Barack Obama accusé d’exagérer la menace terroriste pour des objectifs politiques

Dans cet article paru la semaine dernière dans le quotidien britannique The Guardian, un diplomate pakistanais remet ouvertement en cause les récentes alertes au terrorisme faites par les Etats-Unis. Mr Wajid Shamsul Hasan y dénonce une manoeuvre politique  "intérieure" à l’approche des élections de mi-mandat prévues en novembre aux USA, et aussi une campagne de propagande destinée à masquer les opérations de guerre en cours au Pakistan, essentiellement par drones interposés, et qui pourraient préfigurer des attaques et des bombardements de plus grande envergure dans cette zone. Le scepticisme quant à la véracité de ces menaces s’étend d’ailleurs à certains services de renseignement européens ainsi qu’à de hauts responsables politiques, comme le ministre de l’Intérieur allemand qui déclare ne percevoir "aucun signe d’une attaque imminente contre son pays".

 

Contrôles de police à la Gare du Nord, consécutifs aux alertes terroristes signalées par les USA. Photo: Franck Prevel/Getty Images

 


 

Un diplomate pakistanais critique sévèrement la Maison Blanche

par Simon Tisdall et Richard Norton-Taylor, The Guardian, 7 octobre 2010

 

Un diplomate pakistanais critique sévèrement la Maison Blanche
Les services de renseignement européens affirment que l’élévation du niveau d’alerte terroriste est « absurde »

De hauts officiels pakistanais et des services de renseignement européens nous ont déclaré que   l’alerte au terrorisme déclenchée cette semaine par les Etats-Unis et relative à des complots d’al-Qaida qui viseraient des cibles en Europe de l’Ouest était une décision purement politique et n’était basée sur aucune information nouvelle et crédible.

Wajid Shamsul Hasan, le haut commissaire [pakistanais] auprès de la Grande-Bretagne, a déclaré que la nature imprécise de la mise en garde américaine n’a pas empêché la Grande-Bretagne, la France et d’autres pays de relever leurs niveaux d’alerte terroriste à l’étranger, et ne constituait qu’une tentative pour justifier la récente escalade des attaques américaines par drones et hélicoptères à l’intérieur du Pakistan, attaques qui ont « mis le pays à feu et à sang ».

Hasan, un diplomate vétéran proche du président pakistanais, a laissé entendre que l’administration Obama cherchait à instrumentaliser la menace terroriste  en vue des prochaines élections législatives à mi-mandat où on s’attend à une forte avancée des Républicains.

Il a aussi affirmé que le Président Obama tentait ainsi de démontrer que sa stratégie adoptée dans la guerre en Afghanistan ainsi que l’augmentation du nombre de troupes en cours d’année, deux mesures impopulaires auprès de l’opinion publique américaine, étaient indispensables.

« Je pense qu’il peut y avoir une dynamique de politique intérieure en jeu, dont les prochaines élections américaines à mi-mandat. Si les Américains ont des informations précises sur les terroristes et al-Qaida, ils doivent nous les communiquer et nous irons nous-mêmes les pourchasser » a dit Hasan.

« De telles annonces sont le résultat d’un mélange de frustration, d’incompétence et d’absence de connaissance des réalités du terrain. Toute tentative de violation de la souveraineté du Pakistan n’apportera aucune stabilité en Afghanistan, ce qui est l’objectif principal annoncé par les forces américaines et de l’OTAN. »

Tout en rejetant l’idée d’un complot terroriste coordonné en Grande-Bretagne, France et Allemagne, les officiels du renseignement européen ont eux aussi montré du doigt les Etats-Unis et plus particulièrement la Maison Blanche. « Bricoler (une telle histoire de complot terroriste) à partir de données éparses est absurde, » a déclaré un officiel haut placé.

Un Britannique, Abdul Jabbar, et d’autres personnes tuées lors d’une frappe américaine par drone le 8 septembre au nord Waziristan, une zone tribale pakistanaise, ont été entendus en train de discuter de la possibilité d’attaques « commando » contre des bâtiments symboliques et des sites touristiques dans les capitales européennes. Mais des officiels de la sécurité et du renseignement ont dit qu’il ne s’agissait que de vagues projets.

Les officiels ne nient pas que les hommes, et autres recrues djihadistes qui se rendent dans les zones tribales pour y recevoir un endoctrinement et une formation, représentent une véritable menace potentielle. « Là-bas on discute de tout un tas de choses – ça ne veut pas dire pour autant qu’il en sort quelque chose de concret. Ce n’est pas facile de former un groupe » a dit un responsable de l’antiterrorisme.

En soulignant le fait que les frappes américaines étaient de nature préventive et ne constituaient en aucun cas une riposte à une menace imminente, les responsables européens ont soulevé une nouvelle série de questions – cette fois concernant directement un citoyen britannique – sur la légalité de telles attaques qui devraient être considérées comme des assassinats.

Ils ont déclaré que c’était Washington qui « pilotait » les annonces sur les complots d’attaques « commando » et que la CIA – peut-être soucieuse de ne pas attirer l’attention sur ses frappes aériennes -  était extrêmement contrariée par toute cette publicité.

Les complots, connus depuis des mois par les services de renseignement européens, ont fait l’objet de fuites la semaine dernière auprès des médias américains.

Ces fuites ont provoqué dans les médias britanniques toute une série de ce que les officiels de la sécurité et du renseignement ont qualifié d’exagérations, ainsi qu’une mise en garde du Département d’Etat des Etats-Unis auprès des ressortissants américains voyageant en Grande-Bretagne, France et Allemagne, une alerte « oeil pour oeil » de la France auprès de ses ressortissants voyageant en Grande-Bretagne, et des alertes diffusées par les gouvernements suédois et japonais.

Thomas de Maizière, le ministre de l’Intérieur allemand, a publiquement exprimé ses doutes sur l’alerte terroriste US, en déclarant qu’il ne percevait aucun signe d’une attaque imminente contre son pays. Il a qualifié le risque encouru en Allemagne d’ « hypothétique ».

Hasan a dit que l’augmentation nette des attaques US par drones dans les zones tribales du Pakistan, combinées à plusieurs raids américains par hélicoptères par-delà la frontière qui se sont conclus par la mort de deux gardes-frontières la semaine dernière, étaient en train de déstabiliser le Pakistan.

« Pourquoi nous mettent-ils tant de pression ? C’est une menace pour le système démocratique… Mais les Pakistanais ont le sentiment que Washington s’en fiche. » Les actions américaines sont « à l’évidence » liées à la décision prise par Obama d’établir un plan de retrait d’Afghanistan. Le dirigeant américain « s’est précipité sur un coup de tête » et à présent « les Américains sont pressés »

Il a dit que le Pakistan craignait de plus en plus que les Etats-Unis n’aient l’intention de mener une véritable campagne de bombardements et d’attaques par drones dans le nord Waziristan.

Hasan a dit que les politiciens à Washington ne comprennent pas à quel point les Etats-Unis ont besoin du Pakistan pour leur « guerre contre le terrorisme ». Et qu’ils ne comprennent pas non plus que la colère de l’opinion publique (pakistanaise) au sujet des violations de la souveraineté du Pakistan par les Etats-Unis pouvait dégénérer en attaques contre le personnel et les intérêts américains qui pourraient échapper au contrôle du gouvernement.

« Le gouvernement souhaite éviter une telle évolution, » a-t-il dit. « Mais les gens se sentent trompés. Si (les Américains) tuent encore, ils vont réagir. On dit qu’il y a 3000 Américains au Pakistan. Ils seraient des cibles très faciles. »

Hasan a dit que le personnel américain de la base aérienne pakistanaise de Jacobabad, à la frontière entre les provinces de Sindh et de Baloutchistan, serait vulnérable si la situation devait se détériorer. Les Etats-Unis ont demandé d’utiliser Jacobabad après les attaques du 11 septembre 2001 et ont un contingent stationné là-bas depuis.

Un autre diplomate pakistanais a dit que Jacobabad était le centre principal des opérations de la CIA et des drones de l’armée US, qui sont pilotés depuis les Etats-Unis. « Ils ont des hangars ici. C’est d’ici qu’ils décollent et c’est ici qu’ils atterrissent. »

Le diplomate a laissé entendre que les opérations par drones, qui ont commencé en juin 2004 avec l’accord et la participation tacites et réticents des autorités pakistanaises, échappent désormais à tout contrôle des Pakistanais. « Nous l’avons toujours nié dans le passé. Mais tout le monde le sait. Nous devons nous réveiller. » a-t-il dit.

Un responsable américain a déclaré « nos alliés ont été informés sur la nature de la menace et sur les renseignements à l’origine des alertes lancées et tout le monde comprend bien qu’on ne peut pas prendre ça à la légère. Il est faux et irresponsable de parler de motivations politiques. »

 

Simon Tisdall et Richard Norton-Taylor

The Guardian, 7 octobre 2010

 

Traduction VD pour le Grand Soir et ReOpen911



 

En lien avec cet article :

  • 5 oct. | Thomas Cantaloube, Mediapart | "Menace terroriste et crise politique, le précédent George Bush"
  • 31 août | PsychologyToday | "Une étude des messages échangés le 11/9 montre que les attaques n’ont pas suscité la terreur, mais plutôt la colère"
  • 17 sept. | ReOpenNews |  "Terrorisme fabriqué : les explications d’Elias Davidsson"
  • 6 sept. | Arte.fr | ARTE diffuse (enfin) le film « Marchands d’Anthrax »
  • 22 juil | Washington Post | Top Secret America : une vaste enquête du Washington Post sur l’Amérique post-11 septembre
  • 22 mars | Jean-Luc Douin, Le Monde | "The Power of Nightmares, ou comment fabriquer des cauchemars"
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