipotence D’al-Qaïda et l’insignifiance du « Terrorisme »

par Glenn Greenwald, sur Salon.com, le 23 juillet 2011     (2e mise à jour, voir Note plus bas)

Traduction STTC pour ReOpenNews

Durant la majeure partie de la journée d’hier [22 juillet, NDT], le titre vedette en première page du site web The New York Times suggérait vivement que des musulmans étaient responsables des attaques d’Oslo ; ce qui a conduit à des affirmations péremptoires sur la BBC et ailleurs que les coupables étaient musulmans. [La journaliste du] Washington Post Jennifer Rubin a rédigé une colonne entière reposant sur l’affirmation que des musulmans étaient les responsables, qui reste sans rectificatif ni mise-à-jour comme le fait remarquer James Fallows. L’affirmation matinale émise par le président Obama – « Il s’agit un rappel à toute la communauté internationale qu’elle a la charge d’empêcher ce genre de terreur d’avoir lieu » et « nous avons à collaborer ensemble à la fois en termes de renseignement et de prévention contre ce type d’attaques horribles » — semblait partir du principe que le responsable était un groupe terroriste international, sans toutefois insister outre mesure (c’est à mettre à son crédit).

Mais il s’avère à présent que l’auteur présumé n’appartenait pas à un groupe international d’extrémistes musulmans, mais plutôt qu’il s’agissait d’un nationaliste norvégien d’extrême droite ayant des antécédents de commentaires anti-musulman et affectionnant les blogs appelant à la haine contre les musulmans tels que “Atlas Shrug” [litt. Les Haussements d’Epaules d’Atlas] de Pam Geller, Daniel Pipes, and “Jihad Watch” de Robert Spencer. Malgré cela, le New York Times continue à s’échiner pour désigner du doigt, voir jeter le blâme de manière absolue, sur les musulmans radicaux.

Les experts en terrorisme affirment que même si les autorités finissaient par exclure le terrorisme islamique comme cause de l’attaque de vendredi, d’autres groupes imitent la brutalité d’al-Qaïda et ses attaques répétées.

« S’il s’avère être quelqu’un qui possède des motivations plus politiques, cela montre que ces groupes font leur apprentissage à travers ce qu’ils voient d’al-Qaïda, » affirme Brian Fishman, un chercheur en contre-terrorisme à la New America Foundation basée à Washington.

C’est toujours al-Qaïda qui est blâmée, même si c’est à tort, même si les soupçons pèsent sur un nationaliste nordique d’extrême-droite. Bien entendu, avant al-Qaïda, personne n’aurait jamais pensé à faire exploser des bombes dans un bâtiment du gouvernement, ou à déclencher de manière indiscriminée des fusillades sur la base de motivations politiques. Le NYT émet l’hypothèse qu’un engrais à base de nitrate d’ammonium aurait pu être utilisé pour fabriquer l’engin explosif parce que le suspect, Anders Behring Breivik, possède une entreprise liée à l’agriculture et aurait donc pu avoir accès à ce type de matériau ; bien sûr, personne d’autre qu’al-Qaïda n’aurait jamais pu imaginer utiliser cette substance pour fabriquer un énorme engin explosif. Ainsi, tout cela prouve une fois de plus quelle menace constitue l’Islam radical.

Et puis il y a ce passage extraordinairement révélateur du NYTremarqué tout d’abord par Richard Silverstein – expliquant pourquoi l’article avait tout d’abord révélé l’information comme il l’a fait :

Les rapports initiaux se sont focalisés sur des militants islamistes, en particulier Ansar al-Jihad al Alami, ou les Helpers of the Global Jihad [litt. Soutiens au Djihad Global], qui ont été cités par certains analystes comme ayant revendiqué la responsabilité des attaques. Les responsables américains ont indiqué que le groupe n’était pas connu auparavant et pourrait même ne pas exister.

Il y avait toutes les raisons de considérer que des terroristes pourraient être les responsables.

En d’autres termes, maintenant que nous savons que les auteurs présumés ne sont pas musulmans, nous savons – par définition – que les terroristes ne sont pas responsables ; inversement, lorsque nous pensions que des musulmans étaient responsables, cela signifiait – aussi par définition – qu’il s’agissait d’un acte de terrorisme. Comme le dit Silverstein :

Comment cela est-il possible, une fois encore ? N’est-il de terroristes que les musulmans dans le monde entier ? S’il en est ainsi, comment allons-nous appeler un nationaliste d’extrême-droite capable de poser d’énormes engins explosifs et de faucher quantité de gens pour la plus grande gloire de sa cause ? Si même un journal libéral comme le Times ne peut pas désigner ce type comme un terroriste, qu’est ce que cela nous indique concernant la disposition d’esprit du monde occidental ?

Ce que cela nous indique correspond à ce dont nous avons été témoins de manière répétée : c’est que « terrorisme » n’a pas de signification objective et que, du moins dans le discours politique américain, [sa signification] est devenue pratiquement : violence commise par des musulmans que le monde occidental déteste, quelles que soient les raisons ou la cible. De fait, dans la plupart (mais pas tous) des milieux médiatiques, les discussions à propos de l’attaque d’Oslo ont rapidement mué de « c’est du terrorisme » (lorsqu’on pensait que des musulmans étaient les auteurs) à « non, ce n’est pas du terrorisme, seulement de l’extrémisme » (lorsqu’il devint probable qu’ils n’y étaient pour rien). C’est ainsi que le présente Maz Hussain – dont le magnifique commentaire à propos de cet événement hier [22 juillet, NDT] sur Twitter valait la peine d’être lu :

Et alors si, d’une façon ou d’une autre, cela n’est pas considéré comme du « terrorisme », sommes nous en train d’admettre qu’un acte peut être [ou non] qualifié de « terrorisme » uniquement en fonction de son auteur ?

Que « terrorisme » ne signifie rien de plus que « violence commise par des musulmans pour lesquels l’Occident éprouve de l’aversion » a été prouvé à maintes reprises. Lorsqu’un avion a percuté un bâtiment de l’ IRS [Internal Revenu Service – Contributions directes, NDT] à Austin, Texas, il a été immédiatement proclamé comme étant du « terrorisme », jusqu’à ce qu’on nous révèle que l’agresseur était un américain blanc, non-musulman, avocat de la lutte anti-taxes avec de nombreux antécédents de griefs politiques personnels. Les américains et leurs alliés ne peuvent jamais, par définition, commettre d’actes terroristes, alors qu’il ne fait aucun doute que l’objet de leurs actes violents est de soumettre les populations civiles par la terreur. A l’inverse, les musulmans qui s’en prennent à des objectifs purement militaires – même si leur cible se trouve être une armée d’invasion de leur propre pays – sont, par définition, des terroristes. C’est la raison pour laquelle Remi Brulin, de l’Université de New York, a fourni une abondance de preuves que « terrorisme » est le mot le plus dénué de sens de la langue anglaise, et donc le plus manipulé. Un autre exemple de bon aloi nous en a été fourni hier.

Une dernière question : si, comme les preuves préliminaires le suggèrent, il apparaît que Breivik a été « inspiré » par les élucubrations des incitateurs à la haine extrémistes que sont Geller, Pipes et leurs amis, est-ce que ces groupes seront considérés comme des organisations terroristes de telle manière que tout engagement auprès d’eux serait constitutif d’une infraction pénale de support matériel au terrorisme ? Ces polémistes extrémistes qui inspirent la violence terroriste seront-ils traités comme Anwar Awlaki en étant placés sans autre forme de procès sur une liste de gens à abattre ? Les grands hommes blonds d’aspect nordique vont-ils bénéficier d’un contrôle supplémentaire aux aéroports et en d’autres lieux, et les individus qui entretiennent des relations avec ces groupes d’extrême-droite incitant à la haine contre les musulmans seront-ils placés en cachette sur des listes d’interdiction de vol ? Ou toutes ces mesures oppressives, extrêmes et sans fondement légal sont-elles également — à l’instar du mot « terrorisme » — réservées aux seuls musulmans ?

 

 

Mise à jour I : La version originale de l’article du NYT était encore pire à cet égard. Comme plusieurs personnes l’ont noté, voici ce que disait l’article d’origine (les journaux qui reproduisent les articles du NYT conservent encore la version originale) :

Les spécialistes du terrorisme indiquent que même si les autorités finissaient par exclure le terrorisme comme étant à l’origine de l’assaut de vendredi, d’autres sortes de groupes ou d’individus imitent la brutalité et les attaques répétées portant la signature d’al-Qaïda.

« S’il s’avère être quelqu’un qui possède des motivations plus politiques, cela montre que ces groupes font leur apprentissage à travers ce qu’ils voient d’al-Qaïda, » affirme Brian Fishman, un chercheur en contre-terrorisme à la New America Foundation basée à Washington.

De fait, s’il apparaît que les auteurs n’étaient pas des musulmans (mais plutôt « quelqu’un avec des motivations plus politiques » — quoi que cela veuille dire : cela repose probablement sur la notion inepte que les islamistes radicaux ont des motifs religieux, non des griefs d’ordre politique), alors cela signifie que le « terrorisme » serait « exclu » par définition (on pourrait penser que plus un acte de violence est motivé par des raisons politiques, plus il mérite l’étiquette de « terrorisme », mais cela prouve seulement que la caractéristique déterminante du mot « terrorisme » est la violence musulmane). La version finale de l’article du NYT a interposé le mot « islamique » avant « terrorisme » (« même si les autorités ont fini par exclure l’origine du terrorisme islamique »), mais – ainsi qu’il est démontré plus haut – tout en préservant la nécessaire déduction que seuls les musulmans peuvent être des terroristes. En attendant, dans le monde réel, sur les 294 tentatives ou exécutions d’attaques terroristes sur le sol européen en 2009 telles que décomptées par l’Union Européenne, un total général de un – 1 sur 294 – a été commis par des « islamistes ».

 

Mise à jour II : Cet article retrace et énonce de manière experte la manière exacte dont le mythe « les-musulmans-l’ont-fait » a été fabriqué, puis disséminé hier aux médias du monde entier, qui l’ont répété sans beaucoup de scepticisme, comme il fallait s’y attendre. Ce qui donne tant de valeur à cet article, c’est qu’il appelle un chat, un chat : il pointe du doigt le réseau incestueux, nombriliste, « d’experts américains auto-proclamés » en terrorisme et en politique étrangère – que l’article décrit de manière appropriée comme étant « presque toujours des Blancs très souvent dotés d’un passé militaire ou dans l’administration » dans ce cas motivés par l’ambition d’être « un supporteur d’élite désireux d’être le premier à donner son avis sur les spécifications d’un gadget ayant fait l’objet de fuites » — qui mettent si souvent en forme ces histoires médiatiques et qui sont présentés de manière non-critique comme des experts, alors qu’ils se noient dans les préjugés, le nationalisme, l’ignorance et la diplômanie superficielle.
 

Glenn Greenwald

Traduction STTC pour ReOpenNews


Note ReOpenNews : (*) Comme annoncé sur notre site principal, l’association ReOpen911 appelle ses sympathisants à signer la pétition pour cesser de torturer, voire libérer, ou au moins juger équitablement le soldat Manning. Plus d’information notamment dans nos article ReOpenNews.

 


En lien avec cet article :

Et aussi :


 

3 Responses to “L’omnipotence d’al-Qaïda et l’insignifiance du « Terrorisme »”

  • kidkodak

    Comme on a l’impression que des  »insurgés » sont des  »terroristes et qu’ils méritent tous de mourir.
    J’en profite pour mettre ce lien de Real News démontrant comment les téléphones cellulaires jouent un rôle important dans la localisation et l’élimination de nuit des  »méchants insurgés Irakiens ou Afghans »ou simplement de groupes de civils par les forces d’occupation américaines.

    Gareth Porter: US used cell phones to track targets, but knowingly killed and captured civilians
    US Afghan Kill/Capture Campaign Targeted Civilians

    http://www.youtube.com/watch?v=G8vTde12f9I

  • JB

    Je l’ai déjà cité précédemment, je le refais ici. L’édito de Jean Guisnel dans Le Télégramme du 23 juillet 2011 :
    http://letelegramme.com/ig/generales/france-monde/commentaires/analyse-attentat-d-oslo-une-logistique-eclairante-23-07-2011-1379636.php?xtmc=guisnel&xtcr=1

  • Mélanie

    Je souscris pleinement à cet article, et même le poursuis (assez sommairement) :

    S’il existe bien un acte terroriste fondateur, c’est celui qui a conduit tout un peuple de blancs composant la nation la plus puissante de la planète aller faire la guerre en Irak, un pays certes provocateur (mais riche en pétrole), sous couvert d’armes de destruction massives.

    Ce terrorisme en col blanc :
    - S’est alimenté des failles de la démocratie (comme les belliqueux régimes nazis de notre sombre passé)
    - Est passé outre les résolutions de l’ONU, alors même qu’il en est le plus important fondateur
    - A inventé le terme de « Frappe préventive », permettant soi-disant d’attaquer un pays AVANT même qu’il ne soit hostile (voilà bien une contorsion éthique peu commune)
    - A péremptoirement, à répétition de impunément utilisé le mensonge, en prétextant que se trouvaient sur place des « armes de destruction massives », ce qui a permis aux siennes de se déployer avec une ampleur inégalée
    - A inventé le terme de « frappe chirurgicale ». Terme n’indiquant pas si les perfusés concernés étaient bien ou non des « terroristes », les intéressés n’ayant jamais eu droit à la parole
    - Ne craint pas le ridicule, sachant que même sur le sol US la totalité des actes terroristes cumulés ne pas fait plus de morts que les morsures des chiens, les victimes de la grippe, les victimes de la foudre, et les victimes dues aux armes personnelles de la population.
    - Fait gratuitement une publicité démesurée à son pire ennemi, une stratégie forcenée qui décuple et rassemble les forces de son adversaire et de toutes ses composantes hétéroclites inconnues jusqu’alors, justifiant par là une poursuite de la répression par « la guerre contre le terrorisme », une guerre qui ne comporte en réalité aucune réelle ligne de front.

    Tout cela est désopilant, en plus d’être dramatiquement réel.

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