Pour Eric Margolis, journaliste au New York Times, la guerre en Afghanistan n’est pas justifiée

Plusieurs spécialistes internationaux expliquent désormais publiquement que la menace posée par al-Qaida et par les talibans ne saurait justifier les efforts de guerre démesurés que l’on constate actuellement, notamment en Afghanistan, de la part de la Coalition menée par les USA. Après Alain Chouet[1], ancien directeur des Services de renseignement français qui expliquait il y a quelques mois devant une Commision du Sénat français qu’en réalité al-Qaida  était morte et enterrée sous les bombes à Tora-bora en 2002, voilà qu’Eric Margolis[2], célèbre chroniqueur au New York Times, le rejoint dans ses conclusions. Il s’appuie pour cela sur le dernier rapport du très réputé International Institute for Strategic Studies.  D’habitude attendu et commenté par les grands médias, le rapport annuel de l’IISS est passé cette fois relativement inaperçu, et l’on comprend pourquoi, à l’heure où Obama porte le contingent US en Afghanistan à 120.000 hommes. Dans cet article paru sur le Toronto Sun, Mr Margolis conforte la récente analyse du directeur de l’IISS John Chipman[3] parue dans le New York Times à propos de la stratégie occidentale en Afghanistan qui selon lui est à revoir totalement, car contre-productive à tous niveaux.

A titre d’illustration, nous vous proposons en fin d’article la vidéo de l’intervention qu’Alain Chouet a faite devant la Commission du Sénat début 2010.

Le rapport de l’IISS paru ce 7 septembre 2010

 


L’Institut international d’études stratégiques (IISS) conteste les justifications de la guerre en Afghanistan

par Eric Margolis, sur le Toronto Sun, 14 septembre 2010


L’International Institute for Strategic Studies (IISS), basé à Londres, est une autorité au plan mondial concernant les questions militaires. Il rassemble l’élite des experts de la Défense, d’anciens hauts fonctionnaires et des officiers supérieurs venus des quatre coins du monde, des États-Unis et de la Grande-Bretagne à la Chine, la Russie et l’Inde.

J’ai été membre de l’IISS durant plus de 20 ans. Les rapports de cet institut font toujours autorité, mais restent généralement prudents et diplomatiques, voire parfois ternes. L’IISS a pourtant publié il y a deux semaines un rapport explosif sur l’Afghanistan, qui ébranle Washington et ses alliés de l’OTAN.

Cette étude, dirigée par l’ancien directeur adjoint du MI-6, l’agence de renseignement du Royaume-Uni, affirme que la menace d’Al-Qaïda et des talibans a été « exagérée » par les puissances occidentales. La mission américaine en Afghanistan a « enflé » hors de toute proportion par rapport à son objectif initial de démanteler et vaincre Al-Qaïda. La guerre américaine en Afghanistan, affirme l’IISS, en des termes inhabituellement francs, est « un désastre prolongé ».

Tout récemment, le directeur de la CIA Leon Panetta a admis qu’il n’y avait pas plus de 50 membres d’Al-Qaïda en Afghanistan. Pourtant, le président américain Barack Obama a triplé le nombre de soldats américains – passé à 120.000 – pour lutter contre Al-Qaïda.

Le rapport de l’IISS souligne que la présence de troupes occidentales en Afghanistan nourrit en fait la résistance nationale. J’ai observé le même phénomène lors de l’occupation soviétique de l’Afghanistan dans les années 1980.

Fait intéressant, la partie du rapport supervisée par l’ancien directeur adjoint du MI-6, Nigel Inskster, ne fait état que d’une menace limitée d’Al-Qaïda dans d’autres régions, notamment en Somalie et au Yémen. Pourtant, Washington muscle ses opérations dans ces deux nations turbulentes.

Abandonnant sa discrétion habituelle, l’IISS déclare lancer ces mises en garde, car l’intensification de la guerre en Afghanistan menace la sécurité de l’Occident en distrayant ses dirigeants des problèmes posés par la crise financière mondiale et l’Iran, et en y consacrant les maigres ressources qui seraient nécessaires ailleurs.

Les conclusions de l’IISS entrent directement en conflit avec la position d’Obama, de David Cameron, le nouveau Premier ministre britannique, et des autres alliés des Etats-Unis ayant envoyé des troupes en Afghanistan. Ce rapport sape leurs justifications pour un conflit de plus en plus impopulaire. Il convaincra certainement les plus sceptiques que la véritable raison de l’occupation de l’Afghanistan est liée au pétrole, à la volonté d’exclure la Chine de cette région, et de garder un œil sur l’arme nucléaire du Pakistan.

Le rapport propose également une stratégie de sortie de la guerre en Afghanistan. Les troupes d’occupation occidentales, propose l’IISS, devraient être fortement réduites et leur présence limitée à Kaboul et au nord de l’Afghanistan, peuplé essentiellement par les ethnies tadjik et ouzbek.

Le sud de l’Afghanistan – d’où sont originaires les talibans – devrait être évacué par les troupes occidentales et laissé à son sort. Les talibans seraient autorisés à gouverner leur propre moitié de la nation jusqu’à ce qu’une sorte de système fédéral décentralisé puisse être mise en œuvre. C’était en fait à peu près la façon dont l’Afghanistan fonctionnait avant l’invasion soviétique de 1979.

Pour le moment, la guerre en Afghanistan se retourne contre des forces occidentales d’occupation de plus en plus chancelantes. Hamid Karzai, le dirigeant installé en Afghanistan par les Américains, prépare ouvertement à des pourparlers de paix directs avec les talibans et leurs alliés – en dépit de la forte opposition des États-Unis, de la Grande-Bretagne et du Canada.

Les forces gouvernementales afghanes sont de plus en plus démoralisées. Seuls les Tadjiks et les milices ouzbèks, et le parti communiste afghan, tous soutenus par l’Inde, la Russie et l’Iran, veulent poursuivre la lutte contre les talibans pachtounes.

La semaine dernière, le mollah Omar, chef des talibans, a affirmé que les occupants occidentaux étaient en train de perdre la guerre. Il a peut-être raison. Rien ne va plus pour le régime pro-américain de Kaboul ou ses défenseurs occidentaux. Même la très vantée offensive américaine à Marjah [lien rajouté par la rédaction- NdT], conçue pour briser la résistance des talibans, a été un fiasco humiliant. Le nombre des victimes civiles des bombardements américains continue d’augmenter.

Les Européens en ont assez de la guerre en Afghanistan. Les sondages indiquent que 60% des Américains pensent que cette guerre ne mérite pas d’être menée.

La bombe lancée par l’IISS fait suite aux révélations les plus spectaculaires de l’enquête menée en Grande-Bretagne sur les origines de l’invasion de l’Irak. La baronne Manningham-Buller, ancienne directrice du service de sécurité intérieure, le MI-5, a témoigné que la guerre en Irak avait été précédée par un fatras de mensonges et de faux éléments de preuve fournis par le gouvernement Blair. Ce que nous appelons le « terrorisme » est en grande partie causé par les invasions occidentales en Afghanistan et en Irak, a-t-elle témoigné.

La vérité sur l’Irak et l’Afghanistan émerge enfin.

L’Afghanistan pourrait à nouveau prouver qu’il est « le cimetière des empires ».

 

traduit par ContreInfo le 15 septembre 2010

 

 


 http://www.dailymotion.com/video/xcdlv5_ex-chef-de-la-dgse-al-qaida-est-mor_news


Ex-chef de la DGSE: "Al Qaida est mort en 2002" Alain Chouet
envoyé par ReOpen911. – L’info internationale vidéo.

 


Sur le Web

IISS – Strategic Survey 2010 : The Annual Review of World Affairs
Lors de la présentation des principaux éléments de cet ouvrage, le Directeur général et chef exécutif de l’IISS Dr John Chipman a expliqué qu’une refonte complète de la stratégie occidentale de contre-insurrection en Afghanistan était nécessaire : "La stratégie actuelle, a-t-il dit, est trop ambitieuse, trop éloignée des objectifs cruciaux de sécurité que nous devons atteindre et trop contre-productive vis-à-vis des efforts diplomatiques requis dans la région et ailleurs dans le Monde."

 

Notes ReOpenNews

  1. Alain Chouet a été Diplomate et agent de renseignement français, Secrétaire d’ambassade à Beyrouth (1974-76), puis à Damas (1976-79). Il a également  été Directeur du Service de renseignement de sécurité à la Direction générale de la Sécurité extérieure de 2000 à 2002. Le "Service de renseignement de sécurité" est la branche antiterroriste de la DGSE.
  2. Eric Margolis est un célèbre chroniqueur américain, il publie dans différents journaux dont le New York Times, l’International Herald Tribune, le Los Angeles Times, le Times of London, et d’autres journaux notamment en Asie. Il tient un site Web en anglais : www.ericmargolis.com/ où vous trouverez sa biographie complète.
  3. John Chipman est le Directeur général et chef exécutif de l’IISS basé à Londres.

 

En lien avec cet article

  • 3 mai 2010 | ReOpenNews | "Al-Qaida et la menace nucléaire: un mythe selon Alain Chouet, ex-directeur du Service de renseignement de sécurité à la DGSE"
  • 19 mars 2010 | Oumma.com | « La Qaïda est morte dans les trous à rats de Tora Bora en 2002 »
  • 13 février 2010 | ReOpenNews | "La stratégie face au terrorisme débattue au Sénat français: Al-Qaïda est morte en 2002!"
  • 22 mars 2010 | Le Monde (2005) | "The Power of Nightmares, ou comment fabriquer des cauchemars"

 

Vidéo à ne pas manquer

 

3 Responses to “Pour Eric Margolis, journaliste au New York Times, la guerre en Afghanistan n’est pas justifiée”

  • baboune

    Navré,… un mot juste en passant ,sans aucun lien avec l’article ci-dessus.

    Hier soir, 21 septembre, dans Ce Soir Ou Jamais, très très très étonnante liberté d’expression… A voir ou revoir. Peut-être même en parler sur ce site,…

  • Blue Rider

    @baboune

    oui, il est confondant de voir tant d\’intellectuels tourner autour du pot, par exemple oser insinuer que le terrorisme islamique est manipulé à des fins politiques (comme vous je l\’ai bien entendu dans la bouche de Todd et dun autre invité ) , sans qu\’à aucun moment d\’aucun ne veuille mettre la main dans le pot… ceci dit, il y avait aussi des suivistes patentés hier soir, dont une fringante et pulpeuse représentante de l\’UMP droite dans ses bottes et hermétique à toute tentative de comprendre au lieu d\’ânnoner….

    Margolis a déjà été invité par taddéï, et à chaque fois il a assené ses vérités, jamais frontalement contredites sur son plateau, notamment au sujet de l\’Impasse Iraquienne.

    quémiser

  • Baboune

    Effectivement,… Ils ont tourné autour du pot.

    Comme en gros « ils n’auraient pas trop le droit de le dire », ils tournent autour du pot.

    Eh ben moi j’dis,… c’est en tournant autour du pot qu’on finit par tomber dedans,… et cela a presque failli hier soir.

    Je crois que la « sombre idiote et terrorisante » représentante du politiquement correcte a empêché de rentrer dans le pot.

    Parce qu’au final, cette mélasse au fond du pot, faudra se la farcir, et mieux vaut maintenant que dans 20 ans !

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