Wikileaks : Entre inculpation suédoise et révélations irakiennes

Alors que le fondateur de Wikileaks Julian Assange pourrait bien faire l’objet d’un mandat d’arrêt international suite à son inculpation pour viol par la justice suédoise, le site Web – épisodiquement injoignable depuis quelques semaines – s’apprêterait à faire de nouvelles révélations vendredi 26 novembre sous la forme de 400.000 documents "classifiés". Mais que nous ont appris exactement les 77.000 publiés récemment par ce même site sur l’Irak ? D’après le journaliste Kamil Jahdi, dans son article que nous relayons ici, ils ne dévoileraient qu’une faible partie de l’horreur qui a suivi l’invasion de l’Irak par les troupes américaines et britanniques en 2003.
Ces documents à venir dévoileront-ils autre chose que les abominations quotidiennes subies par les Irakiens depuis 7 ans maintenant ? Certains contiendront-ils tout ou partie des 28 pages censurées du rapport de la Commission d’enquête sur le 11/9, comme souhaité par l’analyste américain Daniel Ellsberg, et qui traiteraient de "la préconnaissance ou de l’implication de gouvernements étrangers dans les événements du 11/9" ? Rien n’est moins sûr.

A propos de cette guerre d’Irak, il est important de garder à l’esprit que l’idée d’envahir l’Irak fut discutée lors de la première réunion de l’Administration Bush en janvier 2001, huit mois avant le 11-septembre. Nous savons aussi que malgré toute la propagande post-11 septembre aux USA, à l’ONU et en Grande-Bretagne, aucune arme de destruction massive ni aucun lien avec les attentats du 11-Septembre n’a jamais été établi. Pire, il est désormais admis que les justifications de cette invasion étaient fausses, et que leurs auteurs le savaient. Pourtant,  plus d’1 million 400.000 victimes civiles sont à déplorer dans ce pays martyrisé et toujours occupé par plus de 50.000 soldats américains et britanniques, dans une indifférence généralisée de la part de nos grands médias que les révélations de Wikileaks parviennent à peine à secouer.

Mais avant de nous plonger dans les révélations partielles sur la guerre en Irak, retour sur les déboires actuels de son fondateur et à ses annonces, au travers d’un article paru dans Le Point.

 

 


WikiLeaks annonce de nouvelles publications "sept fois plus importantes" que celles sur l’Irak

Source AFP, paru dans Le Point, le 22 nov. 2010

 

Le site WikiLeaks a promis lundi une prochaine publication sept fois plus volumineuse que les 400.000 documents confidentiels récemment publiés sur la guerre en Irak, sur un sujet et à une date non précisés. "La prochaine publication a sept fois la taille des documents sur la guerre en Irak", indique le site, spécialisé dans la révélation de documents confidentiels, sur son compte Twitter.

"Pression intense là-dessus depuis plusieurs mois. Aidez-nous à rester forts", écrit WikiLeaks dans un style télégraphique, en ajoutant un lien vers une page pour lui verser des fonds. L’annonce intervient au moment où le cofondateur et rédacteur en chef de WikiLeaks, l’Australien Julian Assange, fait l’objet d’un mandat d’arrêt international lancé par la Suède dans le cadre d’une enquête pour viol et agression sexuelle.

Une source supposée incarcérée

Après avoir publié en juillet 77.000 documents militaires américains classés sur la guerre en Afghanistan, WikiLeaks a récidivé sur la guerre en Irak le mois dernier en publiant quelque 400.000 rapports d’incidents, écrits de 2004 à 2009 par des soldats américains et portant notamment sur des faits de torture. WikiLeaks, devenu depuis quelques mois la bête noire du Pentagone, n’a pas révélé à qui il doit les fuites massives de documents de l’armée américaine.

Mais les soupçons se portent sur Bradley Manning, un spécialiste du renseignement au sein de l’armée américaine, arrêté en mai après que WikiLeaks eut diffusé une vidéo montrant le raid aérien d’un hélicoptère américain à Bagdad en 2007, au cours duquel des civils ont été tués. Manning, qui est actuellement incarcéré près de Washington, risque une très lourde peine de prison s’il est reconnu coupable.

Julian Assange avait également promis cet été à Stockholm la publication de 15.000 documents militaires supplémentaires sur la guerre en Afghanistan, expurgés de certains renseignements personnels.

 


Ce que les révélations de Wikileaks ne révèlent pas

Kamil Mahdi(*), sur StopWar, repris en français par Investig’Action, 11 nov. 2010

 

Les révélations de Wikileaks fournissent un aperçu supplémentaire de la destruction mise en oeuvre en Irak par la guerre et l’occupation. Ces fuites montrent également comment d’une part, les pertes de vies irakiennes ont été sérieusement minimisées et comment d’autre part, la cruauté américaine et britannique a été très peu couverte par les médias. Mais, selon Kamil Mahdi, les documents ne donnent toujours pas une image complète de la dévastation qui a été infligée à l’Irak et à sa population.

Pour les Irakiens, le nouveau lot de carnets de route militaires US révélés confirme seulement leurs expériences vécues de la brutalité de l’occupation américano-britannique dans leur pays.

Les violences et les abus, pour la plupart gratuits, commis par les troupes US étaient et restent, dans une moindre mesure, une expérience quotidienne pour les Irakiens.

Cette culture de la violence et de l’abus va de pair avec une pratique militaire qui n’accorde pratiquement aucune valeur à la vie des Irakiens, y compris celle des civils.

Les documents révélés et rapportés montrent le faible intérêt bureaucratique pour la violence de l’occupation au quotidien. Sans aucun doute, les révélations montrent à quel point les forces d’occupation sont responsables d’une bonne partie (voir plus) des violences en Irak. En tant qu’auteurs de ces violences ou en tant que spectateurs des violences commises par les unités locales que l’occupation a entretenues et qu’elle continue à protéger, soutenir, entraîner et guider.

Les atrocités nouvellement rapportées soulignent encore plus la responsabilité générale des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne, ainsi que celle de leurs alliés politiques locaux, dans le climat de chaos et de violence résultant de l’invasion et de l’occupation de l’Irak. En témoigne la myriade d’échecs dans l’approvisionnement de sécurité de base, de services indispensables, de régénération économique, et d’un cadre constitutionnel et administratif permettant d’en finir avec la crise de la société irakienne.

Les abus rapportés dans ces révélations, en plus de tous les crimes US et britanniques déjà connus, doivent servir de rappel : les éléments de violence communautaire (par opposition au régime de répression et de terreur) expérimentés en Irak ces dernières années résultent de l’occupation elle-même.

L’occupation et la destruction de l’Etat a poussé les Irakiens à chercher la protection au sein de leurs communautés. Et les nouvelles institutions établies ont été essentiellement construites sur base d’identités sectaires et ethniques. Les carnets de bords montrent que les forces d’occupation, au lieu d’enquêter sur les abus, de chercher à en punir les auteurs et de protéger les citoyens, ont terrorisé la population irakienne et donné du pouvoir aux intégristes. L’occupation a acquiescé aux déplacements massifs de population, et procédé à la construction de murs de béton pour séparer les communautés, même sans approbation préalable du gouvernement irakien. L’occupation a de ce fait créé un environnement hostile à des forces politiques démocratiques et nationalistes. Ce sont là les racines du processus sectaire politique hésitant ainsi que le fond de la répression grandissante et du comportement violent des nouvelles forces de sécurité irakiennes qui opèrent aux côtés des troupes américaines.

Les escadrons de la mort

Ce que ces révélations n’ont pas encore dévoilé cependant, ce sont les détails des opérations des escadrons de la mort qui ont été responsables du meurtre de dizaines de milliers d’Irakiens. Des meurtres perpétrés simplement sur base d’identités communautaires et qui pèsent lourd dans l’issue politique et sociale actuelle du pays.

Ces révélations ne montrent pas non plus l’identité de ces escadrons de la mort organisés. Wikileaks ne révèle pas non plus les liens avec les Forces spéciales US qui continuent d’opérer en Irak et qui, par le passé, ont été impliquées avec des escadrons de la mort ailleurs dans le monde.

Les activités des mercenaires, les soi-disant « contractuels de sécurité », ne figurent pas non plus jusqu’ici dans les rapports de ces révélations.

En d’autres termes, ces documents révélés ne peuvent pas montrer une image complète de la violence et de la manière avec laquelle elle a été utilisée à des fins politiques et économiques.

Cependant ils fournissent un plus grand aperçu de la destruction mise en œuvre en Irak par l’occupation. Ils révèlent que les statistiques officielles et les comptes basés sur les données des médias concernant le nombre de victimes irakiennes, tels que l’Irak Body Count, ont sérieusement minimisé la véritable étendue des pertes humaines, et que les médias étrangers ont sérieusement sous-exposé l’étendue et la cruauté de la violence US et britannique à l’encontre des Irakiens.

Les révélations montrent la faible valeur accordée aux vies irakiennes dans cette soi-disant Operation Iraqi Freedom. Et beaucoup d’Irakiens feront la comparaison entre la destruction militaire injustifiée de vies irakiennes d’une part, et la récente décision du gouvernement irakien, dépendant des Etats-Unis, de dédommager pour un total de 400 millions de dollars une petite douzaine de citoyens américains qui ont souffert d’atteintes relativement mineures à leurs libertés sous l’ancien régime Saddam en 90 et 91.

Le gouvernement irakien de Nouri al-Maliki a protesté : les révélations de Wikileaks sont politiquement motivées et servent à embarrasser l’actuel premier ministre intérimaire lui-même, ainsi qu’à détruire ses chances de rester au poste. Si c’était le cas, l’opportunité aurait dû être saisie il y a quelques mois, avant que Maliki ait acquis de la force pour rester en place au moment où il a procédé à la mise en œuvre de contrats pétroliers qui sapent la souveraineté irakienne sur ses ressources, et au moment où il a développé un soutien régional et international pour sa candidature en accordant plus de concessions aux Etats-Unis et à leurs alliés locaux les plus proches.

Les révélations montrent très clairement qu’il y a très peu de surveillance judiciaire des nouvelles forces de sécurité irakiennes qui s’adonnent à la torture, aux mauvais traitements et aux meurtres. Bien que ceci ne soit pas vraiment une révélation pour les Irakiens qui subissent ces abus, cela met la lumière sur la question de l’indépendance, par opposition au contrôle politique des forces internes de sécurité. Cette question est une de celles qui perturbent la formation d’un nouveau gouvernement, alors que les élections ont eu lieu il y a plus de 7 mois.

Cependant, le problème principal en Irak reste que les Etats-Unis continuent de s’immiscer eux-mêmes dans les affaires irakiennes internes au travers d’accords iniques et par d’autres moyens. Personne ne peut faire confiance à l’indépendance politique des forces de sécurité alors même qu’il reste des milliers de troupes US dans ce pays qu’ils ont occupé et dont ils ont abusé.

Kamil Mahdi

StopWar, 14 oct. 2010

Traduit de l’anglais par Elise Broyard pour Investig’Action

 

(*)  Kamil Mahdi est un universitaire irakien basé en Angleterre, et membre (Fellow) du Transnational Institute d’Amsterdam

 


 

En lien avec cet article :

  • Wikileaks
    • Lanceurs d’alertes : Julian Assange et Kurt Sonnenfeld « wanted » | lemonde.fr | 11 août
    • Nouvelles photos de Ground Zero rendues publiques par Kurt Sonnenfeld | Article ReOpenNews | 10 août 2009
    • Une manoeuvre des services de renseignements derrière la publication des documents secrets de Wikileaks ? par F. William Endghal / Mondialisation.ca du 14 août 2010
    • "Ce que révèlent les journaux de guerre afghans" / LeMonde.fr du 26.07.10
    • "Daniel Ellsberg, l’homme qui a fait tomber Nixon" / Discours prononcé par D. Ellsberg le 20 septembre 2007 à l’American University / repris le 17 octobre 2007 par contreinfo.info

3 Responses to “Wikileaks : Entre inculpation suédoise et révélations irakiennes”

  • lutèce

    Un peu de perspective sur les « Whistleblowers ». En anglais.

    http://www.counterpunch.org/valentine03082003.html

  • Yak

    Et si wikileaks ne publie rien sur le 11.9 cela permettra au pro vo de dire qu il n y a rien de secret sur le 11.9.

    A qui servent vraiment les révélations de wikileaks? Quand on sait que finalemt les « révélations » irakiennes n apportent rien de nouveau si ce n est aux lecteurs lambda de la grande presse?

    La mayo prends bien au pays de la désinformation. Désinformer tout en informant, du bien bel œuvre…

  • Yak

    Nouvelles révélations de wiki: principale info, relayée par la presse qui invoque le droit a l information (sous prétendu « notre devoir est d’ informer ») l’Iran!

    l’Iran qui aurait les moyens, grace a son compère coréen, de frapper l Europe avec des missiles.

    Wikileaks se revel être, a mon point de vue, une superbe psy-ops menée par quelques agences du renseignements us.

Trackbacks

  •  





*
To prove you're a person (not a spam script), type the security word shown in the picture. Click on the picture to hear an audio file of the word.
Click to hear an audio file of the anti-spam word

``