Wikileaks et les 91 000 documents des forces de l’OTAN en Afghanistan

Le site internet Wikileaks, désormais incontournable porte-voix des lanceurs d’alerte anonymes, se trouverait en possession de 91 000 rapports provenant des forces de la coalition en Afghanistan (Ce nombre oscille entre 90 et 92 000 selon les sources médiatiques. A quelques mille près, l’amplitude est tout de même de taille). Les révélations que le site porte à l’attention du public témoignent de faits jusqu’à présent peu médiatisés : bavures commises sur  le terrain par les forces d’occupation, agressions en sous-main avec l’aval des chefs militaires, violences gratuites contre la population, connivences entre pays "ennemis" …

Le Pentagone, ne pouvant tolérer ces fuites plus longtemps, ouvre une enquête pénale afin d’identifier ces "whistleblowers" issus des forces d’occupation. Tâche peu facile comme l’évoque le deuxième article joint plus bas. Mais quid du fantastique arsenal de satellites espions et des systèmes d’écoute "high-tech" de la NSA  ? S’est-elle fait tirer les oreilles pour être restée sourde à la propagation de ces messages d’alerte subversifs ?

Gardons toujours à l’esprit qu’en vertu du droit international, cette guerre est totalement illégale.

Dans le premier article que nous vous proposons, le Monde reprend les informations essentielles parvenues à la presse via le site Wikileaks qui subitement fait la Une des médias.

 


 



Ce que révèlent les "journaux de guerre afghans"

Patrouille de soldats américains dans la vallée de l’Arghandab, près de Kandahar ‘Afghanistan, lundi 26 juillet Photon AP/Rodrigo Abd

 

Acteur de premier plan du "whistleblowing" (lancement d’alertes), le site Wikileaks a confié au New York Times, au quotidien britannique The Guardian et à l’hebdomadaire allemand Der Spiegel une somme de 91 000 documents concernant les combats menés en Afghanistan par la coalition internationale entre 2004 et 2009. La divulgation de ces "fichiers afghans", principalement des rapports militaires internes, est censée, selon Julian Assange, fondateur de Wikileaks, mettre en lumière la guerre dans tous ses aspects, et surtout dans son extrême violence.

Pour certains observateurs, la portée des informations est limitée : les documents ne contiennent aucune révélation fracassante "pour qui s’intéresse un tant soit peu à cette guerre", juge sur son site le bimestriel Mother Jones. Ils présentent toutefois un certain nombre de détails qui n’ont jamais été portés à la connaissance du public et qui permettent de mesurer l’étendue du bourbier qu’est devenu le théâtre d’opérations afghan.

 La "Task Force 373"  

Les documents fournis par Wikileaks fournissent de nombreuses informations sur les activités d’une unité secrète, la "Task Force 373". Si l’existence de cette force spéciale était déjà connue, ses activités et ses desseins ne l’étaient pas. Elle aurait été purement et simplement chargée de "capturer ou tuer", sans autre forme de procès, des chefs talibans figurant sur une liste d’environ soixante-dix personnes, connue sous le nom de "JPEL" (Joint prioritised effects list). Entre 2004 et 2009, 4 288 personnes auraient été arrêtées par la Task Force et détenues au sein d’une prison spéciale, la BTIF (Bagram Theatre Internment Facility).

Selon les rapports, les activités de la Task Force se sont intensifiées depuis l’arrivée de Barack Obama à la Maison Blanche. Ils mentionnent par ailleurs de nombreuses bavures perpétrées au sein de cette unité : des civils, y compris des enfants, ainsi que des policiers afghans ont fait les frais des combats liés aux missions de la Task Force, et certains meurtres ont été couverts. Des documents portent la mention "à ne pas divulguer aux forces étrangères" ; de fait, la Task Force 373 prend ses ordres directement du Pentagone et agit en dehors du commandement de l’OTAN. Ces révélations pourraient embarrasser Berlin, note Der Spiegel, car une des unités de la Task Force est installée sur une base allemande. Une présence controversée, que la Bundeswehr s’est toujours gardée de commenter.

 
Le nombre de victimes civiles sous-estimé

Le cas de la Task Force s’inscrit dans une problématique plus large, mise en exergue par les documents de Wikileaks : l’ampleur du nombre de victimes civiles. La lecture des "journaux de guerre afghans" permet de conclure que ce nombre est largement sous-estimé. Les documents permettent d’évaluer le nombre des victimes civiles à plus de 2 000, principalement lors de bombardements ou de fusillades "en bord de route" – ces incidents qui surviennent lorsque, par crainte des attentats-suicides, des soldats attaquent des voitures, camions, bus ou piétons qui se conduisent de façon "menaçante" ou qui refusent d’obéir aux ordres.Selon The Guardian, les textes fournis par Wikileaks mentionnent des centaines d’accrochages de ce type (qualifiés, en jargon militaire, de "blue on white", c’est-à-dire "armée contre civils"). Ils donnent notamment l’exemple d’un groupe de soldats français qui, en octobre 2008, avaient tiré sur un bus qui s’approchait un peu trop de leur convoi, blessant huit enfants. Les documents font également état d’incidents entre membres de la coalition ("blue on blue"), mais aussi d’incidents "blue on green" (coalition contre armée afghane).

L’utilisation de missiles anti-aériens par les talibans

Les documents pointent également la responsabilité des talibans dans l’escalade de la violence en Afghanistan, notamment par leur usage de missiles sol-air sophistiqués. La manipulation de ce type d’arme par les talibans remonterait en fait aux années 80, époque à laquelle la CIA fournissait des missiles anti-aériens aux insurgés pour frapper les hélicoptères et avions de combat soviétiques, mais elle n’avait jamais été portée à la connaissance du public.

La sophistication de ces munitions tranche avec l’arme de base utilisée par les talibans : les dispositifs explosifs improvisés – "improvised explosive device" en anglais (IED) –, utilisés dans un nombre croissant d’attaques. Selon les rapports, 7 155 bombes de ce type ont été mises à feu en 2009, contre 308 en 2004. En cinq ans, les talibans ont posé 16 000 IED, principalement sur des marchés ou dans des rues très fréquentées, faisant au moins 7 000 morts parmi les Afghans.

  
L‘incontrôlable allié pakistanais

Le rôle ambigu du Pakistan constitue un autre point sensible dénoncé par les documents de Wikileaks. L’information n’est pas nouvelle, mais l’analyse des rapports révèle à quel point la situation est hors de contrôle. Ceux-ci montrent en effet que le Pakistan, qui fait partie des alliés des Etats-Unis, a autorisé certains membres de ses services secrets – InterServices Intelligence (ISI) – à rencontrer des chefs talibans pour fomenter des attaques, y compris des attentats-suicides, contre la coalition. Au moins 180 rapports montrent que l’ISI arme, forme et finance la rébellion talibane depuis au moins 2004 et fournit un appui logistique aux chefs de guerre locaux. L’ISI aurait même fomenté un complot pour exécuter le président afghan, Hamid Karzaï.

Le New York Times et The Guardian s’accordent à dire que ces dossiers ne semblent pas assez solides pour accuser formellement l’ISI et surtout, pour lier de façon certaine l’ISI à Al-Qaida, même si des responsables de l’armée américaine ont formellement évoqué la probabilité de tels faits. Il n’empêche que la mise en lumière de ce double jeu contraste avec le discours du gouvernement pakistanais, lequel, sommé par la Maison Blanche de s’expliquer, nie officiellement toute implication. Cette absence de confiance entre alliés illustre en outre les carences du système de renseignement de l’OTAN, qui n’a su empêcher de nombreux incidents à la frontière pakistano-afghane.

La guerre des drones

Dernière des grandes conclusions tirées des rapports de Wikileaks : les problèmes posés par l’utilisation de plus en plus fréquente des "tueurs silencieux", ces drones de type Reaper ou Predator utilisés par la coalition pour pourchasser et tuer les talibans. Ces engins sont dirigés depuis un centre de contrôle localisé aux Etats-Unis, dans le Nevada, avec toutes les erreurs que de telles machines impliquent : le département de la défense américain a déjà produit plusieurs rapports faisant état de pannes, de dysfonctionnements du système et d’erreurs humaines dans des proportions alarmantes. Or l’utilisation des drones, capables de voler à 15 000 mètres sans être repérés, est une des solutions tactiques privilégiées par le gouvernement Obama. Depuis son arrivée à la Maison Blanche, il aurait doublé leur nombre.

Failles de sécurité et position iranienne

D’autres thèmes émergent de l’analyse des rapports et suscitent des interrogations. Ils incluent notamment les failles dans la sécurité des liaisons téléphoniques, le rôle croissant de la CIA dans l’organisation d’embuscades, de raids de nuit et de frappes aériennes, ainsi que le rôle de l’Iran, dont les gardiens de la révolution sont soupçonnés de fournir des explosifs aux attentats-suicides perpétrés sur le sol afghan.

Audrey Fournier

 


 

Des soldats américains et afghans, au nord de Kandahar. Les documents publiés par Wikileaks étaient potentiellement accessibles par la plupart des soldats stationnés en Afghanistan. REUTERS/BOB STRONG

 


 

A la recherche de la source de Wikileaks, le Pentagone s’embrouille

Qui a fourni au site Wikileaks, spécialisé dans la publication de documents confidentiels, plus de quatre-vingt-dix mille rapports de l’armée américaine en Afghanistan ? Embarrassé par les multiples révélations contenues dans les documents publiés, le Pentagone a annoncé, mardi 27 juillet, avoir ouvert une enquête pénale pour retrouver la source de la fuite.

L’investigation a été confiée à la Division d’enquête criminelle de l’armée de terre, qui est déjà chargée du dossier de Bradley Manning, un soldat de deuxième classe de 22 ans arrêté en mai. Maintenu au secret pendant plusieurs semaines avant son inculpation, le soldat Manning est soupçonné d’avoir transmis à Wikileaks une vidéo d’une bavure de l’armée américaine en Irak. En 2007, un hélicoptère de combat américain avait ouvert le feu sur un groupe de civils, faisant une dizaine de morts, dont deux journalistes de l’agence Reuters. Egalement soupçonné d’avoir transmis des milliers de courriers diplomatiques à Wikileaks, Bradley Manning risque cinquante-deux ans de prison.
Bradley Manning fait figure de suspect tout trouvé dans la fuite des "journaux de guerre afghans". Mardi, sur la chaîne de télévision MSNBC, le porte-parole du Pentagone, Geoff Morrell, a estimé que le soldat Manning est "bien évidemment un personnage clé" dans l’affaire, même si le Pentagone "ne sait pas encore de quelle manière". Une version en contradiction avec celle qu’exprimait au même moment un autre porte-parole de l’armée américaine, le colonel Dave Lapan, pour qui "l’enquête en cours sur la diffusion de documents à Wikileaks (…) ne se concentre pas sur un individu en particulier, elle a un spectre plus large".

UNE AIGUILLE DANS UNE BOTTE DE FOIN

Bradley Manning est-il un bouc émissaire ? Les enquêteurs du Pentagone avaient pu remonter jusqu’au jeune soldat quelques semaines après la diffusion de la vidéo irakienne sur Wikileaks grâce à deux indices. Tout d’abord, les images transmises nécessitaient un niveau d’accréditation relativement élevé, ce qui réduisait le champ des recherches. Et, surtout, le jeune homme aurait été dénoncé, dans des conditions peu claires, par un hacker à qui il se serait confié, et qui aurait à son tour transmis les informations à un journaliste du magazine Wired.

Dans le cas des rapports afghans, la tâche des enquêteurs sera beaucoup plus complexe, à moins que le ou les auteurs ne soient dénoncés. Comme le détaille un ancien collaborateur civil de l’armée américaine en Irak au site du magazine Mother Jones, les rapports publiés par Wikileaks proviennent de fichiers Sigact (Significant Activity Reports, rapports d’activités significatives), un vaste pot-pourri de documents détaillant tous types d’engagement ou d’action militaires. L’accès à ces fichiers est loin d’être secret-défense : toujours selon Mother Jones, tout soldat mobilisé dans le pays et la quasi-totalité des analystes de l’armée, voire les partenaires privés du Pentagone sur place, peuvent y avoir accès via un réseau intranet : le Secret Internet Protocol Router Network (SIPRNet).

Une aiguille dans une botte de foin ? Les possibilités offertes au Pentagone pour traquer la source sont minces, mais elles existent. Les enquêteurs pourront tenter de remonter le cours des volumineux fichiers d’accès aux rapports, voire les téléchargements suspects d’importants volumes de données, sans garantie de résultat. L’enquête sur les agissements de Bradley Manning avait montré que les mesures de protection et de contrôle employées par l’armée américaine étaient insuffisantes dans le centre où le jeune homme opérait. Son poste de travail bloquait les transferts de fichiers sur des clefs USB, mais le graveur de CD de la machine était opérationnel. Bradley Mannings avait ainsi pu copier les données sur un CD enregistrable qu’il avait dissimulé dans une pochette d’album de Lady Gaga.

 


 

En lien avec l’article

  • Le site wikileaks
  • Wikileaks : l’étau se resserre autour de Bradley Manning / france24.com  30 juillet 2010
  • wikileaks a fait fuiter des noms d’informateurs afghans / arretsurimages.net 29 juillet 2010
  • Wikileaks : une diversion politique / Reseau Voltaire, 28 juillet 2010
  • Wikileaks confirme les risques d’un fiasco militaire en Afghanistan / lemonde.fr 27 juillet 2010
  •  Interception des messages pager interceptés le 11/9 / wikileaks novembre 2009
  • Task Force 373, commando très spécial en Afghanistan / alliancegeostratégique.org 27 juillet 2010
  • Les fuites sur l’Afghanistan lèvent un coin devoile sur une unité très spéciale de l’armée américaine / nouvelobs.com / 27 juillet 2010

     

ReopenNews

5 Responses to “Wikileaks et les 91 000 documents des forces de l’OTAN en Afghanistan”

  • Sébastien

    Tout ce mic-mac sent la manipulation et l’intox à plein nez. Vous devriez faire beaucoup plus attention dans la diffusion de vos informations, vous qui passez votre temps à « révéler » les coups fourrés des services secrets.

    D’ailleurs, là dedans, il n’y aucune révélation. On connait très bien les méthodes des Zuniens. Que le Monde, le Figaro, ou le New-York Times mettent en avant Wikileaks, çà c’est une drôle de révélation !

  • Le problème de wikileaks c’est que c’est un instrument de guerre médiatique au service d’une cause qui peut être tout ou n’importe quoi. A l’heure ou Richard Holbrooke, pilier de bar dans les administrations US, a révélé être l’un des auteurs de la précédente fuite du même tonneau qui avait contribué à mettre fin à la présence US au Vietnam, la prudence est de mise. Wikileaks a tout du contrefeu parfait, qui révèle des infos suffisamment fracassante pour animer un peu le cadavre de la presse et faire croire qu’il est encore en vie, mais qui au fond ne révèlent rien que ceux qui veulent savoir ne savent déjà.

    N’est il pas étonnant, alors que dans le cas du 911 les whistleblowers qui ont pris des risques personnels sont nombreux, que wikileaks n’ait reçu (ou publié) aucun document révélant la face cachée des cafouillages observés ? Il y a pourtant, certainement, des centaines de gens qui ont des choses à dire – pas nécessairement pour remettre en cause la partie « qui l’a fait », mais au moins sur la partie « pourquoi la sécurité s’est plantée ».

    Et que pensez de ces « lachés » de documents ridiculement massifs ? 90 000 rapports ? Des millions de SMS sur le 911 ? Bonne pêche les amis.

    Autre question qui me taraude, pourquoi diable Dessange s’est il montré à visage découvert ? En quoi les règles en faveur de l’anonymat de son équipe ne s’appliquent elle pas à lui ?

    Que penser (quoi qu’on pense de sa pertinence) du laché de doc sur le climategate juste avant le sommet mondial sur le CO2 ?

    Enfin pourquoi les médias sont ils si réceptifs à wikileaks, comparé à l’étouffoir qui s’applique généralement sur les whistle blowers habituels ?

    Sceptique je suis. Wikileaks est peut être ce qu’il déclare être mais on ne peut pas dire que son action soit à la hauteur de mes attentes jusque là…

  • The Flipside

    Cette histoire de wikileaks et de ses 90 000 rapports sois- disant secret n’est rien d’autre qu’une diversion organisée par les services secrets américains pour:
    -enterrer définitivement les espoirs d’une issue en Afghanistan
    -Se concentrer sur les nouveaux ennemis : Le Pakistan et surtout l’Iran car c’est bien là l’objectif.

  • ramos

    Hélas, vous avez raison, Gregory et The Flipside.
    A ce propos je vous pense que vous agissez à dessein, en tant qu’agents du Mossad ou de la CIA pour discréditer une source d’infos « dangereuses » ;-)
    Je blague, bien sûr.
    Les infos qui sortent sont, je l’ai lu sur leur site, vérifié par un collège d’experts chez Wikileaks, des bénévoles, issus des mouvements militants. Alors quel crédit accorder à ces experts ? A qui profite la fuite ? (a part au plombier, fût-il polonais) Qui manipule qui ? Sans doute que Wiki est-il un moyen de contre-propagande, mais le but n’est pas la vérité, mais l’éveil du DOUTE dans les consciences.
    Sur ce plan ça peut fonctionner et c’est à mon avis le seul rôle de Wikileaks.

  • carbomb

    Wikileaks c’est comme Besancenot : fausse opposition, fausse subversion.

    Quand on se renseigne un peu sur les « supporters » de Wikileaks et qu’on trouve un nom comme Soros, on est en droit de s’interroger sur le rôle véritable de ce site… .

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