Paul Craig Roberts : L’impuissance des élections

Reprenant la mise en garde du président Eisenhower il y a 50 ans (*) contre la montée en puissance du complexe militaro-industriel, l’ancien secrétaire au Trésor US et ex-rédacteur en chef du Wall Street Journal, Paul Craig Roberts, nous dresse ici un tableau relativement pessimiste de la situation des Etats-Unis après les élections de mi-mandat de novembre 2010. La domination de la Finance et des grands lobbies industriels sur la politique américaine et mondiale est désormais telle qu’on ne sait plus comment arrêter cette course en avant vers toujours plus de guerres, d’injustices, de médias alignés, et de dollars dont la valeur virtuelle se rapproche de zéro. Rappelons que pour Paul Craig Roberts, le virage décisif fut pris il y a un peu plus de neuf ans, le 11 septembre 2001. Selon M. Roberts, c’est à ce moment-là que "la Vérité est tombée en emportant la Liberté avec elle".  

 

 


 

L’impuissance des élections

Paul Craig Roberts a été l’un des rédacteurs en chef du Wall Street Journal et il a également été secrétaire adjoint au Trésor américain. Son dernier ouvrage, HOW THE ECONOMY WAS LOST (Comment on a perdu l’économie), vient d’être publié par CounterPunch/AK Press. On peut le joindre à l’adresse : PaulCraigRoberts (a) yahoo.com

 

 

paru sur Investig’action, le 11 nov. 2010

Dans son roman historique, Le Guépard, Giuseppe Tomasi di Lampedusa écrit que les choses doivent changer, afin de pouvoir rester pareilles. C’est précisément ce qui s’est passé lors des élections américaines du Congrès, le 2 novembre.

L’exportation des emplois, qui a commencé à grande échelle avec l’effondrement de l’Union soviétique, a fusionné les démocrates et les républicains en un seul parti à deux noms. L’effondrement soviétique a modifié les attitudes au sein de l’Inde socialiste et de la Chine communiste et a ouvert ces pays, avec leurs importantes fournitures excédentaires de main-d’œuvre, au capital occidental.

Poussés par Wall Street et Wal-Mart, les industriels américains ont déménagé à l’étranger leur production destinée aux marchés américains afin de gonfler leurs bénéfices et les gains des actionnaires en utilisant une main-d’œuvre à bon marché. Le déclin de la main-d’œuvre industrielle américaine a réduit le pouvoir politique des syndicats et la capacité de ces derniers à financer le Parti démocrate. Le résultat final fut de rendre les démocrates dépendants des mêmes sources de financement que les républicains.

Avant d’en arriver là, les deux partis, malgré leurs similitudes, représentaient des intérêts différents et servaient de frein l’un à l’autre. Les démocrates représentaient le travail et se concentraient sur la mise en place d’un réseau de protection sociale. La sécurité sociale, Medicare, Medicaid, les tickets alimentaires, l’assurance chômage, les subsides au logement, l’éducation et les droits civiques étaient des préoccupations démocrates. Les démocrates étaient impliqués dans une politique de plein emploi et ils acceptaient une certaine inflation afin d’assurer davantage d’emplois.

Les républicains représentaient les affaires. Les républicains se concentraient sur le court-circuitage du gouvernement central dans toutes ses manifestations, depuis les dépenses pour le bien-être social jusqu’aux régulations dans le monde des affaires. La politique économique des républicains consistait à s’opposer aux déficits budgétaires fédéraux.

Ces différences résultèrent en une concurrence politique.

Aujourd’hui, pour le financement de leurs campagnes, les deux partis dépendent de Wall Street, du complexe militaro-sécuritaire, de l’AIPAC, de l’industrie pétrolière, de l’agrobusiness, de l’industrie pharmaceutique et du monde des assurances. Les campagnes ne consistent plus en débats tournant autour des problèmes. Elles ne sont plus que des concours d’échange de calomnies.

Les électeurs mécontents passent leur colère sur les titulaires des charges et c’est ce que nous venons de voir lors des dernières élections. Les candidats du Tea Party ont vaincu les titulaires républicains lors des primaires, et les républicains ont vaincu les démocrates lors des élections du Congrès.

La politique, toutefois, ne changera pas d’un point de vue qualitatif. Sur le plan quantitatif, les républicains seront plus enclins que les démocrates à démanteler plus rapidement le réseau de protection sociale et plus enclins également à liquider pour de bon les vestiges des libertés civiques. Mais les puissants oligarques privés continueront à rédiger les législations adoptées par le Congrès et le président les signera. Les nouveaux membres du Congrès découvriront rapidement que pour réussir à se faire réélire, il faut se plier à la volonté des oligarques.

Cela pourrait sembler brutal et pessimiste. Mais voyons plutôt les faits. Dans sa campagne pour la présidence, George W. Bush avait critiqué les aventures étrangères du président Clinton et avait émis le vœu de mettre un terme au rôle de l’Amérique en tant que gendarme de la planète. Une fois en place, Bush a continué la politique d’hégémonie mondiale via les moyens guerriers des néoconservateurs, la mise en place de régimes fantoches et l’intervention financière dans les élections d’autres pays.

Obama promettait le changement. Il exprimait le souhait de fermer la prison de Guantanamo et de ramener les troupes dans leurs foyers. En lieu et place, il a relancé la guerre en Afghanistan et a entamé de nouvelles guerres au Pakistan et au Yémen, tout en continuant la police de Bush consistant à menacer l’Iran et à encercler la Russie de bases militaires.

Les Américains sans emploi, sans revenu, sans maison, sans perspective et sans espoir de carrière pour leurs enfants, sont furieux. Mais le système politique ne leur propose aucune façon de provoquer un changement. Ils peuvent changer les larbins élus des oligarques, mais ils ne peuvent changer la politique de ces mêmes oligarques.

La situation de l’Amérique est très pénible. Suite à Internet et à sa grande vitesse, la perte des emplois industriels a été suivie d’une perte d’emplois dans les services professionnels, telle l’ingénierie informatique, qui constituait un échelon de carrière pour les diplômés universitaires américains. La classe moyenne n’a aucune perspective. Déjà, la main-d’œuvre américaine et la distribution des revenus ressemblent de plus en plus à celles d’un pays du tiers monde, avec les revenus et la richesse concentrés dans quelques mains en haut de l’échelle et le reste de la population employée dans les emplois des services du pays. Ces dernières années, précisément, la création d’emplois nouveaux s’est concentrée dans des occupations à bas salaire, comme serveuses, barmen, services de soins de santé ambulatoires et employés à la vente au détail. La population et les nouveaux entrants dans la main-d’œuvre continuent à s’accroître plus rapidement que les possibilités d’emploi.

Changer tout cela requerrait plus de réalisations qu’il n’en existe de la part des décideurs politiques et cela entraînerait une crise plus profonde encore. Cela pourrait peut-être se faire en utilisant la fiscalité pour encourager les sociétés américaines à produire aux États-Unis mêmes, les marchandises et les services qu’elles vendraient sur les marchés américains. Toutefois, les sociétés mondiales et Wall Street s’opposeraient à un tel changement.

Les pertes de recettes fiscales dues aux pertes d’emplois, aux renflouements des banques, aux programmes d’encouragement et aux guerres, ont provoqué une multiplication par trois, voire quatre, des déficits budgétaires américains. Le déficit est aujourd’hui trop important pour être financé par les excédents commerciaux de la Chine, du Japon et de l’OPEP. Par conséquent, la Banque centrale américaine pratique des achats massifs du Trésor et autres dettes. La poursuite de ces achats menace la valeur du dollar et son rôle en tant que devise de réserve. Si le dollar est perçu comme perdant ce rôle, la prise de distance vis-à-vis des dollars mêmes va ruiner le reste des revenus de retraite américains, de même que la capacité du gouvernement américain à s’autofinancer.

Pourtant, cette politique de destruction se poursuit. Il n’y a pas de retour à la régulation de l’industrie financière, tout simplement parce que l’industrie financière ne le permettra pas. Les guerres au-dessus de nos moyens se poursuivent, parce qu’elles servent les profits du complexe militaro-sécuritaire et qu’elles permettent de promouvoir les officiers de l’armée à des grades plus élevés, avec de bien meilleures retraites encore. Certains éléments du gouvernement veulent envoyer des troupes américaines au Pakistan et au Yémen. La guerre contre l’Iran est toujours à l’ordre du jour. Et la Chine est diabolisée en tant que cause des difficultés économiques des États-Unis.

Les tireurs de sonnette d’alarme et les critiques sont mis au rancart. Le personnel militaire qui ose apporter des preuves de crimes de guerre est arrêté. Les gens du Congrès réclament qu’on les exécute. Le fondateur de Wikileaks se terre et les néoconservateurs pondent des articles réclamant son élimination par des équipes de tueurs de la CIA. Les organes médiatiques qui parlent de ces fuites ont apparemment été menacés par le patron du Pentagone, Robert Gates. Selon Antiwar.com, le 29 juillet, Gates « a insisté sur le fait qu’il n’exclurait pas de s’en prendre au fondateur de Wikileaks, Julian Assange, ou toute la pléthore d’organes médiatiques qui ont parlé de ces fuites ».

Le contrôle des oligarques s’étend aux médias. L’administration Clinton a permis à un petit nombre de sociétés géantes de concentrer les médias américains dans quelques mains. Ce sont les patrons des sociétés publicitaires, et non plus les journalistes, qui contrôlent les médias américains ; et la valeur des sociétés géantes dépend des licences de diffusion du gouvernement. L’intérêt des médias ne fait plus qu’un aujourd’hui avec celui du gouvernement et des oligarques.

Au-dessus de tous les autres facteurs qui ont rendu les élections américaines vides de sens, les électeurs ne peuvent même pas recevoir des médias des informations correctes sur les problèmes auxquels eux-mêmes et le pays sont confrontés.

Puisqu’il est plus que probable que la situation économique va continuer à se détériorer, la colère va gagner en ampleur. Mais les oligarques détourneront cette colère de leurs propres personnes et la réorienteront vers les éléments vulnérables de la population domestique et vers les « ennemis à l’étranger ».

 

Paul Craig Roberts

Investig’action, le 11 nov. 2010

 

 texte corigé par ReOpenNews

 


(*) DOCUMENT : Discours d’adieu du Président Eisenhower

17 janvier, 1961

Bonsoir chers compatriotes.
 
 (…)
 Ce soir je viens à vous avec un message d’adieu, et pour partager quelques pensées, avec vous, mes chers concitoyens.
 (…)
 Nous avons dû développer une vaste industrie de l’armement permanente. (…) son influence économique, politique et même morale se ressent dans chaque ville (…)  Ce développement est certes nécessaire mais nous devons aussi comprendre la gravité de ses conséquences. Dans les services du gouvernement, nous devons nous méfier d’une influence non justifiée, qu’elle soit voulue ou non, par le complexe militaro-industriel. Le risque d’un accroissement funeste des abus de pouvoir existe et persistera. Ne laissons jamais le poids de ce complexe mettre en danger nos libertés ou notre démocratie. Seuls des citoyens vigilants et informés peuvent imposer le bon tissage entre la machine industrielle et militaire de la défense avec nos objectifs pacifistes pour que la sécurité et la liberté prospèrent ensemble.
(…)
 
 

 

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2 Responses to “Paul Craig Roberts : L’impuissance des élections”

  • Autrement dit : nous sommes cernés.
    Inéluctablement les USA glissent INEXORABLEMENT d’une faillitte latente à un effondrement financier patent .Ce qui l’explique n’est pas moins l’hysthérie des banques avec en tête BLYTHE MASTERS .Puis dans la foulée leur énergie désespérée à s’accaparer toutes les ressources gaz-pétrole en MOYEN ORIENT,laquelle énergie est elle même subventionnée par le système financier -lequel au passage appauvrit les Américains de base ..Voyez,c’est le serpent qui se mord la queue !
    Ajoutons ,pour bonne mesure ll’appareil militaire,main dans la main avec l’industrie militaro industriel.le
    Bien secoué,buvez frais.C’estr de la bombe.
    PS :A LIRE :LE CHOIX DE LA DEFAITE de Annie LACROIX RIZ etLA FACE CACHEE DU PETROLE

  • Sébastien

    Monsieur Roberts, je ne sais pas vraiment à qui s’adresse vos articles, mais ne prenez pas tout le monde pour des c….

    Avant le 11 septembre 2001, Les Etats-Unis avaient déjà fait beaucoup de mal. Peut-être avez vous oublié parce que vous faisiez parti de ce système?

    -Abandon de l’étalon-or en 1971 comme référence du dollar puis dans les années 90, les directives des conseillés de monsieur Clinton pour favorisées les banques d’affaires, la création du système de la titrisation etc. ont permis toutes ces dérives financières.

    -Conseillés, économiques et militaires identiques depuis….40 ans.

    -La Réserve Fédérale Américaine, véritable Etat dans l’Etat créée à la veille de la 1ère Guerre Mondiale, en 1913 et dont les Pères Fondateurs des Etats-Unis redoutaient déjà le spectre.

    -Quant à la Chine, les politiques Etats-Uniennes lui ont offert le monde sur un plateau. Quant à la Russie, grâce à la mise en place de la marionnette alcoolique Elstine qui faisait beaucoup rire monsieur Clinton, et pour cause, vous avez mis à genoux de la façon la plus cynique votre principal « ennemi ».

    Si on veut aller jusqu’au bout du problème, c’est que le problème, ce sont les Etats-Unis eux-mêmes. Si vos gardiez vos problèmes sans en faire « profiter » le monde entier, un avenir existerait, au moins.

    A part le jean, je ne vois pas ce que vous nous avez apporté de positif. Ah, si, internet. Sinon, nous serions depuis longtemps dans une dictature mondiale ouverte.Vous avez dis positif?

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