Rapport de Human Rights Watch: La justice court-circuitée

Dans son dernier rapport paru le 2 juillet, l’ONG Human Rights Watch (HRW) dresse un bilan alarmant des lois anti-terroristes en France, montre les preuves d’une dérive de la justice depuis le 11 septembre 2001, et interpelle le gouvernement français au travers de propositions qui permettraient à la justice française de préserver la dignité humaine en affirmant que "la torture et les traitements cruels, inhumains ou dégradants sont inacceptables, tant en France qu’ailleurs, et que les informations obtenues sous la torture et au moyen de mauvais traitements interdits ne peuvent être utilisées à aucun stade des enquêtes et procédures judiciaires en France".

Communiqué de presse de Human Rights Watch

France : Les poursuites pour « relations » avec des personnes suspectes d’activité terroriste violent les droits humains

Il faut améliorer les protections dans le système pénal et fournir des avocats aux personnes soupçonnées de terrorisme

(Paris, le 2 juillet 2008) – Dans le cadre des efforts qu’elle déploie pour combattre le terrorisme, la France arrête et poursuit régulièrement en justice des personnes pour leur association avec d’éventuels suspects d’activité terroriste, mettant à mal les normes internationales en matière de procès équitable, a déclaré Human Rights Watch dans un nouveau rapport publié aujourd’hui. 

« Avoir recours au système pénal est le bon moyen pour lutter contre le terrorisme », a expliqué Judith Sunderland, chercheuse à la division Europe et Asie centrale de Human Rights Watch. « Mais poursuivre des personnes à cause des gens qu’elles connaissent et de ce qu’elles pensent porte atteinte aux droits fondamentaux. Il s’agit d’un principe erroné et d’une pratique dangereuse. » 
 
Le rapport de 91 pages, intitulé « La justice court-circuitée : Les lois et procédures antiterroristes en France », examine comment la France utilise un délit à la définition floue, celui d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, pour arrêter un grand nombre de personnes sur la base de preuves minimales. Human Rights Watch a recueilli des informations sur des allégations crédibles selon lesquelles les personnes soupçonnées de terrorisme sont soumises à des interrogatoires oppressants pendant leur garde à vue, associés à une politique qui consiste à retarder l’accès du suspect à un avocat. De nombreux suspects passent ensuite de longues périodes en détention provisoire. Human Rights Watch a parlé à plus de vingt personnes impliquées dans des enquêtes et des procès liés au terrorisme et a réalisé des entretiens avec des responsables de la lutte antiterroriste et des autorités judiciaires. 
 
Le manque de protections appropriées dans le système de justice pénale met la France en porte-à-faux avec les principes régissant les droits humains. 
 
La France est réputée pour son approche préventive dans le domaine pénal en matière de lutte contre le terrorisme. Des procureurs et des juges d’instruction spécialisés travaillent en étroite collaboration avec les services de police et de renseignement en vue de démanteler des réseaux présumés avant que ceux-ci ne commettent un attentat. Néanmoins, se fonder sur le délit d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, infraction à la définition très large, conduit à l’arrestation de nombreuses personnes sur la base d’un minimum de preuves et à leur placement en détention pendant des périodes prolongées. Les poursuites se basent souvent sur des données qui proviennent des services de renseignement, y compris de pays au piètre bilan en matière de torture, données que les accusés ne sont pas en mesure de contester effectivement. 
 
« La France se montre trop empressée à sacrifier les droits humains sur l’autel de l’efficacité », a souligné Judith Sunderland. « Pour être un vrai leader, elle devrait respecter les droits tout en s’opposant au terrorisme. » 
 
Human Rights Watch débattra de ses conclusions et recommandations à l’occasion d’une table ronde sur les droits humains et la lutte contre le terrorisme en Europe qui se tiendra le 2 juillet à Nantes, en France, dans le cadre du 3e Forum mondial des droits de l’Homme. 
 
Les protections pendant la garde à vue constituent un sujet de préoccupation particulier. Les personnes soupçonnées de terrorisme ne peuvent voir un avocat qu’après trois jours d’interrogatoire par la police, ce qui mine le droit à une défense effective et expose les détenus au risque de mauvais traitements. Lorsqu’ils s’entretiennent finalement avec un avocat, la visite est limitée à trente minutes et l’avocat dispose généralement de très peu d’informations sur le motif de leur arrestation. Aux termes de la loi, les policiers ne sont pas tenus de notifier aux suspects qu’ils ont le droit de garder le silence et tout ce qu’ils disent pourra être utilisé contre eux si des poursuites sont engagées. 
 
Rachida Alam, 34 ans, a été interpellée en même temps que son époux en mai 2004. Elle a été soumise à 25 heures d’interrogatoire pendant les trois jours qu’elle a passés en garde à vue sans voir une seule fois un avocat. Diabétique, Alam a dû être emmenée à trois reprises à l’hôpital du lieu de détention. 
 
Human Rights Watch a eu des entretiens avec des suspects qui ont expliqué que la privation de sommeil, la désorientation, les interrogatoires incessants et répétitifs ainsi que les pressions psychologiques sont monnaie courante en garde à vue. L’organisation des droits humains a également recueilli des informations au sujet d’allégations crédibles de violences physiques. 
 
Emmanuel Nieto, 33 ans, a été arrêté en octobre 2005 en grande partie sur la base de déclarations faites par un homme se trouvant en détention arbitraire en Algérie. Nieto affirme avoir été victime de brutalités policières pendant ses quatre jours de garde à vue, notamment avoir reçu des coups de poing, avoir été forcé de s’agenouiller pendant de longs moments et avoir été empoigné à la gorge. Il a été interrogé pendant 45 heures au total au cours de 13 séances différentes. 
 
Les suspects mis en examen pour des infractions liées au terrorisme sont généralement placés en détention provisoire pendant de longues périodes. La réforme de 2001 permettant que les décisions relatives à la détention soient prises par un juge distinct, le juge des libertés et de la détention, n’a quasiment rien changé sur le plan d’une limitation de la détention provisoire dans ce genre d’affaires. 
 
La définition étendue du délit d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste peut conduire à une condamnation fondée sur des critères peu exigeants en matière de preuve et des éléments de preuve ténus, par exemple le fait que les suspects se connaissent, sont en contact régulier ou partagent des croyances religieuses et politiques déterminées. 
 
Des entretiens avec des responsables français de la lutte antiterroriste, des personnes soupçonnées de terrorisme et des membres de leurs familles, ainsi que des avocats de la défense semblent indiquer que l’approche adoptée par la France risque d’aliéner des personnes de confession musulmane, éventuellement de radicaliser certaines personnes et d’éroder la confiance dans les forces de l’ordre et de sécurité. Les voisins seront moins susceptibles de renseigner la police à propos de comportements suspects s’ils pensent que les accusés ne seront pas traités équitablement. 
 
« M. Sarkozy a qualifié la lutte contre le terrorisme de ‘bataille des idées», a relevé Judith Sunderland. « Pour remporter cette bataille, il faudra veiller à ce que la lutte antiterroriste ne soit pas menée au détriment des droits des suspects. » 
 
Le rapport contient des recommandations concrètes à l’intention du gouvernement français l’invitant à renforcer les protections dans le système pénal, notamment :

  •  En définissant de façon plus précise le délit d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste et en exigeant la preuve de l’intention de participer à un projet visant à commettre des actes terroristes ; 
  • En améliorant les protections pendant la garde à vue, en particulier l’accès à un avocat dès le début de la détention et au cours de tous les interrogatoires ; 
  • En renforçant le rôle et l’indépendance des juges des libertés et de la détention ; et 
  • En veillant à ce que les preuves obtenues sous la torture ou au moyen de mauvais traitements, y compris de pays tiers, soient irrecevables dans toute procédure pénale.

 

 

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