Mediapart : Menace terroriste et crise politique, le précédent George Bush

Les signes s’accumulent actuellement : d’abord l’apparition d’un nouveau message de Ben Laden il y a quelques jours, puis la mise en garde par les USA, la Grande-Bretagne, le Japon et l’Australie envers leurs ressortissants voyageant ou résidant en Europe, ou encore le "niveau d’alerte 3" maintenu en France à grand renfort d’émissions télé et d’articles dans les journaux; et surtout les nouvelles quotidiennes à propos des sept otages toujours détenus par "al-Qaida au Maghreb islamique". Chacun peut légitimement se demander ce qui peut bien être à l’origine d’une telle poussée de menaces terroristes.  Les informations des services de renseignements semblent si précises qu’une liste de bâtiments a même été diffusée, incluant la Tour Eiffel ou la Gare Centrale de Berlin. Pourtant, de façon assez étrange, peu de Français semblent réellement se préoccuper de ces mises en garde récurrentes et y voient plutôt une stratégie de diversion. C’est comme s’ils disaient au gouvernement et aux médias : "Nous ne sommes pas dupes !".

Le passé récent est en cela riche d’enseignements :  comme l’analyse ci-dessous Thomas Cantaloube sur Médiapart,  cette "arme" de la menace terroriste a été utilisée efficacement au 20e siècle, et jusqu’à très récemment,  par l’administration Bush après 2001. Les chiffres montrent que plus le peuple est apeuré (ou en colère contre les "terroristes"), plus les leaders sont populaires.  Mais bien sûr,  ça c’était sous l’ère Bush, ce n’est pas la même chose avec Obama. Ni avec Sarkozy ! Qui pourrait croire que nos gouvernants actuels s’abaissent à de telles pratiques pour détourner l’attention du peuple dans une période pré-électorale ou de difficultés dues à une forte contestation sociale ? Car après tout, l’État est quand même bien là pour nous protéger, n’est-ce pas ?

 

La Tour Eifffel figurerait parmi les objectifs des terroristes

 


Menace terroriste et crise politique : le précédent George Bush

27 septembre 2010, Thomas Cantaloube, Mediapart

Tous les responsables de l’anti-terrorisme s’accordent pour considérer leur travail comme l’un des plus ingrats qui existe. Soit ils le font bien, en démantelant des réseaux et en prévenant les attentats avant leur exécution et, du fait de la nature secrète de leur tâche, personne ne l’apprend jamais. Soit une bombe explose et leur compétence est alors remise en cause.

C’est en partie pour éviter ce second écueil que les services d’espionnage et de police, à l’instar de leurs patrons dans les ministères, communiquent occasionnellement sur les menaces terroristes qu’ils pressentent, ou qu’ils déjouent. Cette technique de la semi-transparence (ponctuelle et partielle) est une forme d’assurance-vie pour ces responsables. Si un attentat survient, ils peuvent dire : « Nous l’avions vu venir, nous avons alerté, nous avons tout fait pour l’éviter. » Si rien ne se passe, il peuvent plaider: « Nos mises en garde et notre mobilisation ont porté leurs fruits. »

Voilà pour la théorie. Seulement, ces annonces, et leur justification officielle au nom de la responsabilisation des citoyens, ne sont acceptables – et ne fonctionnent – que lorsqu’elles émanent d’un gouvernement et de hauts fonctionnaires dignes de confiance. C’est pourquoi les récents coups de clairons sonnés par le ministre de l’Intérieur Brice Hortefeux, le patron de la DCRI, Bernard Squarcini, ou le directeur général de la police nationale, Frédéric Péchenard, sont plus que suspects. Tous les trois sont des «hommes du président», des proches de Nicolas Sarkozy qui, cela n’a échappé à personne, traverse une mauvaise passe vis-à-vis de l’opinion publique. Il n’existe en effet rien de mieux que l’annonce d’une menace terroriste pour détourner l’attention, selon le bon vieux principe de l’escroc qui crie «Au feu!» dans un restaurant bondé afin de partir sans payer l’addition.

Il est d’ailleurs assez remarquable de noter que ces annonces à répétition depuis quinze jours ont davantage suscité de la dérision, de la suspicion ou de la rébellion que de l’inquiétude. Pourquoi un gouvernement qui n’hésite pas à stigmatiser une population entière en difficulté – les Roms – afin de mordre sur l’électorat d’extrême droite; pourquoi un gouvernement qui présente comme de dangereux terroristes une bande d’intello-anarchistes appréhendés au terme d’une enquête bâclée (Tarnac); pourquoi un gouvernement impopulaire qui cherche à faire oublier les casseroles qu’il a aux fesses ne chercherait pas à instrumentaliser la menace terroriste à son profit?

Plutôt que de répondre à cette question, examinons un précédent quasi-similaire, dans une démocratie proche, avec une présidence idéologiquement semblable. Entre 2002 et 2005, George W. Bush et son équipe ont utilisé la peur du terrorisme comme moyen de détourner l’attention des Américains. Détourner leur attention des erreurs commises dans la lutte contre le terrorisme avant les attentats du 11 septembre 2001, détourner leur attention des politiques répressives mises en place dans la foulée (le Patriot Act), détourner leur attention des mensonges proférés pour justifier l’invasion de l’Irak et l’échec annoncé de cette guerre, détourner leur attention d’un président de moins en moins populaire qui risquait de ne pas être réélu.

«S’agissait-il de sécurité ou de politique ?»

La technique était relativement simple. À chaque mauvaise nouvelle susceptible d’endommager la popularité de Bush, répondaient, quelques jours plus tard, la révélation d’un complot avorté, une arrestation de présumés terroristes, ou la montée d’un cran de l’échelle de vigilance terroriste (illustration ci-contre). Le présentateur et éditorialiste de la chaîne d’information MSNBC, Keith Olbermann, a rassemblé ces récurrences dans un mini-documentaire qu’il a intitulé « le croisement de la politique et de la terreur ». L’enchaînement est frappant:

La presse révèle l’existence d’un mémo d’août 2001 annonçant «Ben Laden déterminé à frapper les États-Unis»; deux jours plus tard, le directeur du FBI explique qu’un nouvel attentat est «inévitable», et le Département de la sécurité intérieure fait état de menaces contre les trains, la statue de la Liberté et le pont de Brooklyn.

Le 30 mai 2004, le chef des inspecteurs sur les armes de destruction massive en Irak annonce qu’il n’a rien trouvé, le lendemain, quatre employés de la firme de mercenaires Blackwater sont assassinés à Falloujah; le 2 avril, le Département de la sécurité intérieure annonce que des terroristes sont prêts à commettre des attentats dans des bus et des trains en utilisant de l’engrais, comme lors de l’attentat d’Oklahoma City.

Le 29 juillet 2004, les démocrates choisissent John Kerry pour être leur candidat à la présidence, ils font un bond dans les sondages. Trois jours plus tard, le niveau d’alerte est élevé pour New York et Washington. Il sera révélé par la suite que les informations ayant conduit à cette alerte sont périmées depuis quatre ans.

Et ainsi de suite, Olbermann, relevant treize occurrences en trois ans de « coïncidences qui n’en sont pas vraiment » (voir vidéo ci-dessous).

Keith Olbermann: The Nexus of Politics and Terror

À l’époque, seuls une poignée de médias de gauche et quelques humoristes osent clamer que «le roi est nu». Dans un pays traumatisé par le 11 septembre 2001, engagé dans deux guerres, et qui n’a pas encore découvert l’étendue des manipulations de la Maison Blanche, il n’est pas aisé de proclamer que le président et son équipe exagèrent la menace terroriste afin de gouverner par la peur. Car, il y a toujours, dans un coin des esprits, un petit doute: « Et s’ils avaient raison ? »

Pourtant, en 2005, le centriste Tom Ridge, secrétaire du département de la Homeland Security entre 2002 et 2004 (l’équivalent du ministre de l’Intérieur français), expliquera : « La plupart du temps, nous (le ministère) n’étions pas favorables à l’élévation du niveau d’alerte. Parfois, nous n’étions pas d’accord avec les renseignements recueillis. Parfois, nous pensions que, même si les renseignements étaient valides, il n’était pas nécessaire de mettre le pays en alerte. Mais, bien souvent, certains (au gouvernement) étaient vraiment agressifs dans leur volonté d’élever le niveau d’alerte. » Quatre ans plus tard, dans ses mémoires, il confiera avoir subi des pressions de la part de la Maison Blanche afin d’élever le niveau d’alerte terroriste quelques jours avant les élections présidentielles de 2004, dans la foulée de la diffusion d’une cassette audio d’Oussama ben Laden : « Il n’y avait absolument personne pour défendre cette option au sein de mon département. Personne. Alors, je ne pouvais que m’interroger: s’agissait-il de sécurité ou de politique? »

En 2004, le sociologue américain Robb Willer apportera un éclairage scientifique documenté sur cette question dans la très sérieuse revue Current research in social psychology: à chaque annonce gouvernementale d’une menace terroriste entre 2001 et 2004, il observe une légère progression de la cote de popularité du président dans les sondages. Prudent, il conclut: « Le fait que le président profite politiquement des avertissements du gouvernement en matière de terrorisme ne signifie pas forcément qu’il les utilise dans ce but. Mais mon étude montre que les questions de sécurité sont potentiellement une arme dangereuse, qui peut aisément être utilisée pour des objectifs politiques. »

Ce qui s’est passé aux États-Unis durant cette période n’est que cela: un exemple. Il illustre néanmoins ce qui se passe quand un gouvernement peu digne de confiance abuse de celle de ses concitoyens dans un contexte de difficulté politique.

Thomas Cantaloube le 27 septembre 2010, sur Mediapart


En lien avec cet article :

  • 31 août | PsychologyToday | "Une étude des messages échangés le 11/9 montre que les attaques n’ont pas suscité la terreur, mais plutôt la colère"
  • 17 sept. | ReOpenNews |  "Terrorisme fabriqué : les explications d’Elias Davidsson"
  • 6 sept. | Arte.fr | ARTE diffuse (enfin) le film « Marchands d’Anthrax »
  • 22 juil | Washington Post | Top Secret America : une vaste enquête du Washington Post sur l’Amérique post-11 septembre
  • 22 mars | Jean-Luc Douin, Le Monde | "The Power of Nightmares, ou comment fabriquer des cauchemars"
  • 19 mars | Saïd Branine, Oumma.com | "Alain Chouet : La Qaïda est morte dans les trous à rats de Tora Bora en 2002"

5 Responses to “Mediapart : Menace terroriste et crise politique, le précédent George Bush”

  • f6

    Il est plaisant de voir les journalistes de Mediapart disserter sur l’instrumentalisation du terrorisme,

    Mais nous attendons toujours leur enquête sur le 11 Septembre.avec un état des lieux exhaustif de la controverse en place public.

  • JM

    Est il étonnant que des menaces terroristes se manifestent dans des pays en proie à la grogne sociale ? Le terrorisme est un excellent moyen de remplacer la grogne sociale par la peur…Les derniers attentats de Londres ont mis un terme a de grosses manifs anti G8…Un des objectifs possibles du terrorisme c’est le contrôle social… L’autre objectif possible, c’est le déclenchement d’une guerre. Il est important de rester vigilant …

  • Ephrael

    En même temps, faut-il être aveugle pour ne pas se rendre compte qu’il s’agit la d’une vaste instrumentalisation qui va conduire à une perte total de crédibilité du gouvernement et ca je l’attend avec impatience !

    L’espoir perdure, les gens ne sont pas si dupes que le croivent les puissants !

  • max

    Definition du terrorisme par l’encyclopedie, a une epoque ou le 11 septembre n’existe pas!

    Terrorisme : regime de terreur instaure par un gouvernement.

    faut il en dire plus?

  • baboune lausanne

    En fait,… Sarko et Brice, ils nous disent quoi ?
    « Attention, Mesdames, Messieurs, il risque d’y avoir un attentat » …ou du terrorisme d’état ?
    Du coup,…Le Brice y serait pas en train de dire « Attention Mesdames, Messieurs, on va en tuer quelques uns parmi vous,… faites gaffe, parce qu’on zigouille qui c’est qui qu’on veut ! ».
    « M’enfin quoi,…. on va leur faire taire leurs contestations sociales ! »
    Bref,… tout ceci, entre autres, en référence à l’ouvrage de Daniele Ganser.

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