Les Talibans avaient mis Ben Laden à l’isolement dès 1998

Cet article paru l’an dernier sur le site CounterPunch nous apprend que les Talibans avaient dès 1998 adopté une attitude de méfiance vis-à-vis d’Oussama Ben Laden et l’avaient pour ainsi dire mis à l’isolement. En effet, échaudé par les affirmations des USA qui accusaient Ben Laden d’être derrière les attentats à la bombe contre les ambassades américaines au Kenya et en Tanzanie, le régime taliban lui avait adjoint 10 gardes du corps, avec interdiction pour le chef d’al-Qaïda de préparer des attaques contre des cibles américaines, ou de communiquer avec les médias sans le consentement du régime taliban.

Et donc, en plus de la difficulté technique évidente d’organiser depuis une grotte afghane des attentats de l’ampleur et de la complexité de ceux de Septembre 2001, s’est rajoutée celle de devoir le faire à l’insu des talibans qui le surveillaient de près.

 

 

L’ex-ennemi public numéro un des USA : Oussama Ben Laden

 


Les Talibans avaient isolé Ben Laden

par Gareth Porter sur CounterPunch, 12-14 février 2010

Gareth Porter est un journaliste et historien d’investigation chez Inter-Press Service, spécialisé dans la politique de sécurité nationale des États-Unis. L’édition de poche de son dernier livre, "Perils of Dominance: Imbalance of Power and the Road to War in Vietnam" a été publié en 2006.

Traduction Vincent pour ReOpenNews

De nouvelles preuves décrivent une relation difficile entre al-Qaïda et les Talibans

Des preuves aujourd’hui disponibles au travers de plusieurs sources, dont des documents récemment déclassifiés du Département d’État américain, montrent que le régime taliban dirigé par le mollah Mohammad Omar avait imposé un isolement absolu à Oussama Ben Laden après 1998 pour l’empêcher de fomenter tout complot à l’encontre des États-Unis.

Les preuves contredisent les affirmations lancées par les hauts représentants de l’administration de Barack Obama, selon lesquelles le mollah Omar avait contribué à l’implication d’Oussama Ben Laden dans le complot fomenté par al-Qaïda pour l’organisation des attaques terroristes du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis. Cela renforce également la crédibilité des déclarations des Talibans ces derniers mois affirmant n’avoir aucun intérêt en commun avec les grands objectifs djihadistes d’al-Qaïda.

Une des principales sources d’information concernant la relation qu’entretenaient Ben Laden et le mollah Omar avant le 11 Septembre, consiste en un compte-rendu détaillé et personnel, établi par le djihadiste égyptien Abu’l Walid al-Masri et publié en 1997 sur plusieurs sites Internet djihadistes de langue arabe. 

Al-Masri connaissait parfaitement le sujet puisqu’il avait travaillé en étroite collaboration avec Ben Laden et les Talibans durant cette période. Il fut membre de l’entourage arabe de Ben Laden en Afghanistan, et était plus intéressé à la cause afghane que ne le furent Ben Laden et les autres représentants d’al-Qaïda de 1998 à 2001.

Cependant, le premier rapport publié en langue anglaise sur les explications d’al-Masri est paru en janvier [2010, NdT] dans le CTC Sentinal, le journal du Combating Terrorism Center (CTC) basé à West Point, article écrit par Vahid Brown, membre de ce même CTC.

D’après le compte-rendu d’al-Masri, la décision du mollah Omar de permettre à Ben Laden de rester en Afghanistan fut assortie dès le départ de deux interdictions concernant ses activités : Ben Laden avait interdiction de communiquer avec les médias sans le consentement du régime taliban, et de préparer des attaques contre des cibles américaines.

L’ancien Premier ministre taliban Wakil Ahmed Muttawakil m’a confié lors d’une interview que le régime “avait envoyé Ben Laden à Kandahar afin de mieux le contrôler.” Kandahar est resté le siège politique des Talibans après la prise du pouvoir de l’organisation en 1996.

Les frappes de missiles de croisière américains en août 1998 sur des camps d’entraînement dirigés par Ben Laden en Afghanistan en représailles aux attentats à la bombe contre les deux ambassades américaines en Afrique orientale le 7 août 1998, semblent avoir eu un impact considérable sur le mollah Omar, ainsi que sur la politique du régime taliban vis-à-vis de Ben Laden.

Deux jours après les frappes, Omar a interrompu une conversation téléphonique entre un fonctionnaire du Département d’État et l’un de ses adjoints pour dire au responsable américain qu’il ne possédait aucune preuve que Ben Laden "avait engagé ou planifié des actes terroristes pendant qu’il se trouvait sur le territoire afghan". Le chef taliban a déclaré qu’il était "ouvert au dialogue" avec les États-Unis et a demandé des preuves de l’implication de Ben Laden, selon la dépêche du Département d’État rapportant la conversation.

Trois semaines seulement après qu’Omar ait demandé les preuves contre Ben Laden, le chef d’al-Qaïda a cherché à dissiper les suspicions des Talibans en feignant d’accepter l’interdiction faite par Omar de planifier des actions à l’encontre des États-Unis.

"Les Talibans pensent que nous ne devons pas lancer d’action contre une autre nation depuis l’Afghanistan," a déclaré Ben Laden dans une interview à Al Jazeera. "C’est la décision prise par le Chef des Croyants".

Le mollah Omar s’était attribué le titre de "Chef des Croyants" en avril 1996, cinq mois avant que Kaboul ne tombe aux mains des Talibans – ce terme fut utilisé autrefois par les Califes musulmans pour prétendre devenir ‘leader des musulmans’.

En septembre et octobre 1998, le régime taliban s’est positionné de manière à livrer Ben Laden au gouvernement saoudien, suite à un accord avec la Cour Suprême afghane le jugeant coupable des attentats contre les ambassades.

Selon le rapport du diplomate américain au Département d’État, lors d’une conversation avec le Chargé d’affaires américain à Islamabad le 28 novembre 1998, Wakil Ahmed Muttawakil, le porte-parole d’Omar et conseiller en chef des Affaires étrangères, a évoqué une précédente requête des Talibans adressée aux États-Unis pour obtenir les preuves de la culpabilité de Ben Laden, afin que celles-ci soient examinées par la Cour Suprême afghane.

Muttawakil a déclaré que les États-Unis avaient fourni "des documents et une vidéo", mais s’est plaint que la vidéo ne contenait rien de nouveau et, pour cette raison, n’avait pas été fournie à la Cour Suprême. Il a expliqué au Chargé d’affaires que la Cour avait statué qu’aucune des preuves présentées ne justifiait la condamnation de Ben Laden. 

Muttawakil a déclaré que l’approche du Tribunal de première instance n’avait "pas fonctionné", mais qu’il suggérait au régime taliban d’établir une stratégie afin de "restreindre les activités de Ben Laden d’une manière telle qu’il déciderait de se retirer de son plein gré."

Selon un article du New York Times du 4 mars 1999, les Talibans envoyèrent dès le 10 février 1999 un groupe de dix officiers pour remplacer les gardes du corps personnels de Ben Laden, déclenchant un échange de tirs. Trois jours plus tard, les gardes du corps travaillant pour le renseignement taliban et le personnel du Ministère des Affaires étrangères prirent le contrôle de la base de Ben Laden située près de Kandahar, emportant son téléphone satellite selon les sources américaines et talibanes citées par le Times.

Le responsable taliban Abdul Hakeem Mujahid, qui se trouvait alors à l’ambassade talibane au Pakistan, confirma que les dix gardes du corps talibans avaient été fournis à Ben Laden afin de "le surveiller et veiller à ce qu’il ne contacte aucun étranger ou n’utilise aucun système de communication en Afghanistan," selon l’article du Times.

La pression exercée sur Ben Laden en 1999 s’est encore accrue par des menaces pour supprimer les camps d’entraînement d’al-Qaïda en Afghanistan. Un mail de deux dirigeants djihadistes arabes envoyé à Ben Laden en juillet 1999, retrouvé plus tard sur un ordinateur portable ayant appartenu à al-Qaïda et acheté par le Wall Street Journal, parlait des "problèmes entre toi et le Chef des Croyants" comme d’une véritable "crise".

Cet email, repris par un article d’Alan Cullison dans The Atlantic en septembre 2004, indique que "des discussions sont en cours pour la fermeture des camps d’entraînement."

Le message suggérait même que les djihadistes craignaient que le régime taliban aille jusqu’à "les bouter" hors d’Afghanistan.

Face à cette nouvelle hostilité des Talibans, Ben Laden chercha à convaincre le mollah Omar qu’il lui avait prêté allégeance en tant que musulman. En avril 2001, Ben Laden évoqua publiquement cette allégeance faite au mollah Omar en tant que "Chef des Croyants".

Mais al-Masri rappelle [cependant] que Ben Laden avait refusé de prêter personnellement un tel serment d’allégeance à Omar en 1998-99, et avait demandé à al-Masri de prêter le serment d’allégeance à Omar à sa place. Al-Masri suggère que Ben Laden a délibérément évité de prêter personnellement serment à Omar, pour conserver la possibilité d’argumenter au sein de la communauté djihadiste sur le fait qu’il n’était pas tenu par les restrictions d’Omar dans ses activités.

De même, au cours de l’été 2001, et alors que la défense du régime taliban contre les avancées militaires de l’Alliance du Nord devenait de plus en plus dépendante des contingents de troupes djihadistes étrangers, y compris ceux arabes formés dans les camps de Ben Laden, le mollah Omar trouva une autre façon d’exprimer son mécontentement quant à la présence de Ben Laden [dans son pays].

Selon un article paru en octobre [2009] sur le blog de Leah Farrall – une spécialiste australienne sur la politique des djihadistes en Afghanistan -, après une série d’affrontements entre les forces d’al-Qaïda et celles du Mouvement islamique d’Ouzbékistan (IMU), le chef taliban intervint pour donner le contrôle total des contingents de volontaires étrangers à Tahir Yuldash de l’IMU.

Fin janvier, Geoff Morrell, le porte-parole du Secrétaire à la Défense Robert Gates, indiqua que les États-Unis ne pouvaient pas négocier avec le mollah Omar, car ce dernier portait "le sang de milliers d’Américains sur ses mains", laissant entendre qu’il avait sciemment autorisé Ben Laden à planifier les attaques du 11 Septembre.

Gareth Porter

CounterPunch, 12-14 février 2010

 

Traduction Vincent pour ReOpenNews


En lien avec cet article :

 


 

4 Responses to “Les Talibans avaient mis Ben Laden à l’isolement dès 1998”

  • neurone

    Info ou Intox ? dans la série des dossiers d’outre tombe de Ben Laden

    Petit article au passage … lu sur mécanopolis : si cela est vrai c’est du lourd !!! l’Hélicoptère US, abattu la semaine passée, avec un nombre de mort jamais atteint en un seul raid depuis les débuts du conflit, aurait eu pour passagers – tenez vous bien : Les Navy Seals qui ont abattu Oussama Ben Laden ! (Src Mécanopolis, mais sans doute rapporté par une agence de presse « main stream » : http://www.mecanopolis.org/?p=24011)

    La vérité vaincra Neurone,

    Autres sources : plus « main stream » : http://www.lexpress.fr/actualites/2/monde/l-helicoptere-americain-abattu-par-un-tir-taliban-selon-l-isaf_1019118.html

    http://www.lefigaro.fr/international/2011/08/06/01003-20110806ARTFIG00290-afghanistan-31-soldats-americains-tues-dans-un-crash.php

  • GeantVert

    @neurone
    Concernant l’hélicoptère US abattu par les talibans en Afghanistan, s’il est maintenant établi que la Team 6 des Navy Seals a effectivement perdu des hommes dans ce crash, il n’est pas du tout sûr que ces soldats soient les mêmes que ceux qui formaient le commando contre Ben Laden le 1er mai dernier.
    Voir par exemple cet article du Huffington Post, http://www.huffingtonpost.com/2011/08/08/afghanistan-helicopter-crash_n_920892.html
    dans lequel cela est expliqué.
    S’agissant de militaires, il sera de toute façon extrêmement difficile de vérifier ces infos, donc méfiance quant aux interprétations de ce crash faites par certains sites.

    Cdlt

    –GV

  • Gil

    les accidents d’hélicoptères sont pltôt rares… en fait les acteurs / tueurs de la dernière mascarade hollywoodienne viennent de disparaître… plus de témoins directs pour remettre en cause la VO!

  • René M

    @ Gil
    Certes si il en était ainsi (si c’était les mêmes) « en voilà qui ne risqueraient plus de bavarder »

    Mais paix à leur âmes les pauvres, quand même, plus victimes d’ailleurs des menées impérialistes de leur État bien qu’aussi participants acceptant de s’y engager et d’y participer .

    Mais comme le dit Géant Vert il ne faut pas extrapoler avant de savoir exactement ce qu’il en est. ce sera difficile justement de le savoir

    « Le sage n’avance rien, qu’il ne prouve » c’est je crois Confucius qui a produit cette maxime

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