Témoignage d’un ex-détenu de Guantanamo qui va porter plainte contre George W. Bush

Voici le témoignage saisissant de Saber Lahmar, un Algérien emmené en octobre 2001 à Guantanamo où il restera pendant huit années. Huit ans de calvaire, de tortures, de brimades, sans qu’on n’ait rien à lui faire avouer, lui qui ne sait rien. Il sera finalement  libéré faute de preuves en 2009 et ramené en France. Aujourd’hui il a trouvé la force de se révolter contre cette injustice, et témoigne dans cette interview donnée au quotidien Sud Ouest de sa volonté de porter plainte contre Bush pour détention abusive.

Nous présentons en guise de préambule la dépêche de l’AFP à propos de la plainte de Saber Lahmar contre l’ex-président américain.

 

Légende originale
© KEYSTONE-A | Saber Lahmar, originaire de Constantine,
a été arrêté le 18 octobre 2001 et placé à Guantanamo.

 


Un ex-détenu à Guantanamo portera plainte contre George W. Bush

publié par l’AFP, le 23 mai 2011

ETATS-UNIS | Après avoir passé huit au camp de Guantanamo, à Cuba, un Algérien de 42 ans compte porter plainte contre les autorités américaines et contre l’ancien président des Etats-Unis George W. Bush pour détention abusive.

Un Algérien de 42 ans, qui a passé huit ans au camp de Guantanamo à Cuba avant d’être libéré en 2009 et réside depuis dans la région bordelaise, va porter plainte contre les autorités américaines, notamment l’ancien président George W. Bush, pour détention abusive.

Saber Lahmar, originaire de Constantine, a été arrêté le 18 octobre 2001, après la fouille de la maison de Sarajevo où il résidait avec sa femme bosnienne et son fils de deux ans. Il enseignait alors l’arabe dans un centre culturel islamiste financé par l’Arabie Saoudite. A sa sortie de trois mois en détention préventive, des "voitures américaines" l’attendaient, a-t-il raconté lundi, confirmant son histoire relatée par le quotidien français Sud-Ouest. Sans explication, il était emmené à Guantanamo.

Suivent huit ans "d’une vie d’animal", selon lui, dans une cellule en métal de 2 X 1,5 mètre, émaillée de "tortures étudiées selon des programmes validés par les responsables politiques américains" : pauses de 18 heures sur un siège très bas sans dossier, privation de sommeil, électricité, simulation de noyade…

Il aurait "aimé avoir quelque chose à avouer, mais il n’avait rien, et souhaité comprendre ce qu’ils cherchaient, mais eux-mêmes ne semblaient pas le savoir". Aujourd’hui il "voudrait que les Américains s’appliquent à eux-mêmes le respect du droit qu’ils exigent des autres".

Oublié dans le camp

Finalement, le 20 novembre 2008, le juge du district de Columbia Richard J. Leon le libère avec quatre autres hommes, faute de preuve qu’ils voulaient "se rendre en Afghanistan pour combattre les forces américaines et alliées", hypothétique projet, unique motif de leur détention. M. Lahmar reste cependant encore neuf mois, comme oublié dans le camp.

Au terme d’un accord franco-américain, M. Lahmar, qui a eu entre-temps en Bosnie une fillette qu’il n’a jamais vue, arrive à Bordeaux. Il est aujourd’hui sans travail et "complètement dans le brouillard" quant à sa situation juridique, se demandant si la France "ne s’est pas contentée de prendre l’argent des Américains" sans plus se préoccuper de lui.

Son avocat bordelais Me Pierre Blazy, qui s’occupe de la plainte, a souligné "le préjudice énorme et incontestable" subi pendant huit ans par cet homme "qui a tout perdu".

Dépêche de l’AFP, repris par 24Heures, le 23 mai 2011

 


A Bordeaux, le détenu de Guantanamo

paru dans Sud Ouest, le 23 mai 2011

[TEMOIGNAGE] Saber Lahmar vit depuis un an et demi en région bordelaise. Arrêté fin 2001 en Bosnie, il a passé huit ans dans la prison militaire américaine.

(PHOTO FABIEN COTTEREAU : C’est sur la foi d’un unique témoignage anonyme que Saber Lahmar a passé huit ans à Guantánamo)

Quand il a été arrêté, en octobre 2001 à Sarajevo, Saber Lahmar avait 32 ans. Cet Algérien né à Constantine habitait depuis cinq ans la capitale bosnienne. Il enseignait l’arabe dans un centre islamique privé, dirigé par le prince Salman, gouverneur de Riyad et membre de la famille royale saoudienne. Saber avait obtenu à l’université de sa ville un diplôme en sciences islamiques au milieu des années 1990.

Désireux, selon ses dires, de parfaire ses connaissances théologiques, l’homme est parti pour Médine, ville sainte d’Arabie saoudite et siège d’une université musulmane, où il a décroché en 1996 un diplôme de niveau plus élevé. Il est alors parti pour la Bosnie en qualité d’enseignant.

Action contre le gouvernement

Arrêté après les attentats du 11 Septembre, emprisonné préventivement par la justice bosnienne puis libéré, Saber Lahmar a été aussitôt interpellé par les militaires américains présents en Bosnie et conduit à la prison de Guantánamo (lire ci-dessous).

Au bout de huit ans de détention, il a été blanchi par la justice américaine, puis, en décembre 2009, exfiltré en France, où il est hébergé depuis dans la région bordelaise. Il tente désormais de reconstruire sa vie et d’obtenir réparation des graves préjudices physiques et moraux qu’il a subis. Un avocat bordelais, Me Pierre Blazy, l’assiste dans cette tâche. « Nous allons adresser très prochainement une assignation à l’ambassade des États-Unis », précise le juriste, qui va ainsi « intenter une action contre le gouvernement américain pour arrestation illégale ».

Pourquoi Saber Lahmar, dont la justice américaine a fini par reconnaître l’innocence, a-t-il été soupçonné et détenu sans preuves dans la prison symbole des excès de la lutte antiterroriste ?

Le fait d’avoir quitté l’Algérie au plus fort de la guerre civile opposant militaires et islamistes interpelle. Était-il candidat au djihad ? « Son profil me fait penser qu’il a été emporté dans le même tourbillon que bien des jeunes Algériens de sa génération et que le motif avoué de son départ pour l’Arabie saoudite peut avoir caché une fuite », décrypte Mathieu Guidère, spécialiste du terrorisme.

Traque tous azimuts

Alors que le royaume des Saoud, qui venait de déchoir Ben Laden de sa nationalité, était lancé dans une offensive d’islamisation pointée aussi vers la Bosnie musulmane, l’engagement d’un Saber Lahmar pour enseigner l’arabe et l’islam à des Bosniaques était-il l’amorce d’un parcours djihadiste ? Son cas a de toute façon interpellé les Américains, lancés à l’époque dans la traque tous azimuts de terroristes réels ou supposés. Et Saber Lahmar a plongé dans l’enfer de « Gitmo ».

>> De retour de Guantanamo

Son Arrivée en France. « On m’a proposé de me renvoyer en Algérie ou en Bosnie, mais j’avais trop peur de retourner en prison. La France ? J’ai dit oui. L’ambassadeur à Washington est venu me voir deux fois. Il m’a dit de ne pas faire de demande d’asile, mais d’hébergement. Il m’a dit que le gouvernement américain versait de l’argent pour moi et m’a promis que j’aurais des papiers, un logement. »

Son installation à Bordeaux. « J’habite depuis fin 2009 un appartement dont le loyer est payé par une association d’aide aux demandeurs d’asile, qui me verse aussi une allocation mensuelle. Quand mon premier titre de séjour a expiré, j’ai vécu quatre mois en clandestin avant d’en avoir un autre, de six mois renouvelable. Je ne peux travailler ni conduire, car la préfecture dit que mon permis "n’a pas été renouvelé en Bosnie". »

 

* * *   Interview : "Ils cherchaient à nous rendre fous"   * * *

 

« Sud Ouest ». Quel genre de vie meniez-vous en Bosnie ?

Saber Lahmar. Une vie rangée. J’ai épousé une femme bosniaque dont j’ai eu un garçon, Moad, qui a 12 ans aujourd’hui, et une fille, Sara, 10 ans, que je n’ai jamais vue. Je m’occupais de la bibliothèque du centre et j’y passais du temps. Je sortais peu, allant la plupart du temps de la maison à mon travail et vice versa. Et plus encore après les attentats du 11 Septembre.

Vous pensiez qu’on pouvait vous accuser d’être un islamiste ?

Non. Mais je savais que, dans un contexte si brûlant, il valait mieux être discret. En octobre 2001, la police bosnienne a débarqué chez moi à 20 heures. Ils ont fouillé ma maison jusqu’à 2 heures du matin. Après avoir vérifié ma voiture, ils m’ont amené au commissariat, où j’ai été soumis à un long interrogatoire.

Il y avait des charges contre vous ?

Non. Le commissaire avait des « ordres ». Quand on a pris mes empreintes digitales, j’ai tiqué car le formulaire était visiblement américain. J’ai fait trois mois de détention préventive, et le juge a reconnu n’avoir aucune raison de me garder. Je pensais rentrer à la maison. Mais, à la porte de la prison, des policiers bosniens et des militaires américains m’ont interpellé. J’ai été emmené à la base américaine de l’aéroport de Sarajevo. On m’a encagoulé, passé les menottes aux mains et aux pieds, et je suis resté trois jours attaché au sol et frappé par les soldats. Puis on m’a passé une combinaison orange et embarqué en hélicoptère pour la base de Tuzla, puis vers une base en Turquie.

Vous aviez une idée de l’endroit où on vous a emmené ensuite ?

Non. C’était le 20 janvier 2002, je n’avais jamais entendu parler de Guantánamo. L’avion transportait des prisonniers depuis Kandahar (Afghanistan). À l’arrivée, on m’a enfermé dans une cellule de 2 mètres sur 1,5, éclairée en permanence par trois lampes. Je ne savais pas que j’allais là rester huit ans.

Vous a-t-on dit les raisons de votre incarcération ?

J’ai été interrogé par tous les services – FBI, CIA, sécurité militaire – et ils me disaient que j’étais là pour donner des informations. Ils n’avaient pas l’air de bien savoir ce qu’ils cherchaient. Il y avait un interrogatoire tous les vingt jours.

Avez-vous été torturé ?

Ils m’ont torturé à l’électricité (il montre une cicatrice au mollet gauche), plongé comme dans un puits pour simuler la noyade, fait asseoir des heures sur une petite chaise en fer sans dossier. En cellule, ils nous empêchaient de dormir et cherchaient à nous rendre fous par un vacarme assourdissant, des bruits d’aspirateurs, de la musique à fond, des hurlements porno. Le bruit ne s’arrêtait que lors des visites d’envoyés de la Croix-Rouge. C’était très dur.

Quelle était votre vie en cellule ?

La cellule métallique était nue. Ni lit ni robinet, rien. Il y faisait toujours chaud comme dans un four. Parfois encore, je sens de l’électricité me passer dans le corps. Pendant ces huit ans, j’ai passé vingt-sept mois sans sortir. Ma peau était devenue d’une blancheur cadavérique. Je voyais le gardien trois fois par jour. On nous donnait à manger du riz blanc presque cru, une pomme. On restait des jours entiers les coudes sur les genoux et la tête droite, sans bouger. J’ai aussi passé seize mois au « camp five », le plus dur, dans une cellule aveugle. Je n’avais plus de notion du temps.

Comment avez-vous supporté ?

Par la volonté de Dieu. Il n’y avait rien à faire. Si vous demandiez de quoi lire, le gardien vous répondait : « Vous n’êtes pas au Sheraton. » Se suicider était impossible. Dans ces cas-là, on se raconte des histoires, des souvenirs, on prie. Certains criaient ou riaient durant des heures, les gardiens n’y faisaient plus attention.

Quand avez-vous été libéré ?

En décembre 2009. Celui qui m’a relaxé et fait libérer, c’est Richard J. Leon, juge fédéral à la cour d’appel du district de Columbia, qui avait pourtant été nommé en 2001 par le président Bush. Le jugement, dont j’ai copie, dit que la « pétition de M. Lahmar pour l’habeas corpus est accordée ». Mon dossier, de 557 pages, était basé sur une source anonyme unique. Comme un agent du FBI me l’avait dit, le juge a estimé qu’il était vide. Il a balayé le soupçon de complot contre l’ambassade US à Sarajevo. On m’accusait aussi d’avoir cherché à obtenir un visa pour l’Afghanistan, alors qu’il n’y a ni ambassade, ni consulat afghan en Bosnie.

Avez-vous essayé de retourner en Bosnie, où vit votre famille ?

Non. Je suis sans nouvelles de ma famille, mais je sais que ma femme, qui a subi beaucoup de pressions, a demandé le divorce.

 

Sud Ouest | 23.05.2011


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3 Responses to “Témoignage d’un ex-détenu de Guantanamo qui va porter plainte contre George W. Bush”

  • nosferatus

    Témoignage édifiant , qui m’a mit au bord des larmes.

    Je voudrais témoigner tout mon soutien à mr Saber Lahmar et je l’encourage dans sa démarche à poursuivre le gouvernement américain, et même à étendre la porté de sa plainte contre tout le gouvernement US de l’époque.

    des fois que ces messieurs aient peur de venir en France, comme bush d’aller en suisse, cela ne pourrais qu’empêcher une contamination.

    A tout les journalistes français à qui il reste du courage , DONNEZ une tribune à ce monsieur dans vos merdias, soyez honnêtes.

    Notamment vous ! à @si qui vous gaussez de faire du vrai journalisme (à raison ,d’accord).

    Notamment vous ! ceux du service publique, à qui il reste encore quelques protections contre la censure.

    Et vous ! les organes de presses à qui il reste des couilles, montrez les !!!

  • Doume

    Bonjour.

    En quoi la dépêche de l’AFP est-elle sibylline ?

  • GeantVert

    En effet, ce n’est pas le bon qualificatif, la dépêche est assez fournie. J’ai corrigé.
    Tx
    –GV

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